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mardi 27 février 2024

Paf, dans ma bibliothèque !

 
 
J’avais rencontré Christian Oster à l’occasion d’une interview à mon émission à Radio Libertaire dans les années 1980. À l’époque, il avait publié quelques nouvelles de SF dans Libération et des romans dans la collection Engrenage au Fleuve Noir (La pause du tueur). Sa conversion vers les éditions de Minuit est assez exemplaire de cette génération happée par la vénérable maison, comme Antoine Volodine, qui démontre que les littératures dites de « l’imaginaire » possédaient une porosité avec la notabilité littéraire. J’avais suivi l’auteur avec une certaine assiduité à l’époque où je travaillais encore en librairie de neuf (sept bouquins de chez Minuit et l’Engrenage cité plus haut résident encore chez moi) et cette trouvaille dans cette solderie, un SP, en plus, était devenu une tentation. Avec le temps écoulé, l’auteur et son lecteur s’étant perdus de vue, qu’en sortira-t-il ? Je verrai bien…

 

Diable, Tenancier, vous n’avez donc pas lu le bouquin d’Orwell ? Mais pour qui me prenez-vous, bande de lecteurs ? Bien sûr que si et à plusieurs reprises ! Seulement, jusqu’à maintenant, je ne possédais que l’édition en Idées/Gallimard. La présente est propre et agréable. Je garderai l’autre qui sera transférée vers la bibliothèque historique. Je n’étais pas passé depuis un bail chez le bouquiniste local. Vertu de l’absence : au retour dans ces murs-là, l’on a envie de tout.


Gary : même motif que précédemment. On améliore sa bibliothèque et l’on se demande soudainement depuis combien de temps on n’a pas ouvert un bouquin de Gary : 10, 20, 30 ans ? Ouh la la ! Il était temps.

 

Si l’on aime la littérature, on ne peut passer à côté de Stevenson. Bon… si on peut, mais c’est bien dommage pour vous si vous êtes dans ce cas. Comme c’est un 10/18, vous retrouverez le volume un de ces jours dans la rubrique ad hoc. En attendant, je recherchais — mollement, certes — ce titre-là dans cette collection à cause du dernier article du recueil : Les romans d’aventures de Jules Verne. Votre Tenancier est un amateur de Verne depuis son enfance, relançant à chaque phase de son existence son intérêt sans toutefois en retrouver les saveurs juvéniles. Tant pis. En revanche, L’île au Trésor reste pour moi une jouvence. Quoi de plus tentant que de confronter deux admirations ? Vous faites erreur Tenancier, me répliquera-ton. Il existe d’autres romanciers sur ce genre avant Stevenson, tout de même ! Et de me citer Dumas, par exemple. Qu’à cela ne tienne, on trouvera également dans le recueil À propos du vicomte de Bragelonne. Et avec ceci, on aura un temps bâillonné les fâcheux et les ratiocineurs, quoique rien n’est sûr avec cette engeance. Le reste du sommaire, nous ne le connaissons pas (on a eu connaissance du texte sur Verne ailleurs, entretemps) et on éprouve un plaisir anticipé à le découvrir, d’autant que le résumé de 4e évoque ceci comme un complément au Voyage avec un âne dans les Cévennes
(L’ouvrage est correct, mais le pelliculage est un peu dégueu, surtout sur le dos et le second plat. Si vous êtes dans le cas — et si c’est bien un pelliculage — vous pouvez utiliser un chiffon imbibé de liquide pour les vitres. Faites gaffe tout de même, parce que le carton ou le papier peuvent être imbibés et changer de couleurs dans les petites scarifications qui manquent rarement dans les anciens volumes, surtout dans les angles.)

 

Et voici que les reproches vont continuer bon train, je le sens, en constant que mes acquisitions n’apportent pas vraiment leur lot de nouveautés. C’est vrai, je me suis montré frileux dans ces choix volontaires, voire très conservateur. C’est que la littérature actuelle m’ennuie un peu, voyez-vous ? De plus, je me suis déshabitué dès la fin de ma carrière de salarié en librairie de neuf de me tenir au courant de ce qui paraît. Cela peut paraître bizarre, mais cette désaccoutumance se révèle comme un sevrage au tabac. On respire bien mieux, l’esprit se dégage et l’on n’a pas à supporter des effets secondaires comme d’autres addictions. Cependant, l’encouragement, l’amitié et, tout de même, la curiosité m’amènent parfois à acquérir un livre neuf. Que le contenu soit un recueil de nouvelles érotico-gourmandes — avec un joli titre en sus ne peut qu’éveiller en moi de la concupiscence. Nous lirons à petites bouchées.
Un livre neuf dans les acquisitions récentes ? Ce n’est pas souvent.

 

On se trouve parfois au passage d’une circulation de livres propulsés par l’amitié, ainsi on a offert au Tenancier ce livre de Tom Kromer, inconnu de lui et qui évoque les hobos, cette fois-ci au cœur de la Grande dépression aux États-Unis. Comment ne pas songer aux Vagabonds du rail, de London, à L’empereur du Nord, d’Aldrich, etc. ? La curiosité l’emporte !

 

Cette même circulation amicale me met devant ce qui ressemble à un thriller politique. On tentera de le lire pour montrer de la bonne volonté. Encore un livre neuf, mais qui compte pour du beurre, en quelque sorte. Ce type de récit ne m’emballe jamais. S’il me déplaît au bout du compte, je le rendrai afin qu’il trouve des bras plus accueillants.

 

Retombons dans nos ornières avec un vieux machin : le numéro 202 (octobre 1970) de la revue Fiction. Au sommaire : Robert Bloch, Harlan Ellison, Philippe Curval et des seconds couteaux (le terme n’est pas si péjoratif chez moi, puisque j’en suis un ! — j’adore faire dans le chleuasme !) comme Edgard Pangborn ou Otis Kidwell Burger — celui-ci complètement inconnu pour moi. Un titre de nouvelle retient mon attention : Comment mater un chômeur, de Barry N. Malzberg, intention prometteuse, ou pas… Il reste un auteur intéressant, sans doute méconnu à l’heure actuelle, comme pas mal de confrères de sa génération, en particulier à cause de son éclectisme. Le problème du « genre » touche aussi la littérature, si je puis dire. En conclusion de ce numéro et de cette chronique on trouve un article de Jean-Pierre Andrevon : Un Marabout bien planté qui fait le point sur cette maison qui publia tant de titres fantastiques ou de SF repris ici et là à l’heure actuelle. Je lis très rarement des ces littératures, désormais et lorsque je m’y retrouve, je picore au-delà de la limite de péremption. Comme il faut toujours être à la pointe dans la littérature de genre, je préfère à l’avant-garde éclairé, demeurer un traînard à lumignon. On brille moins, mais l’on dure.
On a essayé de ne pas trop se montrer bavard, et puis vous savez ce que c’est…
 
Christian Oster : Sur la dune — Éditions de Minuit, 2007
George Orwell : Hommage à la Catalogne, traduction par Yvonne Davet — Éditions Champ Libre, 1982
Roman Gary : Les cerfs-volants — Éditions Gallimard, 1981
Robert-Louis Stevenson : La France que j’aime, ou le voyage sans âne, Textes réunis avec une préface et une bibliographie par Francis Lacassin, traduction de Léon Bocquet et Jacques Parsons — UGE, coll. 10/18 , série « l’Aventure insensée », 1978
Silène Edgar : Les moelleuses au chocolat et leurs recettes, Gephyre édition, 2023
Tome Kromer : Les vagabonds de la faim, traduction de Raoul de Roussy de Sales, préface de Philippe Garnier, Christian Bourgois, 2022
Thomas Bronnec : Collapsus — Folio policier, 2023
Revue Fiction, n°202, octobre 1970.

mercredi 31 janvier 2024

Paf, dans ma bibliothèque !

Pour 1 € on peut se procurer quatre exemplaires de la Série noire à la recyclerie de ma ville. On trouve toujours des choses intéressantes dans le lot. Ainsi, tout une quantité de Westlake m’est passée sous le nez, au profit d’un ami. Tant mieux pour lui. Comme je l’indiquais il y a peu, j’éprouve une légère lassitude à l’égard de celui-là (de Westlake, hein) et j’en possède de toute façon assez pour me contenter d’une exhumation…
Les trois ouvrages acquis dernièrement (pas réussi à trouver un quatrième qui m’intéresse, désolé) se révèlent assez disparates.

 

D’abord, Elmore Leonard reste l’un des auteurs de polars dont on connaît l’œuvre malgré tout sans pour autant l’avoir lu pour la bonne raison qu’énormément de ses romans ont été tournés au cinéma ou pour la téloche. Valdez est arrivé appartient à la série des westerns, et ne me dites pas que vous ignorez la contribution de Leonard au genre ! Il suffit de citer 3 h 10 pour Yuma (1957, Delmer Daves) pour éclairer votre lanterne. Rentré à la maison, je me suis aperçu que je possédais déjà ce volume. Je vais les comparer, garder le plus « mint », comme disent les disquaires et offrir le retoqué (mais en bon état) à quelqu’un qui aime ces petits romans nerveux.

 

Je demeure dubitatif au sujet de Vautrin, avec cette histoire de colleurs d’affiches voyous. Tout à coup, le style me semble suranné après avoir sondé les premières pages. Nous allons nous y remettre sérieusement sous peu, une fois que l’a priori se sera un peu dissipé.


Votre Tenancier éprouve une jouissance coupable à lire de temps à autre des espionnages du temps de la Guerre froide. Les aventures de Sam Durrell, agent de la CIA d’origine cajun répond à tous les clichés du genre et même plus si affinité puisque, crapahutant dans une république arabe au cours d’un de ces romans, on se croirait transplanté dans un film des années 30. Reste une phrase prémonitoire (je vous la retrouverai un jour), qui préfigurait le 11 septembre. Edward S. Aarons produisait très régulièrement ces espionnages standards qu’on lit avec une nostalgie amusée à cause de l’impérialisme occidental et son machisme. À noter que les titres originaux comportaient « assignment » à chaque volume. Assignment Tokyo et sa traduction, Virus-party, se complètent assez pour annoncer la couleur de l’histoire. Votre Tenancier possède une vingtaine de bouquins d’Aarons. Votre Tenancier assume sa perversion.

 

Ce Hillerman manquait à ma bibliothèque. Moi, j’aime, même si je trouve les enquêtes parfois inconsistantes, voire soporifiques selon mon humeur. En définitive, je pense lire les polars comme si c’était une mauvaise manie et j’ai tort, bien sûr. Se plonger dans Hillerman, c’est comme retrouver des vieux chaussons confortables ou rêver devant un catalogue de voyagiste. Je suis dur ? Dans ma bouche, c’est plutôt un compliment, concernant Jim Chee et consorts…

 

Voici un livre terrible. J’avoue avoir hésité à le prendre. Je sais d’avance ce que je vais y rencontrer et je me doute que ce sera pire que ce à quoi je m’attends. Les photos de l’encart central, habituel dans cette collection, sont malaisantes. Ai-je à en dire plus ? Je vous reproduis ci-dessous le résumé, ce qui vaut mieux que toute considération de ma part.


Elmore Leonard : Valdez est arrivé — Gallimard, Série noire (1979)

Jean Vautrin : À bulletins rouges — Gallimard, Série noire (1973)
Edward S. Aarons : Virus-party — Gallimard, Série noire espionnage (1972)
Tony Hillerman : Un homme est tombé — Rivages/noir (2000)
Patrick Declerck : Les naufragés, Avec les clochards de Paris — Plon, Terre humaine (2002)

mardi 23 janvier 2024

Paf, dans ma bibliothèque !

Les fêtes sont passées par là chez votre Tenancier et il n’a pas reçu trop de cadeaux. D’ailleurs, que pourrait-on lui offrir d’autre qu’un supplément de jouissance de l’existence ? Reste le besoin impérieux de posséder des livres, qui fait partie de ce plaisir du cumul. Périrai-je un jour de la chute d’une bibliothèque sur mes pauvres endosses, de la même manière qu’un astronome serait touché par une météorite ou bien une météorologue par la foudre ? La fulguration, quelle étrangeté : cela ressemble de l’extérieur au sentiment, atténué bien sûr, de la découverte d’un nouveau texte. Imaginons-nous partir en quête de l’éclair avec une baguette de coudrier ! Fort heureusement, on en clamse peu. Une histoire amusante serait à rédiger, qui conterait l’exception, une lecture fatale à cause du ravissement ou de l’étonnement. Tu lis… et boum, tu meurs. Cela a bien dû arriver. En tout cas, cela pourrait se produire avec ce petit bouquin sur le poison, amusant et dont la lisibilité laisse à désirer, typo trop brillante sur un fond qui neutralise le contraste, mais qu’importe, le poison se mérite, l’effort est requis et nous possédons tous quelques ennemis, n’est-ce pas ? Mais ces recettes se révèlent-elles fatales ? Le Tenancier n’a pas essayé pour le moment. Constatons que sa lecture n’en deviendrait pas mortelle, mais peut-être sa mise en application…


L’art de la sieste reste un domaine encore étranger à votre serviteur, mais cela importe peu, après tout, puisque le fond de l’ouvrage de Thierry Paquot semble l’emploi de notre temps. Citons : « La sieste fonctionne ici comme une métaphore, elle acquiert un autre sens et ne désigne plus seulement l’acte de s’endormir ou de somnoler, au midi de la journée, mais la capacité à maîtriser son emploi du temps, à ne pas le brader en le soumettant aux temps imposés par “la” société. »
« Vous avez donc lu l’ouvrage, Tenancier ? » Eh bien, même pas ! Je suis tombé sur ce passage au hasard au moment précis où j’en avais besoin, signe éloquent que ce livre me parle. Mystique, le Tenancier ? Et puis quoi, encore ? Le phénomène survient de temps en temps, sans doute à cause du hasard ou d’un inconscient qui travaille pour soi et qui se dit « Voyons, la citation ad hoc doit bien se trouver à cet endroit du livre. » Parfois, ça marche, la preuve…


Vive l’Anarchie, c’est entendu… Cela reste un réconfort au milieu de la vaste maladie mentale qui règne à l’heure actuelle et qui veut nous embrigader, nous scruter, interférer sur notre vie, nous faire croire, etc. Ce volume de Jean Grave m’a été offert par un ami de passage qui s’interroge sur le fondement de la pensée anarchiste et qui s’est acheté quelques ouvrages sur le sujet. On espère qu’il accédera ensuite à quelques penseurs plus modernes que ceux qui étaient proposés dans la librairie où nous nous trouvions. En effet, l’anarchisme reste un concept contemporain et révolutionnaire, malgré les bistrotiers qui s’en réclament, je ne sais quel « comique » ou autres et qui sont autant de petites merdes fascistes, et je reste poli. L’anarchie rassure des gens comme moi qui s’enchantent de la découverte d’un étranger dans son semblable. Merci, mon cher, pour ce cadeau. Vous voyez, j’en ai reçu un, de cadeau ! Mais là, ce n’était pas en raison des circonstances religieuses, sociétales ou autres, mais au nom de l’amitié, qui est, après tout, une composante de l’anarchie. Je vous rassure : on y trouve aussi des sales cons pas amicaux. C’est normal, c’est humain. En tout cas, ce ne sont pas des fascistes, c’est déjà ça.


Nous allons lire la Paquot en premier, en nous demandant s’il fournira un remède à ce temps qui nous manque tant face à l’accumulation de lectures ici et là.

Victor Coutard : Le poison, dix façons de le préparer — Éditions de l'Épure (2023)
Thierry Paquot : L'art de la sieste — Zulma (2002)
Jean Grave : La société mourante et l'anarchie, préface d'Octave Mirbeau — Lux éditeur (2023)

samedi 20 janvier 2024

Paf, dans ma bibliothèque !

Quelle mouche m’a donc piqué pour que je m’empare de ces trois titres de Jacques Perret dans leur livrée de bibliothèque ? Sans doute celle qui ouvre le recueil des Histoires sous le vent, jeu de société qui m’a amusé lorsque je le découvris en même temps que les œuvres dudit. La mouche fut reprise dans un film avec Fernandel. Ne m'en demandez pas le titre. J’ai cédé à l’envie de toucher ces volumes qui fleurent encore l’habillage ancien avec ses renforts de cartonnage, la toile, les deux plats et le dos contrecollés sur celle-ci. Les références dactylographiées figurent sur deux d’entre eux, au verso de l’achevé d’imprimer. Les trois livres ont reçu également le tamponnage erratique au fil des pages, sur les gardes et le titre. On les a rognés. Ce sont des météores échappés du début des années 1960, à en juger leur date d’impression, souillés de la marque infamante de la modernité : le code-barre sur le premier plat. Cet ajout tardif sous une rustine transparente pourra être retiré sans dommage. Mais alors quel intérêt présentent ces artefacts venus du lointain des pratiques bibliothécaires, du temps où les métiers du livre ne se figeaient pas devant les écrans ? Eh bien, si je possède deux de ses titres, je trouve agréable de les relire dans un tel format, que l’on qualifierait d’in-12, sous réserve de vérifications (et j’ai la flemme de le faire en examinant les signatures et de me livrer à des calculs et parce que j’ai perdu la main, il faut bien le dire). Malgré le papier un peu jauni, la typo reste nette, et le format ne fatiguera pas le poignet, contrairement aux compilations boursouflées auquelles d’ailleurs Jacques Perret échappe, privilège de passer sous les radars de la mode… Ce coup de Lune, à prélever ces livres « sortis des collections », se paye déjà. Ils encombrent des rayonnages apoplectiques et choquent mon esprit de très modeste bibliophile. Mettons cela, alors, sur le compte d’un hommage aux bibliothèques et à l’amorce d’une songerie au sujet des précédents lecteurs de ces livres-là.
Ah oui, au fait : Jacques Perret, c’est drôle et bien écrit.
Merci de votre attention.

Jacques Perret : L'oiseau rare — Gallimard (1959) | Les biffins de Gonesse — Gallimard (1961) | Histoires sous le vent — Gallimard (1961)

vendredi 15 décembre 2023

Paf, dans ma bibliothèque !


« Parler de la bêtise, par les temps qui courent, c’est aller au-devant de toutes sortes d’écueils ; certains y verront de la présomption, d’autres même une volonté de s’opposer à l’évolution contemporaine. Il y a de cela quelques années, j’avais moi-même écrit : “Si la bêtise ne ressemblait pas à s’y méprendre au progrès, au talent, à l’espoir ou au perfectionnement, personne ne voudrait être bête.” C’était en 1931 ; et personne n’osera douter que le monde a connu d’autres progrès et perfectionnements depuis lors ! Ainsi l’urgence de cette question se fait-elle de plus en plus pressante : qu’est-ce au fond la bêtise ? »

Robert Musil 
: Conférence prononcée à Vienne en 1937
De la bêtise, Allia, 2015

mardi 28 novembre 2023

Paf, dans ma bibliothèque !

L’autre fois, j’ai effectué une promenade un peu triste dans ma ville natale, livrée à une spéculation immobilière qui détruit des quartiers entiers, abolissant à jamais une certaine urbanité au profit d’une classe moyenne motorisée, qui relègue ses pauvres importés à coup de Ouigo dans des périphéries merdiques et bétonnées. Bien que j’y habite à une soixantaine de kilomètres, je m’y déplace peu, désenchanté par une cité que je ne reconnais plus. L’occasion se présentait tout de même pour une opération de reconnaissance, car un bouquiniste chez lequel je trouvais quelques affaires (dont le facsimilé d’Alcools d’Apollinaire illustré par Marcoussis pour une bouchée de pain) avait fermé définitivement, y compris les autres boutiques à son enseigne dans la ville. J’arpentai donc, je déambulai, guère convaincu de trouver l’équivalent. Je remarquai toutefois un libraire que je me promis de visiter ultérieurement, lorsque j’aurai quelques sesterces à dépenser pour une édition un peu relevée. Là, ce jour, il n’en était pas question. Je me dirigeai tout de même au marché des bouquinistes qui se tient sur une place pas désagréable au cœur de la ville, malgré la méfiance que suscite ce genre de manifestation à cause des prix pratiqués. Je me gourais. Les deux Mark Twain ci-dessous m’ont coûté cinq euros pièce. Il s’agit d’éditions tardives, 1930 et 1932 mais dans la présentation de la grande époque du Mercure. Certes, je possède également les Contes humoristiques parus en 1989, dont on retrouve ici quelques nouvelles, mais je préfère l’agrément de ces formats in-12. Ils complètent l’embryon de rayon consacré à l’auteur et alimentent mon goût pour les textes courts. Cinq euros, j’en suis presque déçu : voici le tarif pour un bon auteur dans une édition pas moche qui se tient encore (à la différence des Mercure fin-de-siècle aux brunissures irrémédiables), alors que la moindre merdouille en poche vaut pratiquement le double. Le constat ajoute à la mélancolie de la visite. Allez zou, je vais faire un peu de place pour ces deux là.
Sinon, que voulez-vous que je vous dise sur Mark Twain ? Ah, si… comme Balzac, il s’est mêlé d’histoires de typo et y a perdu sa fortune. Il faudra bien le raconter ici un jour, tiens…
Le surlendemain, je passai à ce qui est devenu l’unique boîte à livres de ma ville. Je vous avais déjà causé de sa disposition, qui l’ouvre hélas aux quatre vents et surtout aux pluies transversales. On imagine le désastre d’une bourrasque bretonne sur les bouquins que des indélicats ne songent pas à remettre tout au fond. À cela, ajoutons un personnage curieux, qu’il faudra bien que je suive un jour pour satisfaire de ma curiosité et qui y opère une razzia, à remplir des sacs entiers de tout et n’importe quoi. Évidemment, cela tient de la compulsion maladive, ce qui n’étonne guère lorsqu’on le croise devant le rayon à ciel ouvert — ou presque. Ai-je eu du bol en trouvant ce Spitz en Marabout, en passant avant lui, ou bien celui-là ne lui disait rien : mouches, couverture noire, etc. ? Difficile de circonscrire les critères de choix de cet étrange personnage. Cela faisait longtemps, pour cette boîte à livres, et encore plus longtemps que je n’avais pas eu envie de rouvrir ce Spitz. Allez zou, je l’ai pris. Je découvre peu après que le volume coûtait 4,10 francs à Euromarché, grâce à une étiquette apposée sur un des contreplats.
On excusera le ton un peu désabusé, mais le Tenancier a fait face il y a peu au temps qui passe et il vous confirme que c’est bien une saloperie…
 
 

Mark Twain : Le legs de 30.000 dollars — Mercure de France, 1930
Mark Twain : Exploits de Tom Sawyer détective et autres nouvelles — Mercure de France — 1932
Jacques Spitz : La guerre des mouches — Marabout, 1970

mardi 21 novembre 2023

Paf, dans ma bibliothèque !

Votre Tenancier a été longtemps salarié dans une librairie du XVIe arrondissement de Paris. L’un des intérêts annexes de cette activité fut le spectacle d’une faune assez remarquable... La rubrique présente me donne l’occasion d’évoquer une figure discrète et amusante qui fit quelques visites dans nos murs, non pour des livres d’art ni dans le but d’acquérir des ouvrages bibliophiliques, mais afin de faire l’emplette de quelques 10/18, comme — si je crois m’en souvenir près de 25 ans plus tard — la série des « Frère Cadfaël » ou d’autres polars historiques que la collection produisait alors. C’était une marquise authentique, telle qu’on l’imaginerait dans quelque dessin gentiment moqueur dans une revue bien élevée : brushing et minceur à la limite de la maigreur, ce qui me faisait immanquablement penser que la noblesse avait quitté certaines amplitudes dignes de Botero pour acquérir une silhouette à la Giacometti, à l’inverse des gueux actuels qui tendent vers l’obésité. Avec ça, la façon de s’habiller désinvolte d’une délurée bon chic des fifties, mais avec une sobriété remarquable du côté de la joncaille. Bref, Madame la Marquise ne se montrait pas bégueule, signe éloquent d’éducation, qui ne permettait certes pas de lui taper dans le dos, mais qui rendait son commerce agréable. Je ne me rappelle plus de quelle manière je pris connaissance de son titre nobiliaire, peu importe d’ailleurs. Je m’amusais de cette présence qui s’égaya encore plus le jour où elle exhiba un superbe face-à-main pour mieux lire un résumé… J’étais conquis, irrémédiablement fan de Madame la Marquise ! La conversation était brève en sa présence, mais elle se surprit sans doute elle-même à me confier qu’il lui arrivait de regarder le Tour de France à la télévision « en compagnie de Mère, car les paysages de notre pays sont magnifiques ». Je touchais alors peut-être à cette sorte d’esprit qui attachait certaines familles au terroir idéalisé, ou bien peut-être me plais-je à romancer tout cela... Il n’empêche : chaque fois que je tombe sur la course, je pense à Madame la Marquise.
Il n’en fallait pas plus que, retombant sur la couverture des chroniques de Blondin, je me remémore cette réflexion et le plaisir du pastiche « Grand-Siècle » auquel s’était livrée l’auteur (La nouvelle s’est répandue en fin de matinée sur le ton du « madame se meurt !... Madame est morte !... » Et pendant un moment, nous fûmes dans l’expectative atroce d’une femme du monde qui a laissé ses diamants sur la toilette de lavabos. — Étape de Bayonne, 19 juillet 1954). L’immense arpentage enguirlandé de pastiches de Bernanos, de Saint-Simon, de Péguy, etc. eût été apprécié par Madame la Marquise, je crois. L’avait-elle acheté ? Je n’étais plus là pour le savoir… Avec ses façons de mémorialiste goguenard, Blondin nous remet sur les brisées d’une littérature qui n’oublie pas ses classiques, au milieu des odeurs d’embrocation et de graisse de chaîne à vélo. Quel plaisir ! Votre Tenancier en picore un peu avant de dormir, le cœur léger, avec cette saveur des noms engloutis : Koblet, Dotto, Laurédi et plus tard, peut-être, un certain Letort, Désiré — rien à voir avec le Tenancier, qui,  parfois, accorde une pensée à la Marquise.


 
Rien à voir non plus, avec ce petit bouquin de la collection Samizdat qui fait le point sur les mécanismes de diffusion de la culture et amorce quelques réflexions sur, par exemple, les « Créative Commons » et le « Copyleft » (dont on espère une traduction un jour). Ouvrage à recommander à ceux qui se font encore des illusions sur le métier d’éditeur, la vocation d’écrivain, etc. Bien entendu, votre serviteur connaît à peu près tout cela. Ajoutons que le bouquin est clairement destiné à circuler dans les boîtes à livres. Toutefois, vous pouvez faire tintin avec cet exemplaire. Je le garde, tudieu, comme tous ceux de cette collection !
Vous connaissez l'auteur pour le rencontrer en ce moment, deux fois par semaine, dans ces colonnes...


Antoine Blondin : Tours de France, chroniques de "L'Équipe", 1954-1982 — Editions de La Table Ronde, 2001

Pierre Laurendeau : Le droit d'auteur est-il soluble dans la démocratie ? — Club Samizdat, 2023

mercredi 8 novembre 2023

Paf, dans ma bibliothèque !

Dernier volet des dons de cet ami qui élague sa bibliothèque, en gardant ce qui reste essentiel pour lui. Il a bien raison, cet homme, il procure du plaisir à ceux qui récupèrent les livres. On voudrait toutefois qu’il ne s’en dépouille pas trop, que descendu de sa félicité il ne se prenne pas à regretter sa dilapidation passée. L’homme heureux se doit de ne pas regarder trop en arrière, juste assez pour savoir que ceux qui l’apprécient le suivent encore, toujours… Ceux-là, s’ils sont délicats, se souviendront de la provenance de ces livres et en garderont de la reconnaissance. En retour, il semble que la générosité soit un stimuli cérébral, étudié par les neurobiologistes. Ainsi, cet ami ajoute à son bonheur encore plus de bien-être. Entre nous, j'ai bien l'impression qu'il se conduit comme un junkie, celui-là. La substance est licite, on se rassure.
Ces quatre ouvrages me faisaient envie :
J’ai vu que Pierre Michon était décrié par certains, je ne sais pourquoi exactement, tant les critiques sur lesquelles je suis tombé me semblaient décalées par rapport à ce que j’avais lu, trop peu d’ailleurs. « Mais enfin, ils font bien ce qu’ils veulent ceux-là ! », me dis-je in petto, parce que je suis bien content de récupérer ces titres, surtout après avoir ouvert au hasard le Corps du roi et être tombé sur cette page :
« Il n’y aurait peut-être qu’une preuve possible de l’excellence de l’œuvre, qu’un moyen de pulvériser une bonne fois le masque, qu’une ratification surnaturelle de la toute-puissance de l’écrit : ce serait d’en mourir de jouissance. L’artiste parfait, parfaitement justifié et ratifié existe dans Madame Bovary, dans la scène burlesque ou Emma et Léon exaspérés, fous de leur corps, sont emportés dans une visite guidée de la cathédrale de Rouen, englués dans la parole du Suisse : “Voilà, fit-il majestueusement, la circonférence de la grande cloche d’Amboise. Elle pesait quarante mille livres. Il n’y avait pas sa pareille dans toute l’Europe. L’ouvrier qui l’a fondue en est mort de joie.
Cette cloche de vingt tonnes tombée du ciel que son auteur prend sur la gueule, c’est le texte qui tue. »
Je n’ai pas envie de mourir, mais quitte à y passer, autant que ce soit par cette sorte de joie.
L’autre Michon, je me réserve de l’explorer plus tard, constatant que la couverture de ce Verdier poche rappelle les maquettes de collections universitaires ou théâtrales des années 1970. Je suis peu influençable, question couverture, mais je me félicite tout de même que ma connaissance de l’auteur devance la découverte de ce spécimen.


Voici un livre que j’étais tenté de lire depuis longtemps, sans doute parce qu’il comporte une partie inédite (la première édition chez Fata Morgana en 1982 l’avait ôtée et je comprends assez pourquoi) vers laquelle je me suis bien entendu dirigé. Mmmh, disons qu’on ne va pas être très d’accord, pour user d'un euphémisme, mais que je satisferai ma curiosité tout de même. Ensuite, cela fera peut-être le bonheur d’un autre ; le livre entamera une pérégrination vers des bibliothèques plus lointaines, il en trouvera peut-être une plus accueillante ou alors moins… sourcilleuse au sujet des délires sur la race de l’auteur.


Allons, finissons par plus heureux, plus joyeux, plus ravigotant avec le gigantesque, le délirant et le loufoque Cami. À feuilleter l’ouvrage avant de le déguster avec délice, je constate que les dessins de Nicolas de la Casinière vont bien avec le style de Cami et rappellent même un peu les « strips » de lui dans l’Illustration ! Ah quel bonheur anticipé, ce que réserve toujours l’ouverture d’un de ses livres !
Voilà, « C’est tout, les amis ! », comme dirait un lapin de notre connaissance. Maintenant, dans les dons, si vous voulez bien m’offrir un peu de temps, j’en prendrais avec reconnaissance… En attendant, cette chronique risque de devenir un peu étique, à cause de ce qui s’accumule autour de moi.

Pierre Michon : Corps du roi — Verdier, 2002
Pierre Michon : L'empereur d'Occident — Verdier poche, 2007
François Augiéras : Domme ou l'essai d'occupation — Cahiers rouges, Grasset, 1997
Cami : Les aventures de Loufock-Holmès — L'Atalante, 1997

mercredi 1 novembre 2023

Paf, dans ma bibliothèque !

Continuons de gloser ici sur la donation de cet ami désireux d’écrémer sa bibliothèque. Assurons nos lecteurs que ces livres ont été choisis par bibi et que d’autres amis et proches ont également pioché dans ce qui fut mis à disposition. Aujourd’hui, nous allons traiter par lot, procédé facile face à des livres que l’on connaît à peine, et pour cause : il faudrait les avoir lus aussitôt acquis.
Il existe peut-être encore une sorte de snobisme à l’égard des ouvrages édités en « club ». Certes, les exploits de la Waffen SS ou le compte-rendu de l’Opération Barbarossa sous « reliure » en skyvertex ont de quoi refroidir le paisible lecteur. D’ailleurs, ces saloperies militaristes (et souvent rédigées par des fascistes) ne courent plus les rues ni trop les boîtes à livres, en tout cas moins qu’avant. On s’en félicite. Toutefois, ces maisons spécialisées dans la production sérielle, procurent quelques joies pour l’amateur de Verne, de Simenon, de classiques de ceci ou de cela, en somme d’une littérature qui fut « Grand Public », sans doute confinée dans le purgatoire de bibliothèques familiales, attendant le débarras d’une descendance indifférente. Il faut le regretter, le déplorer, mais s’abstenir de vouloir rêver à leur complétion, sous peine de périr sous l’accumulation. Les seules séries en club que je possède sont des héritages : les œuvres de Tchekhov (12 vol.) et les Mémoires d’outre-tombe (avec la préface de Guillemin)...
Me voici donc récipiendaire d’une amorce de série, « Les classiques du crime », quatre volumes que je ne songe pas à compléter, deux anglo-saxons et deux français, dont un roman déjà lu et grandement apprécié : C’est toujours les autres qui meurent, de Jean-François Vilar. Je le possède dans sa première édition. Tant mieux, je pourrai offrir celui-ci à une personne méritante, à l’instar du London de la dernière chronique. Notons que ni le Irish ni le Bloch ne sont issus d’une traduction de la Série noire ce qui laisse espérer un texte un peu plus complet, à défaut d’avoir un avis préalable sur le travail du traducteur. D’ailleurs, comment l’évaluer lorsque l’on éprouve déjà pas mal de problèmes avec sa propre langue ?
Restons dans le domaine avec ces deux ouvrages de chez Rivages, chaudement recommandés par cet ami. On lui prête quelque compétence en la matière. On s’est laissé faire. La bibliothèque noire s’étoffe…

 
Brisons-là avec cette littérature. Il était temps. On apprécie que les plats varient, même si l’on aime revenir sur certaines saveurs. C’est le cas avec David Le Breton, dont j’avais lu dans le temps La chair à vif, usages médicaux et mondains du corps humain, lecture utile et captivante pour qui s’intéresse à cette partie de la littérature de la Belle-Époque et de l’entre-deux-guerres abordant les sculpteurs de chair humaine ou de visages : Le Rouge, Leblanc et bien d’autres. Certes, cela ne constituait pas le cœur du propos, mais restait un élément intéressant pour en saisir certains aspects. Hors ces considérations, l’ouvrage fait partie de toute cette production qui renouvelle l’anthropologie historique. La venue de ce livre de Le Breton est donc accueillie avec plaisir, d’autant que celui-là va augmenter un modeste rayon (3 ou 4 ouvrages, pas plus) consacré à la randonnée. Il est d’ailleurs si petit que je le localise toujours très mal dans la maison. Je peux ainsi me targuer d’un problème de riche, c’est bien le seul. Clin d’œil ironique du destin : je sors à peine d’un travail — bien plus prosaïque — sur le sujet.
On bouclera l’inventaire de cet arrivage dans la prochaine chronique, qui sera beaucoup moins orientée. On respire, car l’on ne tient pas du tout à passer pour un spécialiste de quoi que ce soit, sauf peut-être du babillage sur blogue.

— Jean-François Vilar : C’est toujours les autres qui meurent — Edito service, 1982
— Pierre Siniac : Monsieur Cauchemar — Edito service, 1980
— William Irish : Lady fantôme — Edito service, 1984
— Robert Bloch : Un serpent au paradis — Edito service, 1982
— Tim Dorsey : Stingray shuffle — Rivages/noir, 2008
— Roger Simon : Le clown blanc — Rivages/noir, 1993
— David Le Breton : Éloge de la marche : Métailié, 2000

samedi 28 octobre 2023

Paf, dans ma bibliothèque !

Continuons donc notre chronique, devenue abondante par le don d’un ami, touché par la félicité amoureuse. L’homme heureux et apaisé voyage-t-il léger ? En tout cas, nous avons découvert précédemment qu’il s’était séparé d’ouvrages alléchants. Ce billet paraîtra alors un peu terne : pas de curiosité bibliophilique ou de reprint prestigieux.


Oui, certes, cette moisson noire date un peu, mais je ne suis plus taraudé par l’obsession de la nouveauté littéraire, même au sujet de la « littérature de genre ». Je confesse quelques wagons de retard pour ce qui concerne le roman et la nouvelle, noirs et sans sucre. Voici donc de quoi entretenir quelques lectures vespérales variées, selon le rythme établi il y a quelque temps : une nouvelle, une nouvelle d’un autre recueil et d’un autre auteur puis enfin un roman, dans un registre différent, encore. Les habitués ici le savent, votre serviteur a commis quelques dizaines de nouvelles et l’intérêt reste toujours vif vis-à-vis de cette catégorie.


Mais bien entendu que je possède déjà ce Jack London ! C’est d’ailleurs une épine dans mon flanc, car après l’amour fou il peut exister des séparations déchirantes (ce que je ne souhaite pas à cet ami !) qui nous obligent à disperser une bibliothèque : des milliers de bouquins de SF dont je ne souffre pas trop de l’absence, mais aussi de livres de London en Crès ou en Hachette, bon sang ! Rien ne consolera de cette disparition. Je possédais également cette série, dans la collection 10/18, presque complète et que je reconstitue peu à peu, ne négligeant pas les doublons afin d’améliorer mes exemplaires. Je réserve les titres excédentaires à quelques amis de passage. Il ferait beau voir que je me livre à de la rétention ! Ce serait également contredire mes propos dans La main d’Émeline, au sujet de Jack. En tout cas, je me fais une raison, dommage collatéral de la sénescence : je ne reverrai pas mes vieux London. (On retrouvera ce volume un de ces jours dans la liste des 10/18 dressée dans ce blogue).


Eh bien oui, Copi ! Je n’en ai pas assez lu. Quelle drôle d’idée de s’en séparer. Je vais bouquiner celui-ci, que je ne connais pas, et peut-être relancerais-je cet ami pour qu’il le récupère, selon l’adage qu’il vaut mieux avoir des remords que des regrets. Ce sont des sentiments fâcheux. Après tout et après réflexion, je ne vais peut-être pas l’interpeller…


Ce petit livre fut offert par l’éditrice à tout acheteur, je devine, de volumes provenant de chez elle. Chemin balisé d’un certain humour qui a occupé les deux rives de l’Atlantique, avec, par exemple, Benchley ou Runyon (pour ce dernier, je voudrais bien un de ces jours me procurer ses chroniques de Broadway qui ont été publiées chez Gallimard…) Le sourire aux lèvres devient une denrée rare.


Oui, bon, scrogneugneu c’est du Saint-John Perse ! Je m’amuse par avance d’entendre ou de lire quelques amis poètes m’en faire le reproche, d’autant que, me portant volontaire pour cette acquisition, je ne professe pas du tout l’esprit de découverte. J’en avais déjà lu et n’avais pas détesté (ouh ! ouh !), sans doute parce que je reste assez obtus en matière de poésie : « Pas de sensibilité », « Pas la maîtrise », tout ce que vous voulez… pas grave. Je vous aime quand même, les gars.


L’ami en question cultive un côté Saint-bernard dès qu’il s’agit de récupérer des livres. On peut lui reprocher parfois son manque de discernement dans le « sauvetage » d’exemplaires d’occase, même pour combler une lacune. Celui-ci est vraiment dégueu : gauchi, bruni, avec des rousseurs, il n’a pour lui que de ne pas figurer dans la bibliothèque consacrée à Westlake. Est-ce bien raisonnable ? Je n’en lis plus trop (et là, tous les zélotes vont me tomber sur le râble), je fatigue un peu à la longue. Vous croyez qu’on peut devenir blasé de Westlake ? J’en frémis. C’est sans doute passager. Je l’espère, parce qu’Otto et George m’attendent au tournant. Allez, je garde ce volume-là, ne serait-ce que par prudence.

Je faisais allusion à la SF plus haut et vous n’en verrez pas trop dans cette chronique. Je dois admettre que je n’ai plus trop d’appétence pour une littérature dont une grande partie coure après son obsolescence — c’est dans sa nature. Bien sûr quelques auteurs surnagent et ce ne sont sans doute pas les mêmes que les vôtres. D’ailleurs, cet ami ne m’en a pas proposé. J’aurais toutefois succombé à la nostalgie des Chute Libre et Titres/SF alignés dans un coin de sa bibliothèque. On n’est pas de bois. Mais cette cession n’était pas à l’ordre du jour. Et puis, où vais-je entreposer tout ça ?
 
— Michael Connelly présente : Moisson noire — Rivage/noir, 2006
— Jack London : L’amour de la vie — 10/18, 1974
— Copi : Une langouste pour deux — Christian Bourgois, 1999
— P.G. Wodehouse: Webster le chat — Joëlle Losfeld, 1999
— Saint-John Perse : Éloges — Poésie/Gallimard, 1967
— Donald Westlake: Drôles de frères — Rivages/noir, 1991

mardi 24 octobre 2023

Paf, dans ma bibliothèque !

J’y ai fait allusion à plusieurs reprises dans ce blogue : « L’homme heureux n’a pas de chemise ». Je ne sais pas d’où cela vient, mais ce proverbe me plaît, même si du côté vestimentaire je n’ai pas à me plaindre, tout en étant préservé du malheur (croisons les doigts). Mais pour les possesseurs de livres, existe-t-il aussi un précepte autant inepte ? Assurément, on en a vu passer lors du confinement tandis que les libraires avaient été contraintes de fermer : déclarations connes sur la liberté — ou la libération — liée au livre, comme si Mein Camphre ou autre truc de ce genre n’avait jamais existé. Bref, dois-je craindre un accroissement des emmerdements en accumulant les volumes ici et là ? Eh bien, cela risque fort d’arriver au bout d’un moment avec notre maison qui n’en pourra mais sous le poids. Pour l’instant, pas de craquement suspect. On reste serein. Tout de même, il convient de se méfier du bonheur des autres, qui, se sentant légers, se défaussent encore plus sur les amis, tel celui-ci, amoureux au point d’en perdre des kilos, se libère également de nombre de livres de sa bibliothèque. À nouvel homme, de nouvelles perspectives, et bien dégagées s’il vous plaît ! Voici les rayons qui se vident et mes bras chargés d’une pile : pas moins de dix-neuf livres à « rentrer » (comme disent les libraires d’occasion et les bouquinistes) ! Bigre, vais-je m’amuser à chroniquer ici tout cet arrivage d’une traite, vous infliger un placard indigeste, d’autant que je vous tiens la jambe depuis environ 1500 signes avec mon babil ? Allons, je vais me montrer raisonnable et vous appâter par deux ouvrages non négligeables :
 
 
Oui, c’est bien le reprint complet de la revue chez Jean-Michel Place, superbe et à l’état neuf. Petite bouffée de nostalgie puisqu’il m’est arrivé de voir circuler les originales dans un passé qui s’éloigne de plus en plus. Que dire de plus, sinon que je biche ce genre de publication !
 
 
Puisqu’il est question d’édition originale, voici un des 925 exemplaires sur vélin ivoire de cette « édition publique » de Cendrars. Cette publication a fait un peu polémique à l’époque, en 1997, en raison de la rareté du document-source et donc de l’attente qu’il a suscité. Parfois, le prodige d’une réapparition peut faire douter. On a en mémoire, vers la même époque, d’un roman inédit à l’histoire miraculeuse[1] et pour lequel on continue ici et là à concevoir des doutes, sans preuve concluante, mais avec le chiffre d’affaires d’un poids lourd de l’édition. Pour revenir à cette Légende de Novgorode, sa page Wikipédia fait état des polémiques qui courent encore. Tout ce qui prête à une enquête sur la nature matérielle de la publication, la codicologie, donc, reste passionnant. Tant que les « raretés » ou les manuscrits sont gardés hors de portée des spécialistes, le scepticisme demeure la règle… On accueille donc ce volume avec un certain plaisir, celui de lire du Cendrars, ou celui de conserver peut-être un faux, sachant que les deux peuvent se confondre. La couverture de celui-ci était légèrement tachée, mais rien qu’une gomme blanche n’a pu enlever. L’on a vu également des exemplaires du tirage de tête nous passer sous le nez avec l’eau-forte d’Alechinsky. Les livres, cela existe aussi pour rêver ou se souvenir, un épisode mélancolique, parfois.
La suite un peu plus tard…
 
[1] Paris au xxe siècle, de Verne.

Le Surréalisme au service de la Révolution, numéros 1 à 6, juillet 1930 à mai 1933, colleciton complète — Jean-Michel Place, 2002
Blaise Cendrars : La légende Novgorode — Fata Morgana, 1997

samedi 14 octobre 2023

Paf, dans ma bibliothèque !

Diable, aurais-je l’intention de doubler, voire de tripler ma bibliothèque simenonienne en prenant ces quatre bouquins dans la boîte à livre et en les joignant à l’héritage maternel? La pêche reste pourtant simple, qui va peut-être s’ajouter aux cartonnages sous jaquette des romans de Simenon aux Presses de La Cité, que ma mère allait acheter, en faisant un crochet chez un bouquiniste au retour du marché des Lices, à Rennes. À détour plus modeste, résultat en rapport. On se contentera de ces merles au format poche. On l’a constaté déjà, Simenon n’est pas rare dans ce genre de gisement et pas le pire, à côté de conneries, comme les livres de Slaughter ou des trucs que notre dissonance cognitive se refuse à identifier comme des livres. Simenon convient bien à la Vie de Province et même à l’ambiance de sous-préfecture où je réside. Rentrer du marché avec de quoi faire un bœuf bourguignon et des bouquins de Simenon dans le cabas, c’est décider de se mettre au diapason. Cela revient à se plier également à un certain art de vivre et à une certaine façon de manger. La cuisine de ma mère me manque, sa bibliothèque me la rappelle…
Tiens donc! Je n’avais pas ce Mac Orlan! J’étais pourtant convaincu de le posséder dans une édition correcte… Il est vrai qu’à force de l’avoir croisé lorsque j’étais libraire, je me suis persuadé qu’il était à m’attendre parmi les autres livres de l’auteur, derrière moi, là, au moment où je vous écris. Bien, comme les Simenon, l’exemplaire est modeste, mais sympathique, comme le sont les bouquins de la collection Le Livre de Poche dans leur ancienne édition. En effet, la typo moins pâlotte rend leur lecture agréable. Celui-là comporte des rousseurs, pas rédhibitoires, toutefois. Je possède quelques bons exemplaires de livres de Mac Orlan, sans prétendre à la bibliophilie — parce que je n’en ai pas les moyens. Je vais tout de même tenter d’améliorer cette prise un de ces jours.
Bon sang, il me reste si peu de temps (je vais bien, rassurez-vous, mais la vie est trop courte)...

 

J’ai connu l’auteur dans mon enfance, par une de mes sœurs, qui en était l’amie. J’étais curieux d’apprendre les détails de l’épisode de son bref emprisonnement en raison de son implication avec Action Directe, de cet étrange manque de lucidité au nom d’un romantisme révolutionnaire qui a semblé traverser une certaine génération. Aussitôt acheté, aussitôt lu : je mesure l’effort consenti à ce retour de mémoire. Il est moins question de dialectique et de praxis que d’amitié trahie et d’emprise. Cela nous est tous arrivé, certes, mais cela ne nous a pas tous conduits à l’isolement en Préventive. Du reste, c’est-à-dire de la lucidité politique qui le fait mêler Makhno et Marx, jusqu’aux «bonnes œuvres» de la mitterrandie, on s’abstiendra de se prononcer. On a bien fréquenté de ce côté-ci du clavier des gens de gôche (Mitterrand, Lang, toussa) — dont une que j’avais sous les yeux — à Radio libertaire… Au moins, pour ce qui concerne Dan Franck, il semble en accord avec lui-même et n’a sans doute impliqué que lui par son obstination à respecter son éthique. Je n’avais pas lu de ses livres depuis longtemps. Celui-ci m’a renvoyé au temps où ma sœur — qui n’y est pas citée, comme dans certains de ses romans — était encore vivante.

 

Dites-donc, cette rubrique vire à la nostalgie…

Georges Simenon : Le haut mal — Arthème Fayard, 1955
Georges Simenon : Les 4 jours du pauvre homme — Presses de La Cité, 1954
Georges Simenon : Strip-tease — Presses de La Cité — 1986
Georges Simenon : Le coup de Lune — Presses Pocket — 1976
Pierre Mac Orlan : À bord de l'Étoile matutine — Le Livre de Poche, 1962
Dan Franck : L'arrestation — Grasset, 2023