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samedi 1 juin 2024

Bibliographie commentées des Minilivres aux éditions Deleatur — 36


Jacques Abeille

Le peintre défait
par son modèle

Angers — Éditions Deleatur, 1999
Plaquette 7,5 X 10,5 cm, 16 pages, dos agrafé, couverture à rabats, pas de mention de tirage
Achevé d'imprimer en novembre 1999 sur les presses de Deleatur pour le compte de quelques amateurs



Le Tenancier : Je connais peu d’écrivains capables d’une tension dans le style, telle que la pratiquait Jacques Abeille. L’évocation d’un peintre dans son atelier et de l’inévitable intermède érotique s’écarte de toute banalité, en peu de mots. Il faut rappeler que Jacques Abeille n’était pas tout à fait étranger avec l’univers pictural.
 
Pierre Laurendeau : Lorsque j’ai lancé la collection des Minilivres, Jacques Abeille n’était pas plus enthousiaste que cela (contrairement à la Nouvelle Postale, à laquelle il avait adhéré tout de suite, avec Le Voyageur attardé). La parution de La Lettre de Terrèbre (numéro 15), puis la reprise d’Un cas de lucidité (numéro 23) a créé une sorte de rendez-vous régulier, avec des propositions toujours calibrées pour la collection.
La relation du peintre et du modèle (qui horrifierait aujourd’hui les tenantes d’un féminisme antisexuel) est très présente dans l’œuvre de Jacques – surtout chez Léo Barthe, son double pornographe (notamment le dernier ouvrage paru à la Musardine, Princesse Johanna).
Jacques Abeille, qui enseignait les arts plastiques dans un lycée bordelais, a toujours dessiné et peint. Les enveloppes de ses courriers, en papier bulle marron, étaient souvent agrémentées de petits tableaux semi-abstraits. Il serait amusant de les exposer, car je pense ne pas avoir été le seul destinataire de ces œuvres éphémères. Entre les cours, il ramassait les « épaves » de ses élèves et se laissait aller à des rêveries graphiques en utilisant les accidents des ébauches ou des découpes du papier.
 
Pour revenir au Peintre défait par son modèle, citons l’incipit : « Dans le tableau que nous avons inspiré au peintre les personnages ne nous ressemblent pas trait pour trait. Toutefois, dans l’image on retrouve la lumière de notre histoire. En ce temps-là, je voulais être un peintre et vous étiez mon modèle préféré. Vous étiez très jeune et, d’apparence, très sage. Je vous revois dans cette robe ample qui ne laissait soupçonner qu’à peine votre corps. »
Que dire de plus ?

lundi 18 décembre 2023

Bibliographie commentée des Minilivres aux éditions Deleatur — 23


Jacques Abeille

Un Cas
de lucidité


Angers — Éditions Deleatur, 1996
Plaquette 7,5 X 10,5 cm, 16 pages, dos agrafé, couverture à rabats, pas de mention de tirage
Achevé d'imprimer en octobre 1995 sur les presses de Deleatur pour le compte de quelques rêveurs



Le Tenancier : Voici un titre paradoxal, puisque les événements décrits dans ce récit se déroulent au début dans les limites de la conscience. Ajoutons que ce texte sensuel, érotique, reprend les conventions du conte libertin, avec un « châtiment » final digne des moralistes de l’époque. Je ne sais pas pourquoi exactement, mais ce récit m’a fait songer à Crébillon. Enfin, la note finale résonne particulièrement pour moi et d’ailleurs pour tous ceux qui se sont confrontés au thème de la mémoire. Le conte a été achevé à 4 heures du matin et cette annotation explique assez son atmosphère…
 
Pierre Laurendeau : Cette nouvelle troublante avait été inspirée à Jacques Abeille par un très beau roman d’Henri Thomas (un auteur un peu oublié de nos jours), La Nuit de Londres, dont Jacques cite un passage en exergue : « L’épouse que Mr. Smith étreint dans la nuit noire n’est pas la compagne de tous les jours... » Il semble me souvenir également que le texte fut inspiré par un rêve.
La première édition d’Un Cas de lucidité parut en 1984 dans la collection « La Petite Bibliothèque de littérature portative », animée par ma femme, Agnès Jehier de 1981 à 1988. Les minilivres ont d’ailleurs accueilli un autre ouvrage de cette belle collection, que l’on découvrira au numéro 26. Pour les amateurs de raretés, certains ouvrages de la « Petite Bibliothèque de littérature portative » sont proposés par des libraires spécialisés entre 25 € et 200 € (je découvre qu’un de ces libraires propose L’Écriture du désert, du même auteur, à 24,90 €… alors que le livre est toujours disponible au catalogue de Deleatur au prix initial de 8 €.
Un Cas de lucidité a été repris dans un recueil de nouvelles paru à L’Escampette, Celles qui viennent avec la nuit.

lundi 20 novembre 2023

Bibliographie commentée des Minilivres aux éditions Deleatur — 15


Jacques Abeille
Lettre 
de Terrèbre

Angers — Éditions Deleatur, 1995
Plaquette 7,5 X 10,5 cm, 16 pages, dos agrafé, couverture à rabats, pas de mention de tirage
Achevé d'imprimer en octobre 1995 sur les presses de Deleatur pour le compte de quelques voyageurs



Le Tenancier : Tu as été pendant longtemps l’éditeur de Jacques Abeille, pour Le Cycle des Contrées ainsi que d’autres textes proches de cet univers Cette Lettre de Terrèbre brouille la limite entre le narrateur et l’écrivain, convoquant également son alter ego, Leo Barthe. Cette frontière en question concerne aussi le rêve et son influence dans le réel… La Lettre rentre tout à fait dans le projet apparent de la collection, qui refuse souvent de prendre partie vis-à-vis de la réalité. A-t-il rédigé ce texte pour la collection, ou bien vos intérêts convergeaient-ils naturellement ?
La place manque sans doute pour évoquer ta relation entre Jacques Abeille et Deleatur… ceux qui veulent en savoir plus doivent se procurer ton article : Jacques Abeille, le jardin refermé, dans la revue Le Novelliste n°6, paru en décembre 2022.

Pierre Laurendeau : O Tenancier, quelle belle introduction ! Qui donne envie de lire l’œuvre abeillienne…
Comme tu l’écris, j’ai été l’éditeur (souvent occulte, voire occulté) du Cycle des Contrées, transmettant Les Jardins statuaires à Bernard Noël en 1981. Tu renvoies avec raison à l’hommage paru dans Le Novelliste, qui éclaire, je pense, les relations cahoteuses, voire chaotiques, entre Jacques Abeille et Deleatur (il fut longtemps le président de l’association).
La Lettre fut une commande que je lui passai à l’occasion d’une présentation du Cycle à la bibliothèque municipale d’Angers, à l’automne 1995. L’équipe de la bibliothèque, menée par Agnès Chevalier, était alors ouverte sur la création. Malheureusement, le départ de la conservatrice en chef, en début d’année 1996 si je me souviens bien, entraîna la dislocation de l’équipe qui l’avait suivie : Louis Torchet, un médiéviste amateur d’éditions rares – qui se régalait avec les tirages de tête de Deleatur –, rejoignit la bibliothèque d’Autun, où il put se plonger dans les manuscrits et les incunables ; quant à Jean-Claude Gautier, il repartit vers sa terre d’origine et devint un des référents de la DRAC d’Aix-Marseille pour le livre. C’est le seul avec qui j’ai toujours contact.
Donc, comme une sorte de chant du cygne de nos belles collaborations, que je savais à leur terme, j’avais proposé à l’équipe de bibliothécaires un rendez-vous autour des Contrées – dont seuls étaient disponibles à l’époque Les Jardins statuaires Le Veilleur du Jour (les deux chez Flammarion), La Clef des ombres (Zulma), les Carnets de l’explorateur perdu (Ombres), ainsi que les deux fragments des Voyages du Fils, parus dans la collection Les Indes oniriques : L’Homme nu chez Deleatur ; Les Lupercales forestières aux éditions du Lézard – en effet, cette collection avait vocation à être nomade. Le troisième volet, L’Auberge verte, devait paraître au Fourneau mais cela ne se fit pas ; il fut agrégé lors de l’édition des Voyages, toujours dans la collection Les Indes oniriques, mais chez Ginkgo, en 2007.
J’avais demandé à Jacques une sorte d’abstract, comme disent les universitaires, qui permette aux personnes présentes à la soirée de la bibliothèque d’avoir un aperçu de l’ampleur de ses paysages intérieurs. Notons que la Lettre est écrite par Ludovic Lindien, qui jouera un rôle prépondérant dans les deux derniers romans du Cycle, parus peu avant la mort de l’auteur.
Ce qui est singulier dans le process d’écriture de Jacques Abeille, c’est à la fois un schéma d’ensemble qui l’habitait depuis la fin des années 70 – il me confiait en 1984 qu’il avait le plan de tous les livres du Cycle en tête – et sa capacité à y agréger des épisodes épars qu’il n’avait pas nécessairement conçus pour cela : par exemple Louvanne, qui parut à l’enseigne de Deleatur en 1999.
Je ne sais pas… et qui pourrait le savoir ! – si l’apparition de Ludovic Lindien dans la Lettre de Terrèbre fut l’élément déclencheur de son rôle essentiel dans les romans finaux ou si Jacques Abeille avait déjà prévu pour lui cet avenir lumineux.
 
Détail amusant : sur le rabat de couverture, dans la bibliographie de Jacques Abeille (qui s’est étoffée depuis !), pour les romans de Léo Barthe, il est précisé qu’ils sont traduits du terrébrin par Georges Le Gloupier, l’alias de Jean-Pierre Bouyxou, auquel Jacques était très lié, notamment lors de leur jeunesse bordelaise.

vendredi 25 mars 2016

Jacques Abeille / Léo Barthe

Le Tenancier reçoit ceci, il s'empresse de vous en faire part !

Cher Tenancier,

Ca recommence... Exégètes ? Polissons, oui : je devine surtout le plaisir de lire du Barthe à voix haute...
Bien amicalement,

Ludovic


Les Graphies d’Éros : désir, signe et chair chez Léo Barthe/Jacques Abeille

Journée d’étude organisée par Arnaud Laimé (Paris 8).
Bibliothèque de l’Arsenal, 1 rue de Sully, 75004
13 avril 2016, 9 h -18 h
Entrée sur réservation préalable :
arnaudlaime(le petit signe que vous savez)yahoo.fr

MATINÉE

9h Accueil des participants, petit déjeuner de bienvenue
9h30 Arnaud Laimé (Université Paris 8), « Qui, de Barthe et d’Abeille ? »
Féminin
9h45 Jean-Michel Devésa (Université de Limoges), « Le Féminin chez Jacques Abeille : ce "premier autre qui peine à se faire entendre" »
10h15 Elsa Caboche (Université de Poitiers), « Représentation des femmes et imaginaire du féminin chez Abeille et Barthe »
10h45 Discussion
11h Pause
Désir
11h15 Nadine Grafeille (médecin, sexologue), « De la fantasmatique à la réalité »
11h45 Discussion
12h « Jouer et se déjouer : à deux voix autour du désir », échange entre Belinda Cannone (romancière, essayiste) et Jacques Abeille
12h45 Discussion

APRÈS-MIDI

Nocturne
14h30 Pierre Vilar (Université de Pau et des Pays de l’Adour), « Le cru et l’écrit : sur quelques écrits crépusculaires de Léo Barthe et une leçon de Terrèbre »
15h Éric Vauthier (Université de Varsovie), « La dimension nocturne de l'érotisme dans les récits courts de Jacques Abeille/Léo Barthe »
15h30 discussion
15h45 Pause
Image
16h Patrick Wald Lasowski (Université Paris 8), « Aux mains d’Éros »
16h30 Philippe Lemaire (artiste), « "Beau revers du rêve" Quand Jacques Abeille écrit autour de collages »
17h Discussion
17h15 La Reine des oiseaux, projection d’une série d’œuvres formant libre journal
18h Fin de la journée

Hélas, hélas, plus Parisien du tout le Tenancier regrette de ne pouvoir être présent. Néanmoins, merci à Ludovic de nous informer. Qu'il continue !

mercredi 10 décembre 2014

Jacques Abeille

Ceux qui nous suivent au fils des années savent combien nous sommes attachés viscéralement à la prose de Jacques Abeille. Le lundi 8 décembre 2014, l’auteur est venu à la Maison de la Poésie à Paris faire la lecture d’un de ses textes, Mers perdues, accompagné par François Schuiten pour les dessins projetés au mur et l’illustration musicale de Bruno Letort. Nous avons été assez peu à assister à la séance et cela donne l’état de la réputation médiatique de Jacques Abeille, sans que cela nous déçoive grandement, après tout. Comme il l’explique lui-même dans un entretien accordé à Article 11, un succès ferait sans doute que son intégrité littéraire serait entamée. D’un autre côté, le spectateur que je suis est fier de compter parmi les happy few, à suivre de parution en parution le labeur patient que constitue un univers littéraire tourné vers un paysage intérieur riche et profond. Cette profondeur, on la retrouve aussi dans la voie chaude du scripteur dont la narration suit le rythme caractéristique de son style. Il y a dans la scansion de Jacques Abeille comme un curieuse stase, un moment d’étonnement comme au bord d’un basculement, une empreinte dont on ne se défait pas, une parole hypnotique que l’on retrouve hors même le champ de la fiction, au sein d’une conversation, menée il y a plus de quinze ans et dont les émanations persistent encore dans la mémoire…



Prise de vue (avec les moyens du bord) : Élisabeth Haakman