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vendredi 17 mai 2019

T r i e s t e



1er mai 1912

Rêvé de Trieste, de la mer, du large. Ô nostalgie ! — Pour me consoler j’ai dessiné un navire ventru aux couleurs bariolées comme on en voit se balancer sur l’Adriatique. Grâce à lui la nostalgie et l’imagination peuvent lever les voiles et naviguer longtemps vers les îles lointaines, où des oiseaux-joyaux se mussent et chantent des arbres incroyables. — Ô mer !

Arthur Roessler : Egon Schiele en prison (1922)
La Fosse aux Ours, 2000

lundi 12 février 2018

Trieste en sa lumière

La sollicitude de quelques voisins pousse votre Tenancier à renoncer à sa ligne de conduite. En effet, on a reçu quelques ouvrages ces derniers temps qu’il serait dommage de ne pas signaler. D’ordinaire, votre Tenancier ne tient pas plus que cela à jouer le rôle de critique. Alors, au plus, on mentionnera notre plaisir et une brève notule…

Ce récit existe certainement : au gré du hasard, un personnage croise à plusieurs reprises les traces d’une ville réelle qui se transforme en cité fantasmée, puisqu’il n’y a jamais mis les pieds. Le pressentiment tenace d’une issue fatale, ou d’un événement extraordinaire, si jamais le personnage s’y déplaçait, l’obséderait. Arrive le moment où, volontairement, ou par accident, il s’y retrouve, la menace au-dessus de lui. Qu’arriverait-il ? Pour ma part, je souhaiterais qu’il ne se passe rien, non par superstition personnelle, mais parce que le désenchantement, la déception, le lâche soulagement demeurent des sentiments intéressants à explorer bien plus, à mon gré, que l’événement extraordinaire qui reste à la portée de tout littérateur moyen ? Moi qui ne suis qu’un écrivaillon — et qui l’assume allégrement — je ne peux que confier cela à plus doué, me doutant bien par ailleurs que le sujet a été traité cinquante-douze-mille fois, au moins. Ceux qui suivent le blogue savent d’où vient cette idée, qui tourne autour de Trieste depuis pas mal de temps. C’est dans une de ses évocations que j’appris récemment par un ami (qu’il me permette cette familiarité !) la parution d'une livre de Patrick Boman sur le sujet. Non seulement j’étais avisé de l’existence de cet ouvrage, mais je le recevais anonymement. Trieste en sa lumière rassemble les notes de plusieurs séjours dans les murs de la ville, ponctués de promenades érudites et des stations dans les cafés fort nombreux. Évidemment, les écrivains de Trieste se profilent dans ces pages, comme Roberto Bazlen ou Umberto Saba et ceux qui s’y sont arrêtés comme, bien sûr, James Joyce, dont Boman aborde malicieusement le versant alcoolique, souvent négligé de la part des thuriféraires. Mais Trieste apparaît aussi comme une curiosité géographique, un vestige de l’Empire austro-hongrois, un port méditerranéen, une frontière évanescente et pourtant disputée autour d’un rideau de fer qui semble ici plus fusible qu’ailleurs. Combien de fois Trieste a-t-elle changé de drapeau et de fonctionnaires (les représentants de l’Empire se montraient, paraît-il, incorruptibles et sourcilleux !) et combien de langues y parle-t-on ? Combien de plats différents, également, retenant le gastronome Boman (son Palais des saveurs accumulées est un opuscule remarquable sur la cuisine chinoise !), et qu’y boirions-nous ? Les morts s’invitent aussi dans cette flânerie, et leurs traces portent témoignage de l’intrication de tous ces univers. Trieste possède la qualité de certains écrivains situés sur des limites, plus exactement sur les limes de l’Empire. Ici, l’empire est géographique, là, il sera littéraire. Il demeure toutefois un endroit privilégié pour voir passer les hommes, les événements, les navires et les drames. Patrick Boman se place idéalement à cheval sur toutes ces perspectives et ses notes de voyage dispensent le soussigné de se hâter d’aller vérifier par lui-même. Ce faisant, Patrick Boman aura peut-être sauvé la vie du Tenancier… 
Patrick Boman
Trieste en sa lumière
Ginkgo éditeur (2017)

lundi 5 décembre 2016

Une époque rêveuse

L’autre jour, le Tenancier, alors qu’il se dirigeait vers le cagibi où il consigne les ustensiles et matériaux utilisés pour réaliser les paquets qu’il devait expédier l’avant-veille, leva les yeux dans le couloir. Ses yeux captèrent furtivement l’affiche qui ornait l'emboîtage, au-dessus de l’étagère à dévédés. Il contenait le film Top Hat : Fred Astaire, Ginger Rogers. Le Tenancier est cinéphile à ses heures mais fredonne également pour lui-même quelques chansons, dont celle du film. Vous savez, « Heaven, I’m in heaven… », etc.
La chanson s’intitule Cheek to Cheek.
Irving Berlin, tout de même.
Il la chantonna donc, tout en rassemblant son matériel. Chanter, c’est bien, écouter de la musique, c’est plus mélodieux, surtout si l’on a déjà entendu le Tenancier. Il alluma alors la radio, France Musique en l’occurrence, ce samedi matin, pour écouter… six ou sept versions de la chanson qu’il fredonnait il y a à peine cinq minutes.
Avec toute la rigueur requise dans ce genre de circonstances, en toute objectivité, on est en droit de déclarer que le Tenancier de ce présent blog est un mutant. Un « précog », selon le jargon en vigueur dans la littérature conjecturale.
Et vous-mêmes, êtes-vous mutant ?
N’avez-vous parfois pas ressenti fortement une coïncidence dans la sourcilleuse succession de vos lectures et d’autre événement plus ou moins fortuits ?
Récemment, la lecture consécutive de La boîte en os d’Antoinette Peské (livre doté d’une préface boursouflée et inepte dans l’édition que j’avais entre les mains, qui n’est pas celle de Mac Orlan), de Titus d’Enfer de Mervyn Peake, le visionnage d’une émission sur ce mystérieux producteur, écrivain et mentor de Jacques Tourneur que fut Val Lewton, et le souvenir encore très vivace de La Féline, de ce même duo, avaient fait germé l’idée en moi que les années 40, avec leur cortège de destructions et d’horreurs, étaient également une époque mélancoliquement rêveuse et qui empruntait les éléments de sa rêverie à l’arsenal du Romantisme. Rappelons également que Le Seigneur des Anneaux fut rédigé durant cette décennie et en emprunte parfois les mêmes accents. D’une façon surprenante, ce monde fermé et voué à la destruction s’enfermait dans des récits qui faisaient appel à un effroi paradoxal, feutré, ou en proie à une étrange fièvre obsidionale. L’amateur de Romantisme fantastique n’y trouverait peut-être pas tout à fait son compte : pas de ces burgs ténébreux ou de ces enceintes sadiennes en forme de labyrinthe concentrique. Non, plutôt un univers traversé les yeux mi-clos sur des murailles hautement verticales, comme des somnambules sur le faîte d’un toit. Le monde d’alors rêvait dangereusement, en déséquilibre au-dessus du gouffre. Ainsi, fortuitement, j'avais lu ou rencontré une somme d'ouvrages qui formaient une collection d'impressions, comme si j'avais capté une rumeur dispersée, quelques fragments de l'inconscient d'une époque.
Bien sûr, cet inconscient ne traversait pas toute la littérature ou tout le cinéma, mais cette mélancolie aux relents fantastiques semble avoir pris une place importante. Peu à peu, en réfléchissant à ces sensations, on se prend à regarder les prémisses et les séquelles de l'époque avec un autre esprit.
Il est parfois intrigant de retrouver une série heureuse dans les lectures ou les visionnages, comme si le hasard vous menait par le bout du nez d’un coin à l’autre de votre bibliothèque pour vous insinuer des parfums. Parfums d’époque ou saveurs littéraires plus épicées, coïncidences, précognitions, conjectures et surtout rêveries dans une barque qui vous mène dans des bras secondaires et inattendus.
Quel lecteur n’a pas eu ce sentiment de suivre une voie impalpable, dictée par des caprices extérieurs à sa volonté propre ? Et, qui n’a pas eu la sensation diffuse d’être possédé par un étrange pouvoir de prolonger une saveur d’un livre à l’autre en ayant malgré tout abdiqué toute volonté dans leur choix ? Ainsi, le soupçon que le dieu Pan n’est pas mort nous vient à l’esprit. Thamus n’était donc qu’un gros menteur.
Le Tenancier, attentif aux augures et, après ce raisonnement, doute du pouvoir qu’il s’était hâtivement attribué.
Les cieux étant toujours cléments à ceux qui obéissent à leurs signes, par précaution, tout de même, il va apprendre à faire des claquettes.

Ce texte publié en janvier 2009 sur le blog Feuilles d'automne trouve une curieuse résonnance avec ce qui est récemment arrivé au Tenancier. La récurrence de la présence de Trieste dans sa vie intellectuelle (et même jusque dans son cercle familial) suscitait de nouveau quelques interrogations. Mais après tout, cette ville semble une contrée onirique aussi proche géographiquement que le Farghestan ou The Shire...
Toujours est-il que votre Tenancier n'a toujours pas appris à faire des claquettes, mais n'est plus libraire — sans savoir si cela a un rapport.

vendredi 26 août 2016

Triste Trieste

« Lâcheur est Trieste, hélas ! et j'ai lu tous les livres. »  
George WF Weaver (28 juillet 2016 à 21:09)
 
« Cela étant, il faut savoir que, à proximité de ladite ville, les panneaux indicateurs affichent "Trst".
Je pourrais vous en parler, cher Tenancier, j'anecdoterai sur le sujet... »
Otto Naumme (29 juillet 2016 à 07:26)
 
« Au contraire, cher Tenancier, je pense que voilà une trieste nouvelle. »
Otto Naumme (5 août 2016 à 08:23)
 
« C’est le moment que choisit Carlo Papucci pour griffonner mystérieusement sur un carnet d’écolier ce curieux message presque en forme d’anagramme qu’il me tend ensuite avec un air de conspirateur souabe :

T T T T T
E R R R R
R I I S I
G E E T S
E S S
T
S T T
E
T E


U



M



(Latino) (Italiano) (Tedesco) (Slovène) (Sempre)
 
Tout est dit là ! Au carrefour des cultures et des langues, la ville-frontière cherche son unité et ne la trouve que dans une sorte de tristesse qui durera (sempre) toujours ! Il me rappelle ainsi que nous sommes dans une ville où, par dizaines, des adolescents romantiques se suicidèrent, des écrivains abandonnèrent leurs noms et choisirent des pseudonymes pour mieux s’intégrer, dans un endroit du bout du monde où la douleur semble d’abord essentiellement métaphysique. »
Franck Venaille : Trieste  (1985)
(Et pendant ce temps, la fille du Tenancier visite la ville...)

mercredi 3 août 2016

Où Trieste fout la paix au Tenancier...

L’autre fois, je vous causais de la persistance de l’apparition de Trieste au gré des mes promenades littéraires. Depuis, je n’ai plus eu aucune manifestation, comme si le fait d’avoir exposé cette étrange obsession l’avait jugulée.
Bien, il suffit donc d’écrire sur ce blog pour en être débarrassé. Tant que cela reste dans nos domaines de prédilections, nous n’en demandons pas plus, n’est-ce pas ?

jeudi 28 juillet 2016

Trieste

Les coïncidences en matières littéraires abondent, elles se font parfois insistantes, à moins qu’au lieu d’évoquer le hasard on accuse un inconscient soudainement devenu réceptif à certaines stimulations. Tout à coup, des connexions s’opèrent, des substances chimiques dans le cortex sont libérées, des paramètres exotiques se font jour dans le psychisme. Autant penser à cela plutôt qu’à un message divin ou de la CIA, ce qui me porterait fâcheusement à porter une calotte confectionnées avec du papier alu sur ma calvitie désormais triomphante. J’aurais l’air fin. Généralement, les injonctions sont subtiles. On se dit « Tiens, c’est marrant, je viens à l’instant de finir son bouquin et voilà qu’il y a une émission sur Tartempion » ou bien le coup de fils d’un pote inquiet : « Ça fait la deuxième fois qu’on apprend la mort de quelqu’un après que tu ais acheté son livre ». Mais pour cette dernière remarque, on se réserve le plaisir de vérifier une troisième fois à propos d’écrivaillons. J’ai mes listes.
Parfois, aussi, l’insistance se fait lourde, au point qu’on pourrait se prendre pour le héros de Rencontre du troisième type obsédé par une montagne…
Moi, c’est Trieste.
Au départ, l’allusion débute avec une habitude plaisante mais pas tellement assidue, celle de l’écoute de l’émission Ville-mondes sur France Culture. Le hasard du butinage sur le site de la station m’avait fait aboutir à l’écoute de l’émission en deux parties avec le sentiment diffus d’être tombé dessus déjà (le passage sur le karst ne m’était pas étranger). Pour le plaisir de vos esgourdes on vous convie à l’écouter :
 
 

Jusque là nous ne sommes pas dans le domaine de la coïncidence mais de l’heureuse rencontre. Ignare des écrivains de Trieste, de la ville même, l’appât est suffisant en y entendant l’évocation de Joyce ou de Stendhal pour que j’en fasse mon profit.
Peu de jours passent et je retrouve Trieste sur un écran de télévision, une émission d’Histoire relatant la difficile scission des habitants lors du rattachement de la ville à l’Italie au sortir de la guerre mondiale. Je passe rapidement car, pris par des obligations diverses, je ne pouvais m’y arrêter. Mais j’ai commencé à me dire « Tiens, c’est marrant… »
L’affaire se corse lorsque, exhumant quelques Magazine littéraire d’une caisse je feuillette le n° 227 consacré à « La France Fin de Siècle ». Quel rapport, me rétorquerez-vous ? Aucun si ce n’est que ce numéro contient également un article de quatre pages intitulé « Trieste, dernière escale »… aussitôt lu avec un intérêt flambant neuf. Eh bien, l’on note de nouveau la présence d’Umberto Saba ou de Quarantotti-Gambini, voire de Svevo, tous écrivains italiens que je connais fort mal pour ne pas dire pour certains pas du tout ! J’y apprends l’origine triestine de Leonor Fini, le passage des ombres de Larbaud ou de Rilke, la dèche de Joyce. Je m’inquiète surtout de ces signes répétés en si peu de temps. Pourquoi donc Trieste ? Non que j’y sois rétif mais quitte à m’intéresser à une ville italienne, ce serait plutôt Naples, par exemple…
 
 
Mais, de ces maigres connaissances, je perçois à quel point le lieu est une limite, une frontière cosmopolite et indécise une rencontre intéressante. Cependant rien ne me permet de m’inquiéter encore : trois coïncidences successives peuvent arriver, le codage du simulateur de réalité dans lequel nous vivons n’est pas à l’abri d’accidentelles réitérations… J’ai bien vu, une fois, des dizaines de nuages identiques se côtoyer.
Il est des moments où on finit tout de même par jeter un coup d’œil par-dessus son épaule avec inquiétude. Ainsi, alors que j’allais chercher un ouvrage commandé chez mon nouveau libraire de neuf, je tombais sur une pile de livres de chez Allia en promotion. Si Les mémoires d’un travesti (attribuées à Erik Losfeld !) avaient attiré mon immédiate attention, la couverture d’un autre ouvrage dont le titre est — bien sûr — Trieste, par Roberto Balzen n’a pu que me saisir. Que faire sinon l’acheter et le lire ? J’avais rencontré Balzen dans l’article du Magazine littéraire, avec cette suite de notes qui emprunte le ton du tutoiement, évoquant le vent de Trieste, la Bora, qui rend fou, et puis aussi le souvenir des fonctionnaires austro-hongrois et de leur probité… On retrouve cette même nostalgie un peu désolée à propos de ces fonctionnaires dans l’émission de France Culture. Le texte est doté du charme déchu d’une miette d’empire, doté d’un humour exquis. Un livre qui reviendra de temps en temps sous mes yeux.
 
 
Est-ce que je cherche la petite bête, dites-moi ? Est-ce la soudaine fécondité de mon inconscient qui me met à l’affût de toute allusion à la ville ? Je décide de forcer le destin et commande — d’après le même article du Magazine littéraire — un ouvrage de Svevo, un de Saba et celui de Franck Venaille sur la ville. Il y a de quoi conjurer le sort.
Les livres sont arrivés depuis peu (mon bouquiniste à Redon, curieusement, n’avait rien sur le sujet) et je n’ai pas encore eu le temps de les lire. Cela va venir forcément.
Visiblement cela n’a pas suffit. Le lendemain de la réception du petit colis (ouvrages payés à prix fort modique, d’ailleurs, mais je ne recommande pas ce site qui vient de me décevoir), ma fille me téléphone et me fait part de ses projets estivaux, dont celui de venir voir son heureux géniteur. Quel plaisir ! Et puis, juste après sa visite, elle ira faire une petite balade en Italie. « Ne me dit pas que… » Et si : Trieste, encore Trieste, toujours Trieste !
La répétition est devenue inquiétante et puis aussi un petit peu rassurante. Cette insistance ne peut être de mon fait à moins d’être un grand télépathe (ce qui m’étonnerait fort, vu mes fins de mois). Il y a certes l’empathie qui règne entre ma fille et moi, mais elle réside surtout dans l’appétence pour les films bourrins.
On finirait par trouver tout banal. Alors que je cherchais pour le travail quelques informations sur la vie de Casanova dans la biographie de Rives Child, je n’ai pas sourcillé cet après-midi même en croisant le chapitre intitulé « Errances qui le conduisent à Trieste ».
Cela fait trois mois que cela dure.
Je gage que la série n’est pas encore terminée, quoique le fait d’écrire un billet ici aura peut-être le don d’éventer toutes velléités du destin.
Mais on ne sait jamais, la Bora souffle peut-être jusque dans mes contrées.