Ah le beau poème patriotard !
Une Revanche
A
la pointe du môle, en plein vent, sous les grains,
Maître Hervé, le pilote, entouré de marins
Guette l’horizon noir ! — La mer est démontée !
Il vente du suroît et la vieille jetée
Comme une immense épave oscille lourdement !
Le phare, éclaboussé par le flot écumant,
Dresse son profil clair sur le ciel couleur d’encre ;
Dans les agrès vibrants des bisquines à l’ancre |
La
rafale, en tournant, sonne des carillons ;
Les goëlands du large, au gré des tourbillons,
Plus loin que les toits bleus et les falaises vertes
S’en vont, le cou tendu, les ailes grand’ouvertes,
Et les rudes marins, le béret sur les yeux,
Suivent leur vol hâtif d’un regard soucieux !...
« Mauvais temps, dit
l’ancien, et que Sainte Anne veille
Sur ceux qui sont en mer par une
nuit pareille !
Grâce à Dieu, les pêcheurs sont
tous rentrés au port
Et les patrons lassés peuvent
quitter leur bord…
La place est sûre…, à moins que
le quai ne chavire !
N’a-t-on pas signalé, tantôt un
grand navire
Qui, les focs amenés et les
huniers en bas,
Cherchait à fuir la côte et n’y
parvenait pas ?
Nous sommes en marée et la
bourrasque augmente !
S’il force le courant et si,
dans la tourmente,
Les hommes tiennent bon sous les
lourds paquets d’eau,
Ce sont de fameux gars et c’est
un fier bateau !
Mais depuis soixante ans, je
connais nos parages…
De cet endroit, j’ai vu peut
être cent naufrages
Et j’aurais souhaité n’en pas
voir un de plus ! »
L’ancien se cramponnant avec ses doigts perclus
Aux murs luisants d’embrun, fouille la nuit profonde… |
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Quand
soudain, dominant la tempête qui gronde,
Des cris désespérés, longs comme des sanglots ,
Sortent du gouffre sombre où mugissent les flots !
« Ils sont là, devant nous !... » murmure le
bonhomme.
« Ah ! les pauvres garçons ! Aussi vrai qu’on
me nomme
Jacques Hervé, le pilote, ils sont perdus… perdus !
Ces cris-là, je les ai bien des fois entendus…
C’est fini ! — L’équipage est à bout d’ énergie…
Tous ont peur, maintenant, et l’homme de vigie
A reconnu d’en haut les écueils du chenal !...
Jamais semblables cris ne m’ont fait tant de mal,
Mais qui donc oserait leur prêter assistance,
D’une mer si mauvaise et d’un tel coup de vent,
Et nous n’aurions pas fait cinq brasses en avant
Que l’embarcation tournerait dans les lames !
Ah ! les pauvres garçons ! Bien sûr, ils ont des
femmes
Et des petits enfants, là-bas, dans leur pays,
Et des petites sœurs comme vous, mes amis,
Et des parents âgés qui, les suivant en rêve,
Attendent pour mourir leur retour à la grève !
C’est bien fini ! — Jamais ils ne
retourneront ! »
Parmi les matelots qui l’écoutaient en rond,
Une très faible voix lui répondit :
« peut-être ?... » |
Il
se fit un silence et l’on vit apparaître
un mousse de quinze ans, grêle comme un fétu.
L’ancien lui demanda : « Comment
t’appelles-tu ?
Parle vite et dis-nous, en deux mots, ton idée ! »
« Je m’appelle Gildas ; ma mère est décédée,
Mon père est mort au Banc
et je suis orphelin !...
Qu’on attache une amarre au bout d’un long filin
Et j’irai la porter au navire en détresse…
Vous pouvez vous fier, pilote, à mon adresse…
Ma barque s’est perdue, un soir, dans les brisants
Et je m’en suis tiré… Je n’avais pas onze ans !
La bateau, si j’arrive, au milieu de la passe,
Pourra, sur cette amarre, attendre la mer basse ;
C’est convenu, pilote ? »
« — Convenu ! dit le
vieux.
Ton audace m’enchante et j’en suis envieux.
C’est dommage, vraiment, que mon épaule tremble ;
Si j’étais moins cassé nous partirions ensemble !...
Petit, que le bon Dieu te garde !
Embrasse-moi ! »
Le mousse au bord du quai, lentement, sans émoi,
Déposa ses sabots et son tricot de laine ;
Puis, les jarrets pliés et prenant son haleine,
Il se signa trois fois et lestement plongea |
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L’ancien
parlait encor qu’il était loin déjà !
« Hardi ! lui criait-il… Résiste, petit mousse,
Au jusant qui commence, et nage sans secousse…
Comme un brin de varech, laisse-toi balancer.
Hardi ! Gildas ! Demain, pour te récompenser,
Parce que ton courage est plus grand que ta taille,
Ces messieurs de Paris t’enverront la
médaille ! »
Le mousse s’en allait au milieu des remous,
Doucement, sans effort des bras ni des genoux ;
Les vagues, tour à tour, l’enlevaient à leurs cimes
Ou, le halant au fond d’insondables abîmes,
Le roulaient, l’aveuglaient et lui tordaient les
flancs !
Le tonnerre grondait, et de longs éclairs blancs,
Parfois, illuminaient la grande mer neigeuse !
Et sous les hurlement de la nue orageuse,
Mêlés aux hurlements des mondes sous-marins
Il allait sans frayeur, la corde autour des reins.
Tout à coup, éclairé par la foudre,
— à dix mètres,
Gildas vit le bateau ! — Son
nom, en grosses lettres,
Apparut au bordage : Empereur Frédérick.
Le mousse eut un frisson dans l’eau ! — C’était un
brick
Chargé de bois du Nord qui venait d’Allemagne !... |
Or
l’aîné des Gildas avait fait la campagne ;
Un matin qu’il était de grand-garde, en plein champs,
Vingt Uhlans qui passaient, de leurs sabres tranchants,
L’avaient mis en morceaux ! — Ah la belle
victoire !
Leur mère, très souvent, racontait cette histoire
Afin que le plus jeune, un jour vengeât l’aîné !...
Et voici qu’un navire allemand entraîné
Sur les récifs voisins, va couler sans nul doute
Si lui, Gildas, hésite et s’il s’arrête en
route !......
Mais il n’hésita pas, le brave enfant breton ;
Il accosta le brick, rasé comme un ponton
Où les vingt matelots refoulés à l’arrière
Priaient ! — pour que la mort les trouvât en
prière !
Donc Gildas a sauvé le navire allemand !
Au fond du port il est à quai, tranquillement ;
Il s’est, toute la nuit, maintenu sur l’amarre
Et dans une accalmie il a doublé le phare ;
A l’aube, les pêcheurs l’on entré dans le sas.
Debout, la tête nue, ils attendent Gildas,
Et maître Jacques Hervé, qui pourtant n’est pas tendre,
Sanglote en embrassant le mousse. — Il faut l’entendre :
« Ah que je suis content, petit, si tu savais !
C’est d’un garçon pareil, jadis, que je rêvais ! |
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Sur
un gars comme toi la mer n’a pas de prise,
Et tu seras patron avant la barbe grise ! »
A son tour, humblement et lui tendant la main,
Le commandant du brick s’approche du gamin ;
Gildas, les yeux mouillés, le regarde impassible !
« Non, j’en ai fait assez, dit-il… c’est
impossible !
Mon frère étant, un jour de grand’garde, en pleins champs,
Vingt Uhlans l’ont taillé de leurs sabres tranchants,
Tandis qu’à mois tout seul, j’ai sauvé vingt des
vôtres !...
Nous comprenons ainsi la revanche, nous autres ! » |
Ce monument de kolossale
stupidité fut publié en 1889 par un éditeur habitué de ce genre de
production : Alphonse Lemerre, également éditeur de François Coppée, qui
n'était pas en reste dans la sottise ronflante. Mais que
tout cela est frais, qu'est-ce que cela ravigote ! C'est bien avec ce
genre de poésie ci-dessus que l'on constate un appauvrissement des
forces réactionnaires actuelles qui n'ont même plus le sens du kitsch.
Bref, nous vivons une époque assez minable, si vous voulez m'en croire !
Cerise sur le gâteau, on s'avisera que la présente plaquette fut lue in
extenso à l'Assemblée générale des Sauveteurs Bretons, ce qui me fait
songer que le poète en question, Eugène Le Mouël, fut assez prudent
pour se garantir du naufrage que représentait cette lecture.
On trouvera ci-dessous la page de titre (qui équivaut à la couverture,
plutôt sale) de cette plaquette, « fleuron » de la bibliothèque
personnelle du Tenancier...
On voudra bien excuser les approximation de mise en page du poème, le html se prêtant assez peu à ce genre d'exercice...