dimanche 30 novembre 2014

Mais qui possède encore une bibliothèque Conrad ?

(Je Sais Tout, 1910)

Écrevisse

Écrevisse
Sexe de la femme.
Je lui levai sa chemise ;
J'aperçus son écrevisse.
(Parnasse des Muses.)

Marie-François Le Pennec : Petit glossaire du langage érotique aux XVIIe et XVIIIe siècles (1979)

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samedi 29 novembre 2014

La mort du Mange Livre


Le Mange Livre est mort hier dans son dernier accident.
Le temps que dura sa collaboration au Métal, il avait répété sa mort en de multiples collisions, mais celle-là fut la seule vraie. lancée à fond, sa moto a franchi le garde corps du toboggan de la rue de Lancry et plongé à travers la véranda de la rédaction.
Les corps broyés en grappe des secrétaires, comme une hémorragie de soleil, étaient toujours plaqués sur les bureaux, lorsque je me suis frayé un chemin parmi les techniciens de la police, une heure plus tard.
Cramponné au bras de son fauteuil, Jean-Pierre Dionnet avec qui le Mange Livre avait tant de mois rêvé de mourir, se tenait à l’écart sous les yeux tournants des ambulances.
Quand je me suis approché des pompiers et des policiers qui tentaient, à l’aide de palans et de torches à acétylènes, de dégager les cadavres bloqués, Dionnet a porté un mouchoir de dentelle à sa bouche. Pouvait-il voir le corps disloqué du Mange Livre ? Apercevait-il le sang qui lui inondait l’entrejambe et où venait se mêler l’huile chaude du moteur ?
 
Stan Barets (in : Métal Hurlant n°24 — Décembre 1977)

Danse, Danser

Danse, danser
Danse du loup : Acte de chair.
Danser le branle du loup la queue entre les jambes ; danser le branle gai : pratiquer l'acte de chair.
Au soir nous danserons, oui, ma fois, plus d'un coup,
Messieurs, ce sera quoi ? Mais le branle du loup !
(Poisson, L'après-souper.)
Et sans le dire à ma mère
Danserai le branle gai.
(Parnasse des Muses.)

Marie-François Le Pennec : Petit glossaire du langage érotique aux XVIIe et XVIIIe siècles (1979)

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Une historiette de Béatrice

— « Dis donc, tu rentres et tu consultes ce livre de la vitrine sans demander, toi ?
— Ben tout le monde fait ça !
— Excusez-la, madame. »

Cette historiette a été publiée pour la première fois en novembre 2011 sur le blog Feuilles d'automne

Cadran

Cadran
Sexe de la femme. (Théâtre italien.)

Marie-François Le Pennec : Petit glossaire du langage érotique aux XVIIe et XVIIIe siècles (1979)

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vendredi 28 novembre 2014

Privations

Ils se rendirent tous les trois à l’atelier de MM. Mittchell, où l’une de ces balances dites romaines avait été préparée. Il fallait effectivement que le docteur connût le poids de ses compagnons pour établir l’équilibre de son aérostat. Il fit donc monter Dick sur la plate-forme de la balance ; celui-ci, sans faire de résistance, disait à mi-voix :
« C’est bon ! c’est bon ! cela n’engage à rien.
— Cent cinquante-trois livres, dit le docteur, en inscrivant ce nombre sur son carnet.
— Suis-je trop lourd ?
— Mais non monsieur Kennedy, répliqua Joe ; d’ailleurs, je suis léger, cela fera compensation. »
Et ce disant, Joe prit avec enthousiasme la place du chasseur ; il faillit même renverser la balance dans son emportement ; il se posa dans l’attitude du Wellington qui singe Achille à l’entrée d’Hyde-Park, et ce fut magnifique, même sans bouclier.
« Cent vingt livres, inscrivit le docteur
— Eh ! eh ! » fit Joe avec un sourire de satisfaction. Pourquoi souriait-il ? Il n’eût jamais pu le dire.
« A mon tour », dit Fergusson, et il inscrivit cent trente-cinq livres pour son propre compte.
« A nous trois, dit-il, nous ne pesons pas plus de quatre cent livres.
— Mais, mon maître, reprit Joe, si cela était nécessaire pour votre expérience, je pourrais bien me faire maigrir d’une vingtaine de livres en ne mangeant pas.
— C’est inutile, mon garçon, répondit le docteur ; tu peux manger à ton aise, et voilà une demi-couronne pour te lester à ta fantaisie. »
 
Jules Verne : Cinq semaines en ballon (1862) — Chapitre VI
(Sommaire)

(Source de l'image The Illustrated Jules Verne)

Bagasse

Bagasse
Femme de mauvaise vie. — On n'entend que ces mots : chienne, louve, bagasse ! (Molière, L'Étourdi)

Marie-François Le Pennec : Petit glossaire du langage érotique aux XVIIe et XVIIIe siècles (1979)

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mercredi 26 novembre 2014

Chasseur de trous

Orientation professionnelle. Exemple d’un sujet type présenté par la Compagnie périphérique d’enseignement E-Z.
SUJET : Je ne sais pas lire.
ORIENTATEUR : Cela ne fait rien. Je te répondrai oralement à partir de maintenant. Tu n’as qu’à ignorer ces mots sur l’écran. D’accord ?
s : Heu… d’accord. Comment que j’peux, heu… j’veux dire, heu… Comment qu’on fait pour être chasseur de trous ?
o : Un chasseur de trous, hein ? C’est l’une des ambitions les plus fréquentes. C’est romantique n’est-ce pas ? Tu es ton propre patron. Tu as un vaisseau à toi tout seul et tu peux devenir riche. c’est cela qui t’attire dans la chasse aux trous ?
s : Ouais, j’pense.
o : Nous n’encourageons pas les jeunes à devenir chasseurs de trous. Cela pose des tas de problèmes, par exemple : sais-tu combien peut coûter un de ces vaisseaux ?
s : Pas mal, j’imagine.
o : Ouah, tu l’as dit ! Tu dois d’abord économiser pour acheter le vaisseau. L’équiper pour un voyage coûte encore plus cher. Et c’est dangereux. Et qu’est-ce qui se passe ? des fois que tu ne le saurais pas, tu es là dans ton vaisseau tant que les moteurs tiennent le coup. Tu es là, tu es assis et tu regardes ton détecteur de masse. Tu peux attendre comme cela quinze ans sans rien découvrir. Alors tu arrêtes et tu rentres bredouille. Trois voyages sur quatre ne donnent rien. Et tu seras fauché comme les blés à ton retour. Ton premier voyage sera le dernier. Si tu en reviens…
s : Qu’est-ce que vous voulez dire ?
o : C’est dangereux ! Si tu découvres un trou, tu dois ralentir bien avant pour essayer de le localiser et de repérer sa trajectoire. Tu peux aussi rentrer en plein dedans. Mais si tout se passe bien, tu dois revenir le chercher avec un remorqueur électromagnétique.
Il y a plein de types qui n’attendent que cela sur Pluton. Ils te suivront. Tu peux te retrouver à une demi-année lumière du soleil. Qui va appeler la police ? Il faudra que tu te battes.
s : Je peux me défendre comme tout le monde. C’que j’veux savoir c’est si j’dois apprendre à lire ?
o : Je ne vois pas pourquoi. A quoi sert ton ordinateur ?
 
John Varley : Le Canal ophite — 1977
(Trad. Rémi Lobry) 

Abandonnée

Abandonnée
Femme débauchée. — Je ne veux point brûler pour une abandonnée. (Molière, L'Étourdi.) — C'est une infâme qui va courir le pays avec eux, et qu'ils ne sauraient regarder que comme une abandonnée. (Boileau, Joconde.)

Marie-François Le Pennec : Petit glossaire du langage érotique aux XVIIe et XVIIIe siècles (1979)

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L'Empereur et le critique

 
— « Désirez-vous, Sire, que quelques nouveautés soient critiquées pour vous ? » demanda le Doyen.
— « Certainement, mon ami » répondit fort courtoisement l’Empereur, et faites donc ouvrir ces fenêtres car il fait fort chaud.
Le critique de METAL HURLANT s’avança alors. Il avait avec lui un pile de livres d’où il extrayait des petites fiches griffonnées en tous sens. Et le critique commença à lire :
 
[…]
 
L’Empereur se tourna vers le Doyen.
— « Est-ce tout, votre excellence ? »
— « C’est tout, Sire ».
— « Parfait. Eh bien, Messieurs les Auteurs, puisque c’est vous les nègres, je vous souhaite de continuer… ».
Puis l’Empereur se leva. Il était content. Deux très beaux mots dans la même journée. Cela ne lui arrivait pas si souvent.
 
Stan Barets (in : Métal Hurlant n°23 — Novembre 1977)

Vignette

Vignette, s. f. Visage.
Piger la vignette, Regarder. V. Piger

Eugène Boutmy — Dictionnaire de l'argot des typographes, 1883

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mardi 25 novembre 2014

Interlude

Où le Tenancier se montre martial, mais seulement vers la fin

— «  Alors, Tenancier, ça baigne ?
— Z’êtes bien familier.
— Depuis le temps que je vous interpelle…
— Ça fait trois fois, si je ne me trompe. C’est vrai qu’à ce stade-là, c’est plus de l’intimité. Bientôt, va falloir que je vous cède un bout de mon plumard ou de ma gamelle, non ?
— C’est pas possible, ça, toujours de mauvaise humeur !
— J’aime pas qu’on me dérange. Est-ce que je viens, moi, vous emmerder dans les recoins ? Comme je vais encore avoir droit à des questions, allez-y tout de suite.
— Pas de question cruciale, non… je voulais seulement savoir si vous étiez au courant de ce qui s’est passé à Toulouse.
— Non, et ?
— Je vous résume alors : un dessinateur a entrepris de créer un blog où il avait rassemblé les histoires de harcèlement ordinaire dont les femmes étaient victimes. Tous les harceleurs étaient uniformément représentés sous la forme de crocodiles, d’où le nom, d’ailleurs : Projet Crocodiles. C’est souvent bien observé, et un éditeur a décidé d’ailleurs d’en publier quelques planches en album.
— Je connais, je suis allé sur ce blog.
— Une expo a été prévue à Toulouse, donc. D’après ce que j’ai compris, les dessins devaient être exposées dans la ville. La municipalité a décidé que ça ne se ferait pas étant donné la « violence » de certaines planches.
— Ah ouais ? Sont forts, ces Toulousains…
— N’est-ce pas ?
— On pourrait même se poser une question.
— Laquelle ?
— Tous les Toulousains sont-ils des crocodiles ?
— Certainement pas. Enfin, j'espère que non...
— C’est marrant, tout de même, comme l’ordre moral revient au galop. Moi, je m’attendais à une condamnation quelconque pour obscénité pour un livre ou un spectacle, mais j’avais compté sans le côté faux-derche de nos censeurs : l’alibi d’une violence supposée, alors que pas un édile n’a dû se poser la question de l’obscénité de la représentation de la violence, celle dont les images sont nettement plus explicites et qui courent les rues et les médias. De là à se dire qu’ils se sentent concernés directement par le sujet du harcèlement sexuel…
— Oh, doucement, Tenancier, il y a une femme qui est venue expliquer tout ça devant une caméra. Je crois qu’elle fait partie du Conseil municipal. Il y aurait des enfants choqués potentiellement par les planches exposées au public.
— Et alors ? Je ne vois pas pourquoi les femmes ne seraient pas complices. On voit bien des chiens ne jamais ronger leur laisse… Pour les mômes, je rigole doucement, comme s’ils n’étaient pas confrontés à pire. D’ailleurs, s’ils sont assez grand pour comprendre le sens de ces crobards, ils sont assez mûrs pour en saisir les implications. Ce serait toujours ça de pris. Enfin pas par les gluants toulousains, en tout cas. J’aime bien les censeurs, moi, quand même.
— ?
— Oui, on est jamais déçu dès qu’il s’agit de guetter les contorsions par lesquelles ils passent pour interdire un truc. Enfin, le coup de la violence vis à vis des enfants, c’est pas très frais comme idée. Mais après tout, c’est à la hauteur de l’objet censuré. Sans faire injure au dessinateur, c’est pas du Genet, quoi… Dans le temps, on faisait intervenir les paras.
— On voit la nostalgie dans vos yeux d’azur..
— Négatif, mon p’tit gars, mais faut reconnaître qu’ils savaient crever leur plafond !
— Pas des gonzesses, quoi.
— Allez, rompez ! »

Urfe

Urfe, adv. Très bien. Peu usité.

Eugène Boutmy — Dictionnaire de l'argot des typographes, 1883

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lundi 24 novembre 2014

Sandwich

« Quand tu m'auras écouté pendant dix minutes, répondit tranquillement le docteur, tu me remercieras.
— Tu parles sérieusement ?
— Très sérieusement.
— Et si je refuse de t'accompagner ?
— Tu ne refuseras pas.
— Mais enfin, si je refuse ?
— Je partirai seul.
— Asseyons-nous, dit le chasseur, et parlons sans passion. Du moment que tu ne plaisantes pas, cela vaut la peine que l'on discute.
— Discutons en déjeunant, si tu n'y vois pas d'obstacle, mon cher Dick. »
Les deux amis se placèrent l'un en face de l'autre devant une petite table, entre une pile de sandwiches et une théière énorme.
 
Jules Verne : Cinq semaines en ballon (1862) — Chapitre III
(Sommaire)

Tableau !

Tableau ! Exclamation par laquelle on exprime la surprise ou la joie maligne que l'on éprouve à la vue d'un accident risible arrivé à un ou à plusieurs de ses confrères.

Eugène Boutmy — Dictionnaire de l'argot des typographes, 1883

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dimanche 23 novembre 2014

Balades dans la Cité de la nuit — VII

Times Square était un Ellis Island anarchiste. Ces immigrants n’étaient pas des de réfugiés qui avaient fui la terre du tsar. Le Stem était le premier point de chute des étrangers à l’intérieur du pays. On y trouvait des hôtels pas chers où l’on pouvait se reposer sans avoir le souci d’un chez-soi. Suffisamment proche de tous les terminus de bus, c’était un refuge pour les paumés, pour tous ceux qui s’accommodaient de la précarité de leur existence.
Pour le Bottin mondain, Times Square est un pays fantôme, un entr’aperçu du ventre de New York. Il en a toujours été ainsi. Situé aux limites de Hell’s Kitchen, il a d’abord été envahi par les ateliers où les riches faisaient réparer leurs attelages. Puis les théâtres ont surgi qui ont amenés leurs lumières et le sens d’une certaine marginalité car il n’était rien de plus précaire qu’une vie de comédien. Les stations de métro, les grands et petits hôtels sont arrivés par la suite. La légende commença. Broadway s’imagina être le théâtre de l’errance, une cité de la nuit ayant sa clientèle particulière. Runyon, Walter Winchell ; « Bonne soirée, M. et Mme Amérique… »
La fable dura quarante ans. Broadway était un cordon ombilical et un cocon pour les gens du spectacle. ses ménestrels pouvaient défier les conventions. Ils préféraient les lumières de Broadway à toutes les autres. Mais un jour, Al Jolson et Fanny Brice sont allés s’installer en banlieue. Rothstein, le joueur, fut descendu comme un chien. Jimmy Walker, en enfant de Broadway, perdit sa couronne de maire et le cordon ombilical commença à se déchirer. Les cinéma devinrent de gigantesques sanctuaires après l’irruption de la télévision. Broadway n’était plus à la mode. Victime de sa propre anomie, il ne lui restait plus que ses théâtres. Tant et si bien qu’une sorte de guerre éclata entre les « touristes » qui allaient au théâtre et ceux qui venaient traîner dans le quartier. Il n’y avait plus de ciment. Les nouveaux venus étaient les Noirs et les Latinos.
Inutile d’aller chercher Mandrake le magicien pour dire ce qui s’est passé. Harlem avait son Broadway à lui sur la Cent-vingt-cinquième Rue. Mais ses théâtres périclitèrent. Les musiciens noirs allèrent s’installer dowtown ou à Hollywood. Harlem perdit son Strivers Row, creuset de la classe moyenne. Il lui était impossible d’entretenir les lumières de la Cent-vingt-cinquième Rue. Les pauvres durent chercher un autre quartier pour se distraire. Et ce fut Times Square.
En fait, c’est l’immigration des Noirs et des métis qui a favorisé le développement de Times Square. Le quartier a débordé à l’ouest vers la Neuvième Avenue et grignote les frontières de Hell’s Kitchen, désormais appelé Clinton. Il s’était étendu au sud jusqu’à Penn Stations, au nord jusqu’à la Quarante-neuvième Rue. Ses limites orientales sont moins faciles à déceler. Times Square empiète sur un bout de la Sixième Avenue et, à la hauteur de la Quarante-deuxième Rue, descend jusqu’aux escaliers de la Bibliothèque publique à Bryant Park. La moitié de sa population est constituée de clochards, de joueurs de monte (un jeu de cartes d’origine espagnole), de champions d’échecs noirs avec leurs tables portatives et leurs chronomètres, de putains noires et blanches, de maquereaux, de dealers, de femmes et d’homme chargés de gros sacs, de monstres en tous genres, de bandes errantes de jeunes gens, de fous, de solitaires, de paumés. On ne saurait dire qu’ils aient pris possession des rues, en dehors de leur sanctuaire (la Quarante-deuxième Rue, entre la Septième et la Huitième Avenue), seulement, il semblent avoir le don d’ubiquité. Ils ont leurs coins, leurs danses rituelles au milieu des hôtels pour touristes et des appartements d’hommes d’affaires. Sur la Septième Avenue, les vieux self-services son rangés en bon ordre tandis que les boutiques ambulantes où l’on vend du jus d’orange sont disposées n’importe comment.
L’exemple le plus évident du renouveau naissant de Times Square, c’est le déclin de Herald Square. En 1947, lorsque Miracle on 34th Street (« Le miracle de la 34e Rue ») sortit sur les écrans, Macy’s était le plus grand magasin populaire du monde. Il n’est pas surprenant que le personnage de Santa*, interprété par Edmund Gwenn, soit devenu un citoyen de Herald Square. Le film jouait sur la vieille rivalité opposant Macy’s et Gimbel’s, deux archétypes comme Santa lui-même. Mais ils n’ont plus cette aura. Macy’s n’est plus à même de gagner une guerre de l’esturgeon contre Zabar’s, ce vieux magasin appétissant dans l’Upper West Side.
Si Santa revenait, il n’irait pas acheter ses pickles chez Macy’s ou Zabar’s. Il irait chez Bloomingdale’s où les « guppies » (les jeunes cadres supérieurs) vont faire leurs achats et draguer. Il n’émane de l’endroit ni tristesse ni désordre. Même les femmes que l’on voit dans la rue avec leurs gros sacs ont leurs cartes de crédit chez Bloomingdale’s.
Le Times Square Redevelopment Corporation, organisme géré par la Ville et l’État, souhaite précisément créer « une atmosphère à la Bloomingdale’s » dans la Quarante-deuxième Rue. Une fois le centre puant de Times Square rasé, les badauds laisseront la place aux guppies, aux touristes, aux acheteurs de l’extérieur. William J. Stern, directeur de la Société de Développement urbain de l’État, a ainsi déclaré au sujet des marchands de pornographie de Times Square : « Il faut d’abord les éparpiller. Le premier coup de canon suffira, nous les chasserons ensuite. »
Stern a a déjà inventé sa propre légende : « Notre projet fera revivre l’époque de George M. Cohan, lorsque Broadway était véritablement le Great White Way. » C’est un George M. Cohan de son invention. La configuration qu’il propose — toits mansardés, centre commercial et neuf théâtre « rénovés » — n’a rien à voir avec le vieux Times Square. Cela va devenir un Rockfeller Center, sans piste de skate.
Le Times Square de Stern me fait songer au cœur des ténèbres. Un univers de bunkers de granit et de verre. Je ne suis pas le seul « anarchiste » à me méfier de ce projet qui privilégie la notion d’ordre. Le Xanadu de Philip Johnson n’a vraiment pas enchanté beaucoup de gens. Thomas Bender, qui enseigne l’histoire de l’urbanisme à la New York University, estime que Philip Johnson et le promoteur George Klein « ont probablement concocté le seul projet susceptible de rendre le quartier de la Quarante-deuxième Rue et de Times Square plus effrayant qu’il ne l’est actuellement (…). Le projet Klein-Johnson dénie à la rue toute valeur sociale. Il nous propose quatre immense bâtiments dont les murs de granit écraserons la rue. »
L’urbaniste William H. Whyte se demande lui aussi quel avenir on réserve à la rue qui ne saurait être dessinée au bon gré des architectes et des entrepreneurs ou simplement remplie de gens. Il a fallu quatre-vingt ans pour que le paysage de la rue se mette en place dans Times Square. Des coins et des recoins se sont créés, ainsi que des secteurs très particuliers. Mais c’est toujours « la fosse d’aisance du pays dont les New-Yorkais ne peuvent tirer qu’une fierté perverse, tant l’endroit déborde de maquereaux, de travestis, de prostitués hommes et femmes, etc. ». Whyte préférerait que ce trou disparaisse par magie, si possible, ou bien par l’intermédiaire d’un plan de réhabilitation qui respecte la configuration des rues et le point de vue des piétons. Un Times Square pour les gens et pas un Xanadu.
 
* Santa Claus : le Père Noël anglo-saxon
 
Jerome Charyn : Metropolis — 1986
(Trad. Bernard Géniès)

vendredi 21 novembre 2014

Une historiette de George

Un grand barbu maigre et jovial, du genre dont on se méfie immédiatement :
— « Bonjour, auriez-vous par hasard des Agatha Christie ?
— Oui, regardez sur ce rayonnage, là.
— Merci. Il sont à combien ? Un euro, c'est ça ?
— Non, plutôt entre 1,50 et 2,50 € selon l'état. Les prix sont marqués en première page.
— Ah bon ? Mais d'habitude je les achète à un euro maxi !
— Tant mieux pour vous, mais où ça ?
— Eh bien, chez euh... vous savez, vers Strasbourg-Saint-Denis...
— Ah, chez Gibert Jeune, voulez-vous dire ! Eh bien, allez-y donc, ce n'est pas loin.
[Un temps de réflexion]
— Euh, non, ça va, je vais prendre celui-ci. Un euro cinquante, c'est bien ça ?
— Oui, c'est le prix indiqué. »

Raboter

Raboter, v. a. Chiper, en général.

Eugène Boutmy — Dictionnaire de l'argot des typographes, 1883

(Index)

Esturgeon

« Après la séance, le docteur fut conduit au Traveller’s club dans Pall Mall ; un superbe festin s’y trouvait dressé à son intention ; la dimension des pièces servies fut en rapport avec l’importance du personnage, et l’esturgeon qui figura dans ce splendide repas n’avait pas trois pouces de moins en longueur que Samuel Fergusson lui-même. »
 
Jules Verne : Cinq semaines en ballon (1862) — Chapitre I
(Sommaire)
(Source de l'image The Illustrated Jules Verne)

Balades dans la Cité de la nuit — VI

Il me manquait une base. Je m’installai donc dans un hôtel dépourvu d’ascenseur, situé dans les Quarantièmes Rues Ouest, à proximité de Times Square. Dans la chambre voisine logeait une fille à la beauté déchirante. Lush Life était le nom qu’elle avait pris, mais sur les chèques de l’aide sociale elle s’appelait Geraldo Cruz.
C’est Sasha qui la vit le premier. Ou bien elle qui le vit lui. Nous venions de garer le taxi à carreaux. Assise sur le perron de l’hôtel, Lush Life peignait ses ongles en rose passion. Elle portait une robe de soie jaune, brodée de dragons rampant, moulante comme une seconde peau et fendue jusqu’au haut de la cuisse, une allure piratée chez Suzie Wong. Mais son visage (de hautes pommettes à l’espagnole, des yeux noirs dévorants, des cheveux tourbillonnants d’un noir bleuté aussi luisants que l’aile du corbeau) était exactement celui d’Ava Gardner. Et ses jambes, celles de Cyd Charisse.
Sasha fut perdu dès le premier regard. Avant même qu’il soit descendu du taxi, Lush Life avait posé son flacon et traversé la rue en ondulant des hanches comme une danseuse de hula-hoop. Les lèvres rouges encadrées dans sa vitre ouverte elle souffla sur lui, une seule fois, un parfum de cannelle et de clou de girofle.
— Un petit dévergondage ?
Au bout de dix minutes, Saha revint seul. Sur sa joue, la tache en forme de cimeterre était si incandescente qu’elle semblait prête à prendre feu en une combustion spontanée.
— Joli carton ? demandai-je.
Yob Tvoyou Mat ! Révisionniste ! siffla-t-il.
Et, déchargeant toutes mes affaires, il les abandonna en tas sur le trottoir et s’éloigna sans dire au revoir.
L’hôtel était tenu par deux frères grecs, Mike et Petros Kassimatis, tous deux trapus, larges et chauves, des bouches d’incendie sur pieds, dans le style Tony Galento Deux-Tonnes. Tous les poils qui leur manquaient au sommet du crâne poussaient ailleurs en quantité incroyable, comme pour se faire pardonner. D’impénétrables jungles noires jaillissaient de leurs poignets et de leur cou, s’échappaient à la taille de sous leurs sweat-shirts et, comme les vrilles de la vigne, remontaient même sur les jambes de leur pantalon. Mike portait des lunettes et un tas de chaînes en or, Petros avait une verrue sur le nez. Autrement, ils ressemblaient à deux travailleurs à la chaîne.
— Deux pisses dans un même pot, comme disait Sasha.
En remplissant ma fiche, Mike m’examina des pieds à la tête puis de la tête aux pieds et cracha par terre. Mais quand il vit ma machine à écrire, il recula comme le comte Dracula devant un crucifix.
— Vous êtes écrivain ? gronda-t-il. Vous allez écrire des choses sur l’hôtel ?
Je répondis par un grognement prudent.
— Je vous préviens, ne dites pas de mal de l’hôtel, parce que si vous dites du mal de l’hôtel, vous écrirez les mains cassées.
— Non, corrigea Petros. Il n’écrira pas les mains cassées, il n’aura plus de mains du tout.
Comparée au voisinage, ils tenaient un maison impeccable : il y avait un évier et des couvertures dans toutes les chambres, on changeait les serviettes chaque semaine, fumer du crack était laissé à la discrétion de chacun et tout client pris en train de dessiner des graffitis dans les couloirs sortait aussitôt les pieds devant. Cinq étages, vingt-sept chambres, un seul téléphone. CHAMBRES INTIMES POUR LES CONNAISSEURS, disait la note effacée, ronéotée, punaisée contre ma porte.
La mienne, un cellule de deux mètres cinquante sur trois, ne manquait pas de charme. Sous l’ampoule nue, il y avait des fleurs, de petits bouquets bleus et roses s’épanouissaient sur le papier peint et des marguerites montraient timidement le bout de leurs pétales sous les taches du couvre-lit. Certes, ma fenêtre donnait sur une colonne d’aération, un mur de béton et des tuyauteries. Mais en avançant la tête assez loin et en tendant le cou, je parvenais, à force de contorsions, à apercevoir un morceau de ciel.
Dans la mythologie de Times Square, cet endroit était connu sous le nom d’hôtel Moose (Élan). Personne ne savait pourquoi, sinon qu’il y avait aussi un hôtel Elk (Cerf) sur la Huitième Avenue. « Et c’est pas ici. »
 
Nik Cohn : Broadway, La Grande Voie Blanche – 1992
(Trad. Élisabeth Peellaert)

jeudi 20 novembre 2014

Quantès

Quantès ? Corruption de Quand est-ce ? Lorsqu'un compositeur est nouvellement admis dans un atelier, on lui rappelle par cette interrogation qu'il doit payer son article 4 ; c'est pourquoi Payer son quantès est devenu synonyme de payer son article 4. Cette locution est usitée dans d'autres professions.

Eugène Boutmy — Dictionnaire de l'argot des typographes, 1883



Quantès ou Quand est-ce ? (Le) : Tournée payée par le nouvel arrivant à ses camarades de bureau ou d'atelier.

Géo Sandry & Marcel Carrère : Dictionnaire de l’argot moderne (1953)

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Napoléon et Paris (et puis les chats, aussi...)

Pas question de pause pour le moment dans ce présent blog, comme il est fait allusion ci-dessous. Mais cette réédition est l'occasion de rapprocher ces deux billets dominés par le coq-à-l'âne. Ils ont été publiés respectivement en juin et en juillet 2008 sous des titres différents dans notre site précédent...

L'auteur de ce blog, jugeant que sa production est un peu élevée et que la moindre panne d'inspiration pourrait nuire au rythme imposé par lui, a décidé de lever un peu le pied avant que de subir d'une manière trop pregnante le vertige du prompt palpitant (équivalent électronique de l'angoisse de la page blanche).
En conséquence, le soussigné va emmagasiner quelques articles et les publier à raison d'un ou deux textes par semaine. Au bout d'un an cela fera tout de même une belle quantité.
Reste que l'envie d'être lu demeure.
Sinon, l'on ne ferait pas de blog.
N'ayant pas les ressources immodérées du marketing, nous nous bornerons à faire preuve d'une astuce qui a déjà fait ses preuves.
C'est François Valorbe, publiant son ouvrage intitulé Napoléon et Paris, qui donne la voie à suivre. L'auteur, ayant décidé d'être lu, s'était renseigné sur les titres les plus vendeurs, d'où icelui nommé ci-dessus - n'ayant du reste aucun rapport avec le contenu.
Désormais, ni Napoléon ni Paris ne font autant recette qu'en 1959, année de parution du livre, chez Losfeld.
Restent les chats.
Nous intitulerons donc ce bref article : «Les Chats de Napoléon à Paris» ce qui va rendre ce blog éminemment populaire et consensuel. Bien entendu, nous mettrons également une photo.





Il y a quelques articles de là, je faisais allusion à François Valorbe…
Voici ce que j’ai retrouvé :
« […] De toute façon Valorbe mérite de passer à la postérité pour un canular digne des meilleurs d’Alphy. Il m’avait apporté des contes qui me séduisirent d’emblée : malheureusement aucun des titres de ces contes ne pouvaient donner son titre à l’ouvrage. Le lendemain, il imagina une préface – stratagème qui était en fait un alibi pour le titre trouvé, Napoléon et Paris :
« Il était une fois un homme qui s’appelait Napoléon. Cet homme habitait Paris. Pour plus de précision, disons que notre héros avait Napoléon pour patronyme et ceci est assez rare, contrairement au prénom fort répandu un peu partout. Le sien de prénom devait être quelque chose comme Bonaparte. Pour plus de précision encore, il est bon d’ajouter que ce Bonaparte Napoléon habitait la petite ville du Kentucky qui répond au joli nom de Paris… Le présent texte n’est qu’un prétexte : celui de donner un titre au recueil. Un de nos amis, des mieux informés en la matière, nous ayant assuré que, best-sellers mis à part, les titres les plus aisément négociables sur le marché de la librairie sont, dans l’ordre, les nominatifs « Napoléon » et « Paris », nous avons pensé qu’il serait vraiment trop bête de passer à côté d’une affaire si belle et si facile. »
Ce livre, à cause de son titre, eut l’insigne honneur de figurer en bonne place dans la vitrine, consacrée à l’épopée impériale, d’un libraire voisin de l’École Militaire. »
On trouvera cet extrait dans :
Eric Losfeld : Endetté comme une mule, ou : La passion d’éditer – Belfond, 1979



Bien sûr, tout le livre est à lire intégralement et plusieurs fois !
Nous y reviendrons un jour, Eric Losfeld est un Personnage qui ne peut pas laisser indifférent…
Je ne possède pas le livre de Valorbe, bien que j’ai croisé ce volume plusieurs fois dans ma carrière professionnelle. Mais je ne désespère pas d’en retrouver un pour ma bibliothèque.
P.S. : Il est généralement d’usage de donner également la page ou se trouve l’extrait. Eh bien non, vous ne l’aurez pas. 
Z’avez qu’à lire le livre en entier !

Une historiette de Béatrice

Devant le coin romans (classement alphabétique) :
— « Et comment je fais pour trouver un roman écrit par un anonyme ?
— Quel titre cherchez-vous ?
— Moi, Christiane F., 13 ans, droguée, prostituée. »

Cette historiette a été publiée pour la première fois en novembre 2011 sur le blog Feuilles d'automne