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dimanche 3 septembre 2023

Paf, dans ma bibliothèque !

Il existe un certain décalage entre la rédaction des billets et leur parution sur le blog, ce qui explique que, à l’heure où j’écris ce mot, mon anniversaire est arrivé il y a deux jours, mais vous allez lire tout ça une semaine plus tard, à peu près. Quelques jours avant ce qui ressemble de plus en plus à une commémoration, étant donné le compteur qui monte, j’entreprenais de visiter ma librairie chérie afin de commander le fameux Connell, dont je vous rebats les oreilles depuis quelque temps. Nous allons y revenir plus bas.


Bien : passons à la veille d’un anniversaire qui s’est déroulé il y a deux jours… vous suivez ? J’ai opéré un détour tout naturellement à la boîte à livre dans laquelle j’ai pioché Les fainéants de la vallée fertile de Cossery. Il fallait au moins cela pour me consoler de la merde d’Oberlé, brièvement citée dans ce blog (cherchez donc, je ne vais pas vous tenir la main tout le temps, dites !) Cossery ? Oui, j’avais parcouru en diagonale, j’avais aimé, mais avec cette pointe de méfiance qui m’accompagnait à l’époque où je travaillais en librairie vis-à-vis d’ouvrages d’une certaine renommé et la peur subséquente d’une déception. Décidément, la boîte à livre, outre qu’elle fait ressurgir mon passé de libraire de neuf, me procure l’aubaine d’un rattrapage et aussi d’une rédemption. À ma décharge, le programme d’un libraire en exercice oblige à des choix et parfois à s’abstenir d’aller au secours d’un succès, ce qui était le cas à cette époque et en ce lieu pour cet ouvrage.


Il fallait bien que je m’offre un menu plaisir le jour même de mon anniversaire. « Menu », d’abord, parce que le gisement en question se situe dans une solderie où les prix restent très modiques (n’allez pas croire, mais je ne roule pas sur l’or, moi). Je tombais sur ce roman japonais. Bigre, le Tenancier s’adonnerait-il à la pêche ? Bien sûr que non ! En revanche tout ce qui se déroule près d’un cours d’eau m’intéresse… Les familiers de mes petits travaux comprendront.


Il m’est arrivé de crouler sous les trouvailles dans cette solderie. Sans doute à cause d’un été qui tire à sa fin, la récolte est maigre. Je dénichai tout de même ce livre d’architecture qui mélange l’intérêt pour un certain Paris et l’amour de la Ligne claire. Votre serviteur n’apprécie plus trop de déambuler dans la capitale, mais l’idée d’accomplir un parcours ce livre à la main devient tout à coup tentante. C’est tout ? Oui, enfin c’est tout pour ce qui concerne les bouquins dans ce magasin (ajoutez un petit carnet de dessin et un blourai).

 
Fort heureusement, je reçois le même jour l’avis d’arrivée de mon livre. Je me dirige donc au centre-ville de notre charmante sous-préfecture de 10 000 habitants quérir ma commande. Mais auparavant, je passe chez Katia et Tony (j’en parle dans ma précédente chronique) les saluer et, bon sang, je trouve un Kurt Steiner que je n’avais pas vu à ma dernière visite ! De plus, je découvre qu’il me manquait. En effet, pas mal de ses bouquins avaient été bouffés par des souris lors d’un entreposage malheureux. Quel plaisir !


Il fallait conclure par le passage in extremis à la libraire. À force de traîner ici et là, la fermeture était proche ! Et voici donc le Connell que j’avais envie de découvrir dans une version moins bâclée que celle dont je vous fais part depuis plusieurs chroniques. Je suis déçu… Au fond, ce n’est pas de la faute du livre que je n’ai pas encore lu et qui saura sans doute me consoler. Je m’attendais à un ouvrage plus copieux... Or la typo et le format laissent penser à un récit du même calibre que sa traduction précédente, constat toutefois négligeable, puisqu’on ne peut juger l’œuvre par le nombre de signes. L’autre déception provient de mon manque de perspicacité ! En effet, la nouvelle avait déjà été publiée dans cette traduction dans la revue Le Visage Vert. Honte à moi qui a eu la très grande chance d’y avoir figuré trois fois ! Mes recherches bibliographiques ont été en dessous de tout ! Allons, après ce mea culpa, consolons-nous avec la perspective alléchante de s’offrir une journée Zaroff : lecture de la nouvelle, visionnage du film de 1932, celui du remake de 1961, des bonus des deux dévédés en ma possession, etc. Autre réconfort, découvert en fin du volume, je découvre que l’éditeur a publié les textes à l’origine de Freaks de Browning, d’Elephant Man de Lynch et autour de Méliès et de Chaplin. M’est avis qu’on en reparlera dans cette rubrique…
En tout cas, mon anniversaire s’est révélé un moment agréable et, heureusement, pas uniquement grâce à ces bouquins.
 
Albert Cossery : Les fainéants dans la vallée fertile — Joëlle Losfeld, 1996
Shinsuke Numata : La pêche au toc dans le Tôhoku, traduit du japonais par Patrick Honoré — Philippe Picquier, 2020
Jean-Marc Larbodière : L’architecture des années 30 à Paris — Massin, 2009
Kurt Steiner : Aux armes d’Ortog — Fleuve Noir Anticipation, 1960
Richard Connell : Le plus dangereux des jeux ; traduction et postface de Xavier Mauméjan — Éditions du Sonneur, 2020

vendredi 1 septembre 2023

Paf, dans ma bibliothèque !

Il existe des périodes fastes en matière de trouvailles, même si cela concerne des choses très connues déjà, pour plusieurs raisons.
Commençons par une bienveillance lointaine, celle de Béa, de la Bouquinerie Kontrapas qui m’a expédié le Bukowski manquant dans mes rayonnages (excepté la poésie, simple impéritie de ma part). Que dire sur cet auteur qui n’a été déclaré sinon verser dans les clichés et les a priori pour pas mal de personnes. Cette chronique publiée dans le journal Open Press remet en perspective — comme chacun de ses livres — la vision que nous devrions en garder : un sacré prosateur, bien servi, je trouve par Gérard Guégan, auteur d’une postface pour le présent ouvrage. Je retourne à Bukowski de temps à autre. La fréquentation me remet à ma place lorsque j’évoque le travail d’écriture : pas très haut en définitive, à mesurer la distance qui me sépare d’un véritable écrivain. Voilà un exercice salutaire…

 

Comme j'avais reçu le Bukowski la veille, le lendemain je me suis résolu à aller commander le Connel, Le jeu le plus dangereux, dont je vous rebats les oreilles depuis un certain temps : il s’agit de Zaroff, encore ! Attendons de satisfaire cette lubie, sous peu. Bien sûr, j’ai fait un crochet à la boîte à livres. J’y ai découvert un bordel immonde. On aimerait que l’endroit soit respecté. Mais je t’en fiche : les bouquins sont empilés n’importe comment, gauchis, maltraités. De quoi désespérer ? Même pas, puisque l’on sait de longue date que les gens sont des cons et des gougnafiers. Quand c’est gratuit, pourquoi se gêner, hein ? Allez, on a trouvé un Peter Ackroyd, mais en langue anglaise, ce qui m’arrange moyen parce que je la maîtrise assez peu. Toutefois, l’envie me donnera peut-être des facilités à l’égard d’un auteur au corpus assez intrigant, en tout cas pour moi. Au moins j’aurais essayé, encore une fois. L’autre volume trouvé dans un état très propre (petite odeur de renfermé, quand même) est un Sheckley que je possédais jadis dans ma bibliothèque (mon rayon SF occupait une place importante). Plus de vingt ans plus tard, après m’être débarrassé de presque tous ces volumes, voici qu’un peu de nostalgie me cueille au débotté. Tant pis pour moi, ou tant mieux : relire du Sheckley ne se révèle pas la pire punition que l’on puisse s’infliger (j’ai des noms, mais je ne suis pas une balance).

 
Dans l’aimable sous-préfecture où je réside, quelques auteurs trouvent un refuge paisible et il nous arrive désormais de nous réunir tous les mois autour d’un repas. Nous le prenions à L’Improbable, restaurant qui faisait aussi brocante, c’est-à-dire que vous pouviez repartir avec la table, les chaises, les couverts, mais également des bibelots parfois… improbables et le tout à des prix démocratiques — même de démocratie populaire, me risquerais-je à affirmer. « À cause d’eux », je me retrouve à la tête d’une collection de près de 300 buvards publicitaires ! C’est malin... Ils ferment, victimes de la pandémie avec un peu de retard, mais également de l’augmentation de tout… et sans doute par un peu de lassitude. Ils ferment, donc, alors depuis quelques semaines ils ne font plus à manger, mais il déballe leur fonds. Puisqu’il n’y avait que quelques pas depuis la boîte à livre nous y sommes rentrés pour dire bonjour à Katia et à Tony, adorables de coolitude. Je suis tombé en arrêt sur une étagère ou traînaient encore des appâts à nostalgie, entre deux jouets en fer blanc :
— un Kurt Steiner plus beau que celui que je possède
— des numéros de la revue Fiction où, tiens, je retrouve Sheckley, mais également le très rare François Valorbe, Walter Tevis, ce curieux John Anthony West (Un mari à l’engrais) qui allait devenir un « égyptologue » hétéroclite et puis des personnes que j’ai eu le bonheur de publier : Philippe Curval, Jean-Claude Forest et Gérard Klein. Nous les retrouvons d’ailleurs dans :
— ce numéro spécial de Fiction (n° 4 : Anthologie de la SF française), rejoints par un certain André Ruellan qui signa nombre de romans sous le nom de… Kurt Steiner. Les livres d’André, ou ceux où figurent ses nouvelles font partie des rares bouquins du genre conservés avec soins dans un recoin de la maison, en souvenir de trop fugaces rencontres, passionnantes.
 

Évidemment, devais-je laisser tous ces beaux exemplaires à la concupiscence d’une tierce personne, sachant la profession de foi que je clamais quelques lignes plus haut, vis-à-vis de ces connards de gens, même s’ils évitent cet antre-là ? Pourtant, j’avais, lors de ma crise des 40 ans, largué les amarres du monde de la SF dans lequel d’ailleurs je m’étais peu intégré pendant la presque vingtaine d’années où j’y avais eu des activités. La sagesse venant, la vieillesse aussi peut-être, l’on se permet le loisir d’un retour sans risque sur des sentiers balisés. Ce n’est certes pas avec ces pioches-là que je me trouverai à la pointe de l’actualité du genre. Mais vous savez quoi ? Je m’en fous.

Il n’empêche, où va-t-on se retrouver pour discuter le bout de gras, maintenant, que l’Improbable est fermé ?
 
Charles Bukowski : Journal d’un vieux dégueulasse (1969), traduction et postface de Gérard Guégan — Grasset, 1996
Robert Sheckley : Et quand je vous fais ça, vous sentez quelque chose ? Le livre de Poche, 1977
Peter Ackroyd : The House of Doctor Dee — Penguin, 1994
Kurt Steiner : Menace d’Outre-Terre — Fleuve Noir Anticipation, 1958
Fiction n° 30, mai 1956
Fiction n° 113, avril 1963
Fiction n° 144, mai 1963
Fiction n° 124, mars 1964
Fiction Spécial n° 4 (112 bis) : Anthologie de la science-fiction française, 1963

jeudi 17 janvier 2019

La remontée du Fleuve



Voici quelques mois, votre Tenancier arrêtait d’écrire des histoires du Fleuve parce qu’il sentait le besoin d’observer une trêve avec cet univers. Toutefois, l'on découvre une inertie inévitable dès lors que l’on se mêle de vouloir être édité : les textes sortent bien après leur rédaction et il subsiste un temps considérable entre l’élaboration d’une histoire et sa publication en revue. Les premières lignes de La remontée du Fleuve, figurant dans ce sommaire du numéro trois du Novelliste, datent de 2016. Ce constat est une leçon prodiguée avec beaucoup de recul. Vingt-cinq ans plus tôt (et même plus que cela), votre serviteur recevait l’écrivain de littérature fantastique Scott Baker à son émission de radio pour un ouvrage qui venait d’être publié en France. Il était accompagné d’André Ruellan, lecteur enthousiaste du roman et qui avait entamé un dialogue assez fécond à l’antenne. Seulement, impossible de rentrer dans les péripéties de l’histoire avec l’auteur. À la vérité, il en avait oublié certains aspects. Évidemment, l’édition française avait suivi l’américaine de plusieurs années et Scott Baker ne se souvenait plus de tout, ce qui n’avait d’ailleurs pas entamé l’intérêt de cette émission. Risquera-t-on de rencontrer le même problème avec votre serviteur ? Oui, c’est probable… parce que ce qui est rédigé est déjà du passé. Ma rupture avec l’univers du Fleuve n’est certes pas consommée, des synopsis sont encore dans mes tiroirs, mais je sens que pour y revenir il sera utile de me relire et de prendre des notes, non pour observer une cohérence qui demeure très lâche, mais pour en redessiner des contours convaincants. L’entreprise se révèle aisée et nécessite seulement de revoir trente-deux histoires dans la chronologie imaginée par mes soins. Et, si jamais je recommence à explorer le Fleuve, vous ne lirez vraisemblablement des textes nouveaux que dans un ou deux ans, voire plus. L’absence ne sera pas trop pénible, de toute façon, ces histoires valant ce qu’elles valent… Un récit du Fleuve, long cette fois-ci, paraîtra dans quelque temps, un autre, plus court, est en attente (celui-ci est peut-être l’amorce d’une « relance »). Ensuite, on pensera à rassembler en volume ce qui ne l’a pas été, et puis la béance… que nous occuperons avec d’autres sujets, éventuellement. Il n’empêche, c’est la fin d’un cycle commencé huit ans auparavant avec Une partie de pêche sorti en 2010. Je la ressens fortement avec cette publication dans les colonnes du Novelliste, elle consacre aussi le terme d’un « apprentissage », même si ce n’est pas un accomplissement. Le long récit en préparation appartient également à cet achèvement, mais d’une autre façon. Il sera toujours temps d’y revenir lors de sa parution.
En attendant, La remontée du Fleuve, toujours illustré par Céline Brun-Picard, vient de sortir en excellente compagnie et le Tenancier vous remercie de remplir votre bon de commande pour cette revue diablement courageuse puisqu’elle n’a vu aucun inconvénient à publier votre serviteur…


jeudi 15 novembre 2018

André (suite)

Tiens, une autre vidéo...

André

Le blog de l’Éditeur singulier avait l’autre fois mis en ligne quelques couvertures d’ouvrages de Kurt Steiner, alias André Ruellan. Le billet était accompagné d’une très courte vidéo que je me permets de reprendre ici, en souvenir de trop peu de moments partagés et l’immense regret de ne pas l'avoir fréquenté plus.

dimanche 8 janvier 2017

Mystérieuse matin, midi et soir...



J’avais dix ou onze ans, je traversais alors un monde neuf dans lequel mon meilleur ami d’enfance, Vincent, venait de faire son intrusion en s’installant dans le bâtiment d’à côté. Je sautais par la fenêtre du rez-de-chaussée pour cavaler à en perdre haleine entre l’odeur de l’herbe coupée, celle des feuilles mortes encloses dans du grillage et dans lesquels nous prenions nos bains de saveurs sèches. L’automne lui-même vivifiait nos aventures ; il n’y avait nulle saison qui tenait notre perpétuelle mobilité. Seule une maladie de gosse, Zorro à la téloche le jeudi après-midi et la lecture savaient suspendre nos va-et-viens en biclou et nos écorchages de genoux. Et l’école ? L’école n’existait pas, c’était un hiatus fâcheux, une sorte de stase entre deux aventures, comme pour des astronautes dans un coma artificiel qui vivraient un rêve épouvantablement chiatique. La livraison de nos journaux de mômes suspendait également la frénésie. Vincent était abonné à Mickey. Je n’aimais pas trop, même si Guy Léclair m’aurait enchanté... mais le moyen de se plonger dans l’enchantement sur deux planches qui s’arrêtaient net. Le tourné de la page avait autant d’importance que maintenant. Vincent fut à l’école de la patience, il lisait assidûment et hebdomadairement ces aventures-là, progressant pas à pas. Non loin, Onc’ Picsou nageait sempiternellement dans sa réserve d’or sur plusieurs pages. J’étais sans doute assez cancre pour ne pas savoir attendre. Mon père rapportait un numéro de Pilote pratiquement toute les semaines, tout cela traînait au large de ma curiosité que je n’hésitais pas à rassasier... mais pour moi, c’était Pif gadget, évidemment pour le gadget d’abord, mais ceci est une autre histoire. J’y trouvais des aventures complètes, des histoires de guerre et puis les Pionniers de l’Espérance, qui ne finissait pas au bout de deux planches, et puis d’autres trucs encore qu’on se racontait à l’heure de la récré au même titre que le feuilleton qui passait la veille et que certains — dont moi — avaient pu regarder. Crevé le lendemain, rêveur près de la fenêtre, dans la forme des nuages... Et puis un jour déboula sous mes yeux Mystérieuse, matin midi et soir de Jean-Claude Forest. J’avais dix ou onze ans. J’appris par la suite que l’histoire était adaptée de l’Île mystérieuse, de Verne. J’avais été captivé par l’étrange atmosphère de ce récit de naufragés résidant dans un arbre géant. La suite n’est pas venue. Je sus bien plus tard que la rédaction de Pif en avait arrêté la publication. Restait cet inachèvement, longtemps, jusqu’à maintenant, à vrai dire. Verne faisait partie déjà de mes lectures. En fait je vivais une liberté totale dans mes choix. Pas de sourcilleux pédagogue pour me dicter ce que je devais lire, pas d’écrivains pour la jeunesse ou pour ado ! Alors Verne, malgré mes dix ans et puis l’Étoile du néant de Pierre Barbet dans un volume « à la fusée » de la collection Anticipation et puis des lectures de mômes et d’un peu moins môme que je ne lisais même pas en cachette, des livres oubliés, ou que je croise encore du coin de l’œil... Tout m’allait. Ce qui m’importait, c’était que l’histoire se termine, c’était d’arriver à bout autant qu’au bout du récit, de l’épuiser sous moi, comme un canasson rétif, comme pour racheter les remords de ne jamais avoir pu achever cette île mystérieuse et dont le roman original paraissait un succédané. Pourtant j’aimais Verne, j’aime Verne, mais le dessin de Forest, mais la magie du trait...
Le temps passa. Dix ans plus tard, à peu près, animant une émission de radio sur la SF, je rencontrai André Ruellan. Nous nous fréquentâmes ensuite de loin en loin... Et puis, à la librairie où je travaillais, qui, avant internet, recherchait des livres épuisés, je croisai Jean-Claude Forest, client de passage. Je fus sans doute trop timide et puis il y avait la crainte de proférer une niaiserie, je ne parlai pas de cela, de cette île inachevée. Dix ans s'écoulèrent encore et voici qu’André au détour d’une conversation me révèla que le titre était de lui : une prescription de toubib, en somme — ce qu’il avait été — : Mystérieuse, matin, midi et soir...
Et puis en 1997, j’édite du Jean-Claude Forest grâce à André : une autre histoire que celle qui me l’avait fait connaître, mais avec le texte d’André Ruellan. Ce fut un moment exceptionnel pour moi, détaché des contingences de l’enfance, pourtant. L’île s’estompait, curieusement, comme si au contact des deux hommes, toute espèce de nostalgie était bannie. La photo d’un billet récent ne montre rien que quatre personnes attablées à une besogne assez sommaire. C’était pourtant un moment heureux. En évoquant ce passage fugace revient à la pratique fuligineuse de cette nostalgie qui avait semblé me fuir lorsque je la vivais. L’enfance et puis ce moment-là... et je réalise que je ne lui avais jamais parlé de cette lecture inachevée, alors que peu à peu, au cours de ces années, les faits et les livres convergeaient à cette rencontre, à partir de  quelques planches publiées en 1971. J’avais dix ou onze ans... Je suis nettement plus vieux, maintenant, et je sais que je ne pourrai pas revenir en arrière, prendre le temps de dire à André, ou à Jean-Claude tout ce que j’aurais dû dire, comme il arrive pour tous ceux que l’on regrette. Qu’importe, les regrets valent mieux que les remords.
Et puis, j’ai lu, j’ai lu encore et toujours. Et, bien évidemment, je n’ai jamais repris la lecture de Mystérieuse matin, midi et soir.
Il y a bien des façons d’avoir dix ou onze ans...

mercredi 4 janvier 2017

Signez ici

Lors de la présentation de l’ouvrage de Raymond Gid, une de nos lectrices assidues (il s'agit en réalité d'ARD, sur le blog Feuilles d'automne, où ce billet fut publié primitivement en février 2009) fit allusion à une mention que j’avais donnée dans le descriptif de l’ouvrage, à savoir qu’il avait été justifié par l’auteur. A juste titre, elle s’interrogeait sur le fait que la justification que je donnais ne concernait pas le contenu. En fait, en d’autres termes, il apparaissait que la disposition de la typo n’était pas alignée à droite ou à gauche — ou bien les deux —, c’est à dire justifiée, selon les termes du métier.


La justification de tirage de « Comptine pour saluer le métier de marbreur », ouvrage présenté dans un précédent billet

En effet, ici, le terme ne s’appliquait nullement à la disposition typographique mais avait un rapport avec le tirage de l’ouvrage. Pour plus de clarté, on reviendra dans un article ultérieur sur la mise en page car il appelle quelques développements qui risqueraient de nous mettre dedans. Ce serait malheureux : on vient à peine de sortir de la torpeur...
La notion de bibliophilie a toujours été accolée à celle de tirages restreints ou à tout le moins limités pour l’un de ses composants. Pour vérifier la justesse de ce tirage, on avait coutume de numéroter les exemplaires, souvent même d’y appliquer plusieurs types de numérotation selon les papiers : chiffres arabes, romains, alphabet.


Une justification de tirage de « Un Pari de milliardaire » de Mark Twain, au Mercure de France en 1925. Une numérotation toute simple, pas de déclinaison de papier puisque nous sommes ici face à une réédition.

Cette disposition pratique est encore en usage dans la bibliophilie contemporaine, elle est utilisée notamment dans les exemplaires sur « beau papier » de chez Gallimard ou des Éditions de Minuit, souvent avec une numérotation unique. Cette numérotation excite un morne fétichisme qui veut que le n° 1 ait plus d’intérêt que le dernier numéro du tirage. A notre sens, ces exemplaires se valent : même papier, mêmes couvertures et peut-être même vague ennui que procurent ces publications, sauvées parfois par leur contenu non par leur façon : offset sur vélin, brochage industriel, la belle affaire…
Mais, la bibliophilie c’est aussi autre chose, de ces livres, quelquefois aux tirages confortables, qui se font des mines en parant leurs justifications de tirage d’ajouts baroques, de signatures d’artistes, d’éditeurs, d’illustrateurs, voire des trois…
Justification, le mot est lâché, enfin.
La justification de tirage, ou colophon, est le moyen par lequel l’éditeur fera connaître la teneur du tirage : la qualité et le nombre de beaux papiers proposés, leur quantité dans chaque papier et le numéro qui insère l’ouvrage que vous tenez dans les mains dans cette série. Or, parfois, l’éditeur – ou l’auteur, ou l’illustrateur – ont pour mission d’apposer leur paraphe pour authentifier le travail de l’imprimeur : ainsi, point de double tirage (on est pas dans les lithos de Dali…) Le libraire, devant cette signature, dans le descriptif, dira ainsi que cet exemplaire a été justifié par l’éditeur, par exemple. Ce qui était le cas du livre de Raymond Gid, qui en était également l’auteur.

Justification avec la marque de l'auteur, Rachilde pour « La Jongleuse », au Mercure de France...


... avec la marque du traducteur, Henry-D. Davray, pour les « Premiers Hommes dans la Lune » de Wells, au Mercure de France

Évidemment, ce qui est possible pour une centaine d’exemplaires devient une entreprise quelque peu malaisée lorsqu’il s’agit de justifier un tirage pour le grand public. Or, ce besoin se fit sentir chez quelques éditeurs scrupuleux, désireux que chaque volume dont on avait fixé le tirage au préalable fut approuvé par l’auteur. A cette fin, ces auteurs furent dotés d’une marque personnelle apposée au colophon, lors du tirage. Cette méthode fut quelque fois utilisée aux XIXe et XXe siècles, comme le Mercure de France, Gallimard (rarement, il est vrai), la petite collection Les Introuvables, etc. Ces mêmes eurent recours bien plus souvent à la numérotation. Quelquefois, l’on trouve également la signature imprimée de l’éditeur, certifiant que l’ouvrage émane bien de son officine, précaution quelque peu superfétatoire à une époque ou les contrefaçons littéraires s’étaient estompées depuis plusieurs années.

Ces justifications de tirages du Mercure de France ont été collationnées et reproduites par Christian Laucou-Soulignac pour ses Éditions du Fourneau (plus tard : Fornax) dans l'ouvrage ci-dessus. Il a du reste récidivé pour Les Introuvables, ci-dessous.



Enfin, la bibliophilie moderne redécouvrit la signature originale pour des tirages réduits. Parfois, la justification pouvait même s’accompagner d’une phrase originale de l’auteur, d’un petit dessin, tout dépendait également de l’importance de l'ouvrage ou du projet bibliophilique. Bien sûr ces signatures ne revêtent pas autant d’importance que les envois autographes des mêmes, mais elles témoignent d’un contrat passé entre l’éditeur, l’auteur et son lecteur au terme duquel cet ouvrage a été approuvé et tiré scrupuleusement.

Justification de tirage pour « Marie Mathématique », de Jean-Claude Forest. Pour ce tirage de tête, l'auteur a à la fois apposé sa signature et son monogramme (qui est la transcription idéogrammatique de son nom)


De gauche à droite : Christian Laucou-Soulignac qui réalisa la maquette et l'impression de « Marie Mathématique », André Ruellan, co-auteur, Jean-Claude Forest, l'auteur, et le Tenancier de ce présent blog qui eut la chance de publier tout cela ! On assiste ici à la séance de signature où l'auteur compléta la justification de tirage, comme plus haut... (Cliché de Petra Werlé)
Ainsi, lorsqu’un libraire mentionne qu’un ouvrage a été  « justifié », cela signifie que vous y trouverez une signature ou une marque quelconque qui authentifiera le tirage.

vendredi 18 novembre 2016

André




Pissenlits par la racine (Les) : Entendons-nous. En élaborant cette notice, on a tout à fait conscience de la trivialité de cette expression eut égard à l’objectif avoué de ce dictionnaire, lequel est de présenter un vade-mecum pour le mourant de bonne éducation. La question se pose tout de même au-delà de la forfanterie de l’appellation. Est-il décent et honorable pour le défunt d’avoir des notions d’horticulture ? Hors celles de la rhétorique morbide ou bien celles emballées dans du cristal de fleuriste, le mort peut-il compter les fleurs dans l’horizon noir de son non devenir ? Certes la fleur de cimetière n’est pas qu’une allongée ou une demi-mondaine, elle pousse également dans les caveaux désertés ou bien abonde sur les tombes des pauvres. Le mort de bonne éducation ne devra en aucun cas laisser au hasard l’occupation de la surface de son lieu de repos. On ne glosera pas ici plus avant sur la nécessité de s’adjoindre les services d’un jardinier, voire d’un paysagiste. La chose semble aller de soi. On veillera seulement à ne laisser l’occupation de la tombe qu’à des plantes qui ne s’enracinent point trop. Quel désagrément de voir le bel agencement de nos ossatures transformé en jeu de mikado et d’osselets par la prégnante investigation de racines… En vérité, et à notre avis, il faut renoncer aux charmes de la nature. Notre condition ultime ne peut s’agréer que dans le marbre et le stuc. En ce cas, on peut fort bien admettre rinceaux, pampre, mousse pour agrémenter la frise de nos tombeaux. Parions même sur leur pérennité, point soucieuse du soin de l’arrosage et ne nécessitant que le ciseau du sculpteur et non point ceux de l’horticulteur, ce qui n’appelle pas la même fréquence. La fleur en plastique est à bannir. On s’autorisera à peine quelque follet chrysanthème en vasques de porphyre.

Yves Letort : Encyclopédie du mourant de qualité.

jeudi 5 juin 2014

Lorsque le Tenancier éditait — III

André Ruellan : Le Terme
Premier volume de la Bibliothèque Sublunaire.
Tiré à 70 exemplaires sur vergé :
10 hors commerce numérotés de I à X
60 exemplaires numérotés de 1 à 60
(1995)
__________

Pourquoi donc commencer par André Ruellan ? Ma rencontre avec lui remonte aux premiers temps de mes émissions de radio, au début des années 80. Pour ceux qui ignorent — quelle faute de goût ! — qui est cette personne, rappelons qu’il signa nombre de romans fantastiques dans la collection Angoisse au Fleuve Noir, de SF dans la collection Anticipation chez le même éditeur, tout cela sous le nom de Kurt Steiner, qu’il est l’auteur d’un beau diptyque sous son propre nom, Ortog et Ortog et les ténèbres chez Laffont, qu’il est scénariste pour le cinéma (mais également pour la télévision) et également auteur d’une belle quantité de nouvelles tant fantastiques que de SF. Mais faire l’étalage de sa bibliographie ne suffit pas à justifier que l’on veuille publier un auteur. Outre la vive sympathie que je lui porte, même si je suis un peu en retrait désormais, il faut souligner la qualité des thématiques d’André Ruellan, dont les ingrédients sont la noirceur et l’humour noir. Le Terme, que j’avais choisi pour inaugurer la Bibliothèque Sublunaire, appartient au premier des postulats. On se réservera bien d’en dévoiler le sujet car, même si notre édition est désormais épuisée on a encore la possibilité de la trouver dans un recueil — épuisé lui aussi, mais nettement plus trouvable — intitulé De flamme et d’ombre. L’amateur la trouvera également dans le numéro 121 de la revue Fiction (1963). J’avoue que je suis très proche des univers qu’il décrit. Lorsqu’il m’arrive d’être publié à mon tour, je sais à quel point mes histoires lui sont redevables. Le Terme est une histoire désespérée dans un univers sombre et dont la fin laisse un goût d’amertume…
André m’ouvrit toutes grandes les portes de sa bibliographie. Inutile de vous expliquer en détail que le fantasme de la complétude s’empara de moi et que, malgré l’idée de limiter cette expérience d’édition à quelques publications, j’eus soudainement envie de publier tous ses textes courts. L’aventure de notre astronaute mort allait d’ailleurs continuer grâce à lui vers d’autres rivages giboyeux. Un mot sur le préfacier, Philippe Curval. Si vous êtes familier avec l’univers de la SF, vous ne pouvez l’avoir évité. Sa préface, sensible et intelligente est à l’image de l’écrivain et du critique qu’il est. C’est le complice d’André Ruellan et c’est lui qui s’occupa de rassembler tous ses textes dans le recueil cité plus haut. On le retrouvera au catalogue de l’astronaute mort.