lundi 3 novembre 2014

Où le Tenancier s'interroge sur Rimbaud et le psittacisme — Ce qui ressort de sa péroraison — Ses conjectures — Ses hommages et ses compliments

Il est des attitudes chez des journalistes que l’on espérait éteintes non par l’éveil soudain à une conscience éthique mais parce que la simple prudence commande désormais de faire attention à ce que l’on écrit. Cette prudence est largement motivée par le fait que les informations qui circulent ne sont généralement plus à l’usage exclusif d’une profession mais également accessibles au tout venant des curieux. On rétorquera avec raison que le traitement de l’information de ces professionnels diffère de ce qu’en fait généralement le simple quidam, à savoir l’astreinte au recoupement et à la vérification. C’est une donnée fondamentale du journalisme : si l’on doit rendre compte d’un sujet on doit savoir de quoi l’on parle. Si l’on trouve éventuellement à redire sur la pratique journalistique, il est une catégorie de cette profession qui s’assure une impunité plutôt spectaculaire. On veut parler ici du critique littéraire appointé par un journal. Passent la mauvaise foi ou le manque d’objectivité, le copinage ou l’usage immodéré du copier/coller des prières d’insérer du service de presse… Ces pratiques-là réclament de l’indulgence. Le critique a des factures à régler comme nous tous et sans doute une famille. Qui alors n’a pas eu la tentation d’aller au plus simple ? Et qui somme nous pour priver le petit Kevin de sa glace à la pistache, mmmhhh ?
Il est en revanche un pratique irritante, un sport curieux auxquels se livres d’autres personnes qui se sont insinuées dans la profession par on ne sait quelle voie mystérieuse. Faire le résumé d’un ouvrage pas encore paru nous semble non pas le symptôme d’une malhonnêteté insigne — quoique ce type d’action relève du manifeste —  mais d’une sottise sanctuarisée en posture idéologique (car nous n'osons croire à la malhonnêteté qui commettrait des sottises, ce serait trop injuste). Que l’on nous entende bien lorsque nous évoquons un livre « pas encore paru » : Il s’agit d’un ouvrage d’Eddie Breuil qui pose la question de l’attribution des Illuminations de Rimbaud qui serait en grande partie redevable à Germain Nouveau. Notre source nous a assuré que l’ouvrage n’avait pas été distribué en service de presse ni sous forme de bonne feuille (en papier ou en fichier pdf) le jour de la parution de la critique. Or ce « critique » publie un papier qui se résume à une charge malencontreuse et qui a de grandes chances d’être injustifiée — du moins est-ce l’impression de ce qui ressort des premiers témoignages de lecteurs du livre.
On passerait encore sur le doute que cette personne jette sur le travail de l’auteur, on s’irriterait alors d’autant sur l'accent employé qui clôt la notule. On vous livre ce passage sans supplément :
 «  Le ton de Breuil est dans l’air du temps : anti-élitisme, paranoïa anti-critique. Les " universitaires" – Breuil en est un, qui va soutenir une thèse sur Histoire et théories de l’édition critique des textes modernes — et les critiques sont des perroquets qui vont répétant les mêmes erreurs fondées sur les mêmes présupposés. Encore un chevalier blanc. » 
On pourrait rétorquer à peu de frais que le psittacisme de ce critique est lié à un extraordinaire don de télépathie puisqu’il se prononce sur un livre dont il n’a pas vu la couleur. Au fond, nous retrouvons la même frilosité qui s’empare d’un certain milieu, qu’on hésite à accoler à la notion de littérature et d’érudition, et qui, se délestant de tout scrupule critique, s’empresse de dénigrer ce qui pourrait éventuellement bousculer le piédestal du Grandautheur, à savoir ici Rimbaud. On sent confusément le désarroi d’un besogneux devant cette possible révision, la remise en question du dogme qui veut que tout ce qu’il a lu d’un auteur est forcément de lui et à jamais et particulièrement à propos d’écrivains ou de poètes inamovibles dans le panthéon littéraire. Pour des auteurs dits mineurs, cela passe un peu mieux, voire on s’en amuse comme de Michel Verne réécrivant nombre de livres de son père. Mais Rimbaud, songez-y… C’est que la réfutation après coup peut s’avérer difficile ; alors nous assistons à de ces pathétiques tentatives de discrédit par prétérition. Le confort plutôt que la réflexion.
Votre Tenancier n’a pas lu l’ouvrage et il se gardera donc d’en exposer la teneur en détail même si maintenant des critiques plus honnêtes sont parues. Allez les lire. Ce qu’il en a compris — et certainement pas par l’article évoqué plus haut — est suffisamment intéressant pour qu’il en envisage l’emplette un de ces jours. Il se fera une opinion mais ne la partagera pas car ce n’est ni un spécialiste de Nouveau ni de Rimbaud. Le Tenancier est un simple pékin en pantalons de nankin à prendre avec des baguettes. Il biche toutefois à la probable perspective d’un examen critique de la part de Grégory Haleux, homme perspicace dont on aimerait par ailleurs observer la rencontre avec Eddie Breuil, si elle pouvait se faire un jour. Nous réservons dès maintenant notre strapontin.

Eddie Breuil : Du nouveau sur Rimbaud — Honoré Champion

Site de l'éditeur.

  • Pour consulter l'article dont nous parlons c'est ici. (Philippe Lançon : Haro sur Rimbaud — Libération du 30 octobre 2014)
  • On vous conseillera un article plus documenté et honnête sur le site actualitté.com, cliquez .

6 commentaires:

  1. Lançons ceci, à tout hasard : « Au réveil, il était midi. »
    L'hypothèse de Breuil est amusante, à tout le moins, et il faut être bien crétin pour s'en irriter, surtout a priori, même si pour ma part je ne décèle guère de différence de style entre Les illuminations (qu'il faudrait prononcer à l'anglaise, paraît-il, tout comme plusieurs des titres du recueil). Mais Breton n'est plus là pour asseoir magistralement la vérité de ce genre de choses, comme lors de l'affaire de La chasse spirituelle où les malheureux Pascal Pia et Maurice Nadeau (éminemment estimables par ailleurs, preuve que nul n'est parfait) se sont lamentablement ridiculisés.

    Je fais pour ma part mon délice de ce genre de conjectures, semblable à celle de Kimberley Cornish s'efforçant sérieusement d'établir que l'histoire du XXème siècle se résume entièrement à un lutte singulière entre Wittgenstein et Hitler ou, dans le genre ouvertement ludique, celle de Roland Brasseur tentant de faire de Perec le fils spirituel de Pierre Benoït

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  2. Gaspe, je me suis paumé dans ma phrase à rallonge !

    Fallait lire :
    « … je ne décèle guère de différence de style entre Les illuminations […] et Une saison en enfer », natürlich !

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  3. Vous avez compris, George, ce sont les réactions a priori qui sont irritantes. Il faut pouvoir juger sur pièce et non sur un ressenti. C'est devant le pastiche et pas que sur du ressenti mais également sur des données objectives (les becs de gaz) que Breton s'était prononcé lors de la fameuse affaire de la Chasse spirituelle. Rentrent en considération, certes, l'intuition du poète mais le fait est que nous n'entendons que peu les gens de lettres se prononcer sur le sujet pour le moment, à part un ou deux olibrius dont les gesticulations ont peu à voir avec l'humanisme et tout avec la com'.
    Dans le domaine des conjectures littéraires, vous omettez, cher George, celle de Perec avec Voyage d'hiver. Et dans un autre registre, je ne puis que citer le petit texte de Dominique Noguez, Les trois Rimbaud qui fait rapprocher Arthur des Parnassiens et le fait entrer à l'Acadéfraises après une jeunesse un peu dissipée...

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    1. Désolé, pas lu ce Perec-là, pas plus que le Noguez que j'ai pourtant longtemps eu en boutique avant de finir par le vendre.
      Tiens, à propos de Noguez, il en est un que je cherche depuis longtemps, intitulé Lénine Dada

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  4. Comme vous dites Tenancier, tout amateur un peu éclairé sait aujourd'hui que Rimbaud n'est pas mort en 1891 (c'était son cousin), mais en 1937, après s'être dûment converti au catholicisme romain. A propos d'Acadéfraise, je viens de relire Le Fauteuil hanté de Gaston Leroux, savoureux, et prouvant qu'on peut très bien être analphabète comme l'était en réalité Rimbaud, et devenir Immortel !

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  5. Saine lecture, Monsieur Wroblewski !

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