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mercredi 13 septembre 2023

Lecture du Tenancier

— Ma chère Éléonore lui dis-je, la folie et la vanité ont bien des traits de ressemblance et souvent les mêmes effets; il y a des hommes assez fous pour se priver de la vie, il y en a eu d’assez vains et d’assez fous à la fois pour imaginer que les plaisirs, ces causes et ces liens de la vie, étaient des maux. Il leur a paru beau de séparer l’homme de l’homme et de le réduire à la classe des êtres insensibles. Plus un système est absurde et plus il semble divin à des yeux fanatiques; mais ce système de destruction des plaisirs est aussi insensé que le projet de vivre sans respirer l’air qui nous environne ou qu’il le serait de défendre à un corps sonore de résonner quand il reçoit des vibrations. L’auteur de notre être nous a donné des besoins à satisfaire, notre conservation en dépend, il a attaché des plaisirs à remplir nos besoins; s’il trouvait mauvais que nos cœurs se livrassent à ces plaisirs nécessaires, il voudrait en même temps que nous fussions et que nous ne fussions pas; il renverserait les lois de notre existence, il condamnerait dans nos désirs des flammes qu’il a lui-même allumées. Aussi voyons-nous que les idées contraires, empruntées du stoïcisme, ont très peu cours. Nous avons toujours les mêmes organes et les mêmes passions, le monde n’a point changé; preuve certaine qu’il ne devait point changer. Ce qu’il y a de plus remarquable, c’est que les défenseurs de ces chimères morales sont inutiles et même à charge de la société : fourbes, avares, méchants, vindicatifs, mille fois plus imparfaits que ceux dont ils font des censures amères; et pour comble d’imposture, en fait de plaisirs de tous les genres et de raffinements étudiés, ils démentent en secret leurs opinions fastueuses par une pratique constamment opposée.

Guillard de Servigné : Les Sonnettes, ou les mémoires de Monsieur le Marquis d*** (1749)

mercredi 7 avril 2021

Amer neuf

Plutôt qu'un discours empêtré pour vanter le travail formidable de Ian Geay autour de sa revue finiséculaire, laissons-lui l'espace afin de vous inciter à vous procurer les numéros encore disponibles d'Amer et surtout à souscrire au prochain...
Pour consulter le site des Âmes d'Atala, c'est ici, pour souscrire à Amer, c'est là.



     Amer est une revue dite littéraire. Du moins sur le papier. Elle prépare son neuvième plongeon, qui devrait faire un bon vieux plat ventre aux alentours du premier mai, ou dans ses eaux-là. Elle a d'ailleurs pour thème, les eaux. De quoi bien préparer l'été donc.

     Amer, à quelques exceptions près (La Friche, les Mots à la bouche, Publico à Paris, le Café Michèle Firk à Montreuil) n'est pas accessible en librairie. La situation sanitaire et sécuritaire depuis un an nous empêche de la diffuser - ainsi que toutes les autres productions des âmes d'Atala - dans les lieux où elle s'épanouit d'ordinaire (table de presse, concerts, ciné, café, rue). Nous ne savons pas quand nous nous reverrons, en attendant, voici l'occasion de commander le prochain numéro, de le recevoir chez vous, si nous ne nous croisons pas entre temps et de nous aider financièrement, car faut-il le préciser, nous ne touchons toujours aucune subvention.
     La participation se fait ici sous forme de souscription, ou de pré-commande ou je ne sais quel autre vilain mot employer, en sachant que pour nous nous en sortions, si vous décidez de donner un prix libre [...], il faut penser à ajouter à votre donation, dans la mesure du possible, les frais de port qui grèvent littéralement les phynances des Âmes d'Atala. Il n'existe toujours aucun tarif préférentiel réservé aux envois des maisons d'édition, et la majorité des personnes qui nous commandent aujourd'hui des livres à prix libre, ne pense pas à ajouter les frais de poste à leur obole.

     Aussi quand vous commandez par exemple un Amer 5 euros et que vous le recevez chez vous dans un paquet affranchi à 5,91 euros, il faut imaginer qu'en réalité, vous avez juste remboursé une partie des frais d'envois, et que nous sommes encore de notre poche de 91 centimes. La chose dite, un prix libre reste un prix libre, et si vous ne pouvez ou ne voulez pas faire autrement, vous recevrez dans tous les cas votre exemplaire quelque soit la somme que vous donnerez.
    D'après nos calculs, les frais d'envoi de ce numéro devraient s'élever à 6,31 euros par exemplaire... 

     Au final, souscrire (à prix libre ou fixe) permet dans un léger paradoxe de nous aider à ce que la revue demeure toujours  accessible à prix libre et souvent gratuitement (pour les prisonniers, prisonnières, les campagnes et opérations de soutien, les bibliothèques, les précaires, etc.) et à continuer de faire des livres comme on l'entend.
     En vrai, si ça vous saoule de lâcher des thunes ici - on vous comprend -, vous savez que vous finirez bien par tomber sur un exemplaire, dans une distro au fin fond d'un concert bruyant, ou que nous vous la filerons lorsque nous nous croiserons dans un terrain vague, de main à la main, et loin des rapports marchands, donc ne vous emmerdez pas.
    
     D'ailleurs assez parlé d'argent, c'est vraiment ennuyeux.



Dans le prochain numéro, sans rien vous dévoiler du sommaire pour garder la surprise, vous trouverez :
- 5 entretiens plus ou moins longs et 17 courts
- quelque chose comme 102 questions posées et à peu près autant de réponses
- 10 nouvelles contemporaines ou délicieusement surannées
- 4 textes inclassables
- 4 articles coruscants
- 132 notes minutieuses
- plusieurs dizaines de chroniques aiguisées
- 184 images et illustrations irrigantes
- 3 port folio michto
- 8 images hautes en couleur
- c'est-à-dire en tout, 480 pages marécageuses
- ce qui représente 660 kilos de papier soit environ 330000 litres d'eaux utilisées (bah ouais...)

     En vrac, les thèmes brassés, parfois à peine abordés ou tout juste évoqués sont la natation, la réanimation, la laparotomie, la noyade, les insurrections, Jean-Pierre Brisset, le sida, l'identité, les chiottes, Jack l'éventreur, la oi!, les poussés de la Deûle, les goélands, Sade, la planche, Stevenson, les vespasiennes, le racisme, l'écriture, le viol, la montagne, Jack London, les rivières, les fleuves, les mers, les ours, Géno, le bain, la fumée de tabac, Yellowstone, la littérature algérienne, la cyprine, les sources, John Muir, la société des grands fonds, le vrai, la littérature africaine, la pluie, l'écologie, le commerce maritime, Robert Caze, le désir, les limericks, la traduction, le féminisme, la photographie, Elisée Reclus, le droit maritime, le sauvetage en mer, la poésie, le punk des années 80, la foi, Virginia Woolf, l'anarchie, le sambo, la chasse, les fanzines, Pete Fromm, la prière, les migrations, le capitalisme, Gaston Bachelard, le cinéma de genre, la littérature américaine, Rachilde, la randonnée, les amérindiens, la piscine, les sirènes, la cancel culture, le déboulonnage, l'église catholique, l'Aquarius, l'islam, la mort, le tourisme littéraire, la psychiatrie, Gilbert Cardon, le duel, le Hirak, le sexe, les maîtres-nageurs et beaucoup d'autres choses tout aussi humides.   

    Et comme les Âmes d'Atala ont 20 piges cette année, nous vous réservons une toute petite surprise.
Allez ! avant que les rades (et le reste) ouvrent de nouveau leurs portes, filez des sous si le cœur vous en dit et que vous pouvez le faire, et surtout, portez-vous bien !

     On vous embrasse.


les âmes
 
(Et comme votre Tenancier n'est pas le seul à s'enthousiasmer, on vous convie à aller le verifier par vous-même ici.)

samedi 20 mars 2021

Cher Monsieur Barlow

Dans le courrier, avec le manuscrit d’un de mes romans que me renvoyait un agent de New York, j’ai trouvé une lettre. Je l’ai lue en buvant une bière et en fumant une cigarette. Elle disait (en plus de « Cher Monsieur Barlow ») :
 
Nous vous renvoyons votre roman, non parce qu’il n’est pas publiable, mais parce que le marché, actuellement, n’est guère réception à des histoires de camionneurs ivres transportant du bois, de bouseux et de chasse au cerf. Nos remarques concernent davantage la mise sur le marché de ce roman que la possibilité pure et simple de le publier. Bien qu’il soit très drôle en beaucoup d’endroits et extrêmement bien écrit, avec une bonne intrigue et de belles descriptions, qu’il soit dépourvu de fautes d’orthographe ou typographiques, nous ne pensons pas que nous puissions le placer. En revanche, c’est avec grand plaisir que nous lirons d’autres choses de vous, soit déjà écrites, soit que vous écrirez à l’avenir.
 
C’était signé par un quelconque connard. Je n’ai pas lu son nom. J’ai glissé une feuille de papier dans la machine et j’ai rédigé la réponse :
 
Vous, monsieur, n’êtes qu’un ignare. Comment pouvez-vous savoir que ça ne se vendra pas, bordel, si vous n’essayez même pas ? Et puis, est-ce que vous croyez que je peux vous en chier un autre en cinq minutes ? Ce putain de roman m’a pris deux ans de travail. Avez-vous la moindre idée de ce que ça coûte à quelqu’un ? Vous aimez jouer au Dieu tout-puissant avec nous, là-haut. Vous avez gardé mon manuscrit trois mois sans même le faire passer à des éditeurs. Alors que moi, pendant ce temps-là, je croyais que quelqu’un se tâtait pour l’acheter. Je vous botterais le cul. Je vous défoncerais à coup de pompes et j’y ferais un trou boueux que j’essuierais avec mes semelles. Espèce de bouffeur de merde. Je vous souhaite de perdre votre job. De toute façon vous le faites comme un con. Je souhaite que votre femme vous file une chaude-pisse. J’aimerais bien que vous fassiez mon boulot et moi le vôtre. Ça vous dirait, de peindre quelques maisons par quarante degrés ? Je peux vous garantir que c’est pas si marrant que ça. Je vous souhaite de vous faire écraser par un taxi en rentrant chez vous. Et puis de crever au bout d’un mois dans des douleurs atroces.
 
J’ai remonté la feuille et je l’ai lue. Elle m’a parue pas mal. Elle exprimait exactement ce que j’éprouvais. Grâce à elle, je me sentais bien mieux. Je l’ai relue, puis je l’ai sortie de la machine, je l’ai déchirée et je l’ai jetée. C’est alors que je me suis mis à mon histoire.
À quatre heures du matin, j’y étais encore. J’aimais bien travailler en pleine nuit. Il n’y avait de bruit nulle part. Rien n’obligeait mon esprit à se détourner de ce que j’avais juste devant moi.
J’ai terminé cette nouvelle, je l’ai lue, j’ai pris une enveloppe, rédigé l’adresse, collé les timbres et mis les feuillets dedans. Je l’ai portée à l’extérieur, dans la boîte aux lettres au bout de l’allée. Je savais qu’elle allait rester quelques temps loin de moi et qu’elle me reviendrait sans doute avec quelques mots superbes sur la lettre de refus.
Je frappais à la porte. Il y avait des années que je frappais, mais il leur en fallait, tu temps, pour me laisser entrer.
Je suis revenu dans la maison, j’ai éteint les lumières et je suis allé au lit. Seul.
Larry Brown : 92 jours
Nouvelle (1990), in : Dur comme l’amour Traduit de l’américain par Pierre Furlan, Gallimard, 2001

dimanche 5 juillet 2020

Lecture du Tenancier


Il ne s’agit pas ici de composer un récapitulatif complet d’une série qui a compté 76 volumes, mais de communiquer le plaisir même pas coupable éprouvé à leur lecture. Serge Kovask est un officier de l’ONI, service de contre-espionnage de la Navy, embarqué dans des enquêtes qui concerne tout d’abord la Défense, mais qui va devenir de roman en roman l'acteur d'un réquisitoire contre l’impérialisme. Très vite, on peut même dire immédiatement, le personnage du Commander sort de la typologie de l’exécutant fascistoïde et phallocrate à la SAS. Même si G.-J. Arnaud ne déploie pas d’arc narratif autour de ce personnage, son évolution devient éloquente dès le milieu des années 1960, qui le voit passer d’une position vaguement « démocrate » nostalgique de Kennedy à une démission de la marine américaine pour servir la cause du droit et de la justice internationale. Là où certains folliculaires (à Libération, par exemple, où l’inculture vis-à-vis des littératures populaires devient proverbiale) s’étonnent de voir le tâcheron de SAS présenter une soi-disant pertinence pour ce qui concerne les affaires internationales, Arnaud, lui, démontre que l’on peut trouver des sources ailleurs que dans les officines et raconter des histoires puisées dans le Monde diplomatique ou dans des sources plus ragoutantes que les colonnes de Minute. Produit de la guerre froide, les collections d’espionnage où évoluent ces personnages assez manichéens — Serge Kovask, alias le Commander, n’y échappe pas — s’estompent dès les années 1980. Créé en 1961 et abandonné en 1986, le Commander, aidé du splendide personnage de Cesca Peppini alias la Mamma, aura lutté aussi bien contre les latifundistes du Nordeste, parcouru clandestinement le Chili pendant le coup d’État, évoqué l’Opération Condor, ou bien contré les faucons du Vietnam. Mission accomplie, par un écrivain probe et crédible qui a disparu récemment et qui vaut bien plus que la condescendance de certains hommages qui démontre l’ignardise de ses signataires. Encore faut-il pour y remédier, lire G.-J. Arnaud. Ce à quoi s'adonne votre Tenancier de temps à autre.

lundi 29 juin 2020

Lecture du Tenancier


Revenons un instant vers les catalogues de livres, voulez-vous ? Celui d’aujourd’hui est consternant de mauvais goût pour ce qui concerne la couverture, qui ressemble à celle d’un rapport d’une quelconque Direction régionale de l’équipement en 1973. L’intérieur ne vaut guère mieux. Mais, fi de la pâte, jouissons de la substance : cette vente publique propose une série de poèmes autographes de Rimbaud (dont Une saison en enfer), le portrait photographique original par Carjat et Une saison en enfer (Bruxelles, 1873) « non coupé dans son étui de maroquin brun exécuté en 1925 ». À la suite de ces reproductions pleine page, on trouvera l’une des cinq ou six brochures existantes du chant premier des Chants de Maldoror (août 1868) suivi de deux lettres autographes de Lautréamont. On vous passe les autres livres proposés, éditions originales avec ou sans envoi, reliure pleine soie pour certains, etc., presque du banal en regard des pièces maîtresses. Me prendra-t-on pour un « Rimbaldiste » ? La possession de ce catalogue, en vérité, est le fruit du hasard lors de la récupération d’un lot de ceux-ci il y a longtemps. Ma bibliothèque ne comporte que quelques écrits périphériques autour de Rimbaud et guère mieux pour ce qui concerne Lautréamont et de maigres volumes de leurs œuvres. Par ailleurs, le soussigné moi-même se fiche assez des performances de la vente du 17 novembre 1998 à Drouot. En revanche, la reproduction des documents et des couvertures des ouvrages provoque toujours l’intérêt de l’amateur de livres que je reste. Je ne puis que vous recommander la vigilance lorsqu’un libraire ou un bouquiniste se débarrasse d’un lot de catalogues, on y croise de temps à autre des articles sensationnels et des curiosités. Dans certains cas, les rencontres sont étranges et sources de regrets, moi qui n’ait pu m’emparer d’un catalogue où l’on contemplait des photos de Michel Simon dans des ébats empreints d’une saine pornographie ! Sachez également que ces brochures constituent parfois l’unique occasion de découvrir une page manuscrite, un document, un livre ou une photographie avant de rejoindre l’obscurité d’un coffre ou le secret d’une bibliothèque. On reviendra de temps en temps sur le sujet des catalogues, fussent-ils de libraires ou bien de ventes publiques… enfin, si l’envie nous en prend, bien sur.

lundi 22 juin 2020

Lecture du Tenancier

Rien de récent (ou si peu), et comme ça lui chante.


Qui n’a pas eu la tentation d’une telle compilation, qui consiste à recenser les ouvrages imaginaires glanés dans la littérature ? Certes, depuis le temps que l’on nous cite l’exemple du Necronomicon (bâillement poli de votre serviteur), il devenait nécessaire de nous fournir d’autres exemples propres à exciter l’amygdale, non loin de notre hippocampe. Le seul obstacle à une telle entreprise résid
e dans l’érudition et la verve accumulatrice de l’auteur, celui-ci devant prouver l’étendue de ses capacités par le nombre d’entrées dans ce registre. On se garde ici de les compter ou même de relever les lacunes. On se contente déjà de ce que l’on trouve en gardant à l’esprit que toute entreprise de recension autour de la littérature et de ses surgeons se voue à l’incomplétude. Satisfaisons-nous alors de l’existence virtuelle d’un ouvrage comme Des trappes à souris et de leur influence sur l’âme et l’activité des chats (dans Le Chat Murr, d’Hoffmann) ou la continuation du canular de l’Action française de façon imprévisible par Jacques Roubaud qui, dans sa série d’Hortense, cite un ouvrage consacré à la Poldévone poldévique, par un certain Henri de Wachtendonck… et puis évidemment Perec et Le Voyage d’Hiver, d’Hugo Vernier, et puis l’œuvre de Ronceraille, et puis, et puis voilà.
Bien évidemment, un tel livre se feuillète de la même manière qu’on le fit avec Le guide de nulle part et d’ailleurs de Manguel et Guadaluppi, ici pour former un périple incertain et là, avec cette Bibliothèque invisible, pour fixer notre goût pour les voyages immobiles, ou presque, dans nos rayonnages. On reviendra dans quelques temps sur ce domaine du livre imaginaire, le sujet se révèle riche ! En attendant, pour vous récompenser de vous avoir fait poireauter dans notre salle d’attente, prenez donc cette prescription : un ou deux notices quand le besoin s’en fait sentir… ça ne vous fera pas de mal. Votre amygdale vous remerciera.

lundi 1 juin 2020

Lecture du Tenancier

Rien de récent (ou si peu), et comme ça lui chante.


Un catalogue de vente de libraire... oui, eh bien quoi ? On ne répétera jamais assez combien ces publications recèlent de trésors et de livres exceptionnels, même si on ne pourra jamais les posséder. Celui-ci est d'autant plus alléchant que son titre est Crimes et légendes et se consacre à toute la littérature criminelle : fictions, ouvrages de criminalistique, bertillonnage et photos de « convicts », beaucoup d'ouvrages du XIXe et de provenance anglo-saxonne. Le charme de ce catalogue tient également au choix des illustrations monochromes en sépia. 1000 références sur le crime et ses à-côtés...
Un catalogue qu'il m'arrive de feuilleter encore avec le même plaisir...

mardi 12 mai 2020

Lecture du Tenancier

Rien de récent (ou si peu), et comme ça lui chante.



« Je me souviens de votre visage si désolé quelques heures avant votre mort. Vingt-cinq ans après, vos larmes me révoltent encore. Vous étiez épuisé d’avoir espéré trop longtemps quelque chose qui ne vous sera jamais arrivé. Une vraie reconnaissance. Il se trouve que vous me l’avez dit dans ce bistrot de la place Desnouettes. Vous répétiez “Je suis foutu, je suis foutu…” J’avais en face de moi un homme éperdu de solitude et d’angoisse. Je suis la dernière personne à qui vous avez parlé. Puis ce fut le moment de se séparer. J’avais des enfants à coucher, un travail d’ouvreuse à prendre vers huit heures du soir. Vous aviez du mal à me quitter »

samedi 2 mai 2020

Lecture du Tenancier

Rien de récent (ou si peu), et comme ça lui chante.



Quand Arthur Rimbaud entre à l’Académie française, le 16 janvier 1930, personne ne semble se souvenir de « l’homme aux semelles de vent », du chérubin diabolique des « Réparties de Nina » et des « Assis », ou du « voyou » voyant qui avait défrayé la chronique du petit milieu poétique français vers 1872. Curieusement, Valéry, qui prononce l’éloge du nouvel académicien et qu’on a connu plus méticuleux (lorsqu’il préface La Fontaine ou Mallarmé), expédie lui aussi ces premières œuvres en trois phrases :

Je n’oublie pas, Monsieur, que vous n’avez pas commencé d’être des nôtres avec ce gros livre [Les Nuits d’Afrique] : de minuscules plaquettes l’avaient précédé, qui devraient bien, un jour, être rééditées. Vous vous y montriez, en vers et en prose, l’un de nos premiers symbolistes, un peu moins connu, mais un peu plus précoce, un peu plus tourmenté, un peu plus visionnaire que les autres. Ainsi, avant de vivre vos mille et une nuits d’Afrique, vous vous étiez payé le luxe d’une brève « nuit de l’enfer » et celui qui devait emprunter tant de voiliers et de cargos dans monde s’y rêvait joliment « bateau ivre »…
[…]

Cette première page du livre de Dominique Noguez pose d’emblée l’enjeu du livre. Rimbaud ne meurt pas dans les circonstances que l’on connaît mais se survit à lui-même, rédige un roman remarquable, Les Nuits d’Afrique, lui valant l’amitié de Breton. Celui-ci l’excommunie — bien entendu — quelques temps plus tard, lorsque Rimbaud prend la défense de Claudel dont il épouse la sœur… Alors, Rimbaud deviendrait-il l’impensable, un poète chrétien, sanctifié par l’Académie ? Le jeu de Noguez est plus subtil et dépasse le cadre habituel de l’uchronie, qui emprunte habituellement des voies plus ludiques. Ici il nous mène à un essai littéraire démontant le mécanisme de l’évolution du « Grantécivain » (autre titre de Noguez). Curieusement (ou pas, selon votre chapelle), le cheminement de Noguez reprend quelques jalons posés par Enid Starkie, fort empreint de l’idée d’un Rimbaud chrétien. Pourquoi pas, si l’on considère l’évolution de nombre d’écrivains de sa génération ou de celles d’après dans des voies parfois plus tortueuses. Une véritable curiosité littéraire, en tout cas, sur des traverses inaccoutumées.

samedi 25 avril 2020

Lectures du tenancier

Rien de récent (ou si peu), et comme ça lui chante.


 « Un ami parisien m’a téléphoné à la fin novembre 1974. Il m’a dit que Lotte Eisner était très malade et allait sans doute mourir. J’ai répondu : cela ne se peut pas. Pas maintenant. Le cinéma allemand ne peut pas encore se passer d’elle, nous ne devons pas la laisser mourir. J’ai pris une veste, une boussole, un sac marin et les affaires indispensables. Mes bottes étaient tellement solides, tellement neuves, qu’elles m’inspiraient confiance. Je me mis en route pour Paris par le plus court chemin, avec la certitude qu’elle vivrait si j’allais à elle à pied. Et puis, j’avais envie de me retrouver seul.
Mon journal de marche n’était pas destiné à être lu. Aujourd’hui, quatre après, quand j’ai repris ce petit carnet de notes, il m’a ému d’étrange manière, et le désir de le faire lire à d’autres m’a aidé à surmonter la gêne de cette mise à nu devant les regards étrangers.
Seuls quelques passages très intimes ont été supprimés.

W.H. »

On s’expliquera ou non les profondes raisons d’un périple aussi singulier. Werner Herzog, retourne à l’errance qui transparaît si tôt chez les Romantiques allemands, doté du même sens du paysage traversé et perçu dans ses infimes palpitations. Ce « voyage d’hiver », de rédemption, cette sorte de pèlerinage miraculeux dans une contrée à l’hostilité souterraine, reste à mes yeux un grand texte sur le voyage… En ce sens, il reprend l’extrême sensibilité des vagabondages du Romantisme, dans un pays hostile, bien souvent dans une forme passive : froid, grésil, pluie drue, chiens méfiants, population mutique au passage du vagabond, qui n’hésite pas à fracturer les portes des maisons vides pour trouver un abri pour la nuit. On sait bien — on s’y attend — que demander un hébergement serait vain. Ces quelques pages constituent un moment miraculeux au milieu de toute la littérature frelatée autour du voyage et son moralisme spectaculaire. Sans doute y retrouve-t-on l’obstination d’un Aguirre dans cette progression sur une terre ingrate et froide, on y découvre également une sensibilité exceptionnelle…


Pour un extrait, allez donc voir ici