samedi 23 juillet 2016

Le Tenancier & Casanova

Vous connaissez le Tenancier : d’une équanimité à toute épreuve, même qu’on pourrait prendre ça pour de la catatonie si l’on ne remarquait pas la mobilité de ses yeux aux reflets intelligents. Toutefois lorsqu’on lui présente un texte d’autofiction, il ne faut pas vous le cacher, cela lui fait mal. À ce moment-là, il quitte se réserve naturelle et vitupère. Il faut bien dire que cet afflux de textes inutiles qui paraissent à la pelle — à la pelleteuse, même — a de quoi énerver lorsque l’on aime la littérature. Souvent, on apprend que ces livres sont l’aboutissement d’une séance chez l’analyste. On imagine que le spécialiste n’en pouvant plus des banalités qu’on a pu lui répandre dans la trompe d’Eustache a dû se dire que ce serait une belle revanche sur sa vie de merde en faisant partager les turpitudes de ses clients. Je confirme, cher psychanalyste, vous avez une vie de merde et je ne l’envie pas, surtout à la lueur des textes autofictifs. Ce ne doit pas être drôle tous les jours. Cela dit, les lecteurs de ces vaticinations ont un moment l’impression de jouer votre rôle, certes sans le canapé et l’argent ramassé en fin de séance. Mais on voit bien que vous ne volez pas cet argent quand on lit ce qu’on lit. Il y en a d’autres qui entreprennent d’écrire sans la sollicitation du psy. Mettons les en garde ! Quitte à écrire sur sa vie inintéressante, autant qu’elle soit écrémée d’abord par un spécialiste. À la grande époque, où c’était franchement tendance, vous pouviez même vous passer de style. Précaution superflue, d'ailleurs : beaucoup d’éditeurs se sont passés depuis longtemps de réviseurs et de correcteurs, donc cela tombait bien.
Enfin, voilà où en était — en gros — la pensée de votre Tenancier chéri. Et puis, il est tombé sur un auteur qui a justement écrit sur les conseils de son médecin. Et là, il a bien fallu se dire qu’il existe des exceptions à l’autofiction comme :
Giacomo Casanova.
 Mais quitte à avoir affaire à un escroc, autant qu’il soit brillant.

4 commentaires:

  1. Casanova, certes. Mais Marcel Proust, ce n'était pas une suggestion thérapeutique, que je sache.

    Si tu vitupères, tu perds vite.

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  2. On est d'accord, mon cher George, mais rares sont les injonctions thérapeutiques qui mènent à la postérité littéraire, surtout quand il s'agit d'emmerder son monde avec sa vie. Il me semble que Gailly a écrit sous l'incitation de son psy. Aucun rapport, vous me concéderez, avec ce que je décris dans ce court billet. On est d'accord là-dessus, je gage. Le petit Marcel a baladé son moi chéri, mais il a au moins rencontré des choses intéressantes.
    Alors hein.

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  3. Barthes parlait avec raison de l'économie de l'écriture puisqu'il est avéré que l'autofiction rapporte un max : rien de plus notoire que les bas de laine de Proust…

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  4. Même si Proust m'a longtemps comblé de bonheur, il faut convenir que la vie de Casanova est un peu plus leste et aventureuse, et le style moins semblable aux méandres associatives d'une analyse freudienne. Il faut dire que la raison pour laquelle Giacomo s'y est mis est, plus qu'une impérieux besoin littéraire et analytique, le moyen pour un vieillard (autour de 70 ans) solitaire et sans ressources, quasiment complètement abandonné par les jouissances qui faisaient le sel de sa vie et de plus en plus submergé par les souffrances de l'âge (il pensa d'ailleurs mettre fin à ses jours et en fit même un petit opuscule), en butte aux tracasseries et harcèlements de l'intendant et des domestiques du château de Dux où le maître des lieux l'avait charitablement recueilli comme bibliothécaire, le moyen, donc, de revivre les 400 coups et mille et unes aventures (dans tous les sens du terme) de sa folle jeunesse de globe-trotter philosophe, filou et libertin. Une thérapie de maison de retraite donc, certes, mais que je ne classerais pas dans les "autofictions" par vous décrites, cher Tenancier.

    C'est étrange, car, malgré la distance que nous avons pris l'un de l'autre depuis un certain temps, je me trouve commencer tout juste le tome 3 des Mémoires du "saint gars", dans l'édition du Club français du livre, héritée de mon père, que je lis en laissant passer un certain temps entre deux volumes (comme je fis pour la Recherche d'ailleurs) pour faire durer le plaisir, mais dont il me manque des volumes que je désespère de trouver, c'est pourquoi je compte lire ce qui me manquera dans la Pléiade d'une bibliothèque, et finalement me débarrasser de cette collection bancale puisque incomplète. Coïncidence troublante.

    J'ai dit. Un peu longuement il est vrai.

    Amicalement.

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