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dimanche 20 août 2023

Tirer à la ligne...

Pour alimenter plus facilement les quatre ou cinq journaux qui lui réclamaient sans cesse de nouveaux romans, il [Alexandre Dumas] avait inventé un dialogue extraordinaire, fait de toutes petites phrases et d’interjections brèves, dont le modèle est cette page des Trois Mousquetaires :
 
Lui. — Ah ! c’est vous !
Elle. — C’est moi.
Lui. — Je vous attendais.
Elle. — Me voici !
Lui. — Et vous avez réussi ?
Elle. — J’ai réussi.
Lui. — Vrai ?
Elle. — Vrai.
Lui. — Alors ?
Elle. — C’est fait.
Lui. — Eh bien ! causons.
Elle. — Causons.
 
Comme il était payé à la ligne, et fort cher, ce procédé finit par agacer les directeurs des journaux, qui s’entendirent pour ne plus payer à l’écrivain que la moitié du prix convenu pour toute ligne dont le texte ne dépasserait pas la moitié de la colonne. Lorsque Dumas reçut la lettre l’informant de cette décision, il était en train d’écrire un chapitre du Vicomte de Bragelonne. Il en raya toute une page et, comme son fils survenait peu après, il lui annonça :
 
Dumas père. — Ça y est, je l’ai tué.
Dumas fils. — Tué qui ?
Dumas père. — Grimaud, le valet de chambre d’Athos.
Dumas fils. — Grimaud le taciturne ?
Dumas père. — Oui. Je l’avais inventé tout exprès pour les petits bouts de ligne, mais, du moment qu’on ne les paie plus, j’aime autant faire parler mes personnages.  

Léon Treich : L'esprit français, première série (1943)

mercredi 6 mai 2020

Revoir, corriger et recuire



[Courteline] était, quant à lui, d’une parfaite modestie. Lorsque parurent ses Œuvres complètes, il écrivit à un ami suisse :
« Depuis trois semaines, je n’ai pas une minute à moi, ayant à revoir, corriger et recuire tous mes bouquins, près de 400 000 lignes à éplucher une à une, à émonder de “qui”, de “que” et autres beautés de ce genre. Je me suis fait une pinte de mauvais sang ! Le pis est que, n’ayant jamais relu mes ouvrages depuis leur publication, j’ai eu avec eux l’impression de la nouveauté, et elle est propre, l’impression ! Je suis consterné. C’est effrayant ce que tout cela est misérable. Je ne me croyais pas si dépourvu de talent. Au surplus, cela m’est bien égal. L’important, c’est d’avoir bon estomac. »

Léon Treich : L'esprit français (1943)