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dimanche 4 mai 2025

Loueur de livres

Usés, sales, déchirés, ces livres en cet état attestent qu’ils sont les meilleurs de tous ; et le critique hautain qui s’épuise en réflexions superflues, devrait aller chez le loueur de livres, et là voir les brochures que l’on demande, que l’on emporte et auxquelles on revient de préférence. Il s’instruirait beaucoup mieux dans cette étroite boutique que dans les poétiques inutiles dont il étaie les frêles conceptions.
Les ouvrages qui peignent les mœurs, qui sont simples, naïfs et touchants, qui n’ont ni apprêt, ni morgue, ni jargon académique, voilà ceux que l’on vient chercher de tous les quartiers de la ville, et de tous les étages des maisons. Mais dites à ce loueur de livres : Donnez-moi en lecture les œuvres de M. de La Harpe ; il se fera répéter deux fois la demande, puis vous enverra chez un marchand de musique, confondant (sous le vestibule même de l’Académie) l’auteur et l’instrument.
Grands auteurs ! allez examiner furtivement si vos ouvrages ont été bien salis par les mains avides de la multitude ; si vous ne vous trouvez pas sur les ais de la boutique du loueur de livres ; ou si vous y trouvant, vous êtes encore bien propres, bien reliés, bien intacts, faits pour figurer dans une bibliothèque vierge, dites-vous à vous-même : J’ai trop de génie, ou je n’en ai pas assez.
Il y a des ouvrages qui excitent une telle fermentation, que le bouquiniste est obligé de couper le volume en trois parts, afin de pouvoir fournir à l’empressement des nombreux lecteurs ; alors vous payez non par jour, mais par heure. À qui appartiennent de tels succès ? Ce n’est guère aux gens tenant le fauteuil académique.
Ces loueurs de livres n’en connaissent que les dos et ils ressemblent en cela à plusieurs bibliothécaires et à quelques princes, qui ont une bibliothèque ordinairement assez utile aux autres.
Une mère dit à sa fille, je ne veux point que vous lisiez. Le désir de lecture augmente en elle : son imagination dévore toutes les brochures qu’on lui dérobe ; elle sort furtivement, entre chez un libraire, lui demande la Nouvelle Héloïse, dont elle a entendu prononcer le nom : le garçon sourit ; elle paie, et va s’enfermer dans sa chambre.
Quel est le résultat de cette jouissance clandestine ? Je dois mon cœur à mon amant : quand je serai mariée je serai toute à mon époux.
Louis-Sébastien Mercier : Tableau de Paris — Chapitre CCCLXXVII

samedi 19 avril 2025

Les colporteurs

Les mouchards font surtout la guerre aux colporteurs, espèce d’hommes qui font trafic des seuls bons livres qu’on puisse encore lire en France, et conséquemment prohibés.
On les maltraite horriblement. Tous les limiers de la place poursuivent ces malheureux qui ignorent ce qu’ils vendent, et qui cacheraient la Bible sous leurs manteaux, si le lieutenant de police s’avisait de défendre la Bible. On les mets à la Bastille pour des futiles brochures qui seront oubliées le lendemain, quelquefois au carcan. Les gens en place se vengent ainsi des petites satires que leur élévation enfante nécessairement. On n’a point encore vu de ministres dédaigner ces traits obscurs, se rendre invulnérable d’après la franchise de leurs opérations, et songer que la louange sera muette tant que la critique ne pourra librement élever sa voix.
Qu’ils punissent donc la flatterie qui les assiège, puisqu’ils ont tant peur du libelle qui contient toujours quelques bonnes vérités. D’ailleurs, le public est là pour juger le détracteur ; et toute satire injuste n’a jamais circulé quinze jours sans être frappé de mépris.
Souvent les préposés de police, chargé d’arrêter ces pamphlets, en font le commerce en grand, les distribuant à des personnes choisies, et gagnent à eux seuls plus que trente colporteurs.
Les ministres se trompent réciproquement quand ils sont attaqués de cette manière ; l’un rit de la grêle qui vient de fondre sur l’autre, et favorise sous mains ce qu’il paraît poursuivre avec chaleur.
L’histoire de la Correspondance du chancelier Maupeou (ce livre qui, après l’avoir ridiculisé, l’a enfin débusqué) mettrait dans un jour curieux les ruses obliques et les bons tours que se jouent les ambitieux dans les chemins du pouvoir et de la fortune.
On n’imprime plus à Paris, en fait de politique et d’histoire, que des satires et des mensonges. L’étranger à pris en pitié tout ce qui émane de la capitale sur ces matières. Les autres objets commencent à s’en ressentir, parce que les entraves données à la pensée se manifestent jusque dans les livres de pur agrément. Les presses de paris ne devraient plus servir que pour les affiches, les billets de mariages et les billets d’enterrements. Les almanachs sont déjà un objet trop relevé, et l’inquisition les épluche et les examine.
Quand je vois un livre revêtu de l’autorité du gouvernement, je parie, sans l’ouvrir, que ce livre contient des mensonges politiques. Le prince peut bien dire, ce morceau de papier vaudra mille francs ; mais il ne peut pas dire que cette vérité ne soit plus qu’une erreur. Il le dira, mais il ne contraindra jamais les esprits à l’adopter.
Ce qui est admirable dans l’imprimerie, c’est que ces beaux ouvrages, qui font l’honneur de l’esprit humain, ne se commandent point, ne sepaient point. Au contraire, c’est la liberté naturelle d’un esprit généreux, qui se développe malgré les dangers, et qui fait un présent à l’humanité, en dépit des tyrans. Voilà ce qui rend l’homme de lettres si recommandable, et ce qui lui assure la recommandation des siècles futurs.
Ces pauvres colporteurs qui font circuler les plus rares productions du génie, sans savoir lire, qui servent à leur insu la liberté publique pour gagner un morceau de pain, portent toute la mauvaise humeur des hommes en place qui attaquent rarement l’auteur, dans la crainte de soulever contre eux le cri public, et de paraître odieux.
Louis-Sébastien Mercier : Tableau de Paris — Chapitre LX

dimanche 6 avril 2025

Livres

Presque tous les livres se font à Paris, s’ils ne s’y impriment pas. Tout jaillit de ce grand foyer de lumière. Mais, dira-t-on, comment fait-on encore des livres ? Il y en a tant ! Oui, mais c’est que tous sont à refaire ; et ce n’est qu’en refondant les idées d’un siècle que l’on parvient à trouver la vérité, toujours si lente à luire sur le genre humain.
On peut imprimer beaucoup de livres, à condition qu’on ne les lise pas. Les livres sont une branche de commerce très importante. Combien d’ouvriers en tirent leur subsistance ! Sous ce point de vue de commerce, on ne fait pas trop de livres : ce petit inconvénient se rachète avec de grandes salles. D’ailleurs, il peut en résulter un grand bien ; au milieu des ces matériaux immenses, il viendra peut-être un homme à qui tout cela sera utile.
Louis-Sébastien Mercier : Tableau de Paris — Chapitre CXLIII

lundi 4 octobre 2021

10/18 — Louis-Sébastien Mercier : Dictionnaire d'un polygraphe




Louis-Sébastien Mercier

Dictionnaire d'un polygraphe

Textes établis et présentés par Geneviève Bollème

n° 1233

Paris, Union Générale d'Édition
Coll. 10/18
Volume sextuple

438 pages (448 pages)
Dépôt légal : 2e trimestre 1978
Achevé d'imprimer : 10 mai 1978
ISBN : 2.264-00888-1

(Contribution du Tenancier)
Index

mardi 28 septembre 2021

Répandre de l'encre

Le plus insupportable des écrivains n’est-t-il pas celui qui écrase tout sans jamais s’élever ? Quel métier de répandre de l’encre et de ne pouvoir tirer son nom de l’encrier


   Louis-Sébastien Mercier