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mardi 5 février 2019

La nostalgie n'est plus ce qu'elle était

Le cocktail éditorial ne figure pas dans les fréquentations de votre serviteur. Outre que son ancienne activité de libraire le rendait inutile voire tricard dans ce genre de manifestation, les prétextes pour s’y rendre restaient somme toute assez minces. Toutefois, le hasard aidant, le vice travaillant également au complot, il m’est arrivé de me trouver dans un coin à contempler la prise d’assaut du buffet, occasion d’ailleurs, où votre serviteur mit en pratique au moins une fois sa théorie tirée de la technique du môle et de l’enroulement pratiquée au rugby. Il n’existe pas de connaissance sotte, sauf si elle se révèle inutile. Mes compagnons (ce jour-là, salariés d’une start-up de vente de livre, rare fierté de ce passage) se gobergèrent, moi itou, revanche des obscurs et des sans-grade à ces banquets qui n’avaient rien de platonicien par ailleurs.
Le bénéfice dérisoire de picoler un champagne de médiocre qualité par-dessus des denrées trop sucrées et trop salées montre vite ses limites, on le concevra. Restait l’observation de la faune habituelle des attachées de presse et d’autres personnages plus ou moins liés à la maison d’édition et plus sûrement au contenu de la bouffe servie à table. Pas besoin d’être un habitué pour deviner à quel point cette compagnie ne s’élève pas au-dessus du comice agricole. On aurait dû le savoir : si le Salon du Livre de Paris sent l’écurie, ce n’est sans doute pas entièrement redevable au Salon de l’agriculture qui le précède. Alors quoi, n’y avait-il rien à tirer de ces rassemblements. Eh bien, presque. Parfois, avec un peu de chance, on voyait une catégorie de types se faufiler dans ces cocktails et il faut avouer qu’ils avaient plus l’air de s’y sentir à l’aise que ma pomme. À la personne bien informée qui avait réussi à me faire rentrer, je me risquais à demander, « Qui c’est ce type-là ? »
Et l’autre qui répond : « Qui ça ? 
— Eh bien, le gars avec l’imperméable mastic…
— Où ?
— Là… tu vois, avec les cheveux plaqués en arrière, bien dégagés sur les oreilles, les petites lunettes façon écaille. Bon, il a quitté son pardingue ou son imper, maintenant, il a le petit costard bien ajusté, carrossé par Perrier, tu vois ?
— Avec le nœud pap’ ?
— Yes, monsieur.
— Connais pas personnellement, il fréquente Untel, il paraît qu’il a écrit des articles. Pas lu, pas le temps de tout lire. C’est un ancien khâgneux. Il a pas trente ans.
— Tu ne me l’aurais pas dit, hein…
— Ah non, mais attend, ce n’est pas le pote de Untel. C’est celui de Duchmol…
—…
— Mais siii, tu sais, Duchmol de la Revue de la Nouvelle Nation. Cela dit avec l’ami d’Untel, c’est un peu du kif.
— Qu’est ce qu’il fait là ?
— Ben comme toi, il profite de l’événement, sauf que toi, c’est pour picoler un coup. Lui — à moins que ce soit le pote d’Untel — fait le siège de mon directeur de collection pour placer sa biographie.
— Drieu, Brasillach ?
— Ouais, un truc dans ce goût-là, mais tu sais, c’est en perte de vitesse, ces conneries, le lecteur potentiel se raréfie, ça bavoche, ça sucre les fraises... Dans le style réac qui peut nous faire de la distance, ce serait plutôt Houellebecq. Avec les vieux fachos, tu peux pas nous la refaire revival façon Claude François, hop, un p’tit coup de lustre sur la pierre tombale et c’est reparti pour un tirage. Vu que le client est occupé à passer le polish sur la sienne, ça déchaîne pas des fièvres.
— Houellebecq, il lui faudrait une bonne guerre.
— Ah, m’en parle pas, quel tirage ça ferait ! Mais l’autre, là, avec les fringues qu’il a dû piquer à grand-papa, je ne lui donne pas une chance. Pourtant il s’est soigné ! Ça marchait dans les années quatre-vingt, ce genre ‘petit-crevé’ enfin plutôt petite crevure, si tu vois le genre…
— Genre ‘Européen’, c’est ça ? Du nostalgique.
— Exactement : à faire le voyage aller, en quarante-quatre, au milieu des valoches et en camion Mercedes vers les bords du Danube, et à revenir en truck Ford débâché avec la biroute au cirage, direction Fresnes, si t’es malchanceux.
— Bah ! il aurait vu du pays, en tout cas. Tiens, je me rappelle un type qui a eu son petit succès dans les années quatre-vingt, justement, avec son Journal. Je l’avais servi brièvement dans une librairie où j’ai fait un passage éclair, et pour cause… La taulière, une vieille catho versaillaise — et c’est pas une image, crois-moi — se pâmait littéralement ! Tu parles, le clone sous-alimenté de Brasillach !
— C’est marrant, tout de même, ces garçons qui s’adonnent à cette marotte. Tu noteras qu’avec son allure de collabo, il fait un peu le vide autour de lui.
— Il a l’air d’aimer ça.
— On le remarque. C’est fait pour. Il s’imagine qu’il emmerde tous les juifs qui sont forcément dans l’édition. Ça ne lasse même plus. Tu sais, je parie même que sa biographie n’est même pas écrite et qu’il serait un peu emmerdé sur les bords si on la lui demandait.
— Pourquoi tu ne lui fais pas le coup.
— Déconne-pas, veux-tu ? Si je me trompe…
— Ouais, c’est un risque. Curieux, quand même, j’aurais pensé que l’espèce s’était éteinte.
— Mais qu’est-ce que tu veux mon vieux, il reste des jeunes Français patriotes point oublieux de nos aînés, hein ! »
Le type se rapprocha de nous. Je m’esquivais tandis que j’entendais mon pote dire que non, en fin de compte, le directeur de collection avait eu un empêchement et que c’était bien dommage…

samedi 2 avril 2016

... et onze autres pour la nostalgie

Nous en aurions voulu un peu plus, un peu plus longtemps et profiter du temps qui passe entre ces rayonnage. Merci à Vincent pour avoir tenu sa librairie à bout de bras si longtemps.













(Photographie © Monique Thierry)

dimanche 27 mars 2016

Douze photos pour une fermeture

Le samedi 26 mars était le dernier jour de la libraire Entropie, au 198 boulevard Voltaire. 
Notre reporter était sur les lieux.













(Photographies de Florence Marion ©)

mercredi 10 décembre 2014

Jacques Abeille

Ceux qui nous suivent au fils des années savent combien nous sommes attachés viscéralement à la prose de Jacques Abeille. Le lundi 8 décembre 2014, l’auteur est venu à la Maison de la Poésie à Paris faire la lecture d’un de ses textes, Mers perdues, accompagné par François Schuiten pour les dessins projetés au mur et l’illustration musicale de Bruno Letort. Nous avons été assez peu à assister à la séance et cela donne l’état de la réputation médiatique de Jacques Abeille, sans que cela nous déçoive grandement, après tout. Comme il l’explique lui-même dans un entretien accordé à Article 11, un succès ferait sans doute que son intégrité littéraire serait entamée. D’un autre côté, le spectateur que je suis est fier de compter parmi les happy few, à suivre de parution en parution le labeur patient que constitue un univers littéraire tourné vers un paysage intérieur riche et profond. Cette profondeur, on la retrouve aussi dans la voie chaude du scripteur dont la narration suit le rythme caractéristique de son style. Il y a dans la scansion de Jacques Abeille comme un curieuse stase, un moment d’étonnement comme au bord d’un basculement, une empreinte dont on ne se défait pas, une parole hypnotique que l’on retrouve hors même le champ de la fiction, au sein d’une conversation, menée il y a plus de quinze ans et dont les émanations persistent encore dans la mémoire…



Prise de vue (avec les moyens du bord) : Élisabeth Haakman

jeudi 6 novembre 2014

Des livres imaginaires...

Le Tenancier ne va pas se mettre à faire ce qu’il a expressément dénoncé il y a peu, c'est-à-dire de se mêler de chroniquer des ouvrages qu’il n’a pas lus. Néanmoins peut-il évoquer son passage le lundi 3 novembre à la librairie Équipages où étaient présentés deux ouvrages dont la caractéristique commune résidait dans l’évocation de livres imaginaires… Les plus attentifs auront d’ailleurs lu l’annonce faite ici même.
La présentation a déclenché l’enthousiasme de votre serviteur. Non qu’elle se fit avec un luxe d’esbroufe mais simplement par l’étalage d’une érudition joyeuse, réjouissante qui a emporté l’adhésion de l’assistance. Les deux auteurs ainsi que l’éditeur de l’un d’eux étaient au fond de la librairie et se renvoyaient la balle à propos de leurs ouvrages.
 
  Patrick Boman, Pierre Laurendeau, Stéphane Mahieu

 Si l’on a pas pu lire déjà les ouvrages acquis lors de cette rencontre, du moins peut on parler plus aisément du livre de Stéphane Mahieu qui se présente sous la forme d’un catalogue de ces ouvrages classés par ordre alphabétique de titres. Ainsi, y trouvera-t-on des titres mentionnés, voire chroniqués, par des auteurs éminents : Borges mais également E.P. Jacobs (nous avons sous les yeux la notice concernant The Mega Wave par le Professeur John Wade – Londres 1922) A l’évidence cet ouvrage ne peut se lire dans la continuité sous peine d’ennui mais doit se découvrir peu à peu comme on le ferait d’ouvrages que le Tenancier possède également dans sa bibliothèque comme Le guide de nulle part et d’ailleurs ou L’Encyclopédie de VersinsLa Bibliothèque invisible fait partie de ces catalogues qui s’appuient sur l’imaginaire des auteurs compilés, une promenade dans une sorte de monde parallèle. On sait, avec par exemple l’histoire de la bibliothèque du Comte de Fortsas, que la tentation du catalogage imaginaire demeure une vieille tentation (Stéphane Mahieu cite Rabelais, mais on peut parier sur une antériorité dans un recoin de scriptorium moyenâgeux...) On y trouve un accomplissement provisoire dans la découverte de cet ouvrage.
L’autre livre est plus délicat à évoquer car le Catalogues lacunaires des éditions Mozschar et Rhib est un récit qui est constitué de l’exposition de plusieurs ouvrages imaginaires dont le contenu explique le destin des protagonistes. Ainsi, chaque notice est répertoriée dans les règles, c'est-à-dire en commençant par le titre, le lieu, l’éditeur éventuel, la date et sa matérialisation. Le tout est suivi d’une notice. On se réjouira à l’avance de découvrir celle du titre suivant : De la simplification des procédures administratives afin de réduire notablement le nombre de fonctionnaires en particulier par les autorisation de fouille, creusement, percement, édification, recrutement, etc., avec tableaux synoptiques, diagrammes de force, projections de Gauss et calcul des moyennes par la méthode dite « des longues traînes », s.l. [Bucarest], 1898, 178 p.
Mais ce qui nous a le plus frappé à propos de ce livre est la personnalité de son... rédacteur, Patrick Boman, lors de cette rencontre. On entendait cet homme massif et quelque peu réservé se mettre à évoquer des étuis péniens en fourrure de marmotte avec un sérieux imperturbable qui nous rappelait cette impassibilité que l’on prête à Alexandre Vialatte. Tout à coup, on avait l’impression de voir surgir l’explorateur des sources du Zprug sous nos yeux (tentative d’exploration du Captain Geoffrey Blackfoot — Londres, journal of The Geographical Society, 1900, vol. XIV, n°32, avec 2 cartes lithographiées, réed. Venise, 1901, 38 p.), un de ces hétéroclites qui traversent avec un grand éclat de rire un monde littéraire compassé. On l’aura deviné, le Tenancier vient de se transformer en amateur de Patrick Boman et il se fait devoir de lire tout ce qu’il pourra trouver de lui, à commencer par ce catalogue dont vous pouvez lire plus bas et en lien le résumé.
 

Patrick Boman
par Élisabeth Haakman
 
On a pu également rencontré Pierre Laurendeau, l'éditeur de Sous la Cape, et l’on s’en félicite, figurez-vous.
Et l'on vous rappelle les références parce que nous ne sommes pas chiens, nous autres, tout Tenancier que nous sommes :

Stéphane Mahieu : La Bibliothèque invisible — Catalogue de livres imaginaires
Éditions du Sandre, 2014 — 26 €
(Page de l'éditeur ici)









 Patrick Boman : Catalogues lacunaires des éditions Mozchar et du Rhib
Sous la Cape, 2013 — 14€
(Site de l'éditeur et résumé ici)

vendredi 11 juillet 2014

Les perles de l'Amérique (1)

Parfois, et même assez fréquemment en vérité, l'Otto que je suis aime aller à baguenauder dans divers pays, histoire de découvrir leurs attraits supposés ou réels. Il y a peu, en mai dernier pour être précis, ce sont les Etats-Unis que j'ai explorés. Un long et beau voyage. Mais, pour venir encombrer les pages de notre cher Tenancier, je ne raconterai pas ma vie, je vous épargnerai le "road trip" entre Chicago et Austin, le festival de rock psychédélique ou les aspects factices d'Hollywood. Parce que l'un des plus beaux moments de ce voyage a eu rapport avec les livres. À ma grande surprise : mes amis à Los Angeles nous avaient proposé (à ma douce et à moi) de visiter le Huntington Garden. Un endroit absolument fabuleux, avec des jardins japonais, chinois, des bonsaïs, d'immenses étendues boisées ou fleuries et, surtout un incroyable jardin (plus de dix hectares, quand même…) de cactées, de toutes les couleurs, formes, tailles, un endroit totalement hors du temps, comme un paysage extra-terrestre.
 

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A l'abri d'un kiosque du jardin chinois,
une musicienne joue un air traditionnel

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La surprise, j'y viens, c'est qu'au beau milieu de cet immense parc se dresse l'une des bibliothèques les plus fascinantes qu'il m'ait été donné de visiter. (photo n°4).
En lui-même, le bâtiment n'a rien d'impressionnant, ni de l'extérieur, ni à l'intérieur (photo n°5). Mais ce sont les ouvrages exposés qui coupent le souffle, alors que, pourtant, seule une centaine des plus de neuf millions de volumes (!) que contient la bibliothèque sont exposés au regard du public. Mais quels volumes !


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Dans une première salle se trouvent des ouvrages "classiques", en premier lieu une bible de Gutenberg (photo n°6), une édition de 1521 du Passional Christi und Antichristi de Martin Luther (photo n°7), une édition du début du XVe siècle du Livre des heures (photo n°8), une originale des œuvres de William Shakespeare (photo n°9), un manuscrit de Jack London (photo n°10) (qui côtoyait du reste un "tas de cendres" du même : un manuscrit qu'il avait mis dans le coffre d'une banque parce qu'il craignait les incendies qui détruisaient régulièrement les maisons en bois du coin où il vivait – et c'est la banque qui a brûlé…) et de multiples autres volumes pour la plupart dotés d'enluminures somptueuses (photo n°11) (j'ai "intelligemment" oublié de noter le titre de ce livre…).


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Une seconde salle est pour sa part réservée aux ouvrages scientifiques et médicaux au fil des siècles. On peut ainsi y voir une édition de 1279 du Grand livre de Ptolémée (photo n°12), une originale de 1609 de l'Astronomia Nova de Johannes Kepler (photo n°13), un Arabum medicorum principis d'Avicenne de 1595 (photo n°14)… Et un immense espace est réservé à Charles Darwin, où figurent plusieurs dizaines d'éditions différentes de son Origine des espèces (photo n°15).


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Le plus ahurissant, dans toute cette richesse culturelle et historique, c'est dans un vague couloir dirigeant vers la sortie qu'on le trouve : alors que tous les autres ouvrages sont protégés sous verre, trône dans ce passage un volume de l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert, feuilletable à loisir ! (photo n°16) Certes, comme me l'a fait remarquer à juste titre notre cher Tenancier, cette encyclopédie n'est pas rarissime et un livre doit "vivre". Mais quand même ! Un ouvrage de 1765 dont tout un chacun peut tourner les pages à volonté, ça ne se voit pas partout. Et c'est plutôt émouvant.
Et l'endroit est absolument à voir pour qui se rend à Los Angeles. Absolument !
 
Otto Naumme
 
NB : le lecteur pardonnera la piètre qualité des photos, prises sans flash dans un souci de respecter ces ouvrages. Et non traitées avec un logiciel de retouche, parce que je suis un flemmard.