Tysbers
s’estut une grande pose.
Si vous dit que ce fu la cose Qui plus le mat et plus le donte. Li cuers li dist qu’il avra honte Et grant anui et grant vergoigne. Tant doute Renart et resoigne Qu’il n’ose entrer en sa maison. Par defors contre sa raison, Mais il n’iavra ja gaing : « Renars, fait-il, biaus dous conpains, Di moi, es tu donc la dedens ? » Ce dist Renars entre ses dens Tout coiement que nuls ne l’oie : « Tysbers, par vostre male joie Et par vostre male aventure Soiés entrés en ma pasture ! Si serés vous, s’engiens n’i faut. » Et puis a respondu en haut : « Tysbert, fait Renars, Villecome, Comme se vous veniés de Roùme Ou de Saint Gile novelement, Bien soié venus hautement, Et s’il fust jours de Pentecouste ! » Que bials parlers rien ne li couste, Ains le salue humelement. |
Tibert s’arrêta un bon moment. Je vous assure que c’est là ce qui l’abat et le mate le plus. Son cœur lui dit qu’il va connaître la honte, de grands tourments et un terrible déshonneur. Il redoute et craint tellement Renart qu’il n’ose pénétrer dans sa demeure. Il lui tient son discours de l’extérieur, mais il n’y gagnera rien : « Renart, dit-il, très cher compagnon, dis-moi es-tu donc là ? » Renart marmonna entre ses dents, à voix basse pour n’être entendu de personne : « Tibert, puissiez-vous être entré sur mon territoire pour votre tristesse et pour votre malheur ! C’est ce qui vous arrivera si j’ai assez d’habileté. » Puis il répond à haute voix : « Tibert, welcome ! comme si vous reveniez tout juste de Rome ou de Saint-Gilles, ou comme si c’était le jour de la Pentecôte, soyez le très bienvenu ! » car il ne lui coûtait rien de faire le beau parleur, et il le salue avec humilité. |
Le Jugement de Renart
in : Le Roman de Renart
ed. publiée sous la direction d’Armand Strubel