Tout « supérieur » qui veut
asseoir sa domination
sur ses subordonnés se doit de s’arroger une fonction langagière dont
il
détient les arcanes. Le cadre, dont le Tenancier vous a entretenu au
précédent
billet — d’ailleurs il ne sera mention que de lui dans cette série —,
avait
bien compris que son ignorance des métiers du livre pouvait entamer son
prestige. Cependant, il devenait impératif d’assurer son autorité sur
des
salariés, passant par-dessus celui qui était en charge directe desdits.
Ainsi,
le Tenancier et sa collègue de travail, en charge de passer des
contrats de
collaboration avec les libraires (la consœur, I., étant chargée de tout
ce qui
se passait en région parisienne et votre serviteur, la France et le
reste du
monde… francophone), furent convoqué en réunion. Qu’attendiez-vous
donc, chers
lecteurs ? Travailler dans un starteup n’empêche pas que l’on
perde du
temps de la sorte : habits neufs et vieilles pratiques. Donc, I.
et votre
serviteur furent conviés dans une petite salle où nous dûmes subir le
supplice
du feutre crissant à la sournoise sur le tableau Velleda et surtout le
déploiement d’une logorrhée que l’on déclare encore maintenant imbitable, ce dont on fit part de façon hasardeuse.
Le crime eût passé pour inaperçu, tant le cadre en question méprisait à
priori
ses subordonnés : il était normal qu’ils n’entravassent que dalle
étant
donné leur place dans la hiérarchie. Après tout, l’on manifesta là ce
qu’en attendait
cet individu, le témoignage de sa supériorité morale. Seulement le roi
était nu
et le lui fit savoir par quelques remarques qui renvoyaient à la plus
complète
inanité ses exercices lexicaux et ses leçons inutiles. Le marketing,
c’est
bien, mais connaître l’économie du livre d’occasion ou de bibliophilie,
c’est
mieux et expliquer son métier à des personnes qui avaient déjà un
certain
kilométrage relevait de l’impudence — mais après tout, dans les
starteups, on
prend des risques, n’est-ce pas ? — ou de la connerie. Nous
refusons ici
de faire un choix entre ces deux options, le cumul de ce type de charge
ne se
révélant pas trop lourd pour cet individu. Au moins, pour cela, il ne
trichait
pas. Nous sortîmes de la réunion, I. et moi, pas plus savants mais
dotés de
l’intime conviction que le bras droit de la direction était plutôt un
bras
cassé. Mais, vous savez ce que c’est, quand on est rétif à l’autorité,
on voit
le mal partout.
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samedi 6 décembre 2025
jeudi 4 décembre 2025
Oh, vous savez, hein…
Ces derniers temps, votre Tenancier a
subi une sorte de
creux dans l’activité d’écriture, non à cause d’une quelconque
défaillance,
mais parce que les circonstances extérieures l’ont obligé à ralentir et
à
perdre contact avec plusieurs travaux en cours. Rien de plus difficile
de
raccrocher au wagon lorsqu’on la laissé s’évader un peu trop loin. Ici,
l’exercice
a consisté à reprendre les textes à leur fondation et à les réécrire,
même si l’on
a retenu quelques éléments solides sur lesquels on ne trouvait pas trop
à
redire. Tout de même, la distance de plusieurs mois obligeait à un
regard
neuf, à des ratures et des repentirs. Nous voilà repartis dans les
plaisirs non feints de la création, prélude à l’épisode plus studieux
de la
relecture. Tout ça pour vous signaler que, après avoir achevé il y a
pas mal de
temps déjà un troisième recueil du Fleuve (regardez sur la colonne de
droite
pour les deux premiers) qui devrait paraître sous peu, le voici à la
tête de la
moitié d’une table des matières pour un quatrième. Sachez que cela ne
sortira pas
tout de suite pour le travail en cours, parce que l’on doit trouver
d’autres
histoires pour alimenter ce cycle et que rien ne presse, après tout. On
découvre
les meilleurs sujets en ne les cherchant pas, souvent. En revanche,
l’envie de
passer à des thèmes ou univers différents nous titille. On verra bien.
Mais en
attendant, on se remet à travailler à des choses ardues, écrites, et
cela fait
un bien fou. Merci de votre attention sur ce presque rien, mais après
tout nul
n’est tenu à d’être tout le temps intéressant, n’est-ce pas ?
Ma vie dans une starteup — I : La diagonale du vide
Connaissez-vous les petits ouvrages publiés chez Allia, parfois des textes marginaux d’écrivains reconnu, mais également des œuvres magistrales comme Bartleby ? Rien de bien éblouissant dans l’opuscule de Giorgio Voghera, Comment faire carrière dans les grandes administrations, mais la rigoureuse observation d’un mécanisme qui produit la gabegie et l’incompétence dans les machines administratives. Fort heureusement, votre Tenancier a échappé dans une large mesure à cette fatalité-là puisqu’il a loué sa force de travail la plupart du temps dans le petit commerce de la librairie, où les rapports hiérarchiques ne peuvent dissimuler la connerie trop longtemps. Oui, mais voilà, il est arrivé au Tenancier d’avoir faim et d’avoir porté sa candidature à une starteup vendeuse de livres puis de subir la fatuité, l’ignorance et l’incompétence d’un cadre qui prétendait régenter mon savoir-faire. Commençons par quelque chose de léger — on espère vous entretenir de cet imbécile sur deux ou trois billets supplémentaires —, c’est-à-dire par le jour où, friand de réunions évoquées également par Voghera ci-dessus, il développa devant nous une stratégie de conquête du marché et d’acquisition de stocks de livres. Le cours magistral s’annonça tout de suite édifiant, puisque cet éminent idiot nous incita à concentrer nos efforts sur cette zone de chalandise largement inexplorée qu’il pointa du doigt sur une carte : la fameuse « diagonale du vide » qui s’étend du Pays basque aux Ardennes, en réalité une zone à très faible densité de population. Le Tenancier croit se souvenir, vingt ans plus tard, que l’on avait renoncé à lui expliquer. On reviendra ultérieurement sur le chickenshit produit par cet individu qui continue de faire carrière, ce que nous trouvons absolument rassurant sur les capacités de nuisance du libéralisme : si nous désirons que cela perdure, continuons d’entretenir le culte de l’intuition du chef, en vogue chez les fascistes et les petits marquis du marketing (même production, filiales différentes) afin qu’ils continuent à se tirer une balle dans le pied.
samedi 29 novembre 2025
Restons couchés
Il en parlait plus tôt ce midi :
ces derniers matins,
le Tenancier retourne à une volupté ancienne qui consiste à ne plus se
lever et
à rester dans le lit à bouquiner, même s’il se trouve à jeun, les bras
refroidis
hors de la couette parce qu’il faut bien tenir le bouquin et tourner
les pages.
Bref, l’on retourne à la paresse et à un certain délice qui désire
ne plus
se presser, commencer la journée en douceur et même envie de repiquer
dans le
sommeil, ce qui est également arrivé, mais non sans avoir terminé le
chapitre,
car rien n’est plus irritant à nos yeux que d’interrompre le rythme
d’une
lecture. Dans ces conditions, impossible de replonger. L’on raconte
ceci
histoire de dire merde à ceux qui voudraient nous faire obéir. La
résistance commence
par le plumard, aussi dangereux d’ailleurs que de s’engager dans
l’armée puisqu’on
y meurt également souvent… Quelques fois, le Tenancier ne lit pas, il
rêvasse
et cela aboutit parfois à des récits à écrire. Le monde se porterait
mieux si
on restait quelques heures de plus au chaud, des bouquins à portée de
main et p’têt
ben des hauts à manches longues pour ne pas se refroidir les avant-bras.
samedi 15 juin 2024
mercredi 31 août 2022
Perte de mémoire
Votre Tenancier chéri a abandonné le
métier de libraire
depuis pas mal d’années, désormais. Il constate la perte progressive de
certains processus mémoriels qui étaient liés au boulot. En effet, la
chose s’entretient
presque malgré soi lorsque, lâché entre les rayonnages la stimulation
vient de
toute part. Ce type de mémorisation (titre, auteur, éditeur,
distributeur,
date, tirage, etc.) reste curieuse dans sa structure, elle entraîne à
des
petites manies « cladistiques » qui déborde
parfois sur
le quotidien, au point d’être possédé par la pulsion de classer sa
propre
bibliothèque. Signe de déshérence, celle de votre serviteur se
bordélise,
abandonne la rigueur pour une sorte de schéma vague qui ferait plus
confiance à
l’instinct qu’à l’ordre pour retrouver ce nom de dieu de putain de
bouquin qu’il
cherche depuis des mois (il est sous ton nez, ballot !) À cela
s’ajoute l’accumulation propre au
bibliophage qui décourage également toute tentative de rangement des
ouvrages,
sinon par strates, prenant alors un référencement temporel : les
plus
vieux en dessous de la pile. Bref, on le constate, le soussigné opère
avec brio
l’abandon complet d’un métier pour lequel il n’éprouve plus d’attrait.
Non que
le livre en tant que matériau ou que contenu le désintéressent, mais
sans doute
n’a-t-il plus la patience de supporter la dévotion bêtasse qui se
déploie autour
cette activité. Et puis, entre nous, on aurait l’air fin de revenir à
un métier
que l’on a en apparence renié (pas du tout, en réalité, seulement
auprès de
certains lecteurs approximatifs, constat qui ne décourage même plus
votre
Tenancier qui ne veut plus perdre son temps). En réalité, on respecte
ici le
libraire qui opère des choix, qui a envie, quitte à ce qu’il en paye
les
conséquences.
Alors, en effet, une certaine qualité de mémoire se dilue, tandis que l’on tente de s’entretenir intellectuellement. D’un autre côté, cette déperdition quitte sa dimension aliénante : plus de pulsions chronologiques ou thématiques, l’oubli participe à un fonctionnement spéculatif qui permet de revenir sur un sujet, de le considérer sous un autre angle, sans le frein de l’indexation. Et puis, tout de même, la capacité demeure, même marginale, et se dirige sur des sentiers différents, plus savoureux, plus sensuels, parfois. Cette sorte de renouveau confirme le fait que l’on s’est lassé de classer, que l’on a délaissé une névrose pour d’autres, que l’on espère plus jouissives. Cela dit, ce n’est pas gagné...
Alors, en effet, une certaine qualité de mémoire se dilue, tandis que l’on tente de s’entretenir intellectuellement. D’un autre côté, cette déperdition quitte sa dimension aliénante : plus de pulsions chronologiques ou thématiques, l’oubli participe à un fonctionnement spéculatif qui permet de revenir sur un sujet, de le considérer sous un autre angle, sans le frein de l’indexation. Et puis, tout de même, la capacité demeure, même marginale, et se dirige sur des sentiers différents, plus savoureux, plus sensuels, parfois. Cette sorte de renouveau confirme le fait que l’on s’est lassé de classer, que l’on a délaissé une névrose pour d’autres, que l’on espère plus jouissives. Cela dit, ce n’est pas gagné...
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