Pour
alimenter plus facilement les quatre ou cinq journaux
qui lui réclamaient sans cesse de nouveaux romans, il [Alexandre Dumas]
avait
inventé un dialogue extraordinaire, fait de toutes petites phrases et
d’interjections
brèves, dont le modèle est cette page des Trois
Mousquetaires : Lui. — Ah ! c’est vous ! Elle. — C’est moi. Lui. — Je vous attendais. Elle. — Me voici ! Lui. — Et vous avez réussi ? Elle. — J’ai réussi. Lui. — Vrai ? Elle. — Vrai. Lui. — Alors ? Elle. — C’est fait. Lui. — Eh bien ! causons. Elle. — Causons. Comme il était payé à la ligne, et fort cher, ce procédé finit par agacer les directeurs des journaux, qui s’entendirent pour ne plus payer à l’écrivain que la moitié du prix convenu pour toute ligne dont le texte ne dépasserait pas la moitié de la colonne. Lorsque Dumas reçut la lettre l’informant de cette décision, il était en train d’écrire un chapitre du Vicomte de Bragelonne. Il en raya toute une page et, comme son fils survenait peu après, il lui annonça : Dumas père. — Ça y est, je l’ai tué. Dumas fils. — Tué qui ? Dumas père. — Grimaud, le valet de chambre d’Athos. Dumas fils. — Grimaud le taciturne ? Dumas père. — Oui. Je l’avais inventé tout exprès pour les petits bouts de ligne, mais, du moment qu’on ne les paie plus, j’aime autant faire parler mes personnages. |
Léon Treich : L'esprit français, première série (1943)