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jeudi 7 mars 2024

Bibliographie commentée des Minilivres aux éditions Deleatur — 32


Philippe Curval

La vie est courte,
la nature hostile,
et l'homme ridicule

Angers — Éditions Deleatur, 1998
Plaquette 7,5 X 10,5 cm, 32 pages, dos agrafé, couverture à rabats, pas de mention de tirage
Achevé d'imprimer en octobre 1998 sur les presses de Deleatur pour le compte de quelques baigneurs prudents



Le Tenancier : Nous avons en commun d’avoir publié Philippe Curval, ce qui n’étonne guère lorsque l’on considère son affection pour les petites publications (Il a même produit de ses propres nouvelles et sa bibliographie en plaquettes, j’en possède quelque part).
On oublie aussi volontiers qu’il s’adonnait au collage comme ici. On en retrouve dans les anciens numéros de Fiction et, bien sûr, sur la couverture du Petit Silence illustré.
Enfin, ce récit d’un homme sur une plage rappelle à quel point l’écrivain était doté d’humour et que son nom ne doit pas forcément être accolé à l’univers de la SF, même s’il en a été un acteur important.
Il me semble bien que c’est l’unique ouvrage avec une pagination doublée — 32 pages.
Au fait, comment est-il arrivé dans cette collection ?
 
Pierre Laurendeau : O Tenancier, tu évoques avec justesse un des grands écrivains français, récemment disparu…
J’ai fait la connaissance de Philippe Curval lorsque j’étais correcteur à l’agence de com’ d’EDF – Sodel Conseil –, qui regroupait les activités de com’ interne et la revue diffusée à tous les agents, La Vie électrique. Philippe y exerçait, sous son vrai nom, son métier de journaliste.
C’était en 1981-1982 et il avait entendu parler de Deleatur par Jacques Veuillet (voir Minilivres 7 et 21), qui était un de ses amis. Il était particulièrement enthousiasmé par la Nouvelle postale, la collection « d’entrée » de Deleatur qui a précédé les minilivres (de 1980 à 1987). Il me promettait sans cesse un texte, qui n’est jamais venu.
Après mon repli vers Angers à l’automne 1982, j’ai gardé contact avec lui. J’ai eu l’occasion de le faire intervenir deux fois dans le cadre de nos activités professionnelles du Polygraphe :
-      En octobre 1991, à l’occasion d’une performance que j’avais organisée pour la librairie Richer (le plus important libraire de la ville) : il s’agissait, dans la même journée, d’écrire un texte, de le mettre en pages et de le proposer aux clients de la librairie. Philippe avait accepté avec plaisir de relever le défi – cela a donné lieu à une jolie plaquette de 24 pages, Le Chant du Rossignol, sur vergé Conquéror 100 g, avec couverture Canson et son étiquette rapportée ; reliure au fil. Très chic. Il était venu à Angers avec sa femme, Anne Tronche, critique d’art réputée, qui nous avait dit son admiration pour Pierre Bettencourt.
-      Quelques années plus tard, pour la carte de vœux d’une entreprise autoroutière pour laquelle nous effectuions des travaux sporadiques (pas de réfection de bitume !). De mémoire (car je n’ai pas gardé ladite carte), il avait écrit un joli conte de Noël.
 
Finalement, Curval m’adressa en 1998 La vie est courte, la nature hostile et l’homme ridicule, qu’il avait autoédité un an plus tôt dans la Collection particulière – éditions du Pigeonnier. L’ouvrage, orné d’une « gravure originale sur ordinateur de l’auteur », était tiré à 10 exemplaires. Je possède le numéro 4. Je fus tout de suite emballé par ce conte philosophique risible, teinté de désespoir. J’avais tout de même un problème de taille : le texte débordait largement les capacités d’accueil du format standard : 16 pages A7. D’où la nécessité d’un volume double – cas effectivement unique dans la collection…
Philippe Curval m’adressa un deuxième texte, paru initialement dans la même « Collection particulière », La Moustache anglaise ; on en reparlera à l’occasion du numéro 54.
La dernière fois où j’ai croisé Curval, c’était aux Utopiales de Nantes, il y a une dizaine d’années. Il se promenait dans les coursives de ce grand paquebot de la SF comme l’habitant d’une planète extrasolaire débarqué là par une erreur d’aiguillage. Nous avions pris un verre ensemble au Bar de Madame Spock, tels deux cosmonautes à la dérive.
Pour l’anecdote, Philippe m’avait confié qu’il avait emprunté son pseudonyme à un des pires sacripants des Cent Vingt Journées de Sodome de Sade, le président de Curval. [Ce que le Tenancier savait également... NDLR]

lundi 4 mars 2024

Bibliographie commentée des Minilivres aux éditions Deleatur — 31


Karl Marx

Éloge du Crime

Angers — Éditions Deleatur, 1998
Plaquette 7,5 X 10,5 cm, 16 pages, dos agrafé, couverture à rabats, pas de mention de tirage
Achevé d'imprimer en octobre 1998 sur les presses de Deleatur pour le compte de quelques délinquants amateurs



Le Tenancier : Un texte liminaire indique que cet éloge a été inséré dans la Théorie de la plus-value, au tome IV du Capital. Le raisonnement se révèle simple : le délinquant produit de la délinquance mais également tout une chaîne de « produits dérivés », comme l’appareil judiciaire, les sentiments moraux exprimés en littérature et au théâtre, etc. On se demande tout à coup si Darien a eu connaissance de ce texte-là en rédigeant Le Voleur
 
Pierre Laurendeau : Oui, Darien aurait pu s’inspirer du texte de Marx, comme Raymond Hesse, l’auteur de Vauriens, Voleurs et Assassins, paru chez Finitude : les truands se mettent en grève, c’est la panique absolue !
J’avais découvert la notule de Marx à la librairie Tschann, bd du Montparnasse (Paris, France), qui achetait de temps à autre des productions Deleatur… La librairie l’avait publiée en 1976, dans une traduction de D. Jon Grossman, au format A6 à l’italienne. Comme la libraire (Mme Tschann ?) aimait bien les minilivres, elle accepta que je reprenne le texte de Marx qui m’enchantait – ce que le traducteur autorisa également.
C’est le best-seller de la collection. J’ai dû en vendre plus de mille, une grande partie chez Tschann. Un jour, Yannick Poirier, qui est toujours à la tête de la librairie, m’appelle et me dit : « Un de nos clients, avocat, prépare sa candidature comme bâtonnier de Paris ; il est en train de constituer ses dossiers et il souhaite y intégrer le minilivre de Marx… Est-ce que c’est possible pour toi ? » « Euh… ça dépend… Combien d’exemplaires il lui faut et quel délai ? » « Il lui en faut 600 dans un mois. »
Je rappelle aux fidèles lecteurs du Tenancier que je tire les minilivres sur une imprimante laser – certes haut de gamme – puis façonne les ouvrages à la main, pliage + agrafage (par agrafeuse électrique, tout de même !). Je n’ai jamais devant moi plus de 10 exemplaires en stock, flux tendu oblige. J’ai accepté le défi (challenge en anglais) et j’ai passé de nombreuses soirées à imprimer, plier, agrafer, avec l’aide d’Agnès, mon épouse. J’ai pris le train Angers-Paris aller-retour dans la journée pour livrer la commande en main propre, craignant la perte du colis. J’ignore si cet avocat sympathique (un client de Deleatur est toujours sympathique) a obtenu son bâton, mais il l’aurait mérité !
Autre rebondissement : c’était l’époque où, avec Ramón Alejandro, on publiait les auteurs cubains en espagnol (voir Minilivre 22). J’avais envoyé à Ramón, qui habitait alors à Miami, un exemplaire de L’Éloge du Crime. Il en fit la traduction et le mit au catalogue de Mañunga, une des deux collections dont il s’occupait chez Deleatur – avec, bien sûr, des illustrations de son cru.

jeudi 29 février 2024

Bibliographie commentée des Minilivres aux éditions Deleatur — 30


Jean-Pierre Brisset

Le latin est artificiel

Angers — Éditions Deleatur, 1998
Plaquette 7,5 X 10,5 cm, 16 pages, dos agrafé, couverture à rabats, pas de mention de tirage
Achevé d'imprimer en octobre 1998 sur les presses de Deleatur pour le compte de quelques latinistes
Extrait de La Grammaire logique Résolvant toutes les difficultés Et faisant connaître Par l'analyse de la parole La formation des langues et Celle du genre humain, par Pierre Brisset, Ancien Professeur de Langues vivantes. Extrait de l'édition originale parue chez Ernest Leroux, Paris 1883



Le Tenancier : Revoici Brisset, déjà évoqué dans le volume 20, avec un nouvel extrait de sa Grammaire logique. Dans Les Fous littéraires d’André Blavier, on compte treize entrées le concernant, plus ou moins importantes…Pour Brisset, « le latin, c’est l’italien renversé », une sorte d’argot pour classe dirigeante, en poussant un peu. On renoue ici avec un système de pensée que ne renieraient pas certains complotistes. Tu avais prévu de nous en dire plus au sujet de l’auteur...
 
Pierre Laurendeau : Ah oui… Euh… À relire la notice du numéro 20, je trouve qu’il y a peu à ajouter à mes relations brissettiennes. Quant à analyser l’œuvre… il faudrait y consacrer une encyclopédie !
Peut-être attaquer un angle mort de l’histoire littéraire, alors. Quand les surréalistes découvrent Brisset, ils sont « fréquentés » par le jeune Lacan. Dans les années 80, quand je disais : « Lacan a tout piqué à Brisset », c’était inaudible – notamment par l’intelligentsia de gauche, qui vouait un culte à la piscanalyse (étude des poissons morts) lacanienne. J’ai toujours pensé que Lacan était un escroc – outre que sa méthode de décortication du langage, comme je continue de l’affirmer, est entièrement pompée sur Brisset –, il a dévasté bien des familles, dont la sienne.
Il y a quelques années, Michel Onfray a publié un ouvrage contre Freud, Crépuscule d’une idole. Mal lui en prit ! Il fut cloué au pilori par la gauche bien-pensante, ce qui accéléra je pense sa dérive vers la droite plus que droite. C’était pourtant un livre nécessaire, qui posait les bonnes questions, mais noyées dans un fatras d’approximations biographiques et d’erreurs de méthodologie : Onfray écrivait trop vite (et publiait trop).
Cinq points, cependant, auraient mérité d’être relevés :
-      Freud n’était pas le seul à travailler sur l’« inconscient » (quelque nom que l’on donne à cette zone floue où sont enfouis les souvenirs).
-      La psychanalyse n’a jamais guéri qui que ce soit, même si l’écoute thérapeutique, héritée entre autres de la confession auriculaire (je connais plusieurs curés en rupture de Vatican qui se sont reconvertis dans la psychanalyse), apporte un soulagement au mal-être.
-      Le fonctionnement sectaire. Le processus d’adoption relève des mêmes techniques que les autres sectes : le futur ou la future adepte doit se faire psychanalyser afin de parvenir au Graal de membre à part entière – je pense notamment aux pythagoriciens, et à la séparation entre acousmaticiens, qui écoutaient l’enseignement du maître derrière un rideau pendant 5 ans !, et adeptes à part entière.
-      Le parcours analytique du « patient » (mot qui porte ici pleinement sa signification, la « cure » pouvant se dérouler sur de nombreuses années, voire décennies !) obéit un rituel qui n’a rien à envier à ceux des religions à mystère – transfert, contre-transfert, etc.
-      Comme pour toute religion (ou secte), les écoles de psychanalyse sont aussi nombreuses que se détestant cordialement. À ce sujet, le film de Raoul Ruiz, Généalogies d’un Crime (1996), est une réjouissante satire de ce petit monde.
Ce qui est grave, à mon sens, c’est que cette secte est figée dans ses rituels archaïques sans tenir compte des avancées considérables dans la compréhension du fonctionnement du cerveau, notamment ce que l’on appelle la plasticité mémorielle : les souvenirs ne se constituent pas en strates figées ; quand on les convoque, la mémoire reconstitue les événements en piochant dans différents clusters, ce qui produit souvent des erreurs de restitution – et favorise les manipulations par des gourous (psychanalystes, hypnothérapeutes et autres « bioquanticiens »). Aux États-Unis se multiplient les procès de jeunes adultes persuadées d’avoir été violées ou maltraitées par leur père – ce qui peut arriver, certes – à la suite d’une cure psychanalytique orientée.
Brisset, lui, se livrait sans retenue aux associations d’idées que son cerveau produisait à jet continu ! Sa créativité linguistique était sans frein. « Le latin ne vient pas plus du Latium que l’argot de l’Argovie, le javanais, de Java. » C’est dit !

lundi 26 février 2024

Bibliographie commentée des Minilivres aux éditions Deleatur — 29


François Fasula

Cendres

Angers — Éditions Deleatur, 1997
Plaquette 7,5 X 10,5 cm, 16 pages, dos agrafé, couverture à rabats, pas de mention de tirage
Achevé d'imprimer en octobre 199è sur les presses de Deleatur pour le compte des amis de la Loire et du Train réunis
Requiem in pace



Le Tenancier : Pourquoi beaucoup de textes publiés dans cette collection s’attachent à une sorte de sentiment géographique, comme ceux de Jacques-Élisée Veuillet déjà abordés ici ? Pourtant, Cendres se révèle si court ! En peu de mot beaucoup de sensations passent. Très beau texte, très touchant… « La terre brune avait une épaisseur de graisse »… diable, on aimerait être l’auteur de ça !
 
Pierre Laurendeau : Texte très très bref, en vérité ! J’ai dû utiliser au moins un corps 16 pour l’étendre sur le nombre de pages fixe de la collection…
J’ai rencontré François Fasula, qui habitait Angers, lors de manifestations littéraires – à la fois confidentielles et sympathiques – organisées par les « Traumfabrik », un couple très investi dans l’édition de poésie (ils furent les organisateurs du salon de Rochefort-sur-Loire). En 1997, François venait de publier son premier roman, La vallée nuageuse ou De l'influence du whiskey sur le comportement des anges, chez Alfil – après un recueil de nouvelles, Le Voleur de temps, paru chez le même éditeur. J’avais été séduit par la tonalité et l’étrangeté de ses textes.
François appréciait les minilivres et me proposa un jour ce très très court texte, dont tu as si bien parlé.
Pour l’anecdote, François Fasula avait adressé à Fayard deux manuscrits (de mémoire, un recueil de nouvelles et un roman), qui furent acceptés par Claude Durand, un des derniers « géants » de l’édition : Claude Durand regardait tout ce qui était adressé à Fayard. Lors de l’entretien que François eut avec lui, Claude Durand fit une remarque qui m’a obligé à changer de chaussettes : « J’ai vu dans votre bibliographie un ouvrage publié par Deleatur… Excellent éditeur ! »
J’ai perdu contact avec François Fasula, et je le regrette… Il semble poursuivre ses publications chez un éditeur angevin, le Petit Pavé.

jeudi 22 février 2024

Bibliographie commentée des Minilivres aux éditions Deleatur — 28


Robert Vigneau

Contribution 63
au Congrès de psychanalystes

Angers — Éditions Deleatur, 1997
Plaquette 7,5 X 10,5 cm, 16 pages, dos agrafé, couverture à rabats, pas de mention de tirage
Achevé d'imprimer en octobre 1995 sur les presses de Deleatur pour le compte de quelques freudo-ébénistes



Le Tenancier : On s’amuse bien à la lecture de l’intervention d’un ébéniste à ce congrès. Le télescopage reste une technique efficace pour les récits sarcastiques et humoristiques et cela fonctionne très bien ici, y compris dans la petite touche autobiographique. Mais qui est Robert Vigneau ? Il a semblé discret jusqu’à sa disparition en 2022 et pourtant, il possède une bibliographie importante…
Qui a dessiné la vignette de couverture et le cul-de-lampe ?
 
Pierre Laurendeau. Ah zut ! Tu m’apprends le décès de Robert Vigneau, que j’ignorais… Je ne sais plus comment il avait pris contact, peut-être à la suite de l’achat d’un minilivre chez un libraire (au milieu des années 90, il y en avait qui présentaient la prestigieuse collection !). Je l’ai peu connu, mais sa critique subtile de la psychanalyse par le mobilier m’a tout de suite séduit ! J’ai eu l’occasion de parler de lui avec un de ses éditeurs, Xavier Dandoy de Casabianca (les éditions Éoliennes, installées à Bastia), lors d’un marché de la poésie (2021 ?). Il ne semblait pas avoir de nouvelles, lui non plus. Jusqu’au milieu des années 2000, on recevait chaque année une carte de vœux qu’il confectionnait sur le modèle des minilivres – toujours charmantes et souvent impertinentes.
Les vignettes ont été dessinées par Alain Le Corre, un graphiste angevin avec qui nous collaborions pour Le Polygraphe et qui aimait la collection. Je crois que ce sera sa seule contribution à Deleatur.

mercredi 21 février 2024

10/18 — Alexandre Soljénitsyne : Une journée d'Ivan Denissovitch




Alexandre Soljénitsyne
Une journée d'Ivan Denissovitch

Traduit du russe par Léon et André Robel
et Maurice Decaillot
Préface de Pierre Daix

n° 488


Paris, Union Générale d'Édition
Coll. 10/18
Volume double
191 pages (192 pages)
Dépôt légal : 1er trimestre 1974
Achevé d'imprimer : 5 avril 1974


(Contribution du Tenancier)
Index
a


lundi 19 février 2024

Bibliographie commentée des Minilivres aux éditions Deleatur — 27


Rikki Ducornet
Pierre Laurendeau

Mandrake
Les Fruits
de Ruben

Angers — Éditions Deleatur, 1997
Plaquette 7,5 X 10,5 cm, 16 pages, dos agrafé, couverture à rabats, pas de mention de tirage
Achevé d'imprimer en octobre 1995 sur les presses de Deleatur pour le compte de quelques exégètes



Le Tenancier : Beau livre que cette évocation de la mandragore, écrite et illustrée par Rikki Ducornet et suivie d’une notice rédigée semble-t-il par vos soins, cher éditeur. On y retrouve les illustrations de l’artiste, sensuelles, en même temps qu’un récit en anglais. Le texte non traduit est paraphrasé par la notice dont on se demande (méfiance induite par la collection) si le contenu n’en serait pas enjolivé. Comment s’est produite votre rencontre avec cette poétesse mystérieuse ?
 
Pierre Laurendeau : Cher Tenancier, tu as raison : le doute est toujours de saison lorsqu’il s’agit de Pierre Laurendeau, faussaire avéré, fabricant ou éditeur de supercheries en tous genres.
La rencontre avec Rikki Ducornet (et son compagnon de l’époque, Guy) se fit par l’intermédiaire de Jacques Abeille, bien qu’ils habitassent alors – on était au début des années 80 – tout près de chez moi : d’Angers au Puy-Notre-Dame – où Rikki et Guy avaient posé leurs valises au début des années 70 –, il y a seulement trois quarts d’heure de route. J’avais entendu parler d’eux par un ami libraire (« Il y a un couple franco-américain apparenté au surréalisme qui s’est installé dans le Saumurois, tu devrais les rencontrer »), mais c’est la publication, à l’enseigne de Deleatur, des Little Dirties for Rikki, une mini-enveloppe renfermant des variations dessinées de Jacques Abeille sur le thème de la chaussure et dédiées à Rikki) qui fut l’occasion d’une rencontre lors d’un séjour de Jacques et de sa petite famille à Angers. Nous fûmes tout de suite conquis, Agnès et moi, par cette femme au charme troublant, un peu magicienne, et à l’accent délicieux. Le courant passa également avec Guy, qui était devenu potier après une carrière universitaire en Amérique du Nord. Ils s’étaient installés dans le val de Loire – suivant en cela d’autres surréalistes – à la suite de la publication d’un album pour enfants qui avait été un succès en Amérique. Ils envisageaient de poursuivre cette activité avec des éditeurs français. Ils avaient notamment contacté Bayard, pour des aventures d’un charmant petit ours. Bayard déclina l’offre, puis publia, avec le succès qu’on connaît, la série des « Petit Ours brun »… dont le personnage ressemble étrangement à celui de Guy et Rikki… Curieuse coïncidence ! Ils comprirent assez vite que l’édition jeunesse, en France, fonctionnait sur d’autres critères que ceux des éditeurs outre-Atlantique.
Nous nous vîmes souvent. Même après la naissance de notre fils Olivier, que Rikki adopta.
Peu de temps après notre rencontre, Rikki publia en Angleterre un premier roman, The Stain, toujours inédit en français. Les publications s’enchaînèrent pour elle, avec un succès grandissant outre-Atlantique ; elle fut invitée par plusieurs universités, notamment à Denver, où elle finit par s’installer avec Jonathan Cohen, un psychiatre.
Rikki n’a pas eu de chance avec les lecteurs – et lectrices – français : son univers contrevient aux codes de la littérature nord-américaine telle qu’établis par le Comité de Vigilance des Bonnes Littératures, qui fait la loi sur ce que l’on doit lire. Guy, son premier compagnon, avait entrepris de traduire ses romans, d’abord comme exercice passionné, puis dans l’espoir qu’un éditeur français se déciderait plus facilement au vu du travail de traduction déjà fait. Rikki avait un agent chargé des ventes à l’international, mais les éditeurs restaient muets (il semble que son agent n’ait pas non plus montré un grand enthousiasme à la défendre). J’avais relu, à leur demande à tous les deux, la traduction – magnifique – d’Entering Fire, un roman monde, comme on dit aujourd’hui, se déroulant entre la France de l’Occupation, l’Amazonie et la côte est des États-Unis. J’étais très enthousiaste ! (Et le suis toujours…) Devant le peu d’empressement de la clique germanopratine, je décidai de le publier chez Deleatur, qui venait d’entrer chez l’infernal duo Ulysse-Distique. J’en vendis tout de même 200 exemplaires, ce qui pour Deleatur était presque un best-selleur, mais loin de couvrir les frais ! Un ami américain, vivant à Angers, m’avait conseillé d’envoyer le livre au jury du prix Maurice-Coindreau, qui couronne des traductions de l’américain. Je lui fis part de mon scepticisme sur les prix littéraires et les connivences connues des jurys avec les groupes éditoriaux. « Non, je t’assure, c’est un prix très sérieux. D’ailleurs, il n’est pas remis chaque année. » Je me laissai convaincre et adressai l’ouvrage au jury. Le hasard fit que la remise du prix se faisait cette année-là à Angers. Je ne pus y assister, étant à Paris pour des raisons professionnelles, mais Agnès, ma femme, et Guy y allèrent. Le jury se prononça pour une écrivaine américaine (enfin la traduction de son roman) en précisant : « On a eu du mal à se mettre d’accord… » Grosse déception pour Guy Ducornet, d’autant que le prix était doté. Puis, avant de passer aux petits fours, le porte-parole du jury ajouta : « Ah ! nous avons aussi décidé à l’unanimité d’une mention spéciale pour le roman de Rikki Ducornet, Les Feux de l’Orchidée, magnifiquement traduit par Guy Ducornet. » Et tous d’opiner : ‘Oui oui, superbe traduction ! »
Les mauvais esprits, j’en connais, se diront : « Je vous l’avais dit ! Connivence et compagnie ! » C’était bien cela… Pendant les petits fours, Guy eut l’occasion de converser avec l’universitaire porte-parole du jury (c’était tous des universitaires grand teint) et lui demanda par politesse sur quel sujet il travaillait. L’universitaire parisien (facteur aggravant) lui répondit, avec un rien de condescendance dans la voix : « Ma thèse porte sur un écrivain noir peu connu en France, qui a écrit un roman sur l’invisibilité des Noirs américains, Ralph Ellison… » Guy lui répond : « Ralph ? Je le connais bien, c’est un ami… Nous avons enseigné dans la même université, Amherst College. » Son vis-à-vis faillit s’étrangler avec ses petits-fours : le plouc provincial qu’ils avaient dédaigneusement écarté parce qu’inconnu au sérail se révélait autrement plus capé qu’eux, mais de l’autre côté de l’Atlantique. De plus, il pouvait saboter sa carrière (ce qui n’était évidemment pas dans les intentions de Guy) !
C’est la seule expérience de Deleatur avec l’engeance des prix littéraires. J’étais surtout triste pour Guy, qui vivait chichement.
En avril 1997, je rendis visite à Ramón Alejandro (que j’avais présenté à Rikki à Paris, et dont je repris un tableau pour illustrer la couverture des Feux de l’Orchidée) – voir numéro 22 – et prolongeai mon périple américain par un séjour à Denver chez Rikki et Jonathan, son nouveau compagnon. C’est à cette occasion que je lui proposai cette expérience à deux voix sur les « fruits » de Ruben – traduction volontairement fausse pour « mandragore ». Rikki écrivit un court texte, aussi raffiné qu’érudit sur le sujet – la mandragore l’a toujours fascinée –, que je complétai par une étude tout aussi inventée que vraisemblable.
 
*
 
Last but not least, les éditeurs qui prirent la suite de Deleatur pour la publication des romans de Rikki n’eurent guère plus d’écho que moi, malgré des moyens autrement plus efficaces que moi, que ce soit Le Serpent à Plumes ou Joëlle Losfeld.
Je viens de faire traduire, par Catherine Vasseur – spécialiste des textes impossibles, en castillan du xviie siècle ou en anglais contemporain – Trafik, le dernier roman de Rikki, que j’ai découvert chez elle, lors d’un séjour à Port-Townsend, près de Seattle, où elle réside. Sorte de dystopie cocasse où une humanoïde dialogue avec un robot sur la mystérieuse planète Terre, réduite en cendres… Avis aux éditeurs, la traduction est disponible !

jeudi 15 février 2024

Bibliographie commentée des Minilivres aux éditions Deleatur — 26


Patrick Boman

Crawford
l'Incorrigible

Angers — Éditions Deleatur, 1997
Plaquette 7,5 X 10,5 cm, 16 pages, dos agrafé, couverture à rabats, pas de mention de tirage
Achevé d'imprimer en octobre 1995 sur les presses de Deleatur pour le compte de quelques voyageurs intépides



Le Tenancier : Reproduisons l’exergue de la nouvelle de Patrick Boman, traduit de manière fort peu synthétique par Albert Savine dans l’exemplaire que nous possédons :
« Or l’Inde est, par-dessus tout, le pays où il ne faut pas prendre les choses trop au sérieux, sauf quand il s’agit du soleil de midi.
Un travail exagéré, une énergie trop grande tuent un homme aussi sûrement que les excès du vice ou ceux de la boisson. » (Rudyard Kipling : Lancé à l’aventure, in : Simples contes des collines).
Dès le début de ce conte anglo-indien, l’on s’attend à se retrouver à Simla et à croiser madame Hauksbee dans le témoignage d’un correcteur de presse du Daily Peigham, au sujet d’un certain Crawford. Patrick Boman se livre à un bel exercice de style et à un pastiche tout à fait maîtrisé (avec un poème « à la manière de » dedans). Ici, chez le Tenancier, on adore Patrick Boman…
 
Pierre Laurendeau : J’ai déjà narré (voir A Naïve Romance, numéro 19) comment j’ai rencontré Patrick Boman, qui deviendra un des piliers de Deleatur, puis de Sous la Cape.
Crawford l’Incorrigible fut d’abord publié, en 1985, dans la Petite Bibliothèque de littérature portative qui était animée par Agnès Jehier, mon épouse. Collection qui accueillit Un Cas de lucidité de Jacques Abeille – repris également dans les Minilivres (voir le numéro 23) –, puis deux nouvelles de Bettencourt…
Patrick est un fin connaisseur de l’Inde – il maîtrise le sanscrit, si j’en crois une rare confidence sur son passage aux Langues-O. Son récit Retour en Inde, paru en 2011 chez Arlea, témoigne de sa nostalgie à retrouver un pays qu’il ne comprend plus guère, vingt ans (ou plus) après ses premiers séjours. Je le vis peu de temps après son « retour » ; il me confia : « Pour une fois que je prenais une chambre avec balcon à Bénarès, ça donnait sur un bûcher funéraire ! »
En 2000, je venais de créer chez Ginkgo la collection Biloba – un temps coanimée par Christian Laucou. J’avais demandé à Patrick, alors sous contrat avec Le Serpent à plumes, un roman très particulier, lié à mon aventure universitaire : j’assurais alors un TD en fac d’histoire à Angers (les universitaires n’ont jamais compris le contenu de mon enseignement) lié à un cours sur l’histoire du livre – que j’assurais également. Pour le TD, je proposais aux étudiants – dont certains sont devenus des amis, avec lesquels je continue d’être en relation – de se mettre en petits groupes autour d’un projet éditorial. Je me souviens de la panique en début d’année : « Mais qu’est-ce qu’on doit faire ? » « Ce que vous voulez… En revanche, j’exige que le résultat soit professionnel. » « Argggg… » Puis, au fil du temps, les groupes se prenaient au jeu, parfois au point de négliger leurs cours ex cathedra, ce que l’on me reprocha, ainsi que mes notations trop élevées selon les critères en cours (sans jeu de mots), notations qui correspondaient à la réelle implication des étudiants dans les projets. L’un de ces groupes avait inventé un personnage trouble, Piotr Terikchenaltev (je me demande bien où ils étaient allés pêcher le nom de ce personnage !) dont ils avaient reconstitué la biographie d’une manière assez amusante. Pour rendre crédible le personnage, et épaissir leur « devoir », j’avais proposé de demander à des amis écrivains de témoigner de leur rencontre avec ce Piotr. Patrick fut un des premiers à répondre – il avait croisé fugacement ce demi-escroc un peu raté, ce qu’il raconta avec son humour en demi-teinte, pour le plus grand plaisir des étudiants. Un ou deux ans plus tard, il m’annonça que mes étudiants s’étaient trompés sur toute la ligne et qu’il avait écrit la véritable histoire de ce Piotr sous le titre La Méthode Piotr. Ce fut donc le premier livre de Biloba, fort joliment illustré par Pascal Jousselin. Le problème : Tania Capron, du Serpent, avait flashé sur Piotr ; mais elle accepta de se défausser à mon profit, par amitié, et sous condition que Patrick lui écrive un « vrai » polar pour le Serpent noir. Ce fut le début de la série des Peabody, dont le personnage central, un inspecteur de la police des Indes, très mal noté par ses supérieurs pour préférer se mêler au bas peuple plutôt que de fréquenter l’élite coloniale, résout des enquêtes aussi tordues que jubilatoires. Il y aura sept livres, plus un recueil de nouvelles (les deux derniers publiés Sous la Cape), qui connurent un beau succès, notamment par la description pleine de saveurs (et d’odeurs !) de l’Inde au tournant du xxe siècle, travaillée par les soubresauts d’un empire sur le déclin et les velléités d’indépendance du pays sous son joug.
Crawford se situe, bien sûr, dans ce registre de l’arrogance des colonisateurs – qu’il paiera chèrement !

lundi 29 janvier 2024

Bibliographie commentée des Minilivres aux éditions Deleatur — 25


A. Thevet

La cosmographie
universelle
Livre vintdeuzieme,

Angers — Éditions Deleatur, 1996
Plaquette 7,5 X 10,5 cm, 16 pages, dos agrafé, couverture à rabats, pas de mention de tirage
Achevé d'imprimer en octobre 1995 sur les presses de Deleatur pour le compte de quelques voyageurs



Le Tenancier : Dans cette collection, on aime bien les géographies imaginaires ou ancienne, les fous littéraires et, en définitive, les aberrations de toutes sortes, mâtinées ici de considérations gastronomiques, puisqu’on voit des cannibales saler leurs victimes. Évidemment, on sent que l’éditeur a développé une sensibilité envers les textes de traverse
 
Pierre Laurendeau : Comme j’ai eu l’occasion de le mentionner pour le numéro 24 (Hérodote), ces deux minilivres ont été concoctés à l’occasion d’une présentation des trésors de la Bibliothèque municipale d’Angers.
André Thevet (1516-1592) fut explorateur ; il accompagna notamment l’expédition française au Brésil de 1555, à l’occasion de laquelle fut édifiée une colonie de « la France antarctique », qui dura cinq ans et se termina par la destruction du fort Coligny par la flotte portugaise. Le récit que Thevet fit de son voyage, s’il souffre d’approximations, est considéré comme fondateur de l’ethnologie.
Je ne me souviens plus si l’exemplaire de la bibliothèque d’Angers est l’édition originale de 1557 ou la réédition par Plantin de 1558.
Toujours à propos du livre de Thevet, selon Frank Lestringant qui préface son choix de passages (éd. La Découverte, 1983), le libraire Maurice de la Porte qui publia la première édition se fit aider par un « bachelier », Mathurin Héret, pour mettre de l’ordre dans les notes de Thevet et les rédiger. Il semble que le pauvre bachelier fut un peu oublié au moment de la publication – ce dernier intenta un procès à l’auteur et à l’éditeur « pour usurpation de labeur ». Il obtint gain de cause et fut dédommagé de son travail par vingt écus d’or, mais ne put apposer son nom en tant que coauteur en tête d’ouvrage, comme il le réclamait. C’est le premier cas connu, il me semble, de revendication par un « nègre » (on dit maintenant « auteur associé ») d’apparaître au grand jour.

jeudi 18 janvier 2024

Bibliographie commentée des Minilivres aux éditions Deleatur — 24

 
Hérodote

Histoires
Livre deuxiesme,
intitulé
Euterpe

Angers — Éditions Deleatur, 1996
Plaquette 7,5 X 10,5 cm, 16 pages, dos agrafé, couverture à rabats, pas de mention de tirage
Achevé d'imprimer en octobre 1995 sur les presses de Deleatur pour le compte de quelques amateurs



Le Tenancier : Alors, là, je sèche! Si je me souviens bien, Euterpe est la muse de la musique, or ce «reportage» d’Hérodote, dans un coq-à-l’âne qui nous fait passer de la reproduction des poissons, à une substance contre les mouches jusqu’à la navigation sur le Nil, il n’est pas question de cela!
Je relève le même éclectisme dans les Minilivres que dans les productions de GLM, au sujet des auteurs embarqués et d’un titre à l’autre. L’éditeur musarde!
 
Pierre Laurendeau : Ouh la, Tenancier ! quelle miche te pouque ? Certes, je te le concède, Euterpe est bien la muse musicienne, mais je n’ai pas inventé le titre du Livre II des Histoires d’Hérodote (j’ai même vérifié sur l’exemplaire des Belles-Lettres).
Ce minilivre, comme le suivant, consacré à Thevet, fut édité à l’occasion d’une exposition d’ouvrages anciens du fonds de la Bibliothèque municipale d’Angers – un des plus riches de France, grâce au fameux roi René, prince insouciant mais cultivé ; ce qui lui vaut de posséder un des rares exemplaires du Psautier de Mayence, un des tout premiers livres imprimés, et le premier à faire figurer un achevé d’imprimer avec l’année, 1457. Ouvrage que j’ai eu l’honneur de tenir entre mes mains tremblantes d’émotion !
Comme je le précise en note, « le texte imprimé dans le présent opuscule est extrait de Hérodote, Histoires mises en françois par P. du Ryer (Paris, Augustin Courbé, 1658) ».
Ce minilivre ainsi que celui de Thevet étaient mis à la disposition des visiteurs – je crois me souvenir que je les imprimais sur place…


lundi 18 décembre 2023

Bibliographie commentée des Minilivres aux éditions Deleatur — 23


Jacques Abeille

Un Cas
de lucidité


Angers — Éditions Deleatur, 1996
Plaquette 7,5 X 10,5 cm, 16 pages, dos agrafé, couverture à rabats, pas de mention de tirage
Achevé d'imprimer en octobre 1995 sur les presses de Deleatur pour le compte de quelques rêveurs



Le Tenancier : Voici un titre paradoxal, puisque les événements décrits dans ce récit se déroulent au début dans les limites de la conscience. Ajoutons que ce texte sensuel, érotique, reprend les conventions du conte libertin, avec un « châtiment » final digne des moralistes de l’époque. Je ne sais pas pourquoi exactement, mais ce récit m’a fait songer à Crébillon. Enfin, la note finale résonne particulièrement pour moi et d’ailleurs pour tous ceux qui se sont confrontés au thème de la mémoire. Le conte a été achevé à 4 heures du matin et cette annotation explique assez son atmosphère…
 
Pierre Laurendeau : Cette nouvelle troublante avait été inspirée à Jacques Abeille par un très beau roman d’Henri Thomas (un auteur un peu oublié de nos jours), La Nuit de Londres, dont Jacques cite un passage en exergue : « L’épouse que Mr. Smith étreint dans la nuit noire n’est pas la compagne de tous les jours... » Il semble me souvenir également que le texte fut inspiré par un rêve.
La première édition d’Un Cas de lucidité parut en 1984 dans la collection « La Petite Bibliothèque de littérature portative », animée par ma femme, Agnès Jehier de 1981 à 1988. Les minilivres ont d’ailleurs accueilli un autre ouvrage de cette belle collection, que l’on découvrira au numéro 26. Pour les amateurs de raretés, certains ouvrages de la « Petite Bibliothèque de littérature portative » sont proposés par des libraires spécialisés entre 25 € et 200 € (je découvre qu’un de ces libraires propose L’Écriture du désert, du même auteur, à 24,90 €… alors que le livre est toujours disponible au catalogue de Deleatur au prix initial de 8 €.
Un Cas de lucidité a été repris dans un recueil de nouvelles paru à L’Escampette, Celles qui viennent avec la nuit.

jeudi 14 décembre 2023

Bibliographie commentée des Minilivres aux éditions Deleatur — 22


Armando Alvarez
Bravo

Les Trahisons
du souvenir

Traduction :
Agnès Boonefaes

Illustrations :
Ramón Alejandro


Angers — Éditions Deleatur, 1995
Plaquette 7,5 X 10,5 cm, 16 pages, dos agrafé, couverture à rabats, pas de mention de tirage
Achevé d'imprimer en octobre 1995 sur les presses de Deleatur pour le compte de quelques êtres premiers ou derniers



Le Tenancier : Une nouvelle dans les Minilivres ne compte pas énormément de signes. L’enjeu consiste à rendre une idée intelligible en peu de mots. Ici, il faut rendre compte du terminus d’une existence, de l’accumulation et de la futilité de tout cela. J’ai la vive impression que ce très court récit s’ancre dans quelque chose de vécu, sans savoir vraiment à quoi se rapporte cette dite expérience, partielle, ou totale ? La question prend de l’intérêt avec ce soupçon, et sans doute parce que cela se rapporte à tout processus créatif…
Armando Alvarez Bravo semblait un auteur important de l’émigration cubaine, comment son texte est-il parvenu dans cette collection ? A-t-il apporté les dessins d’Alejandro dans ses bagages ?
 
Pierre Laurendeau : Que de questions ! qui touchent à la dimension internationale de Deleatur. En 1995, Ramón Alejandro décida de s’installer à Miami, au plus près des amateurs de sa peinture à la fois onirique et descriptive (également truffée de références à la santeria – religion à mystère très présente à Cuba et dans l’émigration floridienne). Avant de partir, il me confia : « Ce que je regrette le plus en quittant la France, c’est notre complicité… Mais je réfléchis à poursuivre notre collaboration. »
Le résultat : un projet transatlantique fou, avec deux collections consacrées à des auteurs cubains, en langue espagnole (Baralanube et Mañunga). Ramón m’adressait les manuscrits et les dessins par Poste (c’était avant Internet). Je faisais relire les textes par une amie, Martine Roux, excellente hispanisante, puis j’envoyais – toujours par Poste – les épreuves à Ramón. Enfin, l’impression était confiée à Ivan Davy, un ami imprimeur près d’Angers. Puis j’expédiais les ouvrages à Miami. Le premier auteur publié dans Baralanube (en 1996) fut Armando, à l’époque journaliste dans un quotidien de Miami en langue espagnole : Trenos, un recueil de poèmes, illustré de magnifiques dessins au trait de Ramón Alejandro.
Je ne sais plus si Les Trahisons du souvenir fut antérieur ou postérieur à Trenos – peut-être Armando me confia-t-il le texte lors de mon séjour à Miami en 1997… Il existe une version en espagnol, Las traiciones del recuerdo, disponible en minilivre également.
Cette aventure angevino-cubaine donna lieu à une dizaine d’ouvrages, dont deux livres d’Antonio José Ponte, qui vivait alors à Cuba. Le premier, Las Comidas profundas, eut un écho international bien au-delà de la confidentialité de notre aventure : le livre de Ponte fut publié en anglais par City Lights Books à San Francisco, et l’auteur invité dans de nombreuses universités américaines, ce qui le contraignit à quitter Cuba (il fut rayé des listes de l’Uneac, le syndicat des écrivains cubains) et à s’installer en Espagne, où il vit toujours. Martine Roux, ma relectrice en espagnol, me signala l’intérêt de l’ouvrage, que je fis traduire par Liliane Hasson ; il parut en 2000 en français, toujours à l’enseigne de Deleatur, sous le titre Les Nourritures lointaines (le livre est toujours disponible). Ramón m’avoua plus tard que son projet éditorial était avant tout de publier Ponte, dont un second ouvrage, Cuentos de todas partes del Imperio, parut dans la collection Baralanube (non traduit).
La plupart des ouvrages des deux collections sont encore disponibles chez Deleatur… Avis aux amateurs !

lundi 11 décembre 2023

Bibliographie commentée des Minilivres aux éditions Deleatur — 21


Jacques-Élisée Veuillet

Oncle Ted

Angers — Éditions Deleatur, 1996
Plaquette 7,5 X 10,5 cm, 16 pages, dos agrafé, couverture à rabats, pas de mention de tirage
Achevé d'imprimer en octobre 1995 sur les presses de Deleatur pour le compte de quelques amateurs



Le Tenancier : De nouveau, Jacques-Élisée Veuillet suscite une féroce jalousie en même temps que de l’admiration avec ce texte, après La lettre close. C’est le genre de récit que tout écrivain rêverait d’écrire, enfin, tout écrivain qui se respecte : pas un mot de trop, pas un qui manque, la ténuité des phrases qui sied, une façon d’avancer feutrée... Je vous le dis les yeux dans les yeux, Monsieur Laurendeau, si vous n’aviez dû éditer qu’un seul auteur, il eût bien fallu que ce fût celui-ci. Une question demeure, qui ne s’est pas résolue à son propos lors de ta précédente évocation : a-t-il produit d’autres écrits, analogues à La lettre close et à Oncle Ted ? Je voudrais aussi que l’on revienne un peu sur les conditions de production et surtout de distribution de ces Minilivres. Comment s’opérait-elle ?
 
Pierre Laurendeau : O Tenancier, que de questions !
Ton éloge d’Oncle Ted me va droit au cœur. Ciselé, étrange sans donner d’explication à son étrangeté, un très grand texte en un condensé de mots. Malgré mes nombreuses et insistantes demandes – proposant de publier un recueil de ses nouvelles –, Jacques Veuillet ne m’a jamais transmis d’autres textes, si j’excepte un recueil de poèmes publié à titre posthume pour sa famille et ses proches. Il parlait de ses deux nouvelles avec une sorte de modestie distanciée, et ce sourire bienveillant que je lui ai toujours connu. Et me promettait de réfléchir à de nouveaux textes. Une première édition d’Oncle Ted, en grand format, est parue en 1992 dans la collection « Les Indes oniriques » : un cahier 15 x 21 cm, cousu, sous couverture Canson bleue, avec étiquette rapportée – très chic.
La diffusion des minilivres ? Un peu au hasard des librairies… à l’époque où il y avait encore de vrais libraires ; pendant les salons du livre, notamment celui de Paris, où je disposais un présentoir conçu exprès par un designer (je l’ai toujours) ; et des commandes de clients fidèles. En près de trente ans, j’ai tout de même imprimé, plié à la main et agrafé près de 15 000 exemplaires ! Ce qui, pour environ 70 titres, représente une moyenne de 200 exemplaires par titre… Les ventes servaient à compenser – partiellement – les ouvrages dispendieux publiés par ailleurs.
Ce qui est amusant, c’est que l’on trouve sur des sites de libraires anciens des minilivres à 10 € voire 15 €, alors qu’ils sont toujours disponibles chez Deleatur à 1,5 € !

jeudi 7 décembre 2023

Bibliographie des Minilivres aux éditions Deleatur — 20


Jean-Pierre Brisset

Le Diable
Le Prêtre
EXTRAIT DES ORIGINES HUMAINES

Angers — Éditions Deleatur, 1995
Plaquette 7,5 X 10,5 cm, 16 pages, dos agrafé, couverture à rabats, pas de mention de tirage
Achevé d'imprimer en octobre 1995 sur les presses de Deleatur pour le compte de quelques êtres premiers ou derniers



Le Tenancier : Si l’on doit dégager une sorte de ligne éditoriale qui se forme et se dilue à mesure des publications de la collection, la succession de la nouvelle de Patrick Boman et à présent de l’extrait de Brisset nous oriente vers des préoccupations linguistiques. Se trompe-t-on en songeant à l’expression d’une pensée en évolution en même temps qu’elle édite des tiers ? En tout cas, la présence de cet « hétéroclite » de Brisset convient bien et amorce des liens avec d’autres auteurs à venir, comme Ernestine Chassebœuf, qui prend le relais de Jules Romains et bien d’autres littérateurs, dont toi, pour assurer sa pérennité.
 
Pierre Laurendeau : ô Tenancier, tes interrogations me contraignent à une introspection à laquelle je ne suis pas habitué. Ma pensée est certainement évolutive (je suis un darwinien), mais elle s’ancre à des références stables : surréalisme d’un côté, pataphysique de l’autre – et marxisme sur un troisième, voire montagne sur un quatrième !
Ma passion pour Brisset date de ma découverte, dans l’Anthologie de l’humour noir de Breton (j’ai déjà évoqué à quel point ce livre fut fondateur dans ma vie de lecteur, d’auteur et d’éditeur) d’extraits de l’œuvre brissettienne. C’était au début des années 70. Je m’étais ensuite précipité chez Marcel Béalu (tiens, un auteur que j’aurais aimé avoir dans la collection), qui tenait à l’époque sa librairie à Paris dans le quartier Saint-Michel, dans une ancienne boucherie il me semble – pour acheter l’édition Tchou de La Grammaire logique, suivi de La Science de Dieu, avec une préface de Michel Foucault. Béalu me parla d’enthousiasme de Brisset et je découvris à cette occasion ses nouvelles fantastiques, L’Araignée d’eau entre autres, que j’achetai également (en Poche Club, Belfond).
Retour à Brisset. Au début des années 80, je trouve à Angers chez un bouquiniste quatre éditions originales de Brisset (qui avait passé plusieurs années dans cette ville), que je m’empressai d’acheter. Un livre n’avait jamais été réédité : Les Origines humaines. Je prêtai l’édition originale à un ami éditeur, René Baudoin, qui le réédita ainsi que La Grammaire logique (« éditions », « éditeur », « réédita » : beaucoup de répétitions, M. Laurendeau !) sous une couverture discutable ! C’était avant que Marc Décimo s’attelle à l’édition des œuvres complètes de Brisset aux Presses du réel.
À l’époque, dans le cercle restreint des brissettiens, j’avais acquis une sorte de notoriété : on me consultait, on m’adressait des publications – je reçus la première thèse de médecine sur Brisset, de Philippe Cullard : Un paraphrène au XIXe siècle. Jean Pierre Brisset prince des penseurs, soutenue à Strasbourg en 1980.
Dans la collection des Minilivres, j’ai repris deux extraits : le premier, des Origines humaines, qui est celui-ci ; le deuxième – que l’on découvrira au numéro 30 – de La Grammaire logique ; j’en parlerai en temps voulu.
L’aventure de Brisset chez Deleatur se poursuivit, par Ernestine Chassebœuf interposée, par la publication du texte du spectacle de Bernard Froutin, Mots à Lier (montage de citations brissettiennes, créé en 2002), sous le titre Le Brisset sans peine. La 200e représentation de Mots à Lier a eu lieu à l’été 2022, à Champcella (mon village), dans une salle archicomble – 80 personnes ! J’ai repris Le Brisset sans peine en 2005, dans ma collection chez Ginkgo.
Ernestine Chassebœuf s’est démenée avec une bande de brissettophiles angevins (dont : Bernard Froutin, le psychiatre Jean Pallone…) pour que la Ville d’Angers donne un nom de rue au Prince des Penseurs. Elle avait lancé une pétition, à laquelle Julien Gracq avait répondu qu’il faudrait au moins pour cela débaptiser le boulevard Foch (l’artère centrale d’Angers). Au bout d’une dizaine d’années d’efforts, la municipalité (de droite, cette fois-là !) a accepté de nommer un étroit passage en l’honneur de Brisset.
Je ne dirai pas tout le mal que je pense de cette ville, il faudrait un épais ouvrage de récriminations, et ce n’est pas le lieu pour cela. Mais la frilosité des élus (de tous bords) est consternante : que ce soit pour Brisset, mondialement connu désormais ; pour Maurice Fourré, autre enfant du pays et immense écrivain, à qui un nom de rue fut refusé parce que son cousin, quincailler, en avait une ; ou, plus proche de nous, le groupe de musique à la carrière internationale LoJo ; ou le peintre Stani Nitkowski – sans oublier un certain Pierre Laurendeau.

lundi 4 décembre 2023

Bibliographie commentées des Minilivres aux éditions Deleatur — 19


Patrick Boman
A Naïve
romance
A very short story

Angers — Éditions Deleatur, 1995
Plaquette 7,5 X 10,5 cm, 16 pages, dos agrafé, couverture à rabats, pas de mention de tirage
Achevé d'imprimer en octobre 1995 sur les presses de Deleatur pour le compte de quelques philologues



Le Tenancier : La première participation de cet auteur polygraphe et fécond dans la collection s’annonce par une idée assez originale. À rebours des vitupérations sur la contamination de la langue française par l’anglo-saxon, Patrick Boman rédige une courte histoire anglaise composée avec des mots d’origine française, récit amusant, léger et bel exemple de virtuosité. Il semble que vous entretenez des rapports assez soutenus tous les deux, en tout cas assez pour qu’on le retrouve dans beaucoup de tes productions éditoriales.
Si j’en crois la couverture, nous abordons la deuxième année de la collection…
 
Pierre Laurendeau : Pour la chronologie, je te fais confiance, ô Tenancier !
La rencontre avec Patrick Boman a eu lieu, par manuscrit interposé, en 1984 ou 1985. Je reçois à l’adresse de Deleatur, qui logeait à l’époque dans une boîte postale, un épais manuscrit (c’était avant les PDF expédiés par mail). Une lettre de présentation l’accompagne, précisant les raisons d’envoyer deux kilos de papier à un éditeur de province plutôt confidentiel ; entre autres arguments : une certaine complicité avec l’éditeur en question. Outre le plaisir de recevoir un manuscrit qui n’a pas été adressé au hasard, par l’intermédiaire du photocopieur de l’entreprise ou de l’administration, à 300 éditeurs sélectionnés par ordre alphabétique dans un annuaire professionnel – ouf, je reprends ma respiration –, je remarque que ladite lettre est dépourvue des fantaisies ortho-typographiques habituelles (mauvais accords, homophones grammaticaux, majuscules distribuées aléatoirement, etc.). Le titre de l’ouvrage, également, m’interpelle : Des Nouilles dans la Cosmos*. Je consulte la première page, la dernière et quelques-unes au hasard du manuscrit et me dis : « Diantre, voilà quelqu’un qui : 1. connaît les normes de présentation des manuscrits (60 signes à la ligne, 25 lignes à la page) ; 2. pas la moindre scorie ortho-typo sur les passages lus ; 3. c’est diantrement bien écrit. 4. et c’est foutrement drôle et sidéral. » Finalement, j’ai tout lu, de la première à la dernière page !
Je prends ma plus belle plume pour lui répondre que son pavé m’avait emporté dans la galaxie des grands livres, mais que Deleatur avait plutôt l’habitude de publier de minuscules plaquettes : à l’époque, la collection d’entrée était La Nouvelle Postale, un feuillet A4 plié en trois, que l’on pouvait envoyer comme une carte postale, une page étant réservée à la correspondance. Je propose donc à Patrick de publier une nouvelle dans cette collection (Un Passereau, avec de belles illustrations de Gilles Ollivier, dont je venais de faire la connaissance à Angers). Avec Patrick, ce sera le début d’une longue amitié et d’une étroite collaboration (nous avons même cosigné trois livres).
Un jour, Patrick me confie : « Tu étais le dernier éditeur sur ma liste d’envoi. Tous les autres avaient répondu par une lettre type de refus. Si tu m’avais envoyé la même, j’aurais mis le paquet de feuilles dans un tiroir et je serais passé à autre chose… » D’un coup, on se sent un petit peu responsable quand on reçoit un manuscrit ! Cela dit, je n’en crois rien : Patrick est un graphomane – sa biblio en témoigne – et je ne le vois pas cesser d’écrire pour motif de découragement, pourtant réel !
Concernant A Naïve Romance, Patrick l’a écrit à ma demande pour la collection, suite à une discussion – il me semble que c’était au salon du livre de Paris – sur la prétendue nécessité de préserver la pureté de la langue française (peut-être que cette année-là c’était la mode, comme l’écriture inclusive aujourd’hui). Le sachant bilingue (voir tri, quadri…), j’avais glissé sournoisement la proposition dans la conversation, étant à peu près certain qu’il relèverait le défi rapidement : écrire un texte en anglais en utilisant le maximum de mots français ! Évidemment, ça parle de bouffe. Extrait : « In the consommé, an isolated gruyère croûton made more vigorous the impression of a liquid solitude. And, when the garçon served the lapin chasseur, coup de théâtre : a roquefort coulis sabotaged it! »
On retrouvera Patrick Boman au numéro 26… et dans un hors commerce qui ne figure pas au catalogue !
 
 
* Je ne sais plus si c’est le titre original ou celui sur lequel nous nous sommes mis d’accord lors de la publication dans la collection Sous la Cape en 2009, avec des croquis de Thierry Vernet. J’ai attendu 25 ans pour publier ce roman exceptionnel, mais je l’ai fait !


jeudi 30 novembre 2023

Bibliographie commentée des Minilivres aux éditions Deleatur — 18


Les Petits
Chaperons
rouges

Angers — Éditions Deleatur, 1995
Plaquette 7,5 X 10,5 cm, 16 pages, dos agrafé, couverture à rabats, pas de mention de tirage
Achevé d'imprimer en octobre 1995 sur les presses de Deleatur pour le compte de quelques croqueurs de galettes



Le Tenancier : On devine sans peine la patte de l’auteur derrière ce conte anonyme et le plaisir de son fils lors de sa lecture ! Les Petits Chaperons rouges vus comme un problème de science naturelle et d’équilibre des espèces… J’ai particulièrement apprécié la mention de la « cellule de crise », concept un peu démodé, désormais, mais qui fleure bon les années 1990 où on l’employait à tout propos. On aimerait bien revoir ce conte avec des illustrations ad hoc, et même autant d’éditions que d’illustrateurs (j’ai une liste en tête !), mais les frais seraient élevés.
 
Pierre Laurendeau : O Tenancier, oui ! Le destinataire premier des Petits Chaperons rouges (le même qu’Oli Bobo[1], et par ailleurs auteur dans cette collection) apprécia le conte détourné par son père…
J’avais vaguement le projet d’une série de contes déviés, mais la littérature jeunesse n’est pas mon fort… Lorsque je publiai, sous l’hétéronyme Pierre Charmoz, Les Contes de Ricou, une libraire spécialisée rejeta dédaigneusement le livre sous le prétexte qu’il ne s’agissait pas de « vrais contes ».
Les Petits Chaperons rouges existent en version numérique, avec de très belles illustrations d’Émilie Harel (Le Polygraphe éditeur), qui illustra également Oli Bobo et un conte écrit exprès pour elle, Petit Ogrebio, l’histoire d’un ogre végétarien confronté aux affreux Ogéhem. Ce dernier devait paraître chez Naïve, l’éditrice de l’époque aimant beaucoup les dessins d’Émilie… mais finalement nettement moins le côté acidulé et disruptif du texte ! Ces deux contes sont également disponibles en version numérique (Le Polygraphe).

[1] Numéro 9 de cette collection.

lundi 27 novembre 2023

Bibliographie commentée des Minilivres aux éditions Deleatur — 17


Pierre Charmoz
Première
ascension
népalaise
de la tour Eiffel

Angers — Éditions Deleatur, 1995
Plaquette 7,5 X 10,5 cm, 16 pages, dos agrafé, couverture à rabats, pas de mention de tirage
Achevé d'imprimer en octobre 1995 sur les presses de Deleatur pour le compte de quelques grimpeurs



Le Tenancier : Le rire est assez grinçant, à la lecture de ce journal d’expédition népalaise, inversion de ce qui doit vraisemblablement se produire lorsque des occidentaux se déplacent sur des montagnes himalayennes. Là, l’expérience de Pierre Charmoz, écrivain alpiniste et ton alter ego, se met au service d’un humour cruel qui transforme le parisien en porteur indigène. Curieusement, tu as choisi la tour Eiffel, alors que la Butte Montmartre semblait plus évidente, ne serait-ce qu’à cause de l’expédition qui s’était déroulée, je crois dans les années 1950 ou 60, filmée par les actualités (et dont hélas, je n’ai pas réussi à retrouver la trace sur le net…) Peut-être serait-il pertinent que nos Népalais reviennent pour affronter ce massif. Enfin, l’on retrouve par la bande ton amour pour certaines lettres classiques dans le procédé d’inversion…
 
Pierre Laurendeau : Quelle analyse, ô Tenancier ! Et quelle perspicacité ! Pierre Charmoz est un de mes hétéronymes ayant une œuvre bien identifiée, depuis Cime et Châtiment, premier « porno » alpin, paru à la Brigandine en 1982. A l’époque, le livre avait été un coup de fouet (métaphorique) sur une littérature de connivence : l’homme affronte les parois vertigineuses et les gouffres insondables pour se prouver qu’il est humain, un vrai mec, quoi ! À part quelques écrivains, comme Bernard Amy, ça ronronnait grave dans les alpages. Et surtout, pas de sexe ! La Brigandine, collection de gare, sortait quatre livres par mois, qui restaient rarement plus d’un mois en kiosque. La couverture de Cime et Châtiment était assez explicite pour attirer l’œil d’un montagnard. Quelques mois après la parution, alors que je désespérais un peu, je lus dans Alpinisme et Randonnée une critique plus qu’enthousiaste sur ma petite farce coquino-alpine. Et la journaliste de s’interroger : mais qui est ce mystérieux Pierre Charmoz ? (Je sus par la suite qu’on soupçonna quelques grands noms de la littérature verticale.) Ce petit roman policier, qui mettait en scène les gloires de l’alpinisme de l’époque – dans des positions plus horizontales que verticales – eut une carrière plus longue que la plupart des ouvrages de la collection : une réédition chez Guérin (dans un coffret, avec deux autres érotiques signés Charmoz) ; une traduction chez l’éditeur espagnol Desnivel (dont je ne reçus pas un maravédis) ; une réédition récente à la Musardine…
Charmoz étant lancé, il fallait entretenir le mythe. J’ai lu pas mal de récits d’expédition, tous à vomir : on veut être les premiers au sommet de l’Everest, de l’Annapurna, pour des considérations patriotardes ; et tant pis pour les porteurs qui meurent écrasés ou ensevelis sous les avalanches ! D’où l’idée d’une inversion de situation.
Cette Première Ascension a eu, elle aussi, un destin surprenant : la première édition, que tu possèdes peut-être, était un assemblage de feuillets libres pliés en trois, sous emboîtage made in Fourneau, très rapidement épuisée. Puis je l’ai reprise dans les minilivres, car le texte était très demandé – un peu mythique, quoi !
En 2002, Ginkgo publia un recueil de mes nouvelles alpines sous le titre : Première ascension népalaise de la tour Eiffel et autres cimes improbables, avec de chouettes illustrations de Michel Guérard (qui venait d’illustrer mes trois romans parus l’année d’avant chez Guérin). Le hasard fit qu’un exemplaire atterrit dans une librairie lyonnaise ; Denis Déon, acteur et metteur en scène que je ne connaissais pas, en fit l’acquisition. Il eut l’idée d’un spectacle qui reprendrait quelques textes du recueil, dont l’emblématique Première Ascension. Projet qu’il soumit à la Comédie de Valence, scène nationale. Le projet emporta l’adhésion des représentants des lieux itinérants où il allait se produire. J’ignorais tout de cette aventure, Denis ne sachant comment me joindre. Puis, par Ginkgo, il m’informa, un peu angoissé, que son spectacle était retenu… espérant obtenir mon accord rétroactif ! Ce que je fis bien volontiers. Ce fut une belle expérience, pour lui en tant que metteur en scène, pour les trois acteurs très investis dans les différents rôles qu’ils devaient endosser, et pour moi de voir mes petites fantaisies déborder de mon théâtre psychique habituel. Pas peu fier, le Charmoz !
Depuis, Charmoz s’est investi dans le polar, avec son complice Jean-Louis Lejonc, pour des enquêtes de Sherlock Holmes dans les Alpes (trois titres parus). Avec, je l’espère, toujours la même impertinence ! Je prépare pour 2024 un polar solo qui se déroule pendant le Mondial de l’escalade, un truc complètement idiot et sportif (tautologie) : Grimpe, Crime et Nutella.

jeudi 23 novembre 2023

Bibliographie commentée des Minilivres aux éditions Deleatur — 16


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Angers — Éditions Deleatur, 1995
Plaquette 7,5 X 10,5 cm, 16 pages, dos agrafé, couverture à rabats, pas de mention de tirage
Achevé d'imprimer en octobre 1995 sur les presses de Deleatur pour le compte de quelques cryptographes



Le Tenancier : De ce côté-ci du clavier, l’on adore la fausse érudition, surtout lorsqu’elle touche des domaines que l’on croit connaître un peu au point de se laisser mystifier, d’où un regard amusé sur cette éditions définitive — on le croit, on le pense ! — du Lorem ipsum. Là encore qu’est ce qui est du domaine du faux ou du vrai : le zzril a-t-il un fond de vérité ? Giulio Romano s’est-il vraiment servi du Lorem ipsum ? Où se procurer le livre du Bibliophile Jacob cité dans le texte, sachant que l’érudition dudit s’est également portée sur la chaussure ? Compliments à l’auteur anonyme (ou presque, suivez notre regard) pour cette joyeuse mystification — à moins que tout soit vrai… ?
 
Pierre Laurendeau : Le Lorem ipsum permettait de créer des maquettes avec du faux texte ; il y eut d’autres versions, mais celle que j’ai « traduite » était fournie avec PageMaker, le logiciel de mise en page que j’utilisais alors (je suis depuis passé à InDesign, la Rolls de la maquette !). Il était tentant de proposer une traduction d’un texte censé n’avoir aucun sens ! J’ai apparemment réussi à titiller les papilles bibliophiliques du Tenancier… Je peux juste préciser que tout est vrai, puis que tout est faux.
Pour rappel, nous vivions alors une époque charnière avec les métiers traditionnels du Livre – je parle de la partie aval, celle de la fabrication – dont les process séparaient clairement les métiers : l’éditeur fournissait au photocompositeur une copie dactylographiée couverte par le préparateur de copie de codes censés l’aider dans sa tâche ; il en recevait des épreuves, qu’il corrigeait (ou faisait corriger par un correcteur – on dit maintenant « relecteur typographe ») en utilisant des signes conventionnels ; puis la photocomposition était montée en pages par des monteurs ; ensuite, un photograveur produisait des films, auxquels on incorporait éventuellement des images traitées par ailleurs ; enfin, à partir des films, on fabriquait des plaques qui étaient fixées sur les machines d’impression, généralement en offset. En cas d’impression en quadrichromie, il fallait autant de films – et de plaques – que de couleurs ; pour contrôle, le photograveur transmettait alors à son client un Cromalin, une épreuve en couleurs qui permettait de corriger la chromie : « Ici moins de jaune, là plus de magenta ! » Je me souviens qu’au milieu des années 90, un Cromalin 21 x 29,7 coûtait 1 500 F, soit 340 € d’aujourd’hui selon le convertisseur de l’Insee. Autant dire qu’on limitait au minimum ce genre d’opérations !
L’irruption des « chaînes graphiques » à la fin des années 80 allait bouleverser des professions qui se remettaient à peine de l’abandon du plomb – la typographie noble. En quelques années allaient disparaître : préparateurs de copie (chez l’éditeur), puisque l’auteur – qui n’écrit jamais de bêtises, c’est sûr ! photocompositeurs ; photograveurs et, dans une certaine mesure, imprimeurs offset – une grande partie des travaux d’impression se font en numérique.
Je me souviens d’une discussion avec un photograveur en 1994 ou 1995. Il était fier de sa dernière acquisition : un scanner rotatif Crossfield, la Rolls de la numérisation d’images. C’était l’époque de l’arrivée des scanners à plat. « Jamais, tu entends ! jamais cela ne pourra faire le même travail qu’un appareil qui coûte plus d’un million de francs. » L’argument, hélas pour lui, ne le sauva pas de la faillite. J’ai connu plusieurs photograveurs qui conservaient un rotatif pour rassurer leurs clients mais qui opéraient l’essentiel de leur photogravure avec un scanner à plat, en arrière-boutique.
Les logiciels de PAO (publication assistée par ordinateur) furent les premiers à bousculer le monde des arts graphiques. Les premières versions firent ricaner les typographes haut de gamme, qui lorgnaient tout de même vers les prodigieuses capacités de ces monstres : déplacer à la souris un bloc de texte, le faire pivoter, incorporer une image ! Nom de Diou ! que cela était excitant… mais avec un résultat souvent pitoyable. Comme toujours pour les nouvelles technologies, elles s’affinent et les logiciels d’aujourd’hui – comme InDesign – autorisent une gestion fine de la typographie, notamment l’utilisation des polices de caractères unicodes.
Si vous ne savez pas ce qu’est une police unicode, regardez sur votre tableau de bord des polices celles qui sont précédées d’un « O » ovale, pour OpenType : elles vous offrent précisément 65 536 glyphes (caractères, logotypes, etc.) !
Je m’arrête là, car j’ai un livre à finir.
 
Ah si ! petite anecdote qui me revient de l’époque des maquettes « muettes ». Nous avions commandé à un maquettiste, certes compétent mais procrastinateur en diable, la maquette d’un ouvrage sur la retraite ; c’était le premier livre de commande du Polygraphe (en 1991), notre jeune agence d’édition. Le maquettiste, qui habitait Paris, avait fait le voyage en train et avait utilisé la fenêtre du wagon en guise de table lumineuse pour faire sa maquette, avec ce qu’il avait sous la main pour les images : une magnifique collection de photos de bloc opératoire ! Autant dire que lorsque nous avons montré la maquette à notre client, Le Courrier de l’Ouest, vénérable journal angevin, le PDG eut un hurlement d’inquiétude… « C’est ce genre d’images que vous allez mettre ? » Et de lui expliquer que le maquettiste les avait choisies pour leur ambiance colorée. On parvint à sauver la situation…