« Car, selon la coutume des rois de Bithynie, il
[Verrès] se faisait porter dans une litière à huit porteurs. On trouvait dans
cette litière un coussin d’étoffe de Malte transparente, bourrée de roses.
Lui-même avait une couronne de roses sur la tête, une autre autour du cou, et
il approchait de ses narines un sachet de lin le plus fin, aux mailles
minuscules, plein de roses. Après avoir accompli tout son voyage dans ces
conditions, à son arrivée dans une ville, il se faisait porter, toujours dans
sa litière, jusque dans sa chambre. C’est là que venaient les magistrats
siciliens, là que venaient les chevaliers romains, comme de nombreux témoins
vous l’ont déclaré sous la foi du serment. Les litiges lui étaient soumis à
huis clos et peu après, en public, on emportait les décisions. Puis après avoir
un court moment rendu dans sa chambre quelques arrêts où il tenait compte des
sommes reçues plus que de l’équité, il pensait que dès lors le reste de son
temps était dû à Vénus et à Bacchus.
Ici il ne faut pas, il me semble, passer sous silence l’activité extraordinaire et tout à fait particulière de notre illustre général. Sachez qu’il n’y a pas en Sicile de ville où l’on n’ait choisi de femme — et non des moindres familles — pour les débauches de ces personnages. Ainsi quelques unes parmi elles s’exhibaient ouvertement dans les banquets. Si d’autres étaient plus réservées, elles choisissaient leur moment pour éviter la lumière et la réunion. Les banquets n’avaient pas lieu dans le silence qu’on observe d’ordinaire à la table des prêteurs et des généraux du peuple romain, ni avec cette réserve qu’on trouve habituellement dans les repas des magistrats, mais au milieu des cris et des éclats de voix. Parfois même l’affaire dégénérait en bataille, on en venait aux mains. Car ce prêteur sévère et actif, qui n’avait jamais obéi aux lois de l’État, observait scrupuleusement celles qu’on établissait pour la boisson. À la fin du banquet, les esclaves devaient emporter dans leurs bras tel convive qui paraissait sortir d’une bataille ; un autre était laissé pour mort ; la plupart, étalés à terre, gisaient sans conscience ni sentiment. À ce spectacle on aurait cru voir non le repas du prêteur, mais la bataille de Cannes de la débauche. »
Ici il ne faut pas, il me semble, passer sous silence l’activité extraordinaire et tout à fait particulière de notre illustre général. Sachez qu’il n’y a pas en Sicile de ville où l’on n’ait choisi de femme — et non des moindres familles — pour les débauches de ces personnages. Ainsi quelques unes parmi elles s’exhibaient ouvertement dans les banquets. Si d’autres étaient plus réservées, elles choisissaient leur moment pour éviter la lumière et la réunion. Les banquets n’avaient pas lieu dans le silence qu’on observe d’ordinaire à la table des prêteurs et des généraux du peuple romain, ni avec cette réserve qu’on trouve habituellement dans les repas des magistrats, mais au milieu des cris et des éclats de voix. Parfois même l’affaire dégénérait en bataille, on en venait aux mains. Car ce prêteur sévère et actif, qui n’avait jamais obéi aux lois de l’État, observait scrupuleusement celles qu’on établissait pour la boisson. À la fin du banquet, les esclaves devaient emporter dans leurs bras tel convive qui paraissait sortir d’une bataille ; un autre était laissé pour mort ; la plupart, étalés à terre, gisaient sans conscience ni sentiment. À ce spectacle on aurait cru voir non le repas du prêteur, mais la bataille de Cannes de la débauche. »
Cicéron : Des supplices (70 av. JC)
Trad. Michel Malicet