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vendredi 2 février 2024

Rien ! Rien ! Rien !

C’est une sottise que d’écrire des romans pour gagner sa vie. Je vous assure. C’est étrange. L’irréalité de la chose donne l’impression de pénétrer dans votre vie réelle, de vous entrer dans les os, de faire battre l’illusion dans les artères à chaque pulsation du cœur. La volonté se fait esclave des hallucinations, ne réagit qu’ à des élans fantomatiques, est au service de la seule imagination. État étrange, aventure éprouvante, cette sorte de brûlante ordalie par l’insincérité. Et on la traverse avec une exaltation aussi fausse que tout le reste. On la traverse et on n’a rien à montrer au bout du compte. Rien ! Rien ! Rien !
Joseph Conrad : Lettre à E.L. Sanders, 12 octobre 1899
Citée par Sylvère Monod dans la préface de Œuvres, dans la Pléiade.

jeudi 25 novembre 2021

Et toc

« J’ai remarqué, en observant ce soir la numérotation des pages, que j’avais commencé à écrire sur le feuillet numéro treize — et cela m’inspire une vague insatisfaction. J’ai lu, au passage, un paragraphe dans un journal qui parle d’écrivains moitié fous. Zola, dit l’auteur, était l’un d’eux. On le considère comme moitié fou parce qu’il additionnait les nombres à l’arrière des fiacres qui passaient devant lui dans la rue. Personnellement, c’est une chose que je fais sans cesse — et je sais très bien que je le fais pour m’apaiser l’esprit. C’est une pratique narcotique, en quelque sorte. Johnson, nous le savons, touchait les poteaux de sa rue dans un certain ordre : cela était encore une manière d’échapper à de tristes pensées. Et nous savons tous comment, étant enfants, nous avons obéi à l’injonction mystérieuse nous intimant de marcher sur les lignes entre les pavés de la rue… Mais les enfants ont un avenir. Il est bon qu’ils rendent propice le mystérieux Tout-Puissant. En leur temps, Johnson et Zola avaient eux aussi un avenir. Il était bon que Johnson fît ses “touches” contre la malchance, que Zola mît son esprit à l’abri de nouveaux problèmes. Chez moi, c’est simplement le fruit de l’idiotie. Car je n’ai pas d’avenir. »
 
Joseph Conrad — Ford Madox Ford : La nature d’un crime (1909)
(Trad : Maxime Rovere)

samedi 16 janvier 2021

Un mécénat à 1000 %


« Une circonstance tout à fait inattendue vint augmenter les revenus de Conrad. John Quinn, le collectionneur américain, souhaitait acheter des manuscrits de Conrad et d’Arthur Symons. Par l’intermédiaire d’Agnes Tobin, poète américain très proche de Symons, Quinn prit contact avec Conrad et lui proposa de lui acheter des manuscrits, puis, par la suite, des dactylogrammes et divers brouillons. Quinn offrait des prix assez substantiels pour un auteur vivant : quarante livres pour une nouvelle, cent à cent cinquante livres pour les œuvres plus longues. Ces transactions profitèrent aux deux hommes ; à Quinn qui admirait beaucoup l’œuvre de Conrad, et à celui-ci qui gagna plusieurs centaines de livres à une époque où il était loin de rouler sur l’or. La première transaction eut lieu le 24 août [1911], Conrad envoyant à Quinn le manuscrit d’Un Paria [des îles] (516 pages) et celui de « Freya », encore inédit (226 pages). Conrad aurait voulu envoyer également La Folie Almayer, mais il s’aperçut que tout le chapitre 9 manquait. Comme compensation, il envoya le manuscrit de la préface supprimée du Nègre du Narcisse. C’est ainsi que la collection Conrad de John Quinn débuta, et la correspondance entre les deux hommes deviendra assez volumineuse. Ils ne se rencontreront cependant jamais, Conrad évitant par la suite Quinn d’une manière assez visible, et lorsque Conrad abandonnera Quinn pour vendre ses manuscrits à Thomas Wise, leurs rapports tourneront à l’aigre. Mais la vraie rupture aura lieu lorsque Quinn fera un bénéfice de 1000 % sur la vente de la collection Conrad en 1923. La vente de ce matériau, dont la plus grande partie alla à A.S.W. Rosenbach, rapporta à Quinn cent dix mille dollars environ, pour dix mille dollars d’achat. Lorsqu’on lui demanda de verser à Conrad une partie de ses gains, Quinn refusa catégoriquement. À vrai dire, Quinn aussi bien que Conrad étaient à ce moment-là au seuil du trépas. »

Frederick R. Karl
 : Joseph Conrad — Trois vies (1979) Traduction de Philippe Mikriammos

vendredi 3 février 2017

« Cette catégorie de lecteurs a été fabriquée récemment par les éditeurs »

Si vous deviez présenter ce livre à un adolescent d’aujourd’hui, que lui diriez-vous ?
 
Un adolescent ? En littérature je ne connais pas d’adolescent. Cette catégorie de lecteurs a été fabriquée récemment par les éditeurs. Conrad n’écrivait pas pour les adolescents, il écrivait pour tous ceux qui sauraient le lire. Celui qui quitte les livres pour enfants entre dans la littérature. Il y a une initiation, dans Au cœur des ténèbres, une initiation à la présence du Mal. Ce voyage peut se faire à treize ans comme à quatre-vingt-dix. Et si l’adolescence est le passage à l’âge adulte, alors elle n’a qu’un seul intérêt, c’est précisément d’osciller entre ce qui l’attend, le monde auquel elle va devoir prendre part, et le monde qu’elle vient de quitter, celui des livres pour enfants. Il y a une seule réalité, une seul — c’est la rencontre avec l’horrible ambiguïté de Kurtz qui nous dit : faites-moi justice.
 
Interview : Mathias Énard, pourquoi aimez-vous Au cœur des ténèbres.
(in : Joseph Conrad — Au cœur des ténèbres — Garnier-Flammarion)

mardi 14 octobre 2014

A la mémoire de H.M.B. Wharfinger


Parce que Brauquier est inextricablement lié à Marseille et parce que l'ombre de Conrad s'y profila également en des temps à peine plus reculés...


(l'édition originale)