jeudi 2 mai 2019

10/18 — Père Caron : Curé d'Indiens




Père Caron

Curé d'Indiens

n° 612 à 616

Paris, Union Générale d'Édition
Coll. 10/18
Série « 7 »

366 pages (368 pages)
Couverture de Pierre Bernard
Achevé d'imprimer : 13 octobre 1971
Dépôt légal : 4e trimestre 1971


(Contribution du Tenancier)
Index

mercredi 24 avril 2019

Une historiette de Béatrice

Après avoir attentivement lu le contenu du panier à 1 euro, elle en choisit un (le plus grand) et entre dans la boutique, avec son sac à main, deux sacs des emplettes précédentes, et un cabas. Et le livre à un euro.
Elle me règle et me demande si je n’ai pas un petit sac pour le ranger.

dimanche 21 avril 2019

Nous cheminons entourés de fantômes aux fronts troués

Le Tenancier vous avait, l’été dernier, mis en copie un extrait de l’ouvrage de Jean-François Vilar, Nous cheminons entourés de fantômes aux fronts troués. Puisque l’on ne peut s’acquitter aussi facilement d’un tel écrivain, voici la retranscription du roman en feuilleton radiophonique, avec le cortège de déceptions que recèle toujours une telle entreprise. En effet, rien n’est plus désagréable qu’une voix se substitue à celle de l’auteur, du moins à celle que l’on se figure lors d’une lecture. Quand bien même, l'évocation vaut la peine d'être écoutée. On vous recommande de toute façon tout Vilar et on tentera à l’avenir de retrouver encore de quoi vous appâter…

Épisode 1



Épisode 2
 

Épisode 3



On trouvera la notice de cette émission ici.

mardi 16 avril 2019

La mort d'André Gide

21 février 1951 : le « flash » arrive sur les téléscripteurs : dans son appartement de la rue Vaneau, André Gide vient de rendre le dernier soupir. Le chef des informations d’un journal du soir dépêche un reporter — le premier qui lui tombe sous la main ; un garçon qui, ordinairement, s’occupe des faits divers.
Une heure plus tard, coup de téléphone dudit, donné de la rue Vaneau :
— Sans intérêt : mort naturelle.

Jean-Paul Lacroix : La presse indiscrète (1967)

lundi 15 avril 2019

ND

Sans doute c’est encore aujourd’hui un majestueux et sublime édifice que l’église de Notre-Dame de Paris. Mais, si belle qu’elle se soit conservée en vieillissant, il est difficile de ne pas soupirer, de ne pas s’indigner devant les dégradations, les mutilations sans nombre que simultanément le temps et les hommes ont fait subir au vénérable monument, sans respect pour Charlemagne qui en avait posé la première pierre, pour Philippe-Auguste qui en avait posé la dernière.
Sur la face de cette vieille reine de nos cathédrales, à côté d’une ride on trouve toujours une cicatrice. Tempus edax, homo edacior. Ce que je traduirais volontiers ainsi : le temps est aveugle, l’homme est stupide.
Si nous avions le loisir d’examiner une à une avec le lecteur les diverses traces de destruction imprimées à l’antique église, la part du temps serait la moindre, la pire celle des hommes, surtout des hommes de l’art. Il faut bien que je dise des hommes de l’art, puisqu’il y a eu des individus qui ont pris la qualité d’architectes dans les deux siècles derniers.
Et d’abord, pour ne citer que quelques exemples capitaux, il est, à coup sûr, peu de plus belles pages architecturales que cette façade où, successivement et à la fois, les trois portails creusés en ogive, le cordon brodé et dentelé des vingt-huit niches royales, l’immense rosace centrale flanquée de ses deux fenêtres latérales comme le prêtre du diacre et du sous-diacre, la haute et frêle galerie d’arcades à trèfle qui porte une lourde plate-forme sur ses fines colonnettes, enfin les deux noires et massives tours avec leurs auvents d’ardoise, parties harmonieuses d’un tout magnifique, superposées en cinq étages gigantesques, se développent à l’œil, en foule et sans trouble, avec leurs innombrables détails de statuaire, de sculpture et de ciselure, ralliés puissamment à la tranquille grandeur de l’ensemble ; vaste symphonie en pierre, pour ainsi dire ; œuvre colossale d’un homme et d’un peuple, tout ensemble une et complexe comme les Iliades et les Romanceros dont elle est sœur ; produit prodigieux de la cotisation de toutes les forces d’une époque, où sur chaque pierre on voit saillir en cent façons la fantaisie de l’ouvrier disciplinée par le génie de l’artiste ; sorte de création humaine, en un mot, puissante et féconde comme la création divine dont elle semble avoir dérobé le double caractère : variété, éternité.
Et ce que nous disons ici de la façade, il faut le dire de l’église entière ; et ce que nous disons de l’église cathédrale de Paris, il faut le dire de toutes les églises de la chrétienté au moyen-âge. Tout se tient dans cet art venu de lui-même, logique et bien proportionné. Mesurer l’orteil du pied, c’est mesurer le géant.
Revenons à la façade de Notre-Dame, telle qu’elle nous apparaît encore à présent, quand nous allons pieusement admirer la grave et puissante cathédrale, qui terrifie, au dire de ses chroniqueurs : quæ mole sua terrorem incutit spectantibus.
Trois choses importantes manquent aujourd’hui à cette façade. D’abord le degré de onze marches qui l’exhaussait jadis au-dessus du sol ; ensuite la série inférieure de statues qui occupait les niches des trois portails, et la série supérieure des vingt-huit plus anciens rois de France, qui garnissait la galerie du premier étage, à partir de Childebert jusqu’à Philippe-Auguste, tenant en main « la pomme impériale ».
Le degré, c’est le temps qui l’a fait disparaître en élevant d’un progrès irrésistible et lent le niveau du sol de la Cité. Mais, tout en faisant dévorer une à une, par cette marée montante du pavé de Paris, les onze marches qui ajoutaient à la hauteur majestueuse de l’édifice, le temps a rendu à l’église plus peut-être qu’il ne lui a ôté, car c’est le temps qui a répandu sur la façade cette sombre couleur des siècles qui fait de la vieillesse des monuments l’âge de leur beauté.
Mais qui a jeté bas les deux rangs de statues ? qui a laissé les niches vides ? qui a taillé au beau milieu du portail central cette ogive neuve et bâtarde ? qui a osé y encadrer cette fade et lourde porte de bois sculpté à la Louis XV à côté des arabesques de Biscornette ? Les hommes ; les architectes, les artistes de nos jours.
Et si nous entrons dans l’intérieur de l’édifice, qui a renversé ce colosse de saint Christophe, proverbial parmi les statues au même titre que la grand’salle du Palais parmi les salles, que la flèche de Strasbourg parmi les clochers ? Et ces myriades de statues qui peuplaient tous les entre-colonnements de la nef et du chœur, à genoux, en pied, équestres, hommes, femmes, enfants, rois, évêques, gendarmes, en pierre, en marbre, en or, en argent, en cuivre, en cire même, qui les a brutalement balayées ? Ce n’est pas le temps.
Et qui a substitué au vieil autel gothique, splendidement encombré de châsses et de reliquaires ce lourd sarcophage de marbre à têtes d’anges et à nuages, lequel semble un échantillon dépareillé du Val-de-Grâce ou des Invalides ? Qui a bêtement scellé ce lourd anachronisme de pierre dans le pavé carlovingien de Hercandus ? N’est-ce pas Louis XIV accomplissant le vœu de Louis XIII ?
Et qui a mis de froides vitres blanches à la place de ces vitraux « hauts en couleur » qui faisaient hésiter l’œil émerveillé de nos pères entre la rose du grand portail et les ogives de l’abside ? Et que dirait un sous-chantre du seizième siècle, en voyant le beau badigeonnage jaune dont nos vandales archevêques ont barbouillé leur cathédrale ? Il se souviendrait que c’était la couleur dont le bourreau brossait les édifices scélérés ; il se rappellerait l’hôtel du Petit-Bourbon, tout englué de jaune aussi pour la trahison du connétable, « jaune après tout de si bonne trempe, dit Sauval, et si bien recommandé, que plus d’un siècle n’a pu encore lui faire perdre sa couleur ». Il croirait que le lieu saint est devenu infâme, et s’enfuirait.
Et si nous montons sur la cathédrale, sans nous arrêter à mille barbaries de tout genre, qu’a-t-on fait de ce charmant petit clocher qui s’appuyait sur le point d’intersection de la croisée, et qui, non moins frêle et non moins hardi que sa voisine la flèche (détruite aussi) de la Sainte-Chapelle, s’enfonçait dans le ciel plus avant que les tours, élancé, aigu, sonore, découpé à jour ? Un architecte de bon goût (1787) l’a amputé, et a cru qu’il suffisait de masquer la plaie avec ce large emplâtre de plomb qui ressemble au couvercle d’une marmite.
C’est ainsi que l’art merveilleux du moyen-âge a été traité presque en tout pays, surtout en France. On peut distinguer sur sa ruine trois sortes de lésions qui toutes trois l’entament à différentes profondeurs : le temps d’abord, qui a insensiblement ébréché çà et là et rouillé partout sa surface ; ensuite, les révolutions politiques et religieuses, lesquelles, aveugles et colères de leur nature, se sont ruées en tumulte sur lui, ont déchiré son riche habillement de sculptures et de ciselures, crevé ses rosaces, brisé ses colliers d’arabesques et de figurines, arraché ses statues, tantôt pour leur mitre, tantôt pour leur couronne ; enfin, les modes, de plus en plus grotesques et sottes, qui depuis les anarchiques et splendides déviations de la renaißance, se sont succédé dans la décadence nécessaire de l’architecture. Les modes ont fait plus de mal que les révolutions. Elles ont tranché dans le vif, elles ont attaqué la charpente osseuse de l’art, elles ont coupé, taillé, désorganisé, tué l’édifice, dans la forme comme dans le symbole, dans sa logique comme dans sa beauté. Et puis, elles ont refait ; prétention que n’avaient eue du moins ni le temps, ni les révolutions. Elles ont effrontément ajusté, de par le bon goût, sur les blessures de l’architecture gothique, leurs misérables colifichets d’un jour, leurs rubans de marbre, leurs pompons de métal, véritable lèpre d’oves, de volutes, d’entournements, de draperies, de guirlandes, de franges, de flammes de pierre, de nuages de bronze, d’amours replets, de chérubins bouffis, qui commence à dévorer la face de l’art dans l’oratoire de Catherine de Médicis, et le fait expirer, deux siècles après, tourmenté et grimaçant, dans le boudoir de la Dubarry.
Ainsi, pour résumer les points que nous venons d’indiquer, trois sortes de ravages défigurant aujourd’hui l’architecture gothique. Rides et verrues à l’épiderme, c’est l’œuvre du temps ; voies de fait, brutalités, contusions, fractures, c’est l’œuvre des révolutions depuis Luther jusqu’à Mirabeau. Mutilations, amputations, dislocation de la membrure, restaurations ; c’est le travail grec, romain et barbare des professeurs selon Vitruve et Vignole. Cet art magnifique que les vandales avaient produit, les académies l’ont tué. Aux siècles, aux révolutions qui dévastent du moins avec impartialité et grandeur, est venue s’adjoindre la nuée des architectes d’école, patentés, jurés et assermentés, dégradant avec le discernement et le choix du mauvais goût, substituant les chicorées de Louis XV aux dentelles gothiques pour la plus grande gloire du Parthénon. C’est le coup de pied de l’âne au lion mourant. C’est le vieux chêne qui se couronne, et qui, pour comble, est piqué, mordu, déchiqueté par les chenilles.
Qu’il y a loin de là à l’époque où Robert Cenalis, comparant Notre-Dame de Paris à ce fameux temple de Diane à Éphèse, tant réclamé par les anciens païens, qui a immortalisé Érostrate, trouvait la cathédrale gauloise « plus excellente en longueur, largeur, haulteur et structure » !
Notre-Dame de Paris n’est point du reste ce qu’on peut appeler un monument complet, défini, classé. Ce n’est plus une église romane, ce n’est pas encore une église gothique. Cet édifice n’est pas un type. Notre-Dame de Paris n’a point, comme l’abbaye de Tournus, la grave et massive carrure, la ronde et large voûte, la nudité glaciale, la majestueuse simplicité des édifices qui ont le plein cintre pour générateur. Elle n’est pas, comme la cathédrale de Bourges, le produit magnifique, léger, multiforme, touffu, hérissé, efflorescent de l’ogive. Impossible de la ranger dans cette antique famille d’églises sombres, mystérieuses, basses et comme écrasées par le plein cintre ; presque égyptiennes au plafond près ; toutes hiéroglyphiques, toutes sacerdotales, toutes symboliques ; plus chargées dans leurs ornements de losanges et de zigzags que de fleurs, de fleurs que d’animaux, d’animaux que d’hommes ; œuvre de l’architecte moins que de l’évêque ; première transformation de l’art, tout empreinte de discipline théocratique et militaire, qui prend racine dans le bas-empire et s’arrête à Guillaume le Conquérant. Impossible de placer notre cathédrale dans cette autre famille d’églises hautes, aériennes, riches de vitraux et de sculptures ; aiguës de formes, hardies d’attitudes ; communales et bourgeoises comme symboles politiques ; libres, capricieuses, effrénées, comme œuvre d’art ; seconde transformation de l’architecture, non plus hiéroglyphique, immuable et sacerdotale, mais artiste, progressive et populaire, qui commence au retour des croisades et finit à Louis XI. Notre-Dame de Paris n’est pas de pure race romaine comme les premières, ni de pure race arabe comme les secondes.
C’est un édifice de la transition. L’architecte saxon achevait de dresser les premiers piliers de la nef, lorsque l’ogive qui arrivait de la croisade est venue se poser en conquérante sur ces larges chapiteaux romans qui ne devaient porter que des pleins cintres. L’ogive, maîtresse dès lors, a construit le reste de l’église. Cependant, inexpérimentée et timide à son début, elle s’évase, s’élargit, se contient, et n’ose s’élancer encore en flèches et en lancettes comme elle l’a fait plus tard dans tant de merveilleuses cathédrales. On dirait qu’elle se ressent du voisinage des lourds piliers romans.
D’ailleurs, ces édifices de la transition du roman au gothique ne sont pas moins précieux à étudier que les types purs. Ils expriment une nuance de l’art qui serait perdue sans eux. C’est la greffe de l’ogive sur le plein cintre.
Notre-Dame de Paris est en particulier un curieux échantillon de cette variété. Chaque face, chaque pierre du vénérable monument est une page non seulement de l’histoire du pays, mais encore de l’histoire de la science et de l’art. Ainsi, pour n’indiquer ici que les détails principaux, tandis que la petite Porte-Rouge atteint presque aux limites des délicatesses gothiques du quinzième siècle, les piliers de la nef, par leur volume et leur gravité, reculent jusqu’à l’abbaye carlovingienne de Saint-Germain-des-Prés. On croirait qu’il y a six siècles entre cette porte et ces piliers. Il n’est pas jusqu’aux hermétiques qui ne trouvent dans les symboles du grand portail un abrégé satisfaisant de leur science, dont l’église de Saint-Jacques-de-la-Boucherie était un hiéroglyphe si complet. Ainsi, l’abbaye romane, l’église philosophale, l’art gothique, l’art saxon, le lourd pilier rond qui rappelle Grégoire VII, le symbolisme hermétique par lequel Nicolas Flamel préludait à Luther, l’unité papale, le schisme, Saint-Germain-des-Prés, Saint-Jacques-de-la-Boucherie, tout est fondu, combiné, amalgamé dans Notre-Dame. Cette église centrale et génératrice est parmi les vieilles églises de Paris une sorte de chimère ; elle a la tête de l’une, les membres de celle-là, la croupe de l’autre ; quelque chose de toutes.
Nous le répétons, ces constructions hybrides ne sont pas les moins intéressantes pour l’artiste, pour l’antiquaire, pour l’historien. Elles font sentir à quel point l’architecture est chose primitive, en ce qu’elles démontrent, ce que démontrent aussi les vestiges cyclopéens, les pyramides d’Égypte, les gigantesques pagodes hindoues, que les plus grands produits de l’architecture sont moins des œuvres individuelles que des œuvres sociales ; plutôt l’enfantement des peuples en travail que le jet des hommes de génie ; le dépôt que laisse une nation ; les entassements que font les siècles ; le résidu des évaporations successives de la société humaine ; en un mot, des espèces de formations. Chaque flot du temps superpose son alluvion, chaque race dépose sa couche sur le monument, chaque individu apporte sa pierre. Ainsi font les castors, ainsi font les abeilles, ainsi font les hommes. Le grand symbole de l’architecture, Babel, est une ruche.
Les grands édifices, comme les grandes montagnes, sont l’ouvrage des siècles. Souvent l’art se transforme qu’ils pendent encore : pendent opera interrupta ; ils se continuent paisiblement selon l’art transformé. L’art nouveau prend le monument où il le trouve, s’y incruste, se l’assimile, le développe à sa fantaisie et l’achève s’il peut. La chose s’accomplit sans trouble, sans effort, sans réaction, suivant une loi naturelle et tranquille. C’est une greffe qui survient, une sève qui circule, une végétation qui reprend. Certes, il y a matière à bien gros livres, et souvent histoire universelle de l’humanité, dans ces soudures successives de plusieurs arts à plusieurs hauteurs sur le même monument. L’homme, l’artiste, l’individu s’effacent sur ces grandes masses sans nom d’auteur ; l’intelligence humaine s’y résume et s’y totalise. Le temps est l’architecte, le peuple est le maçon.
À n’envisager ici que l’architecture européenne chrétienne, cette sœur puînée des grandes maçonneries de l’Orient, elle apparaît aux yeux comme une immense formation divisée en trois zones bien tranchées qui se superposent : la zone romane, la zone gothique, la zone de la renaissance, que nous appellerions volontiers gréco-romaine. La couche romane, qui est la plus ancienne et la plus profonde, est occupée par le plein cintre, qui reparaît porté par la colonne grecque dans la couche moderne et supérieure de la renaissance. L’ogive est entre deux. Les édifices qui appartiennent exclusivement à l’une de ces trois couches sont parfaitement distincts, uns et complets. C’est l’abbaye de Jumièges, c’est la cathédrale de Reims, c’est Sainte-Croix d’Orléans. Mais les trois zones se mêlent et s’amalgament par les bords, comme les couleurs dans le spectre solaire. De là les monuments complexes, les édifices de nuance et de transition. L’un est roman par les pieds, gothique au milieu, gréco-romain par la tête. C’est qu’on a mis six cents ans à le bâtir. Cette variété est rare. Le donjon d’Étampes en est un échantillon. Mais les monuments de deux formations sont plus fréquents. C’est Notre-Dame de Paris, édifice ogival, qui s’enfonce par ses premiers piliers dans cette zone romane où sont plongés le portail de Saint-Denis et la nef de Saint-Germain-des-Prés. C’est la charmante salle capitulaire demi-gothique de Bocherville à laquelle la couche romane vient jusqu’à mi-corps. C’est la cathédrale de Rouen qui serait entièrement gothique si elle ne baignait pas l’extrémité de sa flèche centrale dans la zone de la renaissance.
Du reste, toutes ces nuances, toutes ces différences n’affectent que la surface des édifices. C’est l’art qui a changé de peau. La constitution même de l’église chrétienne n’en est pas attaquée. C’est toujours la même charpente intérieure, la même disposition logique des parties. Quelle que soit l’enveloppe sculptée et brodée d’une cathédrale, on retrouve toujours dessous, au moins à l’état de germe et de rudiment, la basilique romaine. Elle se développe éternellement sur le sol selon la même loi. Ce sont imperturbablement deux nefs qui s’entrecoupent en croix, et dont l’extrémité supérieure arrondie en abside forme le chœur ; ce sont toujours des bas-côtés, pour les processions intérieures, pour les chapelles, sortes de promenoirs latéraux où la nef principale se dégorge par les entre-colonnements. Cela posé, le nombre des chapelles, des portails, des clochers, des aiguilles, se modifie à l’infini, suivant la fantaisie du siècle, du peuple, de l’art. Le service du culte une fois pourvu et assuré, l’architecture fait ce que bon lui semble. Statues, vitraux, rosaces, arabesques, dentelures, chapiteaux, bas-reliefs, elle combine toutes ces imaginations selon le logarithme qui lui convient. De là la prodigieuse variété extérieure de ces édifices au fond desquels réside tant d’ordre et d’unité. Le tronc de l’arbre est immuable, la végétation est capricieuse.
Victor Hugo : Notre Dame de Paris

mercredi 10 avril 2019

10/18 — Alexandre Dumas : Mille et un fantômes




Alexandre Dumas

Mille et un fantômes

Suivi de
La femme au collier de velours
Introduction par Hubert Juin

n° 911

Paris, Union Générale d'Édition
Coll. 10/18

440 pages (448 pages)
Dépôt légal : 1er trimestre 1975
Achevé d'imprimer le 23 décembre 1974
Volume sextuple


(Contribution du Tenancier)
Index

dimanche 7 avril 2019

Idylle dans une bibliothèque

Mon père semblait vouloir profiter du répit que lui laissait sa maladie pour achever les aménagements entrepris à Broglie. Les deux bibliothèques nouvelles étaient terminées. Il s’agissait de ranger les livres venus de Paris dont les caisses s’entassaient depuis la mort de mon grand-père en 1901 dans les écuries. Mais le classement de ces volumes que l’on voulait intégrer dans la bibliothèque principale posait des problèmes que seul un spécialiste pouvait résoudre. Mon père s’adressa au baron de Barante. La famille de Barante avait été très liée avec Mme de Staël et le château de Barante contenait une bibliothèque presque aussi considérable que celle de Broglie. Elle avait été reclassée récemment. Le baron de Barante recommanda sans hésiter un bibliothécaire émérite que mon père engagea aussitôt pour la saison. M. Marie-Louis P. était un Belge originaire de Liège, connu pour ses travaux sur les incunables. On s’attendait à un vieil érudit et on fut surpris de voir arriver un grand jeune homme bien tourné avec de beaux yeux et une superbe moustache. Il parlait beaucoup, sa verve était intarissable et son savoir immense. Il avait tout lu, tout étudié. Dès le premier jour, je fus médusée. Je passais des heures avec lui au milieu des livres amoncelés par terre en tas sur le plancher. Il fallait réunir les tomes, les chercher un à un, classer d’après l’auteur ou la matière, décider de la place la plus logique pour chaque ouvrage. Perché sur la grande échelle, Maris-Louis P. prenait le livre que le lui tendais, en lisait quelques lignes avec des remarques pertinentes puis casait le volume sur un rayon, classant et reclassant sans cesse. Je prenais un intérêt prodigieux à ce travail géant qui semblait devoir être sans fin. J’en oubliais les jeux, les promenades, les lectures chez ma grand-mère, les lettres à mon amie de cœur. Il fallait me forcer à faire quelques tours de parc en bicyclette ou même aller à Trouville voir la mer que j’aimais tant. Plus rien n’existait pour moi en dehors de cet univers de quarante-cinq mille volumes dominé par un séduisant bibliothécaire. Cela dura environ deux mois. Le jeu était dangereux, mes parents ne s’apercevaient de rien. Vers le 15 août mon frère Maurice et ma sœur me proposèrent d’aller passer quelques jours à Dieppe. […] une dépêche alarmante nous rappela à Broglie. C’était le 20 août : l’état de mon père s’était brusquement aggravé. Il fallait revenir en toute hâte pour trouver une situation presque désespérée. Des crises de suffocation se renouvelaient malgré la présence de deux médecins. J’appris dès l’arrivée que devant l’inquiétude croissante Marie-Louis P. avait cru discret de se retirer, laissant son immense classement inachevé. La bibliothèque était vide, les derniers livres rangés en hâte sur les planches du bas. L’espèce de chagrin que je ressentis en apprenant la nouvelle me fit mesurer avec effroi l’emprise que le jeune homme avait exercée sur moi. L’émotion fut augmentée par l’arrivée d’une lettre qui me parvint par miracle. Elle était correctement adressée à « Mlle de Broglie, aux bons soins de la duchesse de Broglie ». Un domestique me l’apporta sur un plat d’argent sans qu’elle ait été ouverte. Ma mère, hélas, avait d’autres soucis. En quelques lignes sobres, Marie-Louis P. m’exprimait sa reconnaissance pour l’aide que je lui avais apportée et son regret d’avoir quitté Broglie sans pouvoir me dire adieu, mais il ajoutait cette phrase romantique et pour moi bouleversante : « Bien qu’un abîme social nous sépare, croyez, Mademoiselle que je ne vous oublierai jamais ». Cette déclaration voilée me produisit un choc affreux. C’était la première fois que de pareilles paroles m’étaient adressées. J’avais lu de mauvais et de bons romans, je n’ignorais pas les plus belles pages de Jean-Jacques Rousseau, mais jamais ne ne m’étais vue dans le rôle de la Nouvelle Héloïse. Puis voilà que me revenaient des souvenirs. N’avait-il pas un soir appuyé sa main sur mon épaule sous prétexte de me remettre mon écharpe ? Une autre fois en lui tendant un livre, ses lèvres n’avaient-elles pas effleuré mes doigts ? Comment était-il possible que je n’avais rien vu, rien remarqué. Je brûlai la lettre dans ma petite chambre mansardée près de la grosse tour et je pleurai toute la nuit sur ce bonheur impossible avec l’attristante pensée qu’en raison de « l’abîme social » l’amour me serait toujours interdit. Marie-Louis P. était-il réellement parti à cause de l’état de mon père, ou bien ma vieille nurse anglaise qui passait ses vacances dans le château était-elle intervenue pour quelque chose dans ce départ brusqué ? Je l’ai toujours soupçonné et je pense aujourd’hui que si cela est vrai, c’est le plus grand service qu’elle m’ait jamais rendu.

Comtesse de Pange : Comment j'ai vu 1900
Tome II : Confidences d'une jeunes fille

jeudi 4 avril 2019

La bibliothèque du docteur

Hugot
Les consultations de l'excellent docteur Oehlenshläger
« Le docteur boit du rouge »
in : Charlie mensuel n° 86, mars 1976

mardi 2 avril 2019

Le secret du vélo

Moi que le mois passé, distançait la tortue
Aujourd'hui je détiens les plus âpres records
Et ferme sur ma selle, ainsi qu'une statue —
De Mayeux — ma bécane et moi n'avons qu'un
Par quelle miracle ou par quelle sévère études corps.
Poursuivie ardemment — même en rêve — ai-je pu.
Domptant à tout jamais ma coquette habitude
De me flanquer par terre, être à la fin repu
De gloire triomphale à vélo ? C'est la chose,
Mesdames et Messieurs, que je viens vous crier.
Vous allez tout savoir comment, sans ecchymose
Je chevauche à présent garni de pneus, l'acier !
Un jour je vis un chien — l'épargne de la fourrière —
Qui grattait follement l'asphalte d'un trottoir,
Avec des mouvements de pattes en arrière !
« Ciel, me dis-je, Euréka ! » Soyons ça dès ce soir
Et le soir, oubliant que plus que la vaisselle,
L'homme est fragile, hélas. Avec un gai fredon,
J'enfourchai hardiment l'as de cœur de ma selle,
L'orteil à la pédale et la paume au guidon.
Admirable départ ! J'entrai dans la carrière
Bien avant nos ainés.
                                 ... Courbé sur mon vélo,
Sans jamais rien voir et de mes pieds de derrière,
Grattant, grattant, grattant ! Quel ravissant tableau !
Je filai d'un train à déconcerter la brise
Et tels des voyageurs mordus par un cobra,
Les passants s'arrêtaient figés dans leur surprise,
Ma bécane, étonnée, un instant se cabra :
Mais son maître était né ! Volcan rempli de lave !
Et sous mes durs mollets — charmants dans leurs tricots —
Elle plia, vaincue en silence, l'esclave,
Et le bravo public enroua les échos.
C'est ainsi que, parti de mon illustre rue
Arsène-Houssaye six, je suis allé jusqu'à
Belfort, Saint-Petersbourg, bornant toujours ma vue
Aux boudins de mes pneus... et jusqu'à Kamstchatka.
J'eusse atterri sans voir une fois, une seule,
Le Zénith !! À quoi bon, chevalier du jarret !
Ne rien voir et tourner, tourner toujours la meule,
Le voilà le fin mot de notre beau secret.
Je vous livre le truc. Ah ! de toute mon âme,
Mesdames et Messieurs ! Usez-en dès ce soir.
Mais il faut le Rayon ! et le Muscle ! et la Flamme !!!
Avec mon coup du chien qui gratte le trottoir.

Récité et mimé par Coquelin Cadet, de la Comédie Française
Poésie de M. Ernest d'Hervilly
Photographhies de M. da Cunha
La Vie au Grand Air
n° 42 — 2 juillet 1899

dimanche 31 mars 2019

Se laisser faire

Le Tenancier aime, malgré ses dénégations vigoureuses, ces petits coups du destin qui le font mentir. Ainsi, déclarant il y a quelque temps qu’il ne se livrerait pas à la réparation d’une nostalgie, voulant rester sur une saveur d’enfance, voici qu’il se trouve confronté à un artefact l’y renvoyant. Sans faire d’effort particulier, une histoire liée à la jeunesse du Tenancier resurgit. Il a cédé et l'a pris.
On conclura de notre côté que, dans ce temps imparti qui passe, nous presse et nous pousse, nous l’occupons à nous leurrer. La leçon vaut parfois le coup.

samedi 30 mars 2019

Où le Tenancier s'apitoie (et il sent qu'il va le regretter...)

Le Tenancier sait que certains de ses lecteurs s’engluent dans une navrante nostalgie. Il suffit de voir quels articles sont consultés couramment ici. Si on les écoutait, on se verrait contraint de rouvrir les anciens dossiers — et pourquoi pas les anciens blogues. Ces pouacres s’imaginent donc que l’âge contribue à la vertu. Tant d’apitoiement sur soi écœure. Tant pis pour eux, nous ne perdurerons plus à nous porter garant de leur sauvegarde. Donnons leur cette pitoyable pitance, regrets, soupirs et chagrins.
Nous rouvrons l’accès à notre ancien blogue.

https://feuillesd-automne.blogspot.com/

vendredi 29 mars 2019

Tourne, tourne le petit astronaute et ne redescend plus...

Le Tenancier n’a pas toujours été Tenancier, savez-vous ?
Il a eu la chance de faire un peu de microédition. Tout vous sera exposé ici (après une tentative incomplète sur le présent blogue il y a pas mal de temps).

Lectures prérévolutionnaires

L’autre jour, votre Tenancier remarquait la parution du livre de Robert Darnton, Un tour de France littéraire qui selon son sous-titre évoque « Le monde du livre à la veille de la Révolution ». À la vérité, on le renvoyait à une lacune importante dans sa culture personnelle, car cette période lui est à peu près inconnue, faute d’autant moins explicable qu’il détenait par ailleurs un ouvrage largement antérieur du même auteur, publié la première fois en 1983 qui s’intitulait Bohème littéraire et Révolution, doté d’un sous-titre plus général, mais qui aurait pu être échangé avec la publication plus récente puisqu’ici il était question du « monde des livres au xviiie siècle ». On l’avait certes un peu picoré, et notamment toute la première partie qui décrivait la population des écrivassiers de soupentes, auteurs de libelles et de pamphlets, « philosophes ratés », mais vrais pornographes, où certains allaient réapparaître à la Révolution sous d’autres habits : Desmoulins, Hébert ou Marat, par exemple. Certains, à l’époque incertaine des publications sous le manteau ne craignaient pas d’émarger à la police en mouchardant et Darnton de donner des exemples tirés des archives de cette police. Ce chapitre délectable et étonnant ne se retrouve pas dans Le tour de France littéraire, qui s’attache plus à ce qui fait aussi la plus grande matière de la Bohème littéraire, c’est-à-dire le commerce clandestin du livre. Celui-ci atteint des proportions ahurissantes, qui nous poussent à réévaluer l’image que nous possédons de la vie intellectuelle de l’époque et sur la présence de certains ouvrages dans les bibliothèques, certainement surévaluées. Le constat peut sans doute s’effectuer sans peine à notre époque contemporaine : combien de livres inutiles gisent dans les bibliothèques, destinés à l’oubli et combien passeront le cap d’une certaine postérité. Le phénomène reste vérifiable dans les bibliothèques du xxe et du xixe siècle, d’autant plus commodément que nous possédons des traces de la circulation des livres grâce aux catalogues d’éditeurs et de bien d’autres sources documentaires. Il se trouve que dans la période prérévolutionnaire, nombre d’ouvrages de contrebande provenaient de philosophes des lumières et que les ballots des contrebandiers contenaient aussi bien ces titres-là que des pamphlets ou des œuvres philosophiques, au point que le terme devint l’appellation pudique pour des ouvrages quelque peu enlevés. De là, difficile de quantifier et d’évaluer la teneur exacte de la contrebande. Darnton dans le premier essai avance avec prudence sur le sujet, puisqu’il reste difficile de retrouver des traces abondantes des commandes de clientèles (en revanche on en découvre de la part des libraires aux imprimeurs situés hors de France, comme à Genève). Un autre aspect de La Bohème littéraire — somme de plusieurs conférences qui ont pour certaines quarante-cinq ans — revient au constat que le mécontentement politique et social s’alimente des libelles qui font état de la vie dissolue à la cour, les scandales qui mettent en scène clergé et noblesse, alimentés par des faits divers et des exactions… Bien évidemment, ce phénomène renvoie à toutes les situations où une société vacille sur ses bases, lorsqu’elle s’alimente à d’autres sources que les organes autorisés. L’évocation possède quelques résonnances à notre époque, même si les informations ne passent plus par une contrebande organisée (mais que l’on aimerait bien réprimer tout de même). La production subversive, variée, clandestine recèle quelques pépites. L’an 2440 de Louis-Sébastien Mercier en fait partie. En cela, il faut sans doute recommander de lire Bohème littéraire et Révolution avant Un tour de France littéraire, qui explore la structure du commerce clandestin, le premier opus servant d’ouverture. Cette ouverture vaut certainement pour au moins deux autres titres de l’auteur : Édition et sédition — L’univers de la littérature clandestine au xviiie siècle et L’affaire des quatorze — Poésie, police et réseaux de communication à paris au xviiie siècle. Il semble bien que l’effort de transposition ne soit pas si ardu à une époque où l’écrit ou la lecture redeviennent des fonctions subversives et où la police inspecte de nouveau les bibliothèques personnelles pour identifier le délinquant politique.
Pour conclure provisoirement, mettons sous les yeux de nos lecteurs un bout de la transcription de Darnton d’archives policières :

MERCIER : « Avocat, homme bizarre, farouche ; il ne plaide ni ne consulte. Il n’est pas sur le tableau, mais il prend le titre d’avocat. Il a fait le Tableau de Paris en quatre volumes et d’autres ouvrages. Ayant peur de la Bastille, il s’en est allé, puis il est revenu et il voudrait s’attacher à la police. »
MARAT : Hardi charlatan. M. Vicq d’Azir demande au nom de la Société Royale de Médecine qu’il soit chassé de Paris. Il est de Neuchâtel en Suisse. Beaucoup de malades sont morts dans ses mains. Mais il a un brevet de médecin qu’on lui a acheté. »

samedi 16 mars 2019

Révisons nos classiques


Georgius  

Le Cid 

Ah, si Corneille entendait ça !

Ah, la drôle d'histoire que je vais chanter là !
Au petit village de Santa Madonna
Habitait Rodrigue
Un brave et beau zigue
Qui avait du poil sur l'estomac

Son père qui était un roublard, et comment !
Qu'aimait pas s' biler, qu'était un peu fainéant
Avait la manière
De tout lui faire faire
En le prenant par les sentiments

— Rodrigue, as-tu du cœur ?
— Tout autre que mon père l'éprouverait sur l'heure !
— Ah bon ? Alors va me chercher un paquet d' cigarettes
Balaye le garage, gonfle ma bicyclette
Rodrigue, as-tu du cœur ?
— Je t'en supplie, papa, ne doute pas d' mon honneur !
— Bravo, mon cher enfant, j'aime ta dignité
Alors, cire mes chaussures et fais-les bien briller
Olé !

À la grande ville, tous les dimanches matin
Ils s'en vont tous deux pour se distraire un brin
C'est le beau Rodrigue
Qui est l' fils prodigue
Le père avare n'a pas un rotin
Pour se taper la cloche ils entrent bientôt
À l'Hostellerie du Canard aux Pruneaux
Le papa commande
Une grosse limande
Et s'écrie devant le plat bien chaud

— Rodrigue, as-tu du cœur ?
— Tout autre que mon père l'éprouverait sur l'heure !
— Très bien. Alors coupe le poisson qui est dans mon assiette
Donne-moi les filets et mange les arêtes
Rodrigue, as-tu du cœur ?
— Papa, je t'en supplie, ne doute pas d' mon honneur !
— Bravo, mon cher enfant, t'es noble comme un lion
Alors, appelle la bonne et règle l'addition
C'est bon !

Le père adorait les courses de taureaux
Il entre aux arènes avec son grand Roro
Le combat fait rage
C'est un vrai carnage
Jamais on n' vit plus méchant taureau
Il a déjà tué quatorze picadors
Six banderillos et le toréador
Une panique immense
Secoue l'assistance
Le papa s' lève et remet ça encore

— Rodrigue, as-tu du cœur ?
— Tout autre que mon père l'éprouverait sur l'heure !
— Parfait ! Alors, cours au taureau qui prend cet air bravache
Et dis-lui de ma part que c'est une vieille vache
Rodrigue, as-tu du cœur ?
— Oh oui, papa, j'en ai, j' vais te l' prouver sur l'heure
Car je viens de comprendre que tu étais cinglé
Je vais t' faire interner
À l'asile d'aliénés

Allez, à la douche !

mercredi 13 mars 2019

Sur l'imparfait du Subjonctif

On raconte que dans un grand hebdomadaire parisien un seul auteur avait un libre accès à l’imparfait du subjonctif. Se voyant concurrencé par un nouveau venu, qui prétendait aussi en faire jouir ses lecteurs, il fit tant et si bien que l’arrogant fut renvoyé dans sa province.
Le propre de l’imparfait du subjonctif est d’être à la fois un cadavre et un survivant.
Cadavre : « L’exemple le plus célèbre de cette évolution du français est la disparition de l’imparfait du subjonctif tué par le ridicule et l’almanach Vermot. Les que je susse, que je visse, n’ont pas résisté aux plaisanteries les plus élémentaires et l’enseignement officiel a même éliminé ce malheureux temps. » C’est Raymond Queneau qui l’affirme (Bâtons, chiffres et lettres)
Survivant : « Il s’impose encore, non seulement pour les livres, mais pour les journaux. Comme le passé simple, il n’a plus qu’une existence littéraire. Mais il ne faudrait pas en conclure que sa disparition est prochaine […] Les formes de l’imparfait du subjonctif sont précieuses pour l’écrivain […]. » C’est Brunot et Bruneau qui le disent (Précis de, grammaire historique de la langue française).
Cadavre dans la langue parlée, survivant dans la langue écrite.

Jacques Drillon : Propos sur l’imparfait (1999)

mardi 5 mars 2019

Bibliographie

Les plus curieux d’entre vous ont certainement noté la présence d’une bibliographie de votre serviteur dans une des pages de ce blog. Celle-ci se trouve à l’étroit et manque de clarté, c’est la raison pour laquelle une nouvelle est en cours d’élaboration sur un mini site que l’on vous invite à découvrir en cliquant sur l’image ci-dessous. Accessoirement, vous serez informés de quelques ouvrages à paraître…
https://sites.google.com/view/biblio-letort/accueil

On procédera sous peu à l'élimination de la page du blog.

dimanche 3 mars 2019

Évocation de John T. Sladek



John T. Sladek
Rapport sur la migration du matériel éducatif 
In Un garçon à vapeur (1977)


jeudi 28 février 2019

Raconter le processus

Certes, l’auteur ne doit pas interpréter. Mais il peut raconter pourquoi et comment il a écrit. Les essais de poétique ne servent pas toujours à comprendre l’œuvre qui les a inspirés, mais ils servent à comprendre comment on résout ce problème technique qu’est la production d’une œuvre.
Poe, dans sa Genèse d’un poème raconte comment il écrit Le Corbeau. Il ne nous dit pas comment nous devons le lire, mais quels problèmes il s’est posé pour réaliser un effet poétique. Et je définirais l’effet poétique comme la capacité, exhibée par un texte, de générer des lectures toujours différentes, sans que jamais on en épuise les possibilités.
L’écrivain (ou le peintre ou le sculpteur ou le compositeur) sait toujours ce qu’il fait et ce que cela lui coûte. Il sait qu’il doit résoudre un problème. Les données de départ sont peut-être obscures, pulsionnelles, obsédantes, ce n’est souvent rien de plus qu’une envie ou un souvenir. Mais ensuite, le problème se résout sur le papier, en interrogeant la matière sur laquelle on travaille — matière qui exhibe ses propres lois naturelles mais qui en même temps amène avec elle le souvenir de la culture dont elle est chargée (l’écho de l’intertextualité).
Quand l’auteur nous dit qu’il a travaillé sous le coup de l’inspiration, il ment. Genius is twenty per cent inspiration and eighty per cent perspiration.
Lamartine écrivit à propos d’un de ses célèbres poèmes dont j’ai oublié le titre qu’il était né en lui d’un seul jet, par une nuit de tempête, dans un bois. À sa mort, on retrouva les manuscrits avec les corrections et les variantes : c’étaient le poème le plus « travaillé » de toute la littérature française !
Quand l’écrivain (ou l’artiste en général) dit qu’il a travaillé sans penser aux règles du processus il veut seulement dire qu’il travaillait sans savoir qu’il connaissait la règle.  Un enfant parle très bien sa langue maternelle et pourtant il ne saurait en écrire la grammaire. Mais le grammairien n’est pas le seul à connaître les règles de la langue parce que l’enfant, sans le savoir, les connaît très bien lui aussi : le grammairien sait pourquoi et comment l’enfant connaît la langue.
Raconter comment on écrit ne signifie pas prouver que l’on a « bien » écrit. Poe disait que « l’effet de l’œuvre est une chose et la connaissance du processus en une autre ». Quand Kandinsky ou Klee nous racontent comment ils peignent, ils ne nous disent pas si l’un des deux est meilleur que l’autre. Quand Michel-Ange nous dit que sculpter signifie libérer de son oppression la figure déjà inscrite dans la pierre, il ne nous dit pas si la Pietà du Vatican est plus belle que la Pietà Rondanini. Il arrive que les pages les plus lumineuses sur les processus artistiques aient été écrites par des artistes mineurs qui réalisaient des effets modestes mais savaient bien réfléchir sur leur propre processus : Vasari, Horatio Greenough, Aaron Copland…

Umberto Eco : Apostille au Nom de la rose