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vendredi 20 juin 2014

Comme un sac de vêtements

De Sagan, je ne garde au travers mes longues années dans le livre et spécialement en librairie qu’une vague indifférence vis-à-vis d’une littérature qui ne me ressemblait pas. Je n’en ressentais ni affection ni haine particulière, me contentant de pointer la parution d’un Sagan de temps à autre et d’attendre un lectorat qui était à peu près de la même génération de l’écrivain. Tout au plus, lorgnant de temps à autre dans les ouvrages en quête d’une impression surgissait cette espèce de stupeur devant ce romanesque un peu décalé par rapport à des goûts personnels vraiment différents. Bref, de la dame, je retenais l’interview de Desproges, sa façon de débagouler les mots qui vaut encore un souvenir amusé de Jean Rochefort, sans doute cette fragilité et ce doute intérieur qui me la ferais choisir de toute façon au crapaud métaphysique durassien. Bref, Sagan faisait l’objet d’une sorte de respect distant et un désintérêt complet de ma part pour ce qui était de sa littérature. Pourtant, il faut bien un jour revenir sur certaines impressions, même si elles ne constituent qu’une concession en marge d’une opinion assez bien établie. Ce revirement un peu marginal survint lorsqu’un client, il y a quelques années, commanda un recueil de textes courts rédigés par elle et qui s’intitulait Avec mon meilleur souvenir. Si la thématique était reconnaissable et jouée d’avance à mes yeux (La vitesse, Saint-Tropez, Billie Holiday, etc.), un seul texte retint mon attention, celui consacré à Orson Welles. Qui ne se souvient pas du grand Orson cadré serré lors d’une conférence, ce regard, cette masse qui prend chair devant notre écran ? La tentation du télescopage entre Sagan et lui était évidente et elle sut en profiter sur ces quelques feuillets, comme dans ce passage :
« Ce jour-là, après m’avoir donc trimbalée comme un sac de vêtements à travers toutes les avenues de Paris et les Champs-Élysées, il finit par m’asseoir sur une chaise pour déjeuner avec deux amis à lui. Il mangea comme un loup, rit comme un ogre, et nous finîmes tous l’après-midi dans son appartement du George V où il avait atterri après maints ravages dans les autres palaces de Paris. Il marcha de long en large, parla de Shakespeare, du menu de l’hôtel, de la bêtise des journaux, de la mélancolie de quelqu’un, et je serais incapable de répéter une de ses phrases. Je le regardais, fascinée. Personne au monde, je crois, ne peut donner autant l’impression du génie tant il y a en lui quelque chose de démesuré, de vivant, de fatal, de définitif, de désabusé et de passionnel. J’eus simplement un instant de terreur quand il nous proposa brusquement de partir l’heure suivante à Valparaiso, justement. Je me dirigeai donc vers la porte pour aller chercher mon passeport (abandonnant là un deuxième foyer conjugal, un enfant, un chien, un chat, non pas dans des intentions coupables mais simplement parce que Welles était irrésistible et que le moindre de ses souhaits devait être évidemment exaucé). Dieu Merci, ou tuedieu, le téléphone sonna, lui rappela qu’il devait partir pour Londres, et Valparaiso tomba à l’eau ou y resta. »
Si jamais vous tombez sur ce recueil, il ne sera peut être pas nécessaire de l’acheter, ce sera à votre bon cœur, mais allez voir ce qui est dit entre la page 99 et la page 110. Et peut être que, comme moi, Sagan remontera dans votre estime pour vous avoir montré le grand Orson tel qu’on aurait voulu le voir.
Et tant pis si ce n’est peut être pas vrai.