Ainsi, puisqu’un personnage qui eût pu, jadis, passer pour
un intrigant de salons littéraires, disparaît de la surface de la terre, les
gâchettes de la dithyrambe se dévoient encore une fois à l’antenne. Une
journaliste, entendue à France Culture, a déclaré que si les Français aimaient
Jean d’Ormesson, c’était en quelque sorte pour se racheter d’avoir coupé la
tête de quelques aristocrates lors de la Grande Révolution. La manie fâcheuse
de tout pardonner aux morts, y compris la médiocrité dont ils on fait preuve
dans leur existence anthume, ne va pas jusqu’à ses thuriféraires. La
spontanéité, feinte ou non, de la citation expose de toute façon ce qui est en
jeu : la rédemption. C’est le maître mot de cette France
réactionnaire : les « citoyens français », les
« Français », bref cette abstraction chère à une certaine canaille
politique, doit expier les péchés de ses pères que sont la Grande Révolution, la
Commune, Mai 68… Que l’on aille pas croire que cette réaction soit forcément
« de droite », le péché de la Colonisation en arrange beaucoup
également, à d’autres bords. Ainsi, dans notre « volonté de nous racheter »,
nous nous serions attachés aux vérités prudhommesques érigés en profondeurs
philosophiques de la part d’un histrion médiatique. Cette littérature émétique,
produite à la chaîne, démontre à l’envi la veulerie d’une production
éditoriale et le renoncement d’une certaine forme de librairie qui, pour
pouvoir bouffer, dispose en pile cette daube littéraire à chaque fin d’année. L’alerte
fut chaude mais courte, la médiocrité en chassant une autre, et parce qu’un
mort encore tiède vaut toujours mieux qu’un cadavre qui se refroidit, voici que
d’Ormesson s’efface déjà. Le vocabulaire change, les acteurs sont les
mêmes : les « Français », sont remplacés par le
« Peuple », défait, en pleurs et en butte à la compassion de la même
racaille politique autour de la mort d’un chanteur. Nous avons eu chaud, la
messe solennelle va être remplacée par l’évocation de funérailles nationales… Le
pleur des chaumières, à tout prendre, vaut bien une expiation.