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lundi 4 mars 2024

Ça aide

Certains lecteurs de passage sur ce blogue l’ignorent peut-être, mais je suis écrivain pour happy few : trop « fantastique » pour la lithérature, trop littéraire pour « l’imaginaire » et pas assez copain avec quiconque. Seuls quelques éditeurs m’apprécient assez pour me publier, on ne sait par quel motif nébuleux, sûrement en rapport avec une disposition masochiste étant donné les résultats des ventes. Remarquons au passage que ceux qui me publient ne semblent pas mieux placés que moi au niveau des finances… Nous sommes quelques-uns dans cette position étrange qui nous fait figurer dans des ouvrages très honorables, mais qui ne se vendent pas, sans doute parce que les couvertures ne sont pas gaufrées comme des boîtes de bonbons produites en série. Que l’on ne perçoive pas ceci comme une marque d’acrimonie quelconque. Cela fait un bail que j’ai pris conscience que je ferais partie de toute façon d’une certaine marge. L’intérêt demeure de pouvoir continuer à écrire, de persister à y prendre du plaisir, et de lire parfois un ou deux encouragements. Cinq livres ont été édités sous mon nom, c’est déjà plus que ce que j’aurais pu espérer en commençant à écrire sérieusement. J’ai rédigé plus de cent cinquante nouvelles dont la moitié a été également publiée en revues ou en plaquettes. Vous ne me verrez pas dans les festivals dits de « l’imaginaire », parce que je me figure mal figurer dans une manifestation où les mauvais bouquins sont aussi bien accueillis que les bons au prétexte qu’ils font partie de la même famille (Au plus dans des manifestations locales, pour serrer la main à des potes) . D’ailleurs, je ne crois pas me situer vraiment dans cette sphère, même si j’ai participé abondamment et activement au mouvement de la SF il y a une trentaine d’années, par exemple. Je suis un très mauvais « signeur » : les envois autographes signés m’embarrassent. Et puis, qui lit donc du Letort, à part mes éditeurs et quelques amis (et encore, ils n’ont pas tout lu) ? Non, tout va bien, à partir du moment que l’on décide de travailler pour un autre motif que la gloriole, c’est-à-dire avec l’ambition de faire bien les choses, même si c’est une existence assez solitaire. Alors, cela acquiert du sens. On se prend à percevoir des signes de confrères — de véritables confrères, ceux qui partagent également cette solitude. Tous n’écrivent pas, mais ils tentent de bien faire les choses, comme moi. Cela aide. N’est-ce pas, chers lecteurs de ce blogue ?

mardi 20 février 2024

Un refus

L’autre jour, on a proposé à votre serviteur de participer à un mini-festival — l’équivalent d’une fête de quartier ou en tout cas dans une sorte d’entre-soi — où l’on me conviait à travailler en public sur un mot choisi dans une sélection de trois, production qui serait lue ensuite devant tout le monde. L’invitation aurait pu me flatter si j’avais appartenu à ce genre de personne qui aime s’exhiber, me comparant à un Simenon dans sa cage en verre, par exemple. Cependant, un surcroît de prudence — entre autres — m’a poussé à refuser cette proposition, trop conscient que ma production ne concerne pas ce genre d’exercice spectaculaire. Non que je me prenne pour un « Grandécrivain », mais que l’on pense de moi que je sois un débiteur de texte à la demande et que je ferais fi également de la sorte d’intimité régissant toutes mes rédactions lorsque je me retrouve à ma table de travail, m’a quelque peu défrisé, si c’était encore possible de côté-là. Cette requête ne me paraît pas inconvenante, mais pose la question de ce que l’on entend par le labeur d’écriture, la confinant à une sorte d’exercice technique où ne rentrerait en jeu qu’une certaine aisance à manipuler des concepts, compétence qui se recrute d’ailleurs chez les premiers de la classe. Je ne fais pas partie de cet univers.
Je m’imagine à me débattre deux heures durant, puisqu’il semble qu’on m’allouait ce temps, avec un de ces mots, devant tout le monde. La lutte avec l’ange tomberait alors dans la catégorie poids mouche… ou à une piteuse débâcle. Cette proposition n’est pas exceptionnelle. J’ai déjà assisté à ce genre d’exercice, sous une forme ou une autre, où les auteurs sollicités s’en sortaient haut la main et où ils en tiraient même un surcroît de prestige auprès d’un public. Pour ma part, je m’attends toujours à ce que l’on fasse passer le chapeau pour remercier l’artiste. En tout cas, que l’on ne compte pas sur moi pour me prêter à ce genre d’attraction. Je ne me prends pas non plus pour un « créateur solitaire » ; je sais à quel point je demeure redevable à beaucoup de personnes, mais je refuse de devenir une bête à exhibitions. Cela ne signifie pas pour autant que je répugne à rencontrer des lecteurs et à converser, autant que possible. Du moins y a-t-on le choix du sujet sans l’injonction de la contrainte et de l’efficacité.
J’ai donc refusé.

mardi 23 janvier 2024

Une époque extraordinaire

Il est entendu de ce côté-ci du clavier que je m’interdis de délivrer des anathèmes envers les littérateurs réactionnaires ou mêmes fascistes qui occupent de plus en plus le devant de la scène. Il est vrai par ailleurs que l’exposition d’un Céline, par exemple, attire moins de mouches à merde et qu’il devient nécessaire de moderniser la saloperie avec des auteurs bien élevés et si possible adoubés par des médias prompts à la gamelle. Les temps se révèlent extraordinaires, sans doute parce que je n’ai pas assez vécu, à contempler les petites lâchetés, les intérêts bien compris et les compromissions également en cours dans la « République » des lettres et de la poésie, comme il s’en produisit il n’y a pas si longtemps. Certains ont choisi l’indifférence, la réclament même, se retournant contre ceux qui réagissent, maladroitement, certes, à l’envahissement d’une pensée réactionnaire à tous les étages de la vie culturelle. On a lu également quelques contre-feux éloquents, accusant les signataires d’une tribune contre un des charlatans des lettres, de « wokisme », « d’écrivaillons » quand on n’avait pas recours à des insultes franches. À cela, l’on ne s’étonnerait pas de la provenance (Le Figaro à joué son rôle où on l’attendait) si cela ne venait pas de gens qui bâtissent une réputation d’intransigeance… lorsque cela ne leur coûte pas un rond — à moins que cela les compromette — ou bien parce qu’ils redoutent de s’être trompés, d’avoir pris un léopard pour une panthère et d’avoir méconnu Les navigations d’Ulysse de Victor Bérard, bref d’avoir cru à la copie plutôt qu’à l’original. À moins que ceux-là rêvent de participer à la « gamelle » qui paraît bien fournie, et achalandée par les faucons et les Oui-oui. On observe cela de loin, sans étonnement. On s’en doutait, puisque déjà certains rayons de librairies semblent des compilations de propos de bistrots ou de mises à jour des conneries de la Nouvelle-Droite, quand il ne s’agit pas de « recyclage » pur et simple d’idées rances et de textes « bancables ». On a vu tout cela et l’on s’en passe. Mais après tout, la culture envisagée comme une « industrie » démontre son aptitude au recyclage et par destination ne peut se mêler des opinions, excepté lorsque le vent tourne et qu’il s’agit des dernières soldes avant liquidation du prêt-à-penser précédent. Oui, les temps sont extraordinaires, mais loin d’être merveilleux…

dimanche 19 novembre 2023

Salauds d'athées...

Une petite chose m’amuse beaucoup lorsque l’on croise une critique du fanatisme religieux : l’on trouve presque systématiquement un contradicteur vous signifiant que ce n’est pas mieux du côté des athées, et de citer comme exemple Pol Pot et Staline. On a été voir du côté de leur bio sur ouikipédia :
 
En 1934, Saloth Sâr [véritable nom de Pol Pot] est envoyé par son père à Phnom Penhnote pour parfaire son éducation (le village ne possédant ni école ni wat), comme son grand frère Chhay avant lui. Il intègre le Wat Botum Vaddei, un monastère-école à proximité du palais royal et tenu par le Dhammayuttika Nikaya, proche du pouvoir. Véritable village, ce wat accueille chaque année une centaine de novices, âgés de 7 à 12 ans. L'éducation religieuse qui y est apportée est rigoureuse, l'organisation de la vie des apprentis et des moines stricte et l'individualité prohibée. Saloth Sâr y passe un an et semble avoir apprécié cette période.
 
Après avoir brillamment réussi ses examens, Iossif Djougachvili [alias Staline] entre en 1894 au séminaire de Tiflis et y reste jusqu'à l'âge de 20 ans. Il y suit un enseignement secondaire général avec une forte connotation religieuse. Surnommée le « Sac de pierre », l'école a sinistre réputation.
...
En décembre 1941, alors que les Allemands approchaient de Moscou, Staline aurait ordonné que l'icône [Notre-Dame de Vladimir] fût placée dans un avion qui fît le tour de la capitale assiégée. L'armée allemande commença à se retirer quelques jours après.

La formation des élites, y’a rien de tel…

mardi 7 novembre 2023

Engagez-vous, rengagez-vous

Peut-être a-t-on mal compris mon propos selon lequel « la SF courait après son obsolescence » dans un billet précédent. Par là, je ne signifiais pas que c’était une littérature moribonde, mais que sa nature restait en grande part dépendante de l’évolution de nos sociétés et des technologies, même si, en définitive, cela consistait à parler de notre univers contemporain et non celui d’un futur hypothétique. Cela se révèle souvent du bricolage maison, de l’extrapolation sur clavier… Ainsi, beaucoup de romans anciens du genre dévoilent une curieuse inadéquation entre la vision de l’auteur à son époque et le monde actuel (mœurs, technologie, arts, etc.) Par exemple, un auteur des années 1940 ne peut concevoir la révolution informatique parce qu’il lui manque quelques chaînons (à une exception : Murray Leinster avec Un logic nommé Joe). Il ne peut être blâmé d’une transposition qui rencontre les limites de son imagination, que ce soit dans l’illusion prédictive ou même la description d’espèces radicalement étrangères, qui presque systématiquement se révèlent des patchworks de motifs existants.
La SF aboutit ici une sorte d’aporie qui lui donnerait toutes les capacités d’anticipation, mais sans les moyens que pourtant elle décrit de temps à autre, comme la psychohistoire, illusion dont même son auteur, Isaac Asimov, s’affranchit en rappelant la nature accidentelle ou aberrante du processus historique, parfois. Il semble assez piquant de constater que certains des acteurs du genre négligent ce paradigme et se mettent au service d’une prospective « institutionnelle », endossant alors les oripeaux de la futurologie avec, parfois, un sérieux papal assez réjouissant.
La palme de la franche rigolade se trouve dans la collaboration de certains auteurs à une « team » financée par le ministère des armées et dont la mission serait de... jargonner autour d’éventuels conflits auxquels nos pioupious pourraient faire face. On en revient alors à une conception bizarre qui voudrait authentifier un diagnostic par des personnes aussi concernées que votre serviteur, ou vous-même qui me lisez, autour de technologies futuristes et d’évolutions sociétales. On se consolera en se disant que l’expertise aboutirait à un certain nombre de questions embarrassantes si la Cour des comptes était tentée d’y plonger le nez. « Baste, dira-t-on, ils en profitent et ils n’ont peut-être pas tort, après tout ! » Mmmh… prenons un ministère quelconque et employons quelques personnes à pondre des rapports qui ne servent à rien... le genre de nouvelle qui réjouit un certain Canard ! Nos militaires innovent en la matière puisqu’ils n’utilisent pas d’énarques pour s’y adonner, ce qui dénote un souci louable d’économie. Pourquoi donc alors ne pas recourir à des experts en futurologie et autres domaine au service d’un but mortifère ? Eh bien, sans doute y a-t-on pensé et qu’ils travaillent de leur côté aussi, la bêtise militaire ne se situe pas exactement là, qui voudrait s’en remettre à la seule disposition des auteurs de SF. Encore heureux, oserais-je prétendre, car la sottise doit reste un bien commun. Oui, la SF possède un fort rapport avec la stupidité, puisque comme toute littérature elle s’intéresse à l’humain et à ses interactions. Mais là, nous voici plongés dans la béatitude technologique : pas de merde, pas de sang, pas de cris, rien que la lumière froide du kriegspiel et des dossiers chiadés sur les guerres futures. Au mieux cette entreprise se révèle de la sottise, au pire elle tue. Et encore… combien de fois Murray Leinster, cité plus haut, a vu juste sur l’ensemble de ses écrits, et combien dans celles de ses confrères ? Reportée à la statistique, quelles sont les chances pour que cette team (je biche aussi le globish qui sent bon le pubard annexé au projet…) voit juste dans ces dossiers-là, disons entre le « nib » et le « que dalle » ? Cela n’empêche pas que collaborer à cela comporte un coût, celui de la conscience.
Reste l'aspect hilarant (bon, l'on rit un peu jaune) de l'histoire : les participant y croient et se prennent autant au sérieux qu'un camion de recrutement de la Légion étrangère un 14 juillet. Accessoirement, cette utilisation de la littérature rejoint assez les conceptions du monde de l'inculture qui voudrait prendre pour argent comptant l'imagination de l'auteur et qui se réserve parfois le droit de le punir au prétexte d'obscénité, par exemple, alors que la vraie obscénité reste de ne pas respecter la littérature.

mercredi 15 septembre 2021

Le Tenancier ronchonne

  Outre qu’elle se fait le porte-voix d’une certaine béatitude technophile globalisée et où ses animateurs se déclarent des « lovers » lors de jamboree radiophonique consacrées aux « industries culturelles », france culture(1) s’adonne au recyclage d’anciennes émissions ou d’invités —, pas forcément les mêmes, mais interchangeables — où le conceptuel people s’adonne à l’entre-soi des marchands de primeurs. Étrange phénomène qui déprécie la bourgeoisie sans qu’il soit besoin de lui donner un coup de main, comme si, tout à coup, le vieux réac ou la conscience de gôche se diluaient dans une sorte de libéralisme vaguement orienté « droit-culture/patrimoine ». Pourquoi pas ? Tout cela se veut efficace. Malheureusement, l’on se trouve bien court, quand bien même l’on rabâche, et il faut meubler d’autant qu’après avoir viré la création, l’on compresse le personnel depuis des éons. Le miracle des redifs reste à cet égard une providence, entre deux émissions de variété déguisées et après quelques estimables léchouilles et quelques prudhommeries. On recycle et ce qui distingue l’industrie d’une création réside justement dans cette réutilisation ad nauseam de vieux machins sans que la qualité s’améliorât (au moins dans le cinoche, nous sommes passés au parlant et au Technicolor, le son FM pour la radio devenant un très médiocre progrès pour les logorrhées). Doit-on jeter la pierre à ceux qui affectionnent ces rediffusions ? Ah mais non, d’autant que le soussigné en fait partie! Mais il fatigue, aussi. Il aimerait bien rêver un peu, qu’on l’enchante avec de l'imagination. Et là, on peut estimer que votre Tenancier peut toujours courir.
  — Mais pourquoi ronchonnez-vous, Tenancier ?
  — Parce que c’est mon plaisir.
(1) Des caps., vous croyez ?

mercredi 10 février 2021

Une activité peccamineuse du Tenancier

Pour le moment, et c’est le moins qu’on puisse dire, votre Tenancier ne rencontre pas un succès ébouriffant avec ses livres. Certes, ses rares lecteurs semblent les avoir appréciés et les notes les plus défavorables qui sont passées sous ses yeux sont loin de se montrer déshonorantes. Voici donc, par la force des choses, c'est-à-dire de sa bibliographie, votre Tenancier propulsé au titre d’auteur. Par ailleurs, son abandon du métier de libraire le conduit à fréquenter ses ex-confrères afin de se procurer des ouvrages qu’il lira éventuellement dans une dizaine d’années. Il se trouve que le libraire du coin a entrepris de créer un rayon modeste (mais passionnant, pensez donc !) consacré aux écrivains locaux et où nous figurons avec nos trois ouvrages. Outre le fait que nous ayons passé la barrière entre le professionnel et le client, nous voici également institué auteur, confronté à ses bouquins dans un rayonnage. Combien de fois nous sommes nous irrités de ces sales types qui se permettaient d'effectuer la mise en place de leur production lorsqu’ils commettaient une intrusion sur notre lieu de travail ! Comme nous ne possédons pas une mémoire de poisson rouge, on se garde bien de faire de même lorsque l’on croise le fameux rayon. Ce serait impoli et malgracieux. On regarde du coin de l’œil, l’air de ne pas y toucher. Un jeton et hop : on fait son modeste, comme si on n’avait pas remarqué. N’empêche, il reste quelque part, dans un coin de notre cervelle, un gnome grimaçant qui se moque des petits orgueils d’auteur, comme d’une activité peccamineuse au secret d’une quelconque alcôve. Il suffirait que le surmoi ait une baisse de régime. Mais, bien sûr, votre Tenancier se situe bien au-dessus de ce désordre…

mercredi 6 janvier 2021

Blague à part...

Ce petit coup de gueule fut publié sur Facebook (et l'on pardonnera le style relâché) le 1er novembre 2020. La sottise de certaines personnes criant à « l’atteinte à la liberté » parce que l’on demandait aux libraires de fermer quelques temps devenait quelque peu encombrante. Le propos ne soutient en rien, précisons-le, la politique absurde en vigueur concernant l’épidémie qui nous touche tous (et dont j’ai été atteint), mais s’interroge sur un certain fétichisme autour du livre…


Blague à part, je suis sidéré parce que je lis en ce moment autour de l'ouverture des librairies, et en général tout ce qui touche le livre. J'ai commencé dans le métier (parce que j'y suis toujours, malgré tout) en 1979 et je me trouve loin du fétichisme affiché par beaucoup ici. En effet, je considère cette étrange passion de continuer à baguenauder dans les rayons assez frelatée, comme si, du point de vue du lecteur, de l’acheteur de livre, nous nous relevions d’une privation de quatre ans. Et encore, si tel était le cas, frémirait-on de plaisir à enfin découvrir des voix venues d’ailleurs comme l’étaient en leur temps tous les écrivains amerloques débarqués par rayon entiers sur nos rivages. Là, on demande aux professionnels de fermer un mois et de se débrouiller pour livrer, afin de compenser comme ils peuvent leur manque à gagner. Ils s’organisent. Eux-mêmes le signalent. Je pense que nous survivrons tous à cette suspension partielle de la vente des livres parce que, c’est vrai, la librairie n’est pas vitale. On peut tout à fait survivre sans livre (on s’emmerde, c’est vrai) mais on ne peut pas survivre sans bouffer. Alors oui, d’autres commerces restent ouverts et je serais pour qu’on les ferme aussi, ou qu’ils se débrouillent comme les libraires. Parce que vous savez quoi ? Eh bien comme le dit un éditeur de ma connaissance, je préfère me priver d’un bouquin et sauvegarder une vie. Nous voici confrontés à problème de santé publique qui constitue une menace immanente sur les plus faibles, à notre merci du fait de notre inconscience ou de notre impéritie... Tout cela pour complaire cette sorte d’attachement malsain autour d’un métier où le fantasme — je suis bien placé pour la savoir — d’un certain public reste omniprésent. Eh, les gens, si vous vous voulez tant de reconnaissance, ne faites pas librairie, c’est chiant, on fait des factures, on déballe des cartons et en plus on doit se gaufrer des clients qui viennent baver des « C’est merveilleux votre métier on lit tout le temps », sous-entendu qu’ils aimeraient aussi. Toujours cette envie de reconnaissance, parce que, aux yeux de beaucoup le livre garantit une sorte de prestige, alors que… Musso, Lévy, Tesson et les merdouilles du genre, ça c’est la vérité de la librairie. Et vous voudriez que ça reste ouvert pour que ce robinet à connerie ne se tarisse pas. Oui, je sais, il y a les autres, les obscurs, les sans-grades. Ne vous alarmez pas pour eux, ils ne vendront pas plus que si tout restait ouvert, ou bien la différence reste si infime : un ou deux exemplaires à décompter, peut-être. J’exagère à peine. Mais non, prendre position pour ou contre la fermeture (et ce n’est pas du Marthe Richard), c’est prouver qu’on est concerné, que cela a de l’importance. Mais pas du tout, en définitive. Si vous voulez un livre, c’est bon, bigophonez au libraire. Si vous voulez vous valoriser par le livre en manifestant ou en pétitionnant, allez-y, je ne vous retiens pas, mais vous devriez sans doute penser au radio-crochet pour tenter de vous donner de l’importance, parce qu’on risque de regarder vos achats de plus près, et ça risque aussi de ne pas être glorieux. Autrement, les gens, vous êtes toujours au courant, la pandémie, les malades, les vieux qui crèvent dans les mouroirs industriels que sont les ehpad, non ? Vous devriez… et demander qu’on reconfine encore plus strict. En plus ce serait chouette de votre part, il y aurait encore moins de circulation et de cons en liberté. Le printemps serait joli. Ah mais oui, le dernier rempart contre le fascisme, j’oubliais : le livre ? Comme ceux de Houellebecq, le Céline de la petite bourgeoisie centriste ? Bon courage pour la victoire finale, alors…

vendredi 26 juin 2020

Roland


Roland C. Wagner n’a jamais été un ami, mais un de ces « potes » que l’on trouve au cours de son existence, lorsque de nombreuses virtualités existent dans notre jeunesse finissante, lorsque les contraintes sociales pèsent encore peu. Lorsque je le rencontrais, il n’avait pas encore publié de livres, seulement quelques nouvelles, la plupart du temps dans des fanzines. Il voulait devenir écrivain, dans la collection Anticipation au Fleuve Noir, surtout. Tout nous semblait possible. Il avait raison, au point de clore cette série par le numéro 2001 (L’odyssée de l’espèce). Il a eu la sagesse d’aller plus loin encore, de continuer à écrire. On s’est beaucoup vu, puis beaucoup moins. Nous possédions un ami en commun qui nous reliait subtilement bien après que la distance se fut installée. Cet éloignement marquait l’intervalle qui nous séparait d’une partie de notre jeunesse. 

jeudi 12 avril 2018

Point Vernal

Il est parfois des moments de grâce dans la vie d'un libraire. Celui on l'on rencontre un client qui vous énumérera les merveilles de sa bibliothèque et dont vous ne ressentirez nulle jalousie ou nul dépit. Simplement parce que cette personne passionnée vous parlera avec sincérité du plaisir de vivre en compagnie de cette reliure ou de cette exemplaire un peu rare. Il y a aussi les fois où l'on ouvre une caisse, ou lorsque l'on fait l'acquisition d'un livre qui charme tout de suite, parce qu'on l'attendait depuis longtemps sans le savoir, ou parce qu'il manquait dans votre bibliothèque, un manque de nature presque stupéfiante. Du reste, les deux hypothèses se valent puisque c'est là l'assouvissement d'un désir, de toute façon. D'autres ouvrages se laissent désirer. Telle vilaine reliure, tel méchant livre en apparence devient tout à coup un trésor parce que vous n'aviez pas réalisé qui se cachait derrière le nom du poète, ou derrière ce texte. Sans doute aussi parce que vous l'ignoriez, car le métier de libraire est fait d'ignorance. Le livre a pu demeurer dix ans à côté de vous, jusqu’à ce jour.


Je crois me souvenir que dans L'Île mystérieuse, de Verne, Harbert s'exclame : « Quel grand livre ferait-on avec tout ce que l'on sait ! » et Cyrus Smith de répondre : « Et quel plus grand livre encore ferait-on avec ce que l'on ne sait pas ! ». La citation est approximative et l'on m'en excusera. Mais le métier de libraire c'est cela, c'est remplir encore et encore le grand livre de l'ignorance et essayer de tenir à jour tant bien que mal, au jour le jour le calepin de ce que l'on sait. Chaque personne qui lit un peu connaît cela : chaque livre découvert en amène d'autres qui, eux-mêmes, en apportent encore comme un champ de possibles qu'il ne sera humainement pas accessible dans sa totalité. Et puis, il y a soudainement le moment où, tout libraire ignare que vous êtes, vous atteignez une sorte de plénitude : on vous demande ce que vous savez, votre intuition vous fait conseiller le bon livre, votre patron – lorsque vous êtes salarié – arrête de parler tout seul pendant une petite heure, vous rencontrez une femme dans la librairie que vous allez aimer et avec laquelle vous aurez des enfants, vous vous y faites des amis et ceux-ci vous emportent plus loin que vous n'osiez l'espérer. Et puis il fait beau dehors et ce que vous faites au quotidien vous paraît à ce moment moins terne, moins banal. Et alors on se dit que l'on a bien fait, un jour de laisser tomber ce pourquoi on avait été programmé, c'est à dire à rien. On se dit également que ce métier-là fait accéder à une certaine dignité, pour peu que l'on se respecte et que l'on respecte les autres. On se dit encore que ce métier est un perpétuel apprentissage et que la somme de ce que l'on sait pèse peu dans la balance face au savoir des autres. Mais, tant qu'à faire, autant demeurer un livre ouvert pour espérer la réciproque. Tout se conjugue pour cette sorte de félicité tranquille, ce point vernal de la quiétude qui vous rend assuré de vos amis et de vos proches, vous tranquillise sur vos doutes quant à ce que vous croyez savoir.
Sans doute parce que vous voulez savoir, toujours, encore et que seule la fosse saura vous déprendre de cette passion. Sans doute encore vous avez décidé de remiser vos certitudes et de ne point vous gonfler de votre expérience. Sans doute parce que l'humilité est une sorte d'orgueil. Sans doute enfin que vous êtes en paix avec vous-même.
Et on espère alors que ce savoir ne sera pas perdu, et que le gage de sa survie est de perpétuellement le remettre en question.
En attendant, cette sorte de grâce est parfois accordée : vous êtes vivant et c'est grâce à vous seul.
Nos jours sont hélas comptés. Il faut alors en profiter.
Le Tenancier en a profité... il a également cédé à la curiosité et à la volonté de dépasser le quotidien. Il fait autre chose, il continue d'apprendre. Ce billet publié sur le blog Feuilles d'automne en juin 2009, ne reste donc pas lettre morte.