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vendredi 10 février 2023

Les lecteurs de Planète


La venue massive de gourous portés par les vidéos en ligne et le fait que leurs délires grandissants touchent une population de plus en plus naïve ne doit pas nous faire perdre de vue qu’avant cette résurgence sous forme numérique, tout un pan de l’édition se livrait à la production de balivernes dans les années 1960 et 1970. On a ainsi connu les ouvrages d’Erich Von Däniken, Robert Charroux et autres imbécillités relayées désormais par des JacquesGrimault et des imposteurs vidéastes de l’archéologie fabulée. On se rappelle ici que l’impulsion fut donnée par le fameux Matin des magiciens, pondu par les duettistes Bergier et Pauwels et que, sur la lancée, des collections entières vaticinaient à tout-va : soucoupisme, Grands Anciens, vie post-mortem, mysticisme de bazar, etc. L’autre vecteur, toujours sous forme imprimée était la revue Planète qui, pour être honnête, s’était également diversifiée vers les contre-cultures (non exemptes, d’ailleurs, de fabuleuses conneries !). Ainsi, votre serviteur conserve le numéro de Planète plus consacré à Bob Dylan et la beat generation, surtout par pur fétichisme. En effet, on a lu mieux. Pour vous situer cette collection au format de la revue mère, l’on y trouvait des parutions vouées à Artaud, Ramakrishna, René Guénon, Henry Miller, Mounier, Jung et Krihnamurti. Mais qui achetait donc ces machins ?
L’on n’ose songer à des publications militantes en faveur des réalités alternatives, même si Peyotl et Grands Initiés aux remugles fascistes semblaient avoir provoqué la fonte de quelques fusibles dans la rédaction. Bien au contraire, nous estimons que ces porte-parole de la sottise mystique avaient conscience de s’adresser à du CSP++, c’est-à à dire une catégorie socioprofessionnelle plutôt aisée, genre classe moyenne, voyez-vous, mais subissant un fort déclassement qui la pousserait à des succédanés religieux ou culturels (nous ne sommes pas très loin du petit bourgeois marxien, d’une certaine manière). Hélas, dans ce numéro de Planète plus (daté d’Avril-Mai 1971), pas de publicités, indices forts de la catégorie du lectorat (ce qui permettait de savoir, par exemple que le Nouvel Observateur était un journal de gros bourges.) En revanche…
En revanche, la maison Planète, soucieuse d’instaurer un ordre nouveau dans les consciences planétaires proposait à nos chers petits Français des voyages d’initiation qui permettait à un occidental de se balader sans vergogne dans une contrée alors du « tiers-monde » ou presque. On découvrira ci-dessous que la pilule de la pauvreté s’avale plus facilement vue du dos d’un éléphant et entre deux palaces, bien sûr après avoir visité quelques ashrams ou bien des récipiendaires de savoirs millénaires.
Le tarif est éloquent : 5350 francs de 1971 (avec un supplément de 400 balles pour une chambre individuelle) vous donnera accès aux clefs de la sagesse orientale. Cela représente plus de 6500 € actuels selon le convertisseur de l’INSEE. On appréciera peut-être la modicité de la somme pour un voyage organisé de vingt jours en Orient. On attrapera la nausée en imaginant ce que pouvait signifier une telle somme pour les travailleurs autochtones, même encore maintenant (2 € par jour de salaire minimum en 2020). La pudeur n’a jamais vraiment touché la maison Planète, née vraisemblablement avant le concept d’obscénité. Reconnaissons toutefois que ces voyages semblaient honorés par les organisateurs, ce qui n’est pas le cas pour ce qui concerne certains égyptologues fabulistes à l’heure actuelle.
On constate avec dépit que l’engouement pour les gourous s’est quelque peu avili sous la férule de la loi du marché et des nouveaux médias. Avouons-le aussi, le gogo devient moins fortuné et adepte des charters. Il semble bien que la période Planète fut un Eldorado pour les marchands de gris-gris…


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lundi 8 mars 2021

Un faussaire

Letellier. Faussaire-copiste, ancien clerc d’huissier. Affaire célèbre sous Louis-Philippe. […] Se faisant appeler « Comte Le Tellier d’Irville », soi-disant « archiviste à la Bibliothèque nationale », il avait ouvert une boutique, cabinet généalogique et officine d’autographes. Avec l’argent de ses premières escroqueries, il racheta aux héritiers d’Hozier ce qui subsistait des collections du célèbre « Cabinet d’Hozier ». En écoulant ainsi de vrais et de faux manuscrits, Letellier abusa plus aisément ses clients. Il lança de 1844 à 1847 un nombre incalculable d’autographes historiques, munis le plus souvent de certificats d’authenticité, obtenus grâce à des ventes publiques. Il est l’auteur de très nombreuses lettres faisant toutes partie de la collection Charavay, spécialiste en autographes à Paris. Parmi ces pièces curieuses : Lettre de François Ier à Horondelle, de Luther, de Calvin à M. de Canaples, d’Henri II au prince de Melfes , de Diane de Poitiers à la princesse de Montaytgy (une erreur de date visible fut fatale à l’auteur, 1585, soit dix-neuf ans après la mort de Diane de Poitiers), et d’un certain nombre de billets signés Henri III et adressés à de jeunes galants… pour leur proposer une entrevue.
Letellier réalisa sur parchemin de nombreux arbres généalogiques, dont sept pour des prélats parisiens. Ces faux, peu habiles et remplis d’erreurs et de fautes étaient réalisés sur d’anciens manuscrits grégoriens lessivés, grattés, repolis au polissoir d’agate et marqués d’un tampon (faux) de la Collection d’Hozier.

Jean-Louis Chardans : Dictionnaire des trucs (1960)

Pour en connaître plus sur l'affaire, dirigez-vous ici.

mercredi 3 juin 2020

Et il ne faut absolument pas faire confiance aux livres de papier

Il ne faut pas non plus que tu trouves étrange que je ne recommande à personne des livres de papier pour y apprendre le début de la médecine. Car la cause en est qu’il n’est pas besoin des les prendre en considération. Les bons et les méchants écrivent pêle-mêle, les gens épineux et les rêveurs, pêle-mêle, à la fois du bon et du mauvais ; ils falsifient le bon par le mauvais ; ils trouvent et prônent plutôt le mauvais que le bon ; et ils font pêle-mêle une telle panade qu’on se trouve tout désorienté et qu’on ne peut plus trouver la paix. Et chacun veut distinguer son nom des autres plumes et apporter quelque chose de neuf. Et la médecine a été totalement brisée par de tels écrivailleurs. Et il ne faut absolument pas faire confiance aux livres de papier. Et bien que tel ou tel ait eu une expérience et de l’expérience, etc., cela s’est produit pour lui, et au fond il a été lui-même égaré. Car le style indique qu’une grande simplicité a régné avec l’ignorance dans la médecine.

Paracelse, extrait de : Labyrinthus medicorum errantium, 1538

Exergue à La lumière et la clef, d’Adolf Muschg (1984)