Monique Morelli
La ville morte
(Poème de Pierre Mac Orlan)
La ville morte
(Poème de Pierre Mac Orlan)
Un jour un' petit' châtelaine, enl'vée par des romanichels, Fut mis' dans un' chambre malsaine, Tout en haut d' la rue St-Michel ; La p'tit' au caractèr' rieur, prit joyeusement son malheur : Le lendemain, elle était souriante, à sa fenêtre fleurie, chaque soir, Elle arrosait ses petit's fleurs grimpantes, Avec de l'eau de son arrosesoir. Les brigands furieux d'la voir rire lui attachèrent, les mains, les pieds, Puis par ses cheveux la pendirent au plafond en face du plancher Puis la laissant là, les voyous allèrent chez l'bistrot boire un coup Le lendemain, elle était souriante, à sa fenêtre fleurie, chaque soir, Elle arrosait ses petit's fleurs grimpantes, Avec de l'eau de son arrosesoir. Les bandits jaloux d'son courage un soir à l'heure de l'angélus La jetèr'nt du sixième étage son corps tomba d'vant l'autobus L'autobus qui n'attendait qu'ça sur la belle aussitôt passa. Le lendemain, elle était souriante, à sa fenêtre fleurie, chaque soir, Elle arrosait ses petit's fleurs grimpantes, Avec de l'eau de son arrosesoir. Mais les assassins s'acharnèrent Sur elle à coups d'pieds, à coups d'poings De mill' coups d'poignards la lardèrent Pour lui faire passer l'goût du pain Et pour en finir les ch'napans ils la noyèrent dans l'Océan. Le lendemain, elle était souriante, à sa fenêtre fleurie, chaque soir, Elle arrosait ses petit's fleurs grimpantes, Avec de l'eau de son arrosesoir. Au moment où la pauvre fille allait remonter sur les flots Un sous-marin avec sa quille coupa son corps en deux morceaux. Puis une torpill' qui éclata fit voler le reste en éclats. Le lendemain, elle était souriante, à sa fenêtre fleurie, chaque soir, Elle arrosait ses petit's fleurs grimpantes, Avec de l'eau de son arrosesoir. La tempête, le vent et l'orage soulv'nt les vagues de l'océan La petit' lutt' avec courage bravant le terribl' ouragan, Mais le tonnerr' à ce moment tomb' et foudroie la pauvr' enfant. Le lendemain, elle était souriante, à sa fenêtre fleurie, chaque soir, Elle arrosait ses petit's fleurs grimpantes, Avec de l'eau de son arrosesoir. Elle disparut dans l'eau profonde Une baleine lui bouffa les mains Sa jolie chevelure blonde Fut arrachée par les requins Un p'tit' maqu'reau qui s'balladait Lui barbotta son port' monnaie Le lendemain, elle était souriante, à sa fenêtre fleurie, chaque soir, Elle arrosait ses petit's fleurs grimpantes, Avec de l'eau de son arrosesoir. Vous croyez p't'être qu'elle en est morte Et cependant il n'en est rien Après cett' secousse un peu forte La p'tite ne se sentait pas bien Elle prit pour se remettr' d'aplomb Un p'tit cachet d'pyramidon Le lendemain, elle était souriante, à sa fenêtre fleurie, chaque soir, Elle arrosait ses petit's fleurs grimpantes, Avec de l'eau de son arrosesoir. |