Pourquoi
s’embêter à rédiger soi-même un billet
sur l’éviction brutale d’Alain Veinstein de son émission sur France
Culture
alors que George WF Weaver, sur son blog en avait fait un qui résumait
parfaitement la situation ? Le
voici in extenso avec sa permission, précédé d’un appel à pétition dont
George est également à l'origine...
Mise à jour du 9 juillet : Si l'émission n'a pas été diffusée sur les ondes de France Culture, sa direction a néanmoins choisi de la mettre à la disposition de l'auditeur sur son site avec une "justification" de la part de celle-ci. Vous pouvez donc l'écouter ici.
Auditeurs
de France Culture depuis plusieurs années, nous sommes de plus en plus
consternés par la baisse régulière du niveau de cette chaîne, qui ne
produit
quasiment plus de culture radiophonique ni ne s'attache à recueillir
les
témoignages de grands acteurs de la culture du siècle présent ou passé
mais se
borne, au mieux, à faire la promotion de spectacles culturels ou
d'ouvrages
littéraires liés à l'actualité, en réduisant l’essentiel de ses
programmes à
de simple entretiens dépourvus d'intérêt autre que
conjoncturel.
L'un
des derniers artisans de l'âge d'or de France Culture (des années
soixante-dix
à la fin des années quatre-vingt-dix), qui n'avait pas peu contribué à
forger
l'esprit vivifiant et créatif de cette époque, vient d'être
"remercié" sans ménagements par la direction de France Culture : il
s'agit d'Alain Veinstein, encore producteur de l'émission "Du jour au
lendemain" (minuit-minuit trente en semaine), qui en 2009 s'était déjà
vu
sèchement signifier la suppression de sa tranche 22h-minuit, "Surpris
par
la nuit" (anciennement "Nuits magnétiques", depuis 1979).
Certes,
"Du jour au lendemain" est une émission consacrée à l'actualité
littéraire, mais ce n'est jamais celle des têtes de gondoles, et
surtout la
manière inimitable dont Alain Veinstein conduit ses entretiens
— tout en
suggestions feutrées et n'hésitant pas à laisser grande part aux
silences
productifs de l'interlocuteur — en fait un exercice de création de
haute
voltige à part entière.
Prenant
acte de cette décision unilatérale, justifiée selon la direction de la
chaîne
par la nécessité de laisser la place aux jeunes générations, Alain
Veinstein
avait décidé de conduire seul sa dernière émission, dans la nuit du 4
au 5
juillet 2014.
Las
! Une heure avant la diffusion, un mail du directeur de la station,
Olivier
Poivre d'Arvor, a averti le producteur que son enregistrement ne serait
pas
diffusé — et de fait il fut remplacé par la rediffusion d'un
numéro
consacré au prix Goncourt 2013, sans aucun égard ni prévention à
l'endroit des
auditeurs déjà prévenus de cette émission testamentaire.
Sans
nous faire trop d'illusions sur l'éventuelle réintégration d'Alain
Veinstein
dans l'équipe de producteurs de la chaîne, nous réclamons à tout le
moins la
diffusion de cette dernière émission, qui pour l'instant se trouve
accablée,
ultime outrage, sous le boisseau d'une chose qui ne porte qu'un nom :
"Censure".
Pour la pétition, suivez ce lien ci-après :
On a appris avec pas mal de dépit voici une dizaine de jours, par
un entrefilet dans Télérama, que l'un des derniers
piliers historiques de France Culture, un de ceux qui avaient contribué
à forger l'esprit des années d'or de la chaîne (1975-1999), Alain
Veinstein, était limogé sans ménagement : l'émission
Du jour au lendemain qu'il avait
enfantée voici presque trente ans, en septembre 1985, ne sera pas
reconduite à la rentrée 2014.
Pourquoi ?
La direction avait d'abord avancé des raisons d'âge — Veinstein
approche les 72 ans, l'âge de la momification, non ? et sans doute sur
le point de sucrer les fraises — mais en fait, non (sans doute
s'est-on rappelé que Juppé compte se présenter en 2017 ?), question de
budget : contraction l'an prochain.
Bon sang mais c'est bien sûr ! d'autant que deux micros dans un studio
avec un technicien aux manettes, c'est sans doute l'émission la plus
coûteuse de cette chaîne qui ne regarde pas à la dépense lorsqu'il
s'agit d'envoyer des journalistes à l'autre bout du monde pour des
émissions spéciales !
Coup de pute sur le gâteau : Veinstein, apprenant cette poignarderie à
la Iago, modifie la programmation de l'émission de la nuit du 4 au 5
juillet — qui sera donc la dernière — pour proposer un ultime
opus,
seul pour la deuxième fois en 29 ans (la première, c'était
ici, magnifique hapax).
Mais il a commis l'erreur d'annoncer la chose dans un billet de
présentation de l'émission, ceux de la haute ont fait dans leur froc et
nous ont balancé en lieu et place une banale rediffusion rassurante,
sans bien évidemment rien annoncer aux auditeurs plus attentifs
qu'attentistes — « Rien à branler de ces connards d'oreilleux ! »,
doit-on se dire dans les sphères de la Maison Ronde…
Allez boum ! Censure directe, à sec avec du sable !
Bon, pfff…, encore une histoire lamentable qui témoigne de la beauté
fulgurante de notre époque ; rien à ajouter en fait à ce qu'a déjà bien
mieux dit
l'ami Fañch sur son excellent blogue (et l'on peut
aussi se rapporter à
ce fil de discussion).
Mais fouchtra ! il va sacrément me manquer, ce passage du jour au
lendemain, et ces « Mmmh » qui suggéraient tout !
——————
En complément, l'article d'Amaury da Cunha paru dans Le Monde
daté 6-7 juillet 2014 :
C'était un rendez-vous nocturne,
incontournable pour les amateurs de littérature, de radio, de silences
et de confidences. A minuit, sur France Culture, du lundi au vendredi,
depuis 1985, Alain Veinstein incarnait la voix intime de l'intervieweur
dans son émission « Du jour au lendemain ». Petite musique de jazz en
préambule, lecture d'un extrait de l'auteur invité, l'échange pouvait
commencer. Vendredi 4 juillet, cette aventure s'est achevée.
Avec une voix suave et mélancolique,
Alain Veinstein, homme de radio, mais aussi poète, prenait son temps.
Pas question de précipiter ou de provoquer artificiellement les choses.
Dans son studio feutré de la Maison de Radio France, il a reçu 6 800
écrivains, des plus notables (Marguerite Duras, Pascal Quignard…) aux
plus confidentiels. Parce qu'il inspirait la confiance et l'amitié, il
a réussi à convaincre les plus secrets d'entre eux – comme Louis-René
des Forêts – à s'entretenir avec lui.
Car, dans ce face-à-face, il ne se
posait jamais en critique dépositaire d'une quelconque autorité
littéraire. Il restait à l'écoute, à distance ; sans jamais vouloir
prendre le dessus sur l'échange. «A la radio, l'exigence se partage
entre l'autre et soi. On n'imagine pas le trapéziste sans le porteur »,
écrivait-il récemment sur Twitter.
Quant à sa technique d'intervieweur,
elle reposait sur des questions qui plaçaient toujours l'écriture sur
le fil de la vie, mais aussi sur des silences, comme des « amorces de
réponses », selon les mots de son ami Yves Bonnefoy.
Fin juin, la direction de France
Culture a décidé de mettre fin à l'émission pour des raisons de
restrictions budgétaires. « Ce fut un coup brutal, mais je m'y
attendais, explique Alain Veinstein. L'an dernier, on m'avait déjà
souligné mon âge. Encore un an, monsieur le bourreau, avais-je demandé
! »
Pour sa dernière émission, à 71 ans,
Alain Veinstein avait choisi d'être seul, face à lui-même. Comme s'il
reprenait la parole après l'avoir donnée aux autres pendant toutes ces
années. Vendredi, à minuit, dans une émission préenregistrée, on aurait
dû entendre les derniers moments de « Du jour au lendemain », rebaptisé
pour la circonstance en « Du jour sans lendemain ».
Pendant les trente-cinq minutes de cet
enregistrement, Alain Veinstein se lançait dans un étrange et émouvant
monologue : fustigeant la violence du monde de la radio, tout en
rendant hommage à ces grands moments de conversations enregistrées.
« Censure rare à la radio »
C'est un homme brisé qui s'est exprimé,
soudain privé de ce rendez-vous de minuit qu'il avait fini par
identifier à sa propre vie. Mais, une heure avant la diffusion de cette
émission, Alain Veinstein a reçu un mail d'Olivier Poivre d'Arvor, le
directeur de France Culture, lui expliquant qu'elle n'aurait finalement
pas lieu : « Nous avons écouté l'émission de ce soir, et nous avons
décidé de ne pas la diffuser. (…) Outre qu'elle ne correspond en rien à
l'objet de ton émission, elle ne te rend pas hommage. Trente-cinq
minutes de récits subjectifs, et de discussions internes ne regardent
en rien l'auditeur. »
Pour Alain Veinstein, stupéfait, cette
décision est un choc supplémentaire : « Une telle censure est rarissime
à la radio, confie-t-il. Je n'ai rien fait de mal, je n'ai fait que
tirer un trait sur vingt-neuf années d'émissions. »
Et un extrait de la dépêche AFP du 5
juillet :
France Culture a
fait valoir que la radio « s'était entendue avec Alain Veinstein sur
l'arrêt de son émission depuis plus d'un an » et que « ce dernier avait
accepté le principe d'un nouveau rendez-vous annuel de 40 émissions
pour la grille d'été » de 2015. « Nous en étions à convenir des
modalités de cette nouvelle collaboration quand Alain Veinstein a
choisi de rompre le contrat et de transformer la dernière émission de
Du
jour au lendemain — censée accueillir un écrivain — en un monologue
de 35 minutes sur sa propre situation professionnelle », ajoute la
station. « Une radio de service public n'est ni une antenne privée, ni
le lieu de plaidoyer
pro-domo, et ce pas plus pour Alain
Veinstein que pour aucun d'entre nous (...). Assurer le renouvellement
des générations à l'antenne, c'est aussi conforter l'avenir de France
Culture », poursuit-elle.
——————
Pour ceux qui veulent réécouter les émissions d'Alain Veinstein,
incitons le lecteur à se transformer en auditeur attentif en consultant
cette adresse...