Je connaissais toutes les librairies de New York dans
lesquelles on trouvait des livres français.
Leurs propriétaires, vieux et juifs pour la plupart me
laissaient errer dans les réserves. Ils comprenaient. Lorsque je poussais la
porte, ils faisaient une mine à la fois grognonne et narquoise, hochaient la
tête ; puis avec un soupir, ils se levaient, tournaient des boutons :
la magie des couloir s’illuminait ; sans un mot ils regagnaient leur coin,
se penchaient de nouveau sur leurs paperasses. J’entrais dans un silence
immortel.
Il est certain que je fus souvent
guidé. Tout se passait comme si une invisible Sagesse se fût
condensée en clé pour m’ouvrir certaines portes. Les ouvrages que je voulais —
que je devais — connaître, en cette heure essentielle de la jeunesse, l’
Ange des livres aussitôt les plaçait
entre mes mains.
Il existe indubitablement — ainsi que Breton a tenté de
l’établir dans les parties scientifiques de son œuvre — une
connexion occulte entre le désir et son
objet.
Occulte parce que l’objet ne se donne pas toujours à qui le
convoite quand il le convoite. De sorte que les sceptiques ont beau jeu, qui
prétendent que cette connexion est illusoire, et que ceux qui y croient sont
les dupes de leur imagination.
De fait, Il ne serait pas trop difficile de montrer qu’ici
comme ailleurs ce sont les sceptiques qui sont les dupes de leur scepticisme,
lequel empêche les phénomènes dont ils nient l’existence de se produire.
Charles Duits : André Breton a-t-il dit passe (1969)