lundi 11 décembre 2023

Bibliographie commentée des Minilivres aux éditions Deleatur — 21


Jacques-Élisée Veuillet

Oncle Ted

Angers — Éditions Deleatur, 1996
Plaquette 7,5 X 10,5 cm, 16 pages, dos agrafé, couverture à rabats, pas de mention de tirage
Achevé d'imprimer en octobre 1995 sur les presses de Deleatur pour le compte de quelques amateurs



Le Tenancier : De nouveau, Jacques-Élisée Veuillet suscite une féroce jalousie en même temps que de l’admiration avec ce texte, après La lettre close. C’est le genre de récit que tout écrivain rêverait d’écrire, enfin, tout écrivain qui se respecte : pas un mot de trop, pas un qui manque, la ténuité des phrases qui sied, une façon d’avancer feutrée... Je vous le dis les yeux dans les yeux, Monsieur Laurendeau, si vous n’aviez dû éditer qu’un seul auteur, il eût bien fallu que ce fût celui-ci. Une question demeure, qui ne s’est pas résolue à son propos lors de ta précédente évocation : a-t-il produit d’autres écrits, analogues à La lettre close et à Oncle Ted ? Je voudrais aussi que l’on revienne un peu sur les conditions de production et surtout de distribution de ces Minilivres. Comment s’opérait-elle ?
 
Pierre Laurendeau : O Tenancier, que de questions !
Ton éloge d’Oncle Ted me va droit au cœur. Ciselé, étrange sans donner d’explication à son étrangeté, un très grand texte en un condensé de mots. Malgré mes nombreuses et insistantes demandes – proposant de publier un recueil de ses nouvelles –, Jacques Veuillet ne m’a jamais transmis d’autres textes, si j’excepte un recueil de poèmes publié à titre posthume pour sa famille et ses proches. Il parlait de ses deux nouvelles avec une sorte de modestie distanciée, et ce sourire bienveillant que je lui ai toujours connu. Et me promettait de réfléchir à de nouveaux textes. Une première édition d’Oncle Ted, en grand format, est parue en 1992 dans la collection « Les Indes oniriques » : un cahier 15 x 21 cm, cousu, sous couverture Canson bleue, avec étiquette rapportée – très chic.
La diffusion des minilivres ? Un peu au hasard des librairies… à l’époque où il y avait encore de vrais libraires ; pendant les salons du livre, notamment celui de Paris, où je disposais un présentoir conçu exprès par un designer (je l’ai toujours) ; et des commandes de clients fidèles. En près de trente ans, j’ai tout de même imprimé, plié à la main et agrafé près de 15 000 exemplaires ! Ce qui, pour environ 70 titres, représente une moyenne de 200 exemplaires par titre… Les ventes servaient à compenser – partiellement – les ouvrages dispendieux publiés par ailleurs.
Ce qui est amusant, c’est que l’on trouve sur des sites de libraires anciens des minilivres à 10 € voire 15 €, alors qu’ils sont toujours disponibles chez Deleatur à 1,5 € !

samedi 9 décembre 2023

Quel caractère !


Signalons la parution de l'ouvrage d'Huguette Lendel, artiste que votre Tenancier prise particulièrement. Il a eu la chance de pouvoir collaborer avec elle à deux reprises et ne désespère pas de récidiver un jour. En attendant, il s'agit moins ici d'illustrations que d'écrits, une suite de 433 notices, illustrant ainsi un intérêt commun pour la forme courte. On ne fait pas souvent du copinage dans ce blogue. Vous savez bien que le Tenancier n'aime personne. On fait une exception...
Pour en savoir plus, allez faire un petit tour ici

Une historiette de Béatrice

« Le prix qui est indiqué au crayon sur la première page, c'est vraiment le prix ?
— Oui monsieur, c'est le prix du livre »
Avec un grand sourire.

vendredi 8 décembre 2023

L'œil et Quatre historiettes

Pour en savoir plus, cliquez ici et
Avec cette revue, votre Tenancier dépasse la centaine de nouvelles publiées. La première, L’œil , nouvelle du Fleuve, est illustrée par Céline Brun-Picard.

jeudi 7 décembre 2023

Bibliographie des Minilivres aux éditions Deleatur — 20


Jean-Pierre Brisset

Le Diable
Le Prêtre
EXTRAIT DES ORIGINES HUMAINES

Angers — Éditions Deleatur, 1995
Plaquette 7,5 X 10,5 cm, 16 pages, dos agrafé, couverture à rabats, pas de mention de tirage
Achevé d'imprimer en octobre 1995 sur les presses de Deleatur pour le compte de quelques êtres premiers ou derniers



Le Tenancier : Si l’on doit dégager une sorte de ligne éditoriale qui se forme et se dilue à mesure des publications de la collection, la succession de la nouvelle de Patrick Boman et à présent de l’extrait de Brisset nous oriente vers des préoccupations linguistiques. Se trompe-t-on en songeant à l’expression d’une pensée en évolution en même temps qu’elle édite des tiers ? En tout cas, la présence de cet « hétéroclite » de Brisset convient bien et amorce des liens avec d’autres auteurs à venir, comme Ernestine Chassebœuf, qui prend le relais de Jules Romains et bien d’autres littérateurs, dont toi, pour assurer sa pérennité.
 
Pierre Laurendeau : ô Tenancier, tes interrogations me contraignent à une introspection à laquelle je ne suis pas habitué. Ma pensée est certainement évolutive (je suis un darwinien), mais elle s’ancre à des références stables : surréalisme d’un côté, pataphysique de l’autre – et marxisme sur un troisième, voire montagne sur un quatrième !
Ma passion pour Brisset date de ma découverte, dans l’Anthologie de l’humour noir de Breton (j’ai déjà évoqué à quel point ce livre fut fondateur dans ma vie de lecteur, d’auteur et d’éditeur) d’extraits de l’œuvre brissettienne. C’était au début des années 70. Je m’étais ensuite précipité chez Marcel Béalu (tiens, un auteur que j’aurais aimé avoir dans la collection), qui tenait à l’époque sa librairie à Paris dans le quartier Saint-Michel, dans une ancienne boucherie il me semble – pour acheter l’édition Tchou de La Grammaire logique, suivi de La Science de Dieu, avec une préface de Michel Foucault. Béalu me parla d’enthousiasme de Brisset et je découvris à cette occasion ses nouvelles fantastiques, L’Araignée d’eau entre autres, que j’achetai également (en Poche Club, Belfond).
Retour à Brisset. Au début des années 80, je trouve à Angers chez un bouquiniste quatre éditions originales de Brisset (qui avait passé plusieurs années dans cette ville), que je m’empressai d’acheter. Un livre n’avait jamais été réédité : Les Origines humaines. Je prêtai l’édition originale à un ami éditeur, René Baudoin, qui le réédita ainsi que La Grammaire logique (« éditions », « éditeur », « réédita » : beaucoup de répétitions, M. Laurendeau !) sous une couverture discutable ! C’était avant que Marc Décimo s’attelle à l’édition des œuvres complètes de Brisset aux Presses du réel.
À l’époque, dans le cercle restreint des brissettiens, j’avais acquis une sorte de notoriété : on me consultait, on m’adressait des publications – je reçus la première thèse de médecine sur Brisset, de Philippe Cullard : Un paraphrène au XIXe siècle. Jean Pierre Brisset prince des penseurs, soutenue à Strasbourg en 1980.
Dans la collection des Minilivres, j’ai repris deux extraits : le premier, des Origines humaines, qui est celui-ci ; le deuxième – que l’on découvrira au numéro 30 – de La Grammaire logique ; j’en parlerai en temps voulu.
L’aventure de Brisset chez Deleatur se poursuivit, par Ernestine Chassebœuf interposée, par la publication du texte du spectacle de Bernard Froutin, Mots à Lier (montage de citations brissettiennes, créé en 2002), sous le titre Le Brisset sans peine. La 200e représentation de Mots à Lier a eu lieu à l’été 2022, à Champcella (mon village), dans une salle archicomble – 80 personnes ! J’ai repris Le Brisset sans peine en 2005, dans ma collection chez Ginkgo.
Ernestine Chassebœuf s’est démenée avec une bande de brissettophiles angevins (dont : Bernard Froutin, le psychiatre Jean Pallone…) pour que la Ville d’Angers donne un nom de rue au Prince des Penseurs. Elle avait lancé une pétition, à laquelle Julien Gracq avait répondu qu’il faudrait au moins pour cela débaptiser le boulevard Foch (l’artère centrale d’Angers). Au bout d’une dizaine d’années d’efforts, la municipalité (de droite, cette fois-là !) a accepté de nommer un étroit passage en l’honneur de Brisset.
Je ne dirai pas tout le mal que je pense de cette ville, il faudrait un épais ouvrage de récriminations, et ce n’est pas le lieu pour cela. Mais la frilosité des élus (de tous bords) est consternante : que ce soit pour Brisset, mondialement connu désormais ; pour Maurice Fourré, autre enfant du pays et immense écrivain, à qui un nom de rue fut refusé parce que son cousin, quincailler, en avait une ; ou, plus proche de nous, le groupe de musique à la carrière internationale LoJo ; ou le peintre Stani Nitkowski – sans oublier un certain Pierre Laurendeau.

mercredi 6 décembre 2023

L'histoire littéraire selon George

Peu de gens le savent, tant la chose semble incongrue, mais la grue du Tonkin — Marguerite Duras — se fit l’intime d'Antonin Artaud (« Un gron cul », comme elle aimait à le qualifier de façon assez immonde, forcément immonde). À son retour du Mexique, lorsque gavé de peyotl il avait flippé à mort dans d’horribles visions, elle lui susurrait doucement : « Modère, Artaud, quand t’as bilé » (Ce qui incidemment lui inspira le titre d’un récit, dix ans après le décès de l’art tôt).

mardi 5 décembre 2023

Libre à la plèbe littéraire, adoratrice du banal déjà vu, de nazilloter à loisir son grossier ronron

«En une mer, tendrement folle, alliciante et berceuse combien! de menues exquisités s’irradie et s’irise la fantaisie du présent Aède. Libre à la plèbe littéraire, adoratrice du banal déjà vu, de nazilloter à loisir son grossier ronron. Ceux-là en effet qui somnolent en l’idéal béat d’autrefois, à tout jamais exilés des multicolores nuances du rêve auroral, il les faut déplorer et abandonner à leur ânerie séculaire, non sans quelque haussement d’épaules et mépris. Mais l’Initié épris de la bonne chanson bleue et grise, d’un gris si bleu et d’un bleu si gris, si vaguement obscure et pourtant si claire, le melliflu décadent dont l’intime perversité, comme une vierge enfouie emmi la boue, confine au miracle, celui-là saura bien, — on suppose, — où rafraîchir l’or immaculé de ses Dolences. Qu’il vienne et regarde. C’est avec, sur un rien de lait, un peu, oh! très peu de rose, la verte à peine phosphorescence des nuits opalines, c’est les limbes de la conceptualité, l’âme sans gouvernail vaguant, sous l’éther astral, en des terres de rêve, et puis, ainsi qu’une barque trouée, délicieusement fluant toute, dégoulinant, faisant ploc ploc, vidée goutte par goutte au gouffre innommé; c’est la très douce et très chère musique des cœurs à demi décomposés, l’agonie de la lune, le divin, l’exquis émiettement des soleils perdus. Oh! combien suave et câlin, ce : bonsoir, m’en vais, l’ultime farewel de tout l’être en déliquescence, fondu, subtilisé, vaporisé en la caresse infinie des choses! Combien épuisé cet Angelus de Minuit aux désolées tintinnabulances, combien adorable cette mort de tout!
Et maintenant, angoissé lecteur, voici s’ouvrir la maison de miséricorde, le refuge dernier, la basilique parfumée d’ylang-ylang et d’opoponax, le mauvais lieu saturé d’encens.
Avance, frère; fais tes dévotions.»

Les Déliquescences, poèmes décadents d’Adoré Floupette, 1885