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dimanche 7 mars 2021

lundi 5 décembre 2016

Une époque rêveuse

L’autre jour, le Tenancier, alors qu’il se dirigeait vers le cagibi où il consigne les ustensiles et matériaux utilisés pour réaliser les paquets qu’il devait expédier l’avant-veille, leva les yeux dans le couloir. Ses yeux captèrent furtivement l’affiche qui ornait l'emboîtage, au-dessus de l’étagère à dévédés. Il contenait le film Top Hat : Fred Astaire, Ginger Rogers. Le Tenancier est cinéphile à ses heures mais fredonne également pour lui-même quelques chansons, dont celle du film. Vous savez, « Heaven, I’m in heaven… », etc.
La chanson s’intitule Cheek to Cheek.
Irving Berlin, tout de même.
Il la chantonna donc, tout en rassemblant son matériel. Chanter, c’est bien, écouter de la musique, c’est plus mélodieux, surtout si l’on a déjà entendu le Tenancier. Il alluma alors la radio, France Musique en l’occurrence, ce samedi matin, pour écouter… six ou sept versions de la chanson qu’il fredonnait il y a à peine cinq minutes.
Avec toute la rigueur requise dans ce genre de circonstances, en toute objectivité, on est en droit de déclarer que le Tenancier de ce présent blog est un mutant. Un « précog », selon le jargon en vigueur dans la littérature conjecturale.
Et vous-mêmes, êtes-vous mutant ?
N’avez-vous parfois pas ressenti fortement une coïncidence dans la sourcilleuse succession de vos lectures et d’autre événement plus ou moins fortuits ?
Récemment, la lecture consécutive de La boîte en os d’Antoinette Peské (livre doté d’une préface boursouflée et inepte dans l’édition que j’avais entre les mains, qui n’est pas celle de Mac Orlan), de Titus d’Enfer de Mervyn Peake, le visionnage d’une émission sur ce mystérieux producteur, écrivain et mentor de Jacques Tourneur que fut Val Lewton, et le souvenir encore très vivace de La Féline, de ce même duo, avaient fait germé l’idée en moi que les années 40, avec leur cortège de destructions et d’horreurs, étaient également une époque mélancoliquement rêveuse et qui empruntait les éléments de sa rêverie à l’arsenal du Romantisme. Rappelons également que Le Seigneur des Anneaux fut rédigé durant cette décennie et en emprunte parfois les mêmes accents. D’une façon surprenante, ce monde fermé et voué à la destruction s’enfermait dans des récits qui faisaient appel à un effroi paradoxal, feutré, ou en proie à une étrange fièvre obsidionale. L’amateur de Romantisme fantastique n’y trouverait peut-être pas tout à fait son compte : pas de ces burgs ténébreux ou de ces enceintes sadiennes en forme de labyrinthe concentrique. Non, plutôt un univers traversé les yeux mi-clos sur des murailles hautement verticales, comme des somnambules sur le faîte d’un toit. Le monde d’alors rêvait dangereusement, en déséquilibre au-dessus du gouffre. Ainsi, fortuitement, j'avais lu ou rencontré une somme d'ouvrages qui formaient une collection d'impressions, comme si j'avais capté une rumeur dispersée, quelques fragments de l'inconscient d'une époque.
Bien sûr, cet inconscient ne traversait pas toute la littérature ou tout le cinéma, mais cette mélancolie aux relents fantastiques semble avoir pris une place importante. Peu à peu, en réfléchissant à ces sensations, on se prend à regarder les prémisses et les séquelles de l'époque avec un autre esprit.
Il est parfois intrigant de retrouver une série heureuse dans les lectures ou les visionnages, comme si le hasard vous menait par le bout du nez d’un coin à l’autre de votre bibliothèque pour vous insinuer des parfums. Parfums d’époque ou saveurs littéraires plus épicées, coïncidences, précognitions, conjectures et surtout rêveries dans une barque qui vous mène dans des bras secondaires et inattendus.
Quel lecteur n’a pas eu ce sentiment de suivre une voie impalpable, dictée par des caprices extérieurs à sa volonté propre ? Et, qui n’a pas eu la sensation diffuse d’être possédé par un étrange pouvoir de prolonger une saveur d’un livre à l’autre en ayant malgré tout abdiqué toute volonté dans leur choix ? Ainsi, le soupçon que le dieu Pan n’est pas mort nous vient à l’esprit. Thamus n’était donc qu’un gros menteur.
Le Tenancier, attentif aux augures et, après ce raisonnement, doute du pouvoir qu’il s’était hâtivement attribué.
Les cieux étant toujours cléments à ceux qui obéissent à leurs signes, par précaution, tout de même, il va apprendre à faire des claquettes.

Ce texte publié en janvier 2009 sur le blog Feuilles d'automne trouve une curieuse résonnance avec ce qui est récemment arrivé au Tenancier. La récurrence de la présence de Trieste dans sa vie intellectuelle (et même jusque dans son cercle familial) suscitait de nouveau quelques interrogations. Mais après tout, cette ville semble une contrée onirique aussi proche géographiquement que le Farghestan ou The Shire...
Toujours est-il que votre Tenancier n'a toujours pas appris à faire des claquettes, mais n'est plus libraire — sans savoir si cela a un rapport.

vendredi 26 août 2016

Triste Trieste

« Lâcheur est Trieste, hélas ! et j'ai lu tous les livres. »  
George WF Weaver (28 juillet 2016 à 21:09)
 
« Cela étant, il faut savoir que, à proximité de ladite ville, les panneaux indicateurs affichent "Trst".
Je pourrais vous en parler, cher Tenancier, j'anecdoterai sur le sujet... »
Otto Naumme (29 juillet 2016 à 07:26)
 
« Au contraire, cher Tenancier, je pense que voilà une trieste nouvelle. »
Otto Naumme (5 août 2016 à 08:23)
 
« C’est le moment que choisit Carlo Papucci pour griffonner mystérieusement sur un carnet d’écolier ce curieux message presque en forme d’anagramme qu’il me tend ensuite avec un air de conspirateur souabe :

T T T T T
E R R R R
R I I S I
G E E T S
E S S
T
S T T
E
T E


U



M



(Latino) (Italiano) (Tedesco) (Slovène) (Sempre)
 
Tout est dit là ! Au carrefour des cultures et des langues, la ville-frontière cherche son unité et ne la trouve que dans une sorte de tristesse qui durera (sempre) toujours ! Il me rappelle ainsi que nous sommes dans une ville où, par dizaines, des adolescents romantiques se suicidèrent, des écrivains abandonnèrent leurs noms et choisirent des pseudonymes pour mieux s’intégrer, dans un endroit du bout du monde où la douleur semble d’abord essentiellement métaphysique. »
Franck Venaille : Trieste  (1985)
(Et pendant ce temps, la fille du Tenancier visite la ville...)

mercredi 3 août 2016

Où Trieste fout la paix au Tenancier...

L’autre fois, je vous causais de la persistance de l’apparition de Trieste au gré des mes promenades littéraires. Depuis, je n’ai plus eu aucune manifestation, comme si le fait d’avoir exposé cette étrange obsession l’avait jugulée.
Bien, il suffit donc d’écrire sur ce blog pour en être débarrassé. Tant que cela reste dans nos domaines de prédilections, nous n’en demandons pas plus, n’est-ce pas ?

jeudi 28 juillet 2016

Trieste

Les coïncidences en matières littéraires abondent, elles se font parfois insistantes, à moins qu’au lieu d’évoquer le hasard on accuse un inconscient soudainement devenu réceptif à certaines stimulations. Tout à coup, des connexions s’opèrent, des substances chimiques dans le cortex sont libérées, des paramètres exotiques se font jour dans le psychisme. Autant penser à cela plutôt qu’à un message divin ou de la CIA, ce qui me porterait fâcheusement à porter une calotte confectionnées avec du papier alu sur ma calvitie désormais triomphante. J’aurais l’air fin. Généralement, les injonctions sont subtiles. On se dit « Tiens, c’est marrant, je viens à l’instant de finir son bouquin et voilà qu’il y a une émission sur Tartempion » ou bien le coup de fils d’un pote inquiet : « Ça fait la deuxième fois qu’on apprend la mort de quelqu’un après que tu ais acheté son livre ». Mais pour cette dernière remarque, on se réserve le plaisir de vérifier une troisième fois à propos d’écrivaillons. J’ai mes listes.
Parfois, aussi, l’insistance se fait lourde, au point qu’on pourrait se prendre pour le héros de Rencontre du troisième type obsédé par une montagne…
Moi, c’est Trieste.
Au départ, l’allusion débute avec une habitude plaisante mais pas tellement assidue, celle de l’écoute de l’émission Ville-mondes sur France Culture. Le hasard du butinage sur le site de la station m’avait fait aboutir à l’écoute de l’émission en deux parties avec le sentiment diffus d’être tombé dessus déjà (le passage sur le karst ne m’était pas étranger). Pour le plaisir de vos esgourdes on vous convie à l’écouter :
 
 

Jusque là nous ne sommes pas dans le domaine de la coïncidence mais de l’heureuse rencontre. Ignare des écrivains de Trieste, de la ville même, l’appât est suffisant en y entendant l’évocation de Joyce ou de Stendhal pour que j’en fasse mon profit.
Peu de jours passent et je retrouve Trieste sur un écran de télévision, une émission d’Histoire relatant la difficile scission des habitants lors du rattachement de la ville à l’Italie au sortir de la guerre mondiale. Je passe rapidement car, pris par des obligations diverses, je ne pouvais m’y arrêter. Mais j’ai commencé à me dire « Tiens, c’est marrant… »
L’affaire se corse lorsque, exhumant quelques Magazine littéraire d’une caisse je feuillette le n° 227 consacré à « La France Fin de Siècle ». Quel rapport, me rétorquerez-vous ? Aucun si ce n’est que ce numéro contient également un article de quatre pages intitulé « Trieste, dernière escale »… aussitôt lu avec un intérêt flambant neuf. Eh bien, l’on note de nouveau la présence d’Umberto Saba ou de Quarantotti-Gambini, voire de Svevo, tous écrivains italiens que je connais fort mal pour ne pas dire pour certains pas du tout ! J’y apprends l’origine triestine de Leonor Fini, le passage des ombres de Larbaud ou de Rilke, la dèche de Joyce. Je m’inquiète surtout de ces signes répétés en si peu de temps. Pourquoi donc Trieste ? Non que j’y sois rétif mais quitte à m’intéresser à une ville italienne, ce serait plutôt Naples, par exemple…
 
 
Mais, de ces maigres connaissances, je perçois à quel point le lieu est une limite, une frontière cosmopolite et indécise une rencontre intéressante. Cependant rien ne me permet de m’inquiéter encore : trois coïncidences successives peuvent arriver, le codage du simulateur de réalité dans lequel nous vivons n’est pas à l’abri d’accidentelles réitérations… J’ai bien vu, une fois, des dizaines de nuages identiques se côtoyer.
Il est des moments où on finit tout de même par jeter un coup d’œil par-dessus son épaule avec inquiétude. Ainsi, alors que j’allais chercher un ouvrage commandé chez mon nouveau libraire de neuf, je tombais sur une pile de livres de chez Allia en promotion. Si Les mémoires d’un travesti (attribuées à Erik Losfeld !) avaient attiré mon immédiate attention, la couverture d’un autre ouvrage dont le titre est — bien sûr — Trieste, par Roberto Balzen n’a pu que me saisir. Que faire sinon l’acheter et le lire ? J’avais rencontré Balzen dans l’article du Magazine littéraire, avec cette suite de notes qui emprunte le ton du tutoiement, évoquant le vent de Trieste, la Bora, qui rend fou, et puis aussi le souvenir des fonctionnaires austro-hongrois et de leur probité… On retrouve cette même nostalgie un peu désolée à propos de ces fonctionnaires dans l’émission de France Culture. Le texte est doté du charme déchu d’une miette d’empire, doté d’un humour exquis. Un livre qui reviendra de temps en temps sous mes yeux.
 
 
Est-ce que je cherche la petite bête, dites-moi ? Est-ce la soudaine fécondité de mon inconscient qui me met à l’affût de toute allusion à la ville ? Je décide de forcer le destin et commande — d’après le même article du Magazine littéraire — un ouvrage de Svevo, un de Saba et celui de Franck Venaille sur la ville. Il y a de quoi conjurer le sort.
Les livres sont arrivés depuis peu (mon bouquiniste à Redon, curieusement, n’avait rien sur le sujet) et je n’ai pas encore eu le temps de les lire. Cela va venir forcément.
Visiblement cela n’a pas suffit. Le lendemain de la réception du petit colis (ouvrages payés à prix fort modique, d’ailleurs, mais je ne recommande pas ce site qui vient de me décevoir), ma fille me téléphone et me fait part de ses projets estivaux, dont celui de venir voir son heureux géniteur. Quel plaisir ! Et puis, juste après sa visite, elle ira faire une petite balade en Italie. « Ne me dit pas que… » Et si : Trieste, encore Trieste, toujours Trieste !
La répétition est devenue inquiétante et puis aussi un petit peu rassurante. Cette insistance ne peut être de mon fait à moins d’être un grand télépathe (ce qui m’étonnerait fort, vu mes fins de mois). Il y a certes l’empathie qui règne entre ma fille et moi, mais elle réside surtout dans l’appétence pour les films bourrins.
On finirait par trouver tout banal. Alors que je cherchais pour le travail quelques informations sur la vie de Casanova dans la biographie de Rives Child, je n’ai pas sourcillé cet après-midi même en croisant le chapitre intitulé « Errances qui le conduisent à Trieste ».
Cela fait trois mois que cela dure.
Je gage que la série n’est pas encore terminée, quoique le fait d’écrire un billet ici aura peut-être le don d’éventer toutes velléités du destin.
Mais on ne sait jamais, la Bora souffle peut-être jusque dans mes contrées.

jeudi 9 octobre 2014

L'hiver

Votre Tenancier a passé la barrière depuis pas mal de temps. Mais, dans sa jeunesse, il contemplait également l’avenir les yeux mi-clos dans la jouissance anticipée de tout ce qui pouvait arriver. Même pas peur ! Il lisait avidement ce qui lui tombait sous la main, allant généralement au plus facile ou alors à ce qui ressortait d’une mystérieuse évidence : une fièvre secrète qui présidait aux images induite par ses lectures et ses visionnages. Images ou textes d’autant plus précieux que cela ne se livrait pas si facilement, que la parcimonie entraînait à la répétition, à la réécoute, au « revisionnage » y compris dans une rêverie entretenue par l’ennui. Cela se passait souvent au seuil de la nuit et se prolongeait jusqu’au basculement vers le sommeil. L’hiver était alors une saison propice à la prorogation de cette errance. Votre Tenancier rêvassait alors à livre refermé et se prélassait longuement dans la limite ténue qui précède le sommeil. Il en a parfois la nostalgie.
Parfois, cela revient : une image, un son. Au lieu de récriminer à cette raréfaction, votre Tenancier, les yeux légèrement clos, revoit cet avenir figé dans une stase, une sorte d’hiver qu’il voudrait voir durer. Et puis il appareille.

http://www.humano.com/assets/CatalogueArticle/35722/GarageColorCover_original.jpg

jeudi 2 octobre 2014

Du nez des nains...

Les années 30 furent une période de frénésie sexuelle dans le cinéma américain. Jouant avec la censure, on vit nombre d’extases suspectes et de conduites déviantes. Que l’on songe à Fay Wray dans King Kong — on reviendra sur le sujet un jour — ou au sadisme du Comte Zaroff, parmi les innombrables exemples qui ne se cantonnaient d’ailleurs pas au fantastique mais débordaient également sur les screwball comedies et autres types de films. Une création de 1937, universellement reconnue comme un chef-d’œuvre de l’animation n’échappe particulièrement pas à des essais de contournements de censure. Il s’agit de Blanche Neige et les sept nains. Nous avons certes en mémoire l’image de la reine qui prend les traits de Joan Crawford déambulant dans des catacombes dont l’aspect méphitique fut inauguré plusieurs années auparavant par les images mortifères de la première vamp du cinéma, Theda Bara : cadavres enchaînés, barreaux, cellules, accessoires de torture… on ne s’ennuyait nullement dans les caves de Buena Vista et d'ailleurs. On passera sur la symbolique de l’assassinat au couteau par le chasseur qui se trouve dans le conte originel et qui ne nous apporte pas une jouissance particulière — sur le plan cinématographique, voulons-nous dire… Quant à la symbolique de la pomme, nous renvoyons tout le monde au visionnage du film.
Il est cependant une autre symbolique largement exploitée dans le film à plusieurs reprises et dont la scène inaugurale est si éloquente qu’elle se passe de commentaire. Il s’agit de l’utilisation du nez comme attribut sexuel. Expliquons-nous par l’image en signalant en préambule que Blanche neige arrive à la demeure des sept nains et croyant arrivant chez des enfants. Après une séance de ménage, fatiguée, elle s’endort en travers de trois des petits lits. Les nains arrivent dans le dortoir, pensant y trouver un monstre…

 
 
L’identification de la maturité des nains par le jaillissement — dirions nous : « la turgescence » — des appendices nasaux a fait la joie secrète de votre Tenancier alors qu’il visionnait cela en compagnie de ses filles en bas âge. Depuis, elles ont grandi et elles savent, le Tenancier n’a donc plus à se cacher ! Un autre passage du film utilise encore le nez de façon fort éloquente, celui où Blanche Neige embrasse le front de Grincheux. La conclusion de ce baiser et la direction finale du nez nous informe éloquemment sur la sexualité qui règne là-bas.
Note qui n’a presque rien à voir : les images utilisées proviennent d’une version remastérisée. Nous soupçonnons que la maison Disney ne s’est pas arrêtée à cela et qu’elle a fait redessiner les personnages, leur prêtant de fâcheux caractères néoténiques. Sans doute un lecteur cinéphile saura nous confirmer la chose…