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mardi 26 mai 2020

La presse est morte !

Ami lecteur, si tu parcours ces lignes, c’est que tu as été accroché par ce titre délibérément racoleur. Et, en outre, auquel l’auteur de ces lignes ne souscrit pas. Ne pars pas de suite, je vais t’expliquer.
Aujourd’hui, la presse va mal, très mal. Outre le déclin qu’elle connaît depuis déjà plusieurs décennies, les circonstances actuelles ne sont guère à son avantage : crise du coronavirus « aidant », les quotidiens et périodiques ont du mal à remplir leurs pages (imaginez la presse sportive, notamment…), les éventuels lecteurs rechignent à aller se frotter aux autres chez les marchands de journaux, les possibles annonceurs commencent à regarder de près leurs dépenses publicitaires. En sus, comme si cela ne suffisait pas pour mettre en péril tout le secteur, le principal distributeur de presse français, Presstalis, est au bord du gouffre. Le tribunal de commerce a déjà prononcé la liquidation judiciaire de ses filiales régionales et l’entité elle-même (qui a succédé aux NMPP, Nouvelles Messageries de Presse Parisienne) est au plus mal. D’autant que, dans un concentré de ce que l’humanité sait faire de « mieux », tous les acteurs du marché (Presstalis est un organisme paritaire, détenu et géré en grande partie par les éditeurs de presse, une autre partie étant administrée par la CGT) s’entre-déchirent : éditeurs de quotidiens et éditeurs de magazines se combattent les uns contre les autres pour tenter de conserver les meilleures « miettes » du gâteau alors que la CGT a entamé depuis plusieurs semaines déjà une grève qui bloque la diffusion de la plupart des titres (hors PQR, presse quotidienne régionale) dans bon nombre de régions du pays. Bref, plutôt que de s’unifier pour tenter de répondre de façon unie à la crise, chacun tire ce qu’il reste de la couverture à soi, sur l’air du « mieux vaut mourir seul que vivre avec les autres ». Humain, disais-je…
Partant de là, et en revenant sur la baisse continue de la diffusion et des recettes publicitaires qui plombe le secteur depuis des années, comment ne pas penser que, oui, « la presse est morte » ? Certes, si tous les acteurs concernés continuent dans la voie où ils se sont engagés, ils arriveront bien, effectivement, à « tuer » la presse. Mais cela n’a rien d’inéluctable.
Sans se prendre pour un « expert », ce qu’il n’est pas, l’auteur de ces lignes travaille depuis déjà plus de 35 ans dans la presse « papier », un univers qu’il aime mais qu’il voit se dégrader au fil du temps, à son grand regret. Regret, parce qu’il considère que la presse pourrait aller mieux, pour peu que l’on ait la volonté et l’imagination de la faire vivre.
D’aucuns se retranchent derrière le classique « Internet a tué la presse » pour classer l’affaire. L’auteur de ces lignes ne souscrit pas à cette affirmation. Certes, Internet a cette capacité à relayer une information quasi-instantanément qu’aucun journal, même quotidien, ne peut avoir. Et draine de ce fait une bonne part des recettes publicitaires.
L’auteur de ces lignes a vécu de près la mutation de la presse lorsqu’Internet a commencé à émerger. Dans de nombreux groupes de presse, il a alors été investi de grandes sommes pour créer des sites, avec rédactions pléthoriques et autres dépenses pas toujours justifiées. En espérant tirer les marrons du feu sur ce nouveau média tout en ne faisant plus rien pour leurs titres « papier ». Résultat : les sites se sont révélés des gouffres financiers (la pub rapportait très peu à l’époque) et les magazines ou journaux dépérissaient. La situation n’a guère changé depuis, si ce n’est que les recettes publicitaires sur Internet ont augmenté, sans toutefois rendre la plupart des sites d’information rentables.
En fait, il faut revenir encore quelques années en arrière pour comprendre comment cette évolution a été rendue possible. Lorsque l’auteur de ces lignes a commencé à travailler dans la presse, au mitan des années 1980, la plupart des groupes de presse étaient détenus par des sociétés plus ou moins familiales, en tout cas par des dirigeants-actionnaires issus du monde de la presse, souvent passionnés par ce secteur. Et donc connaisseurs des schémas économiques d’icelui : on peut (très) bien vivre de la presse mais ce n’est certainement pas le secteur le plus rentable de l’économie. Mais, pour de multiples raisons, l’ère des « patrons de presse » s’est terminée, ils ont été au fil du temps remplacés à la tête des groupes de presse par des sociétés ayant pour seul horizon le bilan comptable et pour seul objectif les fameux « 15 % de rentabilité ». À la clé, ils ont évidemment commencé par tailler dans les coûts, en premier lieu en ciblant le poste de dépenses le plus évident, le personnel. Les rédactions se sont donc recroquevillées comme peau de chagrin, avec comme conséquence une baisse évidente de la qualité des contenus : comment mener une enquête fouillée alors qu’on est censé « produire », comment vérifier des informations lorsque l’on a X articles à finir dans les délais, comment assurer la bonne tenue grammaticale et orthographique des articles alors que la correctrice a été remplacée par le logiciel de correction de Word et ses innombrables approximations, comment faire correctement le métier alors qu’on n’est plus que trois pour remplir le journal qu’on faisait à six il y a encore peu ?
Bien plus qu’Internet, c’est cela qui a conduit au déclin de la presse « papier », tout comme l’imprévoyance et le manque de vision des dirigeants de presse. Oui, on ne peut nier qu’Internet a pris tout un pan de l’activité traditionnelle de la presse, l’information brute. Mais la plupart des groupes de presse sont montés dans le train du Web sans réfléchir une seconde à ce qu’il fallait faire pour maintenir la presse « papier » dans une bonne santé économique. Ce qui est malheureusement toujours vrai aujourd’hui : avez-vous constaté une évolution du contenu et de la présentation des quotidiens et magazines depuis l’avènement d’Internet ? Hormis, pour certains titres, une baisse de qualité (aux raisons déjà expliquées…) notable, et un moins grand nombre de pages de pub, ce ne doit pas être l’impression de grand-monde…
Pourtant, si l’on souhaite pérenniser cette presse « papier » aujourd’hui mal en point, il est évident qu’il faut songer à la « réinventer ». Certes, cela ne peut se faire d’un coup de baguette magique, et l’auteur de ces lignes ne prétend évidemment pas avoir « LA solution ». Pour autant, ne rien faire si ce n’est se lamenter sur la baisse des revenus, sur la grève, sur la mort de Presstalis ou quelqu’autre avanie ne mènera nulle part.
Alors, comment « réinventer » la presse ? Certes, le monde actuel est ce qu’il est, avec des lecteurs devenus des consommateurs d’Internet, de plus en plus habitués à lire sur un smartphone des contenus lapidaires envoyés à jets continus sans aucune hiérarchisation, la nouvelle la plus anodine ayant le même impact que la « news » la plus importante – sachant par ailleurs que les « chiens écrasés » et les articles « people » ou « à sensation » font généralement bien plus de vues sur un site d’information que des informations cruciales. Mais, pour autant, la presse « papier » peut encore avoir de beaux jours devant elle. Pour preuve un hebdomadaire comme le Canard Enchaîné, qui se porte très bien, merci pour lui, et ce sans un centime de revenus publicitaires. Comment est-ce possible ? Sans spécialement innover, le Canard a su maintenir au long des années la qualité de ses informations, a su continuer à intéresser ses lecteurs, à leur proposer des contenus inédits par ailleurs. On me rétorquera qu’il s’agit d’un cas particulier oeuvrant sur un secteur tout aussi spécifique. Ce n’est pas complètement vrai. D’autres titres, peut-être pas assez nombreux, se maintiennent à de très bons niveaux de diffusion (et par voie de conséquence économiques) dans de multiples secteurs de l’édition de presse. Le plus souvent parce qu’ils proposent un contenu de qualité répondant aux aspirations d’une cible de lectorat. C’est ce principe qui est transposable à n’importe quel organe de presse « papier ».
Mais, aujourd’hui, avec les bouleversements économiques en cours, cela ne suffira sans doute pas à pérenniser une bonne partie des titres existants. Cela va être aux acteurs du secteur de prendre les choses en main, d’arriver, répétons-nous, à se « réinventer ». À la fois dans ce qu’ils vont proposer comme contenus (et je parle là d’informations, pas de « contenus publicitaires » ainsi que voudraient les mettre en avant certains groupes « de presse », qui ne méritent pas ce qualificatif), dans leurs modes de distribution (sans les délaisser, les marchands de journaux et les grandes surfaces doivent-ils rester les seuls circuits de diffusion ?) et dans leurs rapports avec les potentiels lecteurs. Sur ce dernier point, c’est à ces acteurs de comprendre l’intérêt d’Internet. Plutôt que de se lamenter sur le fait que de plus en plus de monde délaisse la presse au profit du Web, il serait plus intéressant d’imaginer des solutions passant par Internet et/ou les smartphones incitant ces personnes (j’allais écrire « consommateurs » et puis brrr, nous sommes tous bien plus que simplement des portefeuilles sur pattes !) à s’intéresser à un titre de presse et à aller l’acheter.
Certes, cela ne peut se faire sans investissements. Mais quelle entreprise, tous secteurs confondus, peut se pérenniser sans investir ? Il ne s’agit pas de défendre la « croissance à tout prix », simplement de rendre une activité rentable. En ce sens, tout est possible. Il n’existe pas une solution unique qui conviendrait à tous les groupes de presse. Chacun doit examiner sa situation, se poser les bonnes questions, trouver les solutions adéquates, investir de manière avisée, utiliser les outils correspondant à sa situation. En bref, c’est à chaque acteur du monde de la presse de déterminer comment il va réinventer le secteur. Ce ne sera pas aisé, ce ne sera pas immédiat, tout le monde n’y réussira pas, mais, sans volonté d’aller de l’avant, l’on sait déjà comment tout cela se terminera.
Pour finir, une note d’espoir pour la presse, et une information qui permet de « raccrocher » ce billet au sujet principal du blog de ce cher Tenancier, le livre : lorsque les premiers livres électroniques sont apparus au tournant des années 2000, beaucoup prédisaient la fin rapide du livre « papier ». Vingt ans plus tard, force est de constater que cela n’est pas vraiment le cas. Selon une étude GfK parue l’année dernière, si l’on comptait en 2018 (en France) 2,3 millions d’acheteurs de livres numériques, ils ne représentaient même pas 10 % de ceux qui achetaient des livres « papier », se comptant 28,9 millions. L’édition de livres a su « résister » à l’impact du numérique. Et s’adapter à son avènement. Rien n’empêche la presse d’en faire de même. Si la volonté et la créativité sont au rendez-vous…
 
Otto Naumme
 
PS : pour ceux qui s’intéresseraient à la crise de Presstalis, les intéressants commentaires d’Éric Fottorino, directeur de la publication de l’hebdomadaire « Le 1 » : https://le1hebdo.fr/journal/actualite/le1-presstalis-74.html#

samedi 17 mars 2018

YR

« As observed at the turn of the century by Marks & Spencer (1899), who first named the “yelling reaction” (YR), the stiking effects of tomato throwing on Sopranoes have been extensevely described. Although numerous behavioral (Zeeg & Puss, 1931 ; Roux & Combaluzier, 1932 ; Sinon et al., 1948) pathological (Hun & Deu, 1960) comparative (Karybb & Szÿla, 1973) and follow-up (Else & Vire, 1974) studies have permitted a valuable description on these typical responses, neuroanatomical, as well as neurophysiological data, are in spite of their number, surprisngly confusing. In their henceforth late twenties’ classical demonstrations, Chou & Lai (1927 a, b, c, 1928 a, b, 1929 a 1930) have ruled out the hypothesis of a pure facio-facial nociceptive reflex that has been advanced for many years by a number of authors (Mace & Doyne, 1912 ; Payre & Tairnelle, 1916 ; Sornette & Billevayzé, 1925). […] »

Georges Perec : Cantatrix Sopranica L.


« À l'opéra, en chantant la Tosca
Un grand ténor ayant manqué le "la"
En reçut ce soir-là
Des tas, des tas, des tas
Sa femme, en sortant de là, le consola. »
 Jack Ary : Les tomates 


Merci à Otto pour l'inspiration musicale...

dimanche 4 mars 2018

Un colloque

Publié en deux partie en juin 2009 sur le blog Feuilles d'automne, ce colloque reste encore valable à l’heure actuelle, même si quelques références paraissent déjà vieillottes... Nous avons pris le parti de le présenter en un seul billet.



La librairie a son université d'été. Le Tenancier s'est déplacé récemment dans la région toulousaine et a rencontré Otto Naume pour deviser sur le livre et le métier de libraire. Le travail fut pénible et harassant et à ce titre les images qui accompagnent de loin en loin cette discussion peuvent choquer un public délicat. 


Le Tenancier : Cher Otto, je vous ai accompagné avant mon séjour toulousain à une librairie de neuf. Vous deviez y faire quelques emplettes. Vous aviez sur vous une liste d'ouvrages que l'on vous avait conseillés. Ce qui m'a un peu intrigué, c'est que vous sembliez entrer dans cet endroit avec la certitude que vous alliez trouver ce que vous cherchiez. C'est peut-être une impression que vous infirmerez volontiers... En tout cas, vous m'avez semblé dépité en sortant de la libraire : deux ouvrages fournis sur la liste, sur cinq. Par ailleurs vous avez acheté d'autres ouvrages.

Otto : Vous avez bien vu, cher ami Tenancier. Vous m'amenâtes dans une librairie située sur le Bld Saint-Germain, de grandes dimensions, apparemment bien approvisionnée. Dès lors, pour moi, il était presque évident que je trouverai assez facilement mon bonheur en ces lieux. Disons qu'un petit 4 trouvés sur 5 cherchés m'aurait semblé normal, d'autant que les livres que j'avais sur ma liste avaient été chroniqués les semaines précédentes dans diverses revues et n'étaient donc pas, a priori, d'obscurs écrits totalement improbables. Et, effectivement, j'étais un peu déçu en sortant de n'avoir trouvé que deux des cinq ouvrages cherchés. Dépité également, je vous l'avais dit sur le moment, de l'attitude des libraires rencontrées : aimables, certes, mais visiblement peu au fait de certaines choses littéraires (je ne pensais pas que Lucien de Samosate était si peu connu…) et, surtout, bien peu commerçantes. Ni l'une ni l'autre des libraires consultées ne m'a proposé de commander les ouvrages cherchés ! Ou proposé des ouvrages similaires à ceux que je cherchais. Alors, oui, j'ai acheté d'autres ouvrages, certains parce qu'ils m'ont tenté (il ne faut pas que j'entre dans une librairie…), d'autres parce que vous me les avez conseillés, et que j'écoute souvent vos conseils. Mais, quelque part, une petite voix me disait « t'as vu, tous ces bouquins, t'as pu les repérer sur un site de vente en ligne y'a deux heures, t'aurais pu les commander sans te taper les bouchons et en plus un peu moins cher » (les fameux 5%). Bon, je ne vais pas agir de la sorte, je vais plutôt aller commander mes bouquins à ma librairie favorite de Toulouse (plutôt spécialisée polar, SF, mangas et BD, mais ils sont pas « exclusifs »). Mais pour un qui agira comme moi, combien se reporteront sur Alazone ou sur Amapag ?



Otto Naume (a g.), le Tenancier, (a dr.) en plein travaux


Le Tenancier : Cher Otto, vous cédez ici à un fantasme bien courant, ce qui m’étonne de vous. En effet, on a toujours tendance à penser qu’une bonne librairie vous fournira tout ce que vous désirez. On est forcément loin du compte si, de plus, l’on y entre avec une liste. C’est que, de plus en plus, la librairie est considérée comme un lieu de stockage et non un lieu de découverte. Votre liste, en partie le démontre. Il y a, de prime, un obstacle. Si grande soit-elle, la librairie ne peut héberger tous les ouvrages parus. Rappelons qu’il y en a au bas mot 3000 par mois, tous genres confondus, certes, mais aussi un fonds d’ouvrage disponibles en France qui est énorme. Deux ouvrages ? Estimez-vous heureux, presque. Je ne pense pas que vous auriez fait un meilleur score ailleurs.
Ensuite, je suis bien d’accord avec vous. Si l’accueil fut on ne peut plus correct, il semble que ces vendeuses étaient découragées à l’avance sur le fait de commander les ouvrages. Ce pourrait sans doute être le fruit d’une certaine incompétence. Je crois qu’il faut considérer également le fait que les gros distributeurs sur le net font une concurrence sévère sur ce plan. En effet, même si la transmission des commandes se fait électroniquement, désormais, il y a des délais incompressibles, que sont le traitement des commandes par le distributeur et l’acheminement jusqu’à la librairie. Ces délais sont considérablement raccourcis chez les prestataires du net qui ont là une logique industrielle dans la chaîne de traitement des commandes. Le pli a sans doute été pris sous la menace d’une réplique attendue : « Ça ira plus vite sur le net ». Je nuancerai moins, en revanche, votre appréciation sur le manque de ressort de ces deux vendeuses qui, si elles ont su vous orienter efficacement vers certains rayons, n’ont pas paru très dégourdies pour vous orienter vers des ouvrages de votre goût, voire de vous sonder à ce propos. Ce qui devrait encore faire la force des quelques librairies de neuf qui existent encore, réside dans le fait qu’elle est occupée par des êtres humains qui ont dû lire quelques ouvrages dans leur vie. Je vous sais assez curieux pour vagabonder ailleurs que dans votre liste. Le fait même que, devant elles, vous regardiez autre chose eût pu les stimuler. Ce ne fut pas le cas. Aucun dialogue n’a été entamé. Au lieu de vous entraîner devant les rayons pour chercher les livres que vous désiriez, elles se sont plantées devant un ordinateur. Cela démontre le manque endémique de formation de la plupart des libraires en matière de vente. En réalité, il me semblait avoir affaire à deux bibliothécaires. On rentre tout à fait dans la perspective de la librairie française actuelle : le manque de vendeurs réellement qualifiés à cause d’une sous-rémunération due à une activité de peu de rapport. Pourtant, c’est bel et bien là que se trouverait la solution pour les libraires de neuf : garder des vendeurs expérimentés et avec de la bouteille. Cher Otto, avez-vous souvent rencontré des vendeurs en librairie qui ont plus de 40 ans qui ne soient pas à la tête du magasin ?
Pour votre librairie spécialisée, ce ne devrait pas être une gêne de vous commander des livres hors de sa spécialité : elle a accès aux mêmes réseaux que tout le monde.

Otto : Cher Tenancier, j'entends bien vos remarques, je ne confonds pas librairie et entrepôt, ni ne demande à l'une d'elles, aussi importante soit-elle, de ressembler aux rayons présumés quasi-exhaustifs (on peut toujours présumer, hein…) de certaines chaînes de distribution auto-proclamées « agitatrices » (c'est à la mode, de s'agiter. Agir, en revanche…). Mais l'on en revient à ce qui semblerait devoir être la vocation, je dirais même la justification, d'une librairie de neuf ayant pignon sur rue de nos jours : le conseil. Ce qui passe, en premier lieu, par le fait de lire, pas forcément tous les livres, il y a évidemment impossibilité, mais au moins les chroniques des quelques magazines et pages de journaux pouvant encore prétendre au rang de référence en matière de critique littéraire. Si Machin parle en bien de l'ouvrage Truc, cela devrait titiller l'œil du libraire et le pousser à commander la chose. Mais il semble que le seul ouvrage commandé ces derniers temps soit La princesse de Clèves, ce qui, malgré les probables charmes de l'ouvrage (jamais lu), n'augure rien de bon pour la littérature actuelle. Et permet de comprendre le niveau des aimables boutiquiers à qui l'on peut s'adresser. Et il est vrai qu'à ce niveau, comme à bien d'autres, c'est d'avoir des vendeurs quelque peu expérimentés qui apparaît comme la solution. Pour en revenir à ma librairie toulousaine (Album pour la nommer), l'on m'y suggère régulièrement des auteurs que je ne connais pas – certes, je suis bon public, et bon acheteur, donc plus intéressant que le mec qui achète son polar à 12 euros et se barre. Et l'on s'aperçoit vite que les divers vendeurs (qui sont les mêmes depuis que je fréquente l'endroit, 3 ans environ) ont des connaissances sur ce qu'ils vendent, qu'ils ont des passions et qu'ils les font partager. L'humain, quoi. Et cela donne forcément plus envie d'aller acheter chez eux qu'ailleurs. Mais c'est vrai qu'en province, on prend plus le temps de discuter. Et que la personne derrière vous dans la queue ne se met pas à râler parce que le vendeur est en train de parler avec vous. Au pire, il viendra même partager ses connaissances sur la discussion.
Quant à acheter un livre sur le Net, cela ne me viendrait pas à l'idée. D'abord parce que je trouve la totalité des sites de ce type mal foutus et plutôt décourageants pour l'acheteur. Ensuite parce que je n'ai que foutre de leurs suggestions à la noix de type « les autres lecteurs qui ont acheté cet ouvrage ont aussi aimé… » : l'avis du libraire peut m'intéresser, celui des autres acheteurs, ben… Rien d'élitiste là-dedans, mais je vois mal comment un programme informatique peut voir quoi que ce soit de qui je suis, de ce qui m'intéresse dans un ouvrage, des affinités que je peux avoir. D'autant que ces « suggestions » sont très limitatives. J'aime le rigolard Westlake et le très sombre Jim Thompson. Avec ça, il me suggère quoi, le programme ?
Par ailleurs, une boutique en ligne ne peut pas remplacer un vrai magasin, avec tous ses trésors entassés dans des rayons, que l'on prend plaisir à sortir de leur cachette pour les découvrir, souvent les rejeter après lecture de la quatrième de couverture, parfois les garder. Parce que le titre ou la couverture vous a attiré (comme celle de ce récit d'un aventurier capturé par les indiens Patagon sur lequel j'ai craqué lors de cette incursion germanopratine), parce que l'argumentaire au dos vous a séduit, bref parce que vous venez de faire une trouvaille. Que vous n'auriez jamais faite sur le Ouèbe : sur le Net, tous les livres de la Terre sont présents mais vous ne les voyez pas ; dans une librairie, les x milliers d'ouvrages présents sont là, sous vos yeux, attendant d'être découverts. Une histoire de sentiers battus, en quelque sorte…

Le Tenancier : Effectivement le travail de conseil est crucial. Ce qui est particulièrement curieux, c’est que le libraire met de plus en plus d’obstacles entre son conseil et le client qui vient lui rendre visite. Il semble qu’il y ait une étrange rupture de dialogue entre les deux. Ainsi, on voit des papillons manuscrits égayer les rayonnages et les étals, prétendant constituer une accroche pour le chaland. La parodie serait facile qui commenterait « Ainsi parlait Zarathoustra » de la même façon. On imagine : « Philosophe un peu difficile mais qui dit des choses justes ». Plus anciennement, et j’y ai déjà fait allusion sur ce blog, il y avait les Tables Apostrophes, qui mettaient en évidence les livres passés à l’émission dans la semaine. Imaginez que c’était plutôt la cata quand le sujet de l’émission n’était pas vendeur… Par ailleurs, énormément de clients, la majorité, en fait, n’ose plus en passer par le libraire, sûrement jugé comme « intellectuel » et donc incapable de se mettre à niveau. En réalité, ce métier a tellement été sacralisé que l’on en a oublié qu’il était assuré par des gens normaux qui avaient pour mission de satisfaire des clients. Cet abandon, volontaire ou non, du rôle de prescripteur a des effets en retour catastrophiques. On entre dans une librairie parce que l’on a parlé de ce livre à la téloche, et l’on vitupère si l’on ne le trouve pas parce qu’un présentateur a déclaré qu’on pouvait le trouver dans TOUTES les librairies. De là, une image faussée et perverse de la librairie de neuf : dépôt de livre qui fait vivre une bande d’intellectuels ratés qui n’ont pas su faire autre chose de leur vie, et qui sont infoutus de faire correctement leur travail. Et cette description, entendue parfois, est à peine une caricature. Il semble bien, au final que tout le monde a peur de dialoguer, de se tromper, alors on remet cette compétence à d’autres : presse, télévision (qui selon moi tient du spectacle et non de l’information…) ou même publicité. La faute en incombe essentiellement au libraire qui – je l’ai vu parfois – se retenait de défaire quelques illusions sur son activité et en a renforcé d’autres par paresse et même par mégalomanie personnelle. Il faut que vous sachiez, Otto, que nombre de libraires ont inventé ce métier et qu’ils sont à l’origine de rééditions cruciales, de redécouvertes d’auteurs indispensables… et autres fariboles émises par des personnes aimables au demeurant mais qui n’ont jamais quitté leur comptoir.
Attention, tous ne sont pas comme ça. Il reste également des amateurs de librairie qui viennent discuter avec les vendeurs. Il reste encore des libraires qui savent lire et qui se mettent au courant de ce qu’il paraît. Mais la manifestation de ce fait devient rare. Quand cela arrive, une relation spéciale se développe, connaissant vos goûts, le bon pro saura aller dans votre sens mais également vous fera déraper parfois vers des choses que vous ne soupçonniez pas. En retour, le client fera de même. Je dois une partie de ma bibliothèque à toutes les personnes avec qui j’ai dialogué lors de l’exercice de mon travail. Détruisons un mythe : un bon libraire n’a pas le temps de lire pendant son travail. Trop occupé à autre chose. Mais il emporte du travail à la maison. Et il a de la mémoire. Celle-ci se bonifie avec le temps. Et il la met à votre disposition.
Il reste, Otto, que votre recherche de livres partait d’un autre type de prescription : le conseil amical, il est parfois difficile à satisfaire s’il concerne un livre épuisé…


Otto préparant son intervention...

Otto : Certes, je suis et resterai toujours difficile à satisfaire, même par les mains calleuses d'un libraire qui a « pour mission de satisfaire des clients ». Pour ce qui concerne l'aspect « dialogue », il y a du vrai dans ce que vous dites, l'on cherche – et pas seulement en librairie – à s'affranchir de cette horrible perte de temps que constitue l'échange d'idées avec l'impétrant qui a l'audace de vouloir réfléchir plutôt que de dégainer sa carte bancaire avec la grâce du pistolero de bande dessinée. Il est vrai que dans mes lointaines contrées, ce travers est, heureusement, moins marqué. L'on peut échanger des idées sur la littérature dans sa librairie préférée comme papoter de la pluie et du beau temps avec la caissière du supermarché sans se faire insulter par ceux qui vous suivent dans la queue. Mais, en ville, il faut aller vite. Et c'est aussi pour cela que vendeurs comme acquéreurs potentiels foncent à ce qu'ils considèrent comme l'essentiel. Et inclinent vers le pré mâché, voire le prédigéré. Que ce soient ces fameux papillons dont vous parlez (et effectivement d'une incommensurable vacuité) ou ces ouvrages « recommandés » au JT ou à une quelconque émission littéraire, ils sont, entre autres, la convergence vers le « fast book », qui conduira forcément à ce que l'acheteur s'affranchisse du libraire : pourquoi s'emm… à se déplacer alors qu'on obtient strictement le même non-service sur Internet ?
Ayant été moi-même libraire il y a fort longtemps et pendant un court laps de temps (j'emmenai du travail à la maison, comme vous dites, mais oubliais un peu souvent de le ramener… Mais ce n'est pas cela qui m'a amené à quitter l'établissement, je le précise…), j'ai vu une sorte de résumé de ces divers aspects : les petites dames très gentilles et très âgées qui se ruaient sur l'étal des Harleq… le jour de leur sortie, prenant les six nouveaux titres du mois sans même en lire la couverture, réflexe conditionné ; les fameuses et si vraies tables Apostrophe, avec leur public tout aussi pavlovien ; leur équivalent « nécro » : incroyable ce qu'un mort peut vendre mieux que de son vivant, surtout si c'est tout frais ; les amateurs qui viennent parce qu'ils savent qu'ils trouveront ce qui les intéresse et que vous pourrez leur donner des conseils.
En parlant de conseil, il est vrai que celui des amis n'est pas forcément le plus opportun, le risque n'étant pas nul qu'un ouvrage soit épuisé. Mais l'avantage de l'amitié, c'est que l'on peut prêter l'œuvre en question. Et qu'un peu de frustration n'est pas forcément mauvais pour le teint. Et, cher Tenancier, quelle autre source de conseil pourrait-on accréditer ?

Le Tenancier : Mon Otto, toute personne sachant lire est une source de conseil, bien sûr ! Je ne botte pas particulièrement en touche en vous annonçant cela. J’estime que le livre est encore le véhicule d’une certaine convivialité. Si un livre est épuisé, c’est là qu’interviennent plus efficacement les libraires d’occasion dont je fais partie et dont j’espère dire deux mots un peu plus tard.
Pour ce qui est du prescripteur spécialisé, il est évident que nombre de libraires de neuf ont renoncé à ce rôle par la force des choses ou par désillusion, comme nous venons de l’entrevoir. Il existe par ailleurs tout un réseau élaboré de promotion du livre… mais est-ce encore en rapport avec le fameux conseil que vous semblez tant solliciter ? Le Critique Littéraire fait partie de ce réseau. Comme le journalisme dont il fait partie, il est désormais difficile de faire la part de son indépendance et de la sujétion dont il peut être parfois victime, ou acteur consentant. Comment faire des critiques dans un journal qui fait partie d’un grand groupe de communication et qui englobe à la fois les secteurs de la presse et de l’édition ? Comment ne pas se poser la question de la mansuétude de rubriqueurs devant les merdes épouvantables qui paraissent à un rythme régulier dans l’édition française ? On passera sur les complicités et les renvois d’ascenseur systématiques qui ne défrayent même plus les chroniques (car ce style de dénonciation est tout aussi parfaitement intégré à cette même machinerie) pour se poser la question de l’enjeu économique de la publication d’un livre.
En effet, publier un « best-seller » est un enjeu industriel considérable.
Tout commence avec la commande du papier, son acheminement à l’imprimeur qui, lui, veille à ce que ses machines tournent vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Le livre, une fois imprimé, est acheminé dans les différents centres régionaux du distributeur. En amont de tout cela, alors que le livre est encore à l’état d’épreuve, l’éditeur, ou son diffuseur, envoi ses représentant vers tous les points de vente du livre pour engranger les « mises en place ». En réalité, il s’agit de faire parvenir un certain nombre d’ouvrages sur les points de vente le jour officiel de la parution avec un léger stock qui permettrait de faire le pont avec une éventuelle réimpression sans qu’il y ait réelle rupture. Comment, à partir de ces colossales manœuvres, les sommes investies, ne pas comprendre que l’éditeur ne fera pas tout pour que la promotion de son livre réussisse ? Et, à partir de ce constat, comment ne pas estimer que le critique littéraire est considéré comment un élément du plan de promotion de ce dit éditeur ? Le sont-ils tous ? Certes non. Vous avez le droit et même le devoir de vous interroger sur les raisons que la critique d’un journal féminin s’extasie sur le dernier Musso ou le dernier Marc Lévy, vous avez raison de ne pas être dupe du chroniqueur de ce newsmagazine qui entre en pâmoison à propos du récent BHL ou de « l’essai » d’Alain Minc. Leur point commun ? Pas besoin de lire ces critiques, on pourrait les écrire soi-même. Mais, dans un autre sens, les articles que je lis dans des journaux comme La Quinzaine Littéraire m’ont fait découvrir des choses considérables… C’est que l’on assiste désormais à une course à deux vitesse qui différencie certaines catégories de vendeurs de livres, d’éditeurs, d’écrivains (Les Annuels, comme j’appelle ces derniers : ceux qui sont tenus contractuellement à écrire un livre par an : Pennac et Picouly, par exemple… mais il y en a d’autres types) et puis les autres pour qui ses considérations sont inenvisageables, faute de moyens et également par goût. Parce qu’un éditeur de poésie ou de sciences humaines – par exemple - ne fait pas du livre-kleenex en général…
Je parlais de la mise en place des livres chez les libraires, entre autres. Il faut que je vous remémore une chose à propos de votre déconvenue dans cette librairie. Si vous ne trouvez pas forcément un endroit qui correspond à vos critères littéraires, il faut que vous vous rappeliez que le fonds d’une librairie de neuf contemporaine est la résultante d’un choix dont le libraire n’est presque plus du tout maître, fait qui renforce le phénomène promotionnel dont je vous parlais à l’instant.
Depuis très longtemps, une pratique a cours dans la librairie de neuf, pratique sollicitée par le libraire lui-même à l’origine. Il s’agit de l’Office.
A l’origine, le commerce de la libraire était relativement simple. Maître à bord, le libraire commandait ses livres en fonction de ses espérances de vente et de ses goûts, bref, de ceux qu’il estimait pouvoir défendre sans problèmes aucun. Seulement, beaucoup de nouveautés échappaient ainsi au professionnel, incapable d’investir dans le flot de nouveautés croissantes au sortir de la guerre. La solution résida dans un accord passé avec les distributeurs du livre. Tous les mois – ou dans un intervalle plus rapproché – le libraire recevrait d’office – d’où le nom – une certaine quantité de livres nouveaux selon une grille préétablie entre le libraire et le représentant. Avec le temps, ces grilles s’affinèrent, les conditions financières s’ajustèrent en fonction de la nature de la libraire, des livres, etc. Mais, cet arrangement n’a strictement rien à voir avec le dépôt. Cette dernière disposition permet au libraire de payer l’éditeur une fois que le livre a été vendu. Dans le système de l’Office, le libraire paye le colis qu’il vient de recevoir… Quel intérêt alors ?
Eh bien, vous avez la possibilité de retourner ces ouvrages en cas de mévente jusqu’à une échéance d’un an. Dans ce cas, ils ne vous sont pas remboursés mais crédités sur votre compte chez le distributeur ou l’éditeur. Ce système ingénieux avait tout pour plaire au départ… Seulement, les temps ont changé.
L’arrivée de l’édition-kleenex a accéléré la mise en place des offices avec des contenus dont la finalité est non de vendre des nouveautés mais de faire de la trésorerie au profit des producteurs du livre (Dans les colis, il y a eu souvent du n’importe quoi ! J’ai connu des libraires qui avaient un employé qui ne s’occupait que de confectionner les retours vers l’éditeur…) La masse financière immobilisée ne se dirige plus vers les petites structures, qui sont incapables de gérer le monstrueux mécanisme des offices (certains petits distributeurs ont sombré corps et bien face à un taux de retour phénoménal et des éditeurs incapables de faire face à celui-ci…) Enfin, le choix à la disposition de la clientèle de la librairie se standardise : 90% du fonds de la majorité des librairies – et c’est une évaluation optimiste – est issu de ce système des Offices. Cela veut dire que vous allez retrouver grosso modo les mêmes ouvrages partout. Cela veut dire que si un éditeur met le paquet sur un auteur dont il est assuré de la vente, vous retrouverez ce livre PARTOUT ! Cela veut dire encore que le libraire – parfois à son corps défendant – n’est plus qu’un élément impersonnel de ce dispositif de production du livre. Rien de plus. Certes, certains s’expriment sur d’autres ouvrages. Mais se sont souvent des nouveautés qui sont également inscrites dans la grille d’Office. En réalité, nombre de ces confrères sont enferrés dans un système dont il est extrêmement délicat de sortir. Ayant abandonné par ailleurs leur rôle de prescripteurs, comment peuvent-il s’abstraire de ce mécanisme pervers sans risquer la survie de leur entreprise ?
Il en résulte également que le libraire est de plus en plus vu comme un relais incommode de la distribution finale du livre. Internet est la panacée pour les grands groupes, en attendant la dématérialisation du livre. Ce que les thuriféraires de cette dématérialisation (quelqu’un comme François Bon, par exemple) n’ont pas l’air de percevoir, c’est que tout ceci n’est guère que l’illustration d’une doctrine économique post-industrielle et non une révolution technologique. Le libraire de neuf, certains critiques littéraires – je veux parler des vrais, cette fois-ci – appartiennent au vieux monde. C’est à eux de réagir et de créer les conditions de leur pérennité en prenant la tangente. En tout cas, il y a une sévère remise en question d’une certaine économie du livre à faire.
Et c’est urgent.

dimanche 7 janvier 2018

69

C'est avec raison, fierté et joie que nous vous présentons ici-même l'une de nos dernières trouvailles. Luxe inouï que nous nous sommes permis d'acquérir pour la somme d' 1,00 € chez l'un de nos occultes fournisseurs.
Qu'on en juge d'après la photo ci-après :


L'invite est claire, tant pour le sous-titre que le titre. Cet érotisme popote atteint ici un degré qui nous laisse toujours pantois. En effet, selon notre jugement de Tenancier rompu aux enfers, cette image nous rappelle nombre de dargeots mitraillés à longueur de Paris-Hollywood et même de quelques publications sous le manteau qui eurent l'heur de passer sous nos yeux concupiscents. Ici, jamais ne rima mieux « paire de miche » avec « air godiche », évocations troubles d'amours ancillaires ou de voisinages libidineux. Ça sent le quatre heures du serrurier en visite impromptue, le plombier qui fait des extras racontés à l'heure de l'apéritif.
Certes.
Mais cela valait-il pour autant un billet dans ce blog prestigieux ?
C'est que l'ouvrage a un intérêt certain, outre son érotisme d'une moiteur approximative. Il fait partie des rares ouvrages en France à avoir été imprimé tête-bêche. En effet, lorsque nous retournons l'ouvrage, au lieu de trouver le 2e plat de couverture, avec un résumé et parfois la biographie exaltante de l'auteur, nous trouvons la couverture suivante :


Outre que cette photo de couverture illustre bien la célèbre chanson de Ray Ventura et ses Collégiens, on appréciera de nouveau le regard pénétré de l'impétrante.
Ainsi, deux brefs romans sont présentés dans le même ouvrage dans une astuce de mise en page peu courante. Mais pourquoi donc ne trouve-t-on que très rarement ce procédé en matière de publications ?
Assez rigolé, prenons notre ton docte.
Alors, pourquoi ?
Cette façon de publier les ouvrages a existé dans les années 50 aux Etats-Unis, principalement chez l'éditeur Daw Books, éditeur populaire qui mit sur le marché nombre de récits de science-fiction ou policiers voire de témoignages ou faits de société. Pour la petite histoire, c'est sous cette présentation — avec un autre ouvrage d'un autre auteur que la postérité n'a pas retenu — que Junkie de William Burroughs fut publié pour la première fois. Ces ouvrages étaient au format poche. Les récits, des courts romans - appelés « Novellas », chez les Anglo-saxons - se partageaient à peu près 144 à 156 pages. Les illustrations y étaient assez suggestives. Les cinéphiles se rappelleront sans doute la profession de Richard Sherman dans Sept ans de réflexion et auront une idée paroxystique mais assez juste de ce genre de publication (Si vous ne vous souvenez pas, courez le revoir !). Or ce calibre de récit est assez peu prisé dans l'édition en France. La nouvelle a longtemps été regardée comme un genre difficile à vendre pour les éditeurs et le problème de la présentation des ouvrages en tête-bêche se heurtait volontiers au conservatisme des libraires de neuf français. On en veut pour preuve une discussion que le Tenancier eut avec Élisabeth Gille, directrice, à l'époque, de la Collection « Présence du Futur » et qui préparait une collection de courts récits de science-fiction appelée « Étoiles Doubles ». Celle-ci était destinée à l'origine à être présentée de cette manière. Une étude de marché, fit battre immédiatement en retraite l'éditeur et sa Fabrication. Nous eûmes droit à une maquette de couverture ratée, des livres bâtards qui ne se vendirent guère. La collection disparut au bout d'une quinzaine de numéros. L'idée s'était heurtée à la frilosité des vendeurs. Elle aurait sans doute mérité d''être imposée.
Il est sans doute d'autres raisons que le commerce, et que nous ne connaissons pas, au sujet de cette relative rareté. Le Tenancier attend de pied ferme toute matière à codicille au présent billet.
On affirmera sans trop de risques que l'on ne retrouve qu'exceptionnellement deux textes publiés tête-bêche dans le même livre. Sans doute devons-nous la présente curiosité également au fait que ce livre érotique fut une auto-édition. Comme cet ouvrage est encore frais dans nos acquisitions, nous n'avons pas eu le temps de glisser notre nez frétillant dans sa... prose. Mais nous adjugeons ici même notre préjugé favorable à Madame Christine Laurac qui, bravant les diktats du marketing nous fit don d'un in-8° sortant un peu de l'ordinaire...


Christine Laurac : " Les Fureurs de la Chair " : Viens... ! / Sérénade à quatre
Auteur - Éditeur, 1972



Personne ne s'est lancé à donner quelques informations supplémentaires à ce billet lors de sa parution sur le blog Feuilles d'automne en mai 2009. Mais l'histoire comporte tout de même une consolation : l'ouvrage fut offert à Otto. On espère que, depuis, il aura eu le temps de le savourer et peut-être un jour nous en parlera-t-il. Il ne faut jamais manquer l'occasion de s'instruire...

lundi 18 septembre 2017

Oracle

Ce billet paru en avril 2009 sur le blog Feuilles d'automne est aussi un hommage au temps qui passe et aux promesses non tenues... car j'attends toujours mon grand barbu, moi.



La lecture de livres d'occasion est parfois balisée de signes plus ou moins ténus. Ainsi, taches, cornes, rousseurs viennent dégrader progressivement l'ouvrage jusqu'à ce qu'il tombe dans la main attentionnée du libraire, lequel fera ce qu'il pourra pour améliorer les choses, c'est à dire peu. En effet, revenir sur une rousseur ou une pliure est une gageure. Et puis il y a ces objets épars, évidents ou incongrus, tels les marques-pages, les coupures de presse, des coupes-papier (nous avons eu le cas), des bouts de papier-toilette de différentes qualités sans doute pêchés à la hâte lors d'une lecture dans les lieux, des bouts d'allumettes, des tickets de métro, des photographies, autant de signes de l'activité ou de la situation plus ou moins soigneuse dans laquelle le lecteur se trouvait avant de refermer définitivement le livre et avant qu'il se retrouve sous l'attention du professionnel. Il faut alors être impavide et éliminer la plupart de ces artefacts, facteurs de dégradation. De ces traces, l'on ne fait quasiment rien, sinon que de les destiner à la poubelle ou à la boîte aux marques-pages. Ces vestiges ne signifient pas grand chose, hormis les coupures de presse. Celles-ci sont soigneusement rangées à la fin des ouvrages à une place ou la brunissure du papier ne risque pas de contaminer le coeur de l'ouvrage.
Mais il est d'autres signes plus parlant : dessins d'enfant, lettres de recommandation, d'amour ou cartes-postales estivales, etc. Il y a alors un déchirement à jeter cette intimité-là. On voudrait la rendre à leur propriétaire.
Enfin, il est une apparition fugace, trois en plus de dix ans qui, j'en suis certain, m'avertit de quelque chose... mais de quoi ?
Je ne me rappelle plus ou j'ai trouvé les deux premières. La troisième vient d'être trouvée il y a quelque jours dans un numéro des « Temps Modernes ». Ce sont des cartes rassurantes, pas méchantes...


Mais dois-je m'inquiéter ?
Car si le Pique arrive, dois-je préparer ma couche, réunir mes enfants et mes amis ?


On n'en voudra pas au signataire de ce billet de se payer le luxe d'une petite superstition de temps à autre. Manie qui tourne court devant l'ignorance de la signification de ces cartes distillées au long du temps. Suis-je à la fin du tirage ou dois-je encore attendre ? A quoi cela se rapporte-t-il ? Dois-je lancer des conjectures sur les fortunes de la librairie ou alors sont-ce des avertissements à titre individuel ?


Naturellement, ces questions ont suscité quelques réponses en commentaires, notamment celles d'ArD et d'Otto que nous reproduisons ici :

Paraît que les jeux, depuis Aristote, sont perçus comme un délassement, et aussi comme une occupation qui détourne les hommes de la recherche de la vertu. A votre place, je ne serais pas dubitatif, mais sceptique.
La Reine de coeur vous tirera de ce mauvais pas, très certainement.

ArD


Les dames de coeur, oui. Mais le prix en est élevé. Le libraire n'a pas de vertu, il a des passions.

Le Tenancier


[...] Pour le reste, mon bon Tenancier, rassurez-vous, ce tirage, si l'on pouvait dire que c'en est un avec seulement trois cartes, me semble plutôt bon : vous allez tomber amoureux d'un grand barbu !
Si je sombrais dans la facilité vulgaire, j'en profiterais pour ajouter qu'après le tirage, vous risqueriez donc d'avoir également le ramonage. Mais vous savez à quel point ce genre de plaisanteries navrantes m'est étranger.

Otto Naumme


Le Tenancier ne risque-t-il pas d'être laissé sur le carreau avec un tel tirage ?!
En tout cas, cher Otto, je vous félicite, vous ouvrez une voie sur ce blog. Enfin.

ArD


Oui, chère ArD, j'ai toujours été partisan de la nouveauté, de l'extrême (mauvais goût, notamment). Mais votre mot final est juste, ma naturelle timidité (et ma fainéantise presqu'aussi importante que celle de notre ami Tenancier) me fait souvent reporter mes audaces (et d'en dire, d'ailleurs, "Oh dace, oh désespoir", hum...).
Cela étant, n'étant pas barbu (mal rasé seulement), je laisserai au Tenancier le plaisir de discuter couloirs de cheminées avec d'autres personnes à la pilosité développée. Il faut savoir rester à sa place.

Otto Naumme


Je vois, Otto, que votre séjour en Roumanie vous a profité pour l'extension de vos jeux de mots. Pour le reste, je continue d'être dubitatif sur la signification de ce tirage.
Oui, je dubite.

Le Tenancier

mercredi 21 juin 2017

Fable express spécial copinage (par George)

Quand on ne sait si
La trotteuse danse
Et qu'elle nécessi-
Te un peu d'avance
Otto sans souci
Lit très mal et pense :
« Pas d'problème car
On s'fout du retard ! »
Sauf que près du Var
La correctric' court aussi !

Moralité :

Illettré Otto où trotte Ard

dimanche 11 juin 2017

Quand c'était le vrai Charlie Hebdo


Le Tenancier écoutant attentivement Otto Naumme chantant (faux) la chanson du Père Dupanloup, en se disant qu'un jour, ce serait bien que la fête des mécréants revienne, comme au temps du vrai Charlie Hebdo. Là, Otto en est à la huitième strophe, évoquant l'organe généreux, et en arc-de-cercle, du Père Dupanloup. (Merci à Jehan-Georges Vibert pour le vérisme de la scène !)

dimanche 12 février 2017

Lard-Frit

Revenons doucement aux affaires.
Cette période de méditation forcée m'a tenu quelque peu éloigné d'internet (vrai en 2009, ce qui n'est plus le cas en 2017), du moins de la contemplation de ce que font mes petits camarades. Dans un sens, c'est tant mieux.
On a donc pioché dans ce que l'on aime.
Citons pour cette rentrée dans l'atmosphère une production pas blogueuse pour un rond mais qui ravira les papivores qui sommeillent en nous. Il s'agit du site personnel de Jean-Louis Le Breton.
On laissera aux quelques curieux le soin d'approfondir les détails de la carrière(1) du personnage, lequel est aussi intéressant et, je le parie, aussi chaleureux qu'il le fut à l'époque ou je le croisais à Paris. Mézalormedirévou, pourquoi mentionnez-vous ce site ? C'est que Jean-Louis Le Breton fut l'immortel créateur de la revue Lard-Frit(2) et qu'il la propose de nouveau sur ce site au format PDF et de telle manière que vous pourrez reconstituer la série avec un petit coup de massicot ou de cutter, des agrafes, etc. En effet, les numéros sont présentés sous leur forme imposée ce qui signifie que les pages ont été distribuées de telle manière que vous pourrez reconstituer la succession des pages une fois imprimées et le cahier assemblé(3).


Voici donc une manière sympathique de s'initier aux joies de l'imposition de pages en commençant simplement et en enrichissant sa bibliothèque. Le soussigné Tenancier en est fort satisfait car il ne possède que quelques numéros originaux et dans un piteux état. Il faut certes aimer l'umour (oui, je l'ai bien écrit) Fluide Glacial car nombre d'illustrateurs et d'auteurs en sont issus : Ucciani, Carali, Leandri, Tignous...


Ces propos bien pesés et enveloppés, le soussigné retourne au découpage du n°9 de Lard-Frit, c'est dire qu'il n'a pas encore fini(4), car il y a encore les numéros spéciaux à faire.
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(1) - Tour à tour et dans le désordre : libraire, musicien, journaliste, écrivain, directeur de revue et immortel auteur de cet aphorisme : "Qui Bogdanoff Bogdabœuf" - on en oublie sûrement.
(2) - Lien sur le site lui-même.
(3) - On parlera de l'Imposition un peu après la notion de Justification... c'est à dire dans quelques temps, pour ne pas trop se mouiller.
(4) - Euh... non, pour rien, parce que c'est rigolo de faire des notes de bas de page.
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À ce billet publié en avril 2009 sur le blog Feuilles d'automne, il est nécessaire d'ajouter les divers commentaires qui ont suivi :
(5)- Euh (suite)... Tenancier, je ne vois pas les traits de coupe, vous cutterisez avec quelles marges ?
La lecture à l'écran, du fait de l'absence de foliotage dans cette revue en impose !
Je vois dans cette revue de J.-L. Breton une continuité partielle fort sympathique du combat de son arrière-grand-mère Maria Vérone. Mais bon, on y verra autre chose aussi, hein ?!
ArD
(6) - C'est vrai, ça : pas de traits de coupe ! Heureusement que j'ai un exemplaire original qui mes sert pour les dimensions. Cela prend un peu plus de temps, il est vrai.
J'ai transmis votre sibylline réclamation à l'intéressé, en espérant qu'il pourra y remédier à l'avenir.
Je ne connaissais pas la filiation avec Maria Vérone. Est-elle avérée ? Et sous quel jour la voyez vous, à la lumière de la couverture du n°4, ci-dessus ?
Nous sommes suspendus à vos lèvres...
Le Tenancier
(7)- L'intéressé ne pourra pas commettre grand chose, puisque selon toute apparence il s'agit de numéros scannés. Mais vous pourriez indiquer les dimensions de l'original.
La filiation avec Maria Vérone est établie sur le site que vous citez, chapitre Téléchargements. Je la vois notamment à la lumière du fond plus qu'à celle de la forme.
ArD
(52, parce que y'a pas de raison) - On pourrait tout de même rajouter des traits de coupe sur des images, je n'en vois pas l'incompatibilité foncière.
75 X 105 mm
Ah, je n'est pas été jusqu'aux téléchargements ! En revanche j'ai découvert quelques morceaux que je ne possédais pas de Los Gonococcos ce qui m'enchante...
Le Tenancier
Ah, cher, vous n'avez l'intégrale des Gonococcos ? Dont ce fabuleux "live" que j'avais en cassette et que j'ai malheureusement perdu (Jean-Louis, si tu passes par là, que tu me lis et que tu as encore une de ces cassettes, je suis preneur !!! Transmettre au Tenancier qui fera suivre ;-)
Quant à l'imposition, cela tombe bien, nous sommes bientôt à l'époque du premier tiers...
Otto Naumme
Seigneur Otto, l'avions paumée dans moult déménagements et séparations, ce qui fait que nous en sommes au même point : nibe de cassette ! Mais en cherchant bien, je pense que l'on peut reconstituer dans son intégralité cet élément du Patrimoine Mondial, rien de moins, en surfant un peu. Cela tombe bien, me suis laissé entendre dire que vous aimiez les chemises hawaïennes.
Pour le sujet de l'imposition, vous êtes viré, mon vieux...
Le Tenancier
En tous cas, ça rappelle le bon vieux temps...
Celui d'une certaine radio de ma connaissance où, si je me souviens, nous fîmes justement connaissance de l'ami Jean-Louis...
Oh con, putaing con, donc... (que j'ai toujours le 45t original, là, par contre, avec le mythique Goldorak lou Larzem)
Otto Naumme
Moi tout pareil idem !
Le Tenancier

dimanche 8 janvier 2017

Trois étoiles


(Dédié à Otto en 2009... comme c'est le type d'alcool qui vieillit bien, le Tenancier persiste et signe tout en tendant son verre.)

lundi 3 octobre 2016

Une visite au Tenancier

Le type m’attendait dans un des fauteuils du salon.
— « C’est vous, le Tenancier ? Sa voix émanait de derrière une main aux doigts marron de jus de clopier et une paresseuse volute bleutée.
— Qui le demande ?
Le type jette une carte plastifiée en travers de la table basse. Il a mal évalué son jet et la carte atterrit par terre. Après m’être baissé, je lis :

Service des Vermotiseurs

Direction des calembours

Bureau des dissonances

Service des recouvrements



On est prié de prêter assistance à tout porteur de la présente carte

Pas de nom. Le type semble avoir deviné :
— Vous n’avez pas besoin de savoir.
— Et le fait que vous picoliez dans mes verres ?
— Un des agréments du métier. Vous savez pourquoi je suis là ?
— Ouais.
— Ah…
— Vous venez cloper dans le salon alors que j’ai pas de cendrier, vous bourrer la gueule alors que j’ai pas un rond pour refaire le plein et, visiblement vous l’êtes assez — bourré — pour même pas savoir balancer une carte sur la table sans vous planter. Juste une question, comme ça : c’est pour m’impressionner ou vous me prenez pour un impresario ? C’est fou ce que je suis curieux, du coup, parce que je ne sais pas pour quel spectacle je pourrais vous proposer, si j’étais ce genre de gars. Clodo, lecteur de Céline ? Remarquez, ça revient au même, non ?
— Vous posez beaucoup de questions…
— Sans blague ? Entre nous, je suis plutôt timide d’ordinaire, mais quand un déchet vient camper sur mon canapé, je ne sais pas… ça doit me désinhiber.
— Vous avez tort de me parler comme ça.
— Alors, on va se dire que les torts sont partagés, voilà ! Et comme on est dans une spirale d’amabilités, le monsieur il va se lever, me dire au revoir et puis…
— Je viens parler de George WF Weaver.
— Qu’est-ce qu’il a, George ?
— Vous avouez que vous êtes en relation avec lui ?
— Et alors ?
— Vous savez que c’est un pseudonyme ?
— Rrrhhôô sans blague ? Bon, c’est pas le tout, mais comme je le disais à l’instant, le monsieur, il va se barrer…
Le type se lève calmement, jette son mégot par terre et l’écrase.
— Ce n’est pas bien, ce que vous faites, de résister comme ça. Nous à la Brigade, nous sommes plutôt à la coule, vous savez. On vient, on constate, on verbalise éventuellement et on s’en va. Bien sûr, si vous êtes de mauvaise composition ça peut aller plus loin.
— En admettant — je dis bien “ en admettant ”, hein — que vous n’êtes pas une version pouilleuse d’une escroquerie quelconque, j’aimerais biens avoir de quoi vous parlez.
— De ses calembours.
— Oui, il en fait. Et alors ?
— Eh bien on verbalise !
— Bien. Je crois qu’on va y passer la nuit si je ne mets pas les forceps. Vous respirez un bon coup et vous m’expliquez.
— Ahem… Le dénommé George WF Weaver, pseudonyme d’un pervers notoire sévissant sur votre blog et quelques autres s’est rendu coupable d’une trentaine d’à peu près et pas moins d’une dizaine de calembours de Stade Quatre, les pires. Notre service de recension a beaucoup travaillé à cette occasion. Vous savez je disais tout à l’heure “ on constate, on verbalise, on s’en va ”, là je suis bien obligé de dire que nous allons passer directement à une étape...
— “ On s’en va ” ?
— Non : “on verbalise”.
— En quoi ça me concerne.
— Oh, vous savez, ça c’est un peu de votre faute. Vous déclarez tout net sur votre blog que vous êtes solidaire des propos que vous laissez passer. C’est tout à votre honneur, mais comme nous ne pouvons atteindre l’auteur de l’infraction, nous sommes bien obligés d’adresser nos procès-verbaux à un responsable, c'est-à-dire vous.
— Vu votre dégaine, ça ne doit pas porter loin. Je veux bien faire l’aumône, cela dit. Ce qui m’emmerde le plus, ce sont toutes les simagrées qu’on est obligé de supporter pour en arriver là. Et puis, quand même, vous êtes entré par effraction chez moi.
— La Brigade a tout pouvoir en cas de constat d’infraction. C’est dans le Code.  
— Combien ?
Le type sort un papier miraculeusement immaculé de sa poche, une vision qui touche à l’épiphanie, tellement elle est improbable. Je lis. Je défaille.
— Vous vous foutez de moi ?
— Oh vous savez, je suis fonctionnaire.
— Lequel de mes potes vous a commandité pour ce canular ?
— Personne, je vous l’assure.
— Allez vous rasseoir, je reviens ».
Le type se retourne pour regagner mon fauteuil déjà dégueulassé. Il s’arrête distraitement, toujours en me tournant le dos, et prend un paquet de tiges dans sa poche. Je ne lui laisse pas le temps d’en allumer une parce que je le fais à coup de bouteille sur son crâne. Le type s’écroule. J’ai juste le temps de l’attacher et de le bâillonner qu’il reprend connaissance. Ces petits yeux en boutons de bottine tournent dans tous les sens.
J’empoigne le téléphone :
— « Les gars, j’en ai eu un. Faut que vous radiniez pour me donner un coup de main. Vu qu’on a un jardin, ici, ça va être plus facile… Ouais… Ouais… non, ça va j’ai une bêche ».
Je raccroche. La Brigade des Vermotiseurs ne vas pas tarder à prendre le relais : Otto et George vont venir achever le type à coups de calembours. Après, ce n’est plus qu’une formalité, la chair attendrie se décomposera mieux au fond du potager.

samedi 1 octobre 2016

C'est bien triste


L'assemblée écoutant le discours de Georges WF Weaver

Dix ans après avoir émis sa devinette imbitable dans les colonnes du Retour du Tenancier, George WF Weaver tente de convaincre les habitués du blog qu’il ne se souvient plus trop de la solution ni même de la façon d’y parvenir. La nouvelle jette le trouble dans l’assistance qui va manifester son mécontentement et provoquer un certain désordre dans les rues, prenant même à partie un groupe de diplomates du Moustachistan qui passaient par là. L’affaire n’en reste pas là et l’incident diplomatique, les crispations qui en résultent, amènent à un conflit larvé qui va durer trente et un ans, avec quelques escarmouches violentes. La responsabilité de George établie dans l’origine du différend, le Moustachistan réclame son extradition, ce que notre gouvernement refuse. Par précaution, George change d’identité et est même tenté de changer de genre… L’affaire trouve sa résolution lorsque le blog Le Retour du Tenancier lance un appel international et solennel aux Nations Unies qui, dans une ultime et lucide résolution, confère au Tenancier le titre de Maître du Monde. ArD, Béatrice et Otto Naumme rigolent doucement dans leur coin et complotent immédiatement pour renvoyer le Tenancier à la cuisine faire d’excellents riz au lait, au demeurant. Quant à George, errant à la surface d’une terre aride et sans pitié, il se convertit à la contemplation et se fait appeler Shri George. Sa biographie tardive exprime des regrets sur son impulsion à confier des devinettes imbitables au blog du Tenancier, abusant ainsi de la naïveté naturelle d’icelui. Le mal est fait. George expie, le Tenancier est exilé aux fourneaux, ArD, Béatrice et Otto se partagent les restes comme de vulgaires Mérovingiens.
C’est bien triste. 

vendredi 26 août 2016

Triste Trieste

« Lâcheur est Trieste, hélas ! et j'ai lu tous les livres. »  
George WF Weaver (28 juillet 2016 à 21:09)
 
« Cela étant, il faut savoir que, à proximité de ladite ville, les panneaux indicateurs affichent "Trst".
Je pourrais vous en parler, cher Tenancier, j'anecdoterai sur le sujet... »
Otto Naumme (29 juillet 2016 à 07:26)
 
« Au contraire, cher Tenancier, je pense que voilà une trieste nouvelle. »
Otto Naumme (5 août 2016 à 08:23)
 
« C’est le moment que choisit Carlo Papucci pour griffonner mystérieusement sur un carnet d’écolier ce curieux message presque en forme d’anagramme qu’il me tend ensuite avec un air de conspirateur souabe :

T T T T T
E R R R R
R I I S I
G E E T S
E S S
T
S T T
E
T E


U



M



(Latino) (Italiano) (Tedesco) (Slovène) (Sempre)
 
Tout est dit là ! Au carrefour des cultures et des langues, la ville-frontière cherche son unité et ne la trouve que dans une sorte de tristesse qui durera (sempre) toujours ! Il me rappelle ainsi que nous sommes dans une ville où, par dizaines, des adolescents romantiques se suicidèrent, des écrivains abandonnèrent leurs noms et choisirent des pseudonymes pour mieux s’intégrer, dans un endroit du bout du monde où la douleur semble d’abord essentiellement métaphysique. »
Franck Venaille : Trieste  (1985)
(Et pendant ce temps, la fille du Tenancier visite la ville...)

jeudi 21 avril 2016

Un p'tit coup de madame Soleil

Le tenancier aime bien que l'on se mêle de ses affaires, surtout lorsqu'elles regardent le livre. C'est ainsi que vous allez découvrir ci-dessous un texte d'Otto Naumme qui, dans la vraie vie, est plutôt concerné par le présent article puisqu'il a longtemps été journaliste - et encore un peu - dans le domaine de l'informatique. De quoi ouvrir un débat copieux, on l'espère...

Et voilà ce que c'est de traîner…
Il paraît que la procrastination peut devenir un art, le grand Oscar Wilde ne disait-il du reste pas : "je ne remets jamais au lendemain ce qui pourrait être fait le surlendemain !" ?
Mais bon, il est des circonstances où, à force de remettre, l'on finit par se faire doubler. Je ne compte ainsi même plus le nombre de semaines depuis que j'ai promis pour la première fois à l'auguste Tenancier de ce blog de lui pondre un petit texte sur les livres électroniques et ce que pouvait m'inspirer la "vogue" de ces ersatz de culture lyophilisée, qui sont au "vrai" livre ce que les cola états-uniens sont au champagne…
Bref. A force de traîner, voilà donc que j'ai été lâchement débordé par un très sympathique article de Jean-Luc Porquet dans le Canard Enchaîné de ce jour, intitulé "Coucou, rev'là l'ibouque !". Où il est mis le doigt sur toutes sortes de "tares" de ces gadgets électroniques. Ainsi, après avoir relevé dans la pub de l'un de ces outils cet argument-massue : "(il) aura deux boutons de navigation situés à droite de l'écran pour les droitiers et deux autres à gauche pour les gauchers", l'auteur se fait cette limpide réflexion : "Dire que jusqu'ici, pour feuilleter un bouquin, on n'avait même pas besoin d'un seul bouton !". Je n'aurai pas dit mieux pas plus que je n'aurai mieux exprimé nombre d'opinions habilement étayées du sieur Porquet.
Honte à moi donc d'avoir traîné… Mais puisque me voilà enfin devant "l'œuvre", qui plus est avec le "poids" de cet article à ne pas répéter, autant évoquer ce fameux livre électronique et soumettre quelques idées à son sujet. Avec, en premier lieu, une certitude, qui n'a rien de "bien" ou de "mal", n'est juste qu'un fait : le livre électronique va se développer et se répandre de par le monde. Demain ou dans dix ans, je n'en ai pas la moindre idée. Mais, un jour ou l'autre, une immense part des écrits produits par écrivains, essayistes, biographes et même, euh, comment dire, noircisseurs de papier (un terme qui sera alors galvaudé…) ne sera plus mise à la disposition du public sous forme de support papier imprimé mais uniquement électronique. L'on pourra télécharger un roman comme aujourd'hui un album de musique ou un film. Avec les mêmes possibilités : légalement ou non… Le "piratage" de livres électroniques tiendra surtout au prix des ouvrages : si le roman "dématérialisé" est vendu aussi cher que sur papier, ou avec un trop faible différentiel de prix, l'on sait d'avance ce qui se produira. Un autre problème à soulever, c'est l'existence actuelle (amenée très certainement à perdurer) de plusieurs formats de lecture, bien évidemment incompatibles entre-eux : on ne peut lire avec "l'e-book" Machin le roman "Truc" prévu pour être lu sur le lecteur Chose. Donc, de petits malins se chargeront de transposer le fichier d'un format vers l'autre et de le proposer gratuitement sur le Ouaibe…
L'on en viendra par ailleurs à l'impression à la demande. C'est déjà le cas pour l'auto-édition voire, je crois que l'un des habitués de ce blog en sait quelque chose, de certains éditeurs, loin d'être les pires. Un "contenu" (roman, essai, etc.) sera disponible à un prix plus ou moins élevé, voire gratuitement, en téléchargement ; pour ceux qui le souhaiteront, une impression sera possible. Mais c'est plus cher ! Et il ne s'agira pas, dans l'immense majorité des cas, d'ouvrages de bibliophilie, destinés à durer. L'on parle là d'impression numérique laser sur papier d'entrée de gamme, façonné au moindre coût. Evidemment bien plus destiné au roman de gare (aussi respectable soit-il) qu'au livre d'art. Et l'on oubliera bien évidemment les velin et reliures pleine peau : même si cela devenait possible, les coûts d'impression à l'unité de tels ouvrages seraient probablement exorbitants.
Bon. Donc, le livre électronique, porteur d'autant de défauts qu'on puisse en trouver, va s'imposer, qu'on le veuille ou non. Au détriment du livre papier ? Oui et non. Bien sûr, nous aurons droit au couplet "vert" sur l'économie de papier et les arbres "sauvés" – en oubliant juste au passage les moyens particulièrement "écologiques" servant à produire de l'électricité (charbon, pétrole ou nucléaire). Bien sûr également, les aspects "pratiques" du livre électronique – la possibilité de pouvoir trimballer 15 ou 20 ouvrages sur son livre en permanence, avec en sus un accès à Internet pour télécharger d'autres œuvres – ne manqueront pas de faire en partie pencher la balance vers ces nouveaux supports. Mais le livre tel que nous le connaissons aujourd'hui ne risque pas plus de disparaître que le papier n'a disparu de nos bureaux suite à l'avènement de la micro-informatique. Tout simplement parce qu'il ne répond pas aux mêmes besoins.
Le roman de gare, le "best seller de l'été", le livre de recettes, la biographie de Tartempion de la StarAc ou la nième profession de foi de tel escroc politique (pléonasme) peut bien être dématérialisé, cela n'a aucune importance. C'est le fast-food de la littérature, des "trucs" que l'on peut avoir envie de lire mais qui n'ont aucune valeur matérielle : rares sont les personnes qui auront envie de conserver ces ouvrages pour leur contenant (même si les collectionneurs "fous" du Fleuve Noir Anticipation ou de la Série Noire sont l'exacte antithèse de ce propos…). De fait, qu'ils soient sur papier ou sur écran importe peu.
De l'autre côté, il y a tout ce qui fait l'attrait d'un livre "papier", que je ne ferai pas l'affront de détailler aux lecteurs de ce blog, ils savent bien mieux que moi pourquoi ils aiment et, pour certains, produisent de tels ouvrages. Mais l'on évoquera tout de même des raisons "logiques" : un livre d'art, un ouvrage mêlant texte et photos ou même faisant appel à une mise en page originale (pensons à Queneau et ses Cent mille milliards de poèmes), voilà qui n'est pas prêt de pouvoir être praticable sur un écran de "livre électronique", quand bien même ces écrans s'agrandiraient et gagneraient en souplesse d'utilisation.
Pour les éditeurs, le papier est aussi, s'ils se montrent moins obtus que leurs confrères du disque et du cinéma, un bon moyen de différenciation et de marge. Un roman électronique, c'est un roman, point. Le même sur papier, cela peut être l'opportunité d'apporter des "bonus", par le biais d'une mise en page, d'éléments ajoutés, bref de tout un tas de petites choses qui permettent de commercialiser le livre plus cher tout en titillant chez le lecteur le besoin d'appréhender, de posséder, de conserver. Le côté sensuel du livre, en quelque sorte (face à l'électronique, le papier est effectivement le régime sensuel…).
Reste à déterminer ce que va devenir le métier de libraire dans un tel contexte. Si 80 % ou plus de la production est dématérialisée, comment existera-t-il ? Dans l'ancien, tel que le pratique notre cher Tenancier, l'évolution ne se ressentira probablement pas. Après tout, il commercialise d'ores et déjà ses livres du XIXè siècle via Internet. Et ces ouvrages attireront toujours des collectionneurs tant qu'ils existeront (ah, l'acidité du papier…). Pour le libraire de neuf, en revanche, la situation risque d'évoluer. Vers une activité à mi-chemin entre le libraire actuel et l'éditeur à façon ? Peut-être. Mais forcément avec une ouverture sur Internet, par où il fera preuve de sa capacité de conseil et diffusera des ouvrages à télécharger. Mais aussi via sa boutique traditionnelle, pour présenter et écouler les livres sur papier qui continueront à être produits. Mais les mutations du métier risquent d'être lourdes, et aussi difficiles à digérer pour les "vrais" libraires que le fût l'arrivée sur leur marché des grandes surfaces puis des marchands (de tapis) en ligne.
Bref (si l'on peut dire vu la taille du poulet…), voilà une prospective qui tient tout à fait de madame Soleil (quand même plus sexye qu'Elisabeth Teissier, non ?). Pas plus étayé, pas plus sûr. Et puis bon, on verra bien, hein ?

Otto Naumme

(Texte paru en décembre 2008 sur le blog Feuilles d'automne)

mercredi 25 novembre 2015

Otto Naumme est-il marxiste-léniniste ?

Les habitués de céans le savent, le Tenancier et Otto Naumme se connaissent depuis fort longtemps et n’était l’éloignement ils se gobergeraient plus souvent sur les terrasses conjecturales autour d’un single malt. La tendre affection qui les unit les incitent à s’offrir mutuellement quelques cadeaux lors de visites en leurs principautés…
C’est pas le tout, mais Otto a d’étranges manies.
Depuis trente ans que le Tenancier et Otto se fréquentent, ce dernier a adopté une constante dans le choix de ses présents qui préoccupe. Elle aboutit à cette question : Otto Naumme, cher et vaillant ami, est-il un adepte farouche du marxisme-léninisme, voire du maoïsme ? Pas mal de cadeaux pourraient y faire penser. Ainsi, alors que votre serviteur n’avait pas atteint le stade du trentenaire, il se voyait offrir un exemplaire du Petit Livre Rouge, avec un supplément du même tonneau, tous deux de petit format comme il se doit. Il ne fait pas de doute qu’Otto soit un visionnaire. A une époque ou une telle littérature était à verser au domaine de la kitcherie rétrograde, Otto par un volontarisme digne d’éloges transforma l’objet en manifeste camp. Ainsi il en est des vulgates comme il en est pour l’art contemporain : rien dans la nature mais beaucoup dans la désignation détermine la fonction profonde de l’artefact. « Qui t’a fait critique, homoncule ? » aurait pu être la réponse à la présomption d’Otto. En réalité la désignation devait plus au goût qu’à la posture. Otto n’étant pas du genre à appliquer les préceptes du Grand Timonier (surtout parce que le whisky chinois doit être dégueu) et vraiment pas du genre à embarquer ses amis dans un telle galère, il fallait se résoudre à l’idée que l’index judicieux de notre ami avait transmis un message esthétique certain. Hélas, cette production digne de l’urinoir de Duchamp disparut de l’environnement du Tenancier au cours d’un déménagement. Nous sommes quiet à ce sujet : la personne qui en a hérité involontairement est une conne. La perte n’est donc pas galvaudée par une possession étrangère qui susciterait la jalousie sachant que les cons ne constituent pas une concurrence. N’empêche, on regrette ce Petit Livre Rouge, merde.
Récemment, votre serviteur fit l’acquisition d’une version Jean de Bonnot de ce Livre des Morts. Tentative kitsch qui n’atteint pas sa valorisation, scorie d’une prétention à vouloir suivre Otto. On est bien peu de chose.
Le deuxième item remarquable s’affranchit un peu plus de l’orthodoxie instaurée par le ready-made pour aborder une sorte de relativisme figuratif qui fait un retour de la contestation picturale des années quatre-vingt, mais avec une distanciation dialectique/critique qui interroge au niveau du vécu (si si). A l’instar du héros du roman de Philippe Goy (Faire le mur, 1980), Otto s’est-il transformé en gardien farouche de l’orthodoxie révolutionnaire après avoir passé la frontière ? Car signalons-le, contrairement à l’item précédent, çui-là fut cueilli sur place. Que nenni, cette apparente allégeance fait retour sur l’altérité et même la dualité de sa démarche. Notons en incise ici que, de même, Otto ne revint pas les yeux bridés, enfin pas plus que son ascendance gasconne ne lui permet, ce n'est pas le Monocle. Il n’en demeure pas moins que le roman de Goy — faut suivre ! — demeure pertinent, hein. Bref, l’objet offert est une photographie d’un potentat local (entendons par là : d’un dignitaire provincial) dont le portrait se transmue selon l’angle de vue en portrait de Mao Zedong jeune — enfin, disons plus frais que vers la fin où, tout de même, il ressemblait à une pâtisserie ayant souffert de la chaleur (nos amis de la Chine populaire nous excuseront volontiers, l’homme demeure toujours sous la chair devenue triste, d’ailleurs si je vous parlais de mon cas… enfin bon). Otto, par ce nouvel avatar kitsch interroge de façon cruciale l’héritage et les implications régressives de la transmission. On voit ici que notre cher donateur pose une question à laquelle il doit répondre dans sa vie personnelle : que devenir après ce que l’on est ? Le cadeau fut accepté avec joie et trône dans nos cabinets peints en rouge comme il se doit.
 

Ce ne fut pas le seul présent. Deux répliques d’affiches de la Révolution culturelle l’accompagnaient. Cela fera l’objet d’un autre billet, ne soyons pas gourmands.
Otto allait-il continuer dans la veine maoïste ? Certes, il demeurait encore beaucoup de matière à explorer, ne serait-ce que l’imagerie qui nous est chère de ces jeunes filles membres des gardes rouges en short dans les rizières et dont la présence, la prestance et la compétences renvoient Silvana Mangano à un putatif poster (je n’ai pas dit postère, hein !) pour la maison Taureau Ailé. Las, Otto n’est point pékinois comme on fut « moscoutaire » au siècle dernier (et comme on l’est maintenant quand on est facho). Fi de la Grande Muraille, foin de la Chine, d’autres horizons, je dirais même d’autres Shangri-La attendaient avec impatience le débarquement de notre ami.
Nous ne fûmes pas déçus de notre attente.
Alors que nous l’attendions dans un cheminement dialectique, toujours adepte de la distanciation critique, mêlant les prodromes du formalisme à un déterminisme idéologique tempéré par une contestation formelle, Otto nous révéla son génie en revenant aux sources de l’art par une technique fresquiste… non : à une chanson de geste tapissière ! Avec ce cadeau exceptionnel, nous étions confrontés à une forme moderne (et en rupture avec la contemporanéité) de l’expression graphique appliqué à l’historicité du signifiant et du signifié. Jamais le collage n’avait atteint avant le cas présent un tel degré de pertinence. Avec cet album nous étions à Bayeux sur Caraïbes ! Que l’on imagine un volume à l’italienne de trente-deux pages relatant les grandes heures de la Révolution cubaine avec des vignettes contrecollées ! Otto — dont nous sommes a peu près certains qu’il avait dû posséder des albums Panini dans sa jeunesse — magnifiait la rupture avec un continent et une culture par un bain de jouvence, une reprise de contact avec la ferveur populaire, un enthousiasme qui semble le rapprocher de plus en plus des prises de position en faveur de l’action-art — concept opportuniste de notre cru, certes, mais révélateur dans notre cas de la dévolution d’Otto. L’album Revolucion Cubana est une réponse au formalisme glacé d’un Lichtenstein par une ferveur latine qui lui est quasi contemporaine. La qualité incertaine de l’impression, à l’instar des sérigraphie warholiennes donne à chaque exemplaire une unicité dominée par l’aléatoire, non redevable au passage manuel de l’encre sur la soie mais tout à l’imperfection des presses. Le procédé réduit encore l’intervention humaine et rejoint le système de représentation anonyme de l’iconographie marxiste-léniniste au service du culte de la personnalité. Otto, après des années de quêtes esthétiques quittait enfin l’obsédante recherche de la pensée conceptuelle pour arriver à l’émotion pure de la construction iconographique. Il faut signaler que ce fut également à cette époque qu’il changea de paire de lunettes. Ce lapsus est du reste révélateur : chez Otto tout est affaire désormais de vision et de ressenti… En tout cas ses prises de position esthétiques en rapport avec la marxisme-léninisme orthodoxe ne sont que pur hasard.
Nous attendons avec impatience un futur voyage au Vietnam de notre ami.
En attendant voici quelques images de l’album.