samedi 26 juillet 2014

Tu n’as qu’à te comporter comme un casseur et camper où bon te semble. Ne te prends pour personne et plus volontiers pour un autre, de manière à ce que l’on continue de te chercher. Dis-le à George qui préfère les bons.


"Si vous voulez que je vous parle de Gian Maria Volonte, ça va être une autre histoire. Gian Maria Volonte est un acteur d’instinct. Il est sans doute un grand acteur de théâtre en Italie et, probablement, il est même un grand acteur shakespearien, mais il est un personnage absolument impossible, en ce sens qu’il ne m’a donné à aucun moment le sentiment d’avoir affaire à un professionnel. Il ne savait pas se placer dans la lumière et ne comprenait pas qu’un centimètre à gauche ou un centimètre à droite, ce n’était pas la même chose. J’avais beau lui dire : « Regardez Delon, regardez Montand, voyez comment ils accrochent la lumière impeccablement, etc. » Il paraissait ne rien comprendre. Je crois que son activité  politique (il est gauchiste et le dit assez) n’a rien fait pour nous rapprocher. J’ai appliqué tout le temps cette espèce de loi « anti-casseur », dont on parle beaucoup en ce moment en France, alors que lui, c’est un casseur. Il était très fier d’avoir campé à l’Odéon pendant les jours « glorieux » de mai-juin 1968 ; moi, personnellement, je n’ai pas campé à l’Odéon… Il paraît que quand il avait une week-end de libre il sautait dans l’avion pour aller le passer en Italie. Ça c’est du supernationalisme, c’est moi qui vous le dis. Un jour, je lui ai dit : «  Vous ne pouvez pas rêver d’être un acteur international aussi longtemps que vous mettrez au-dessus de tout, comme vous le faites, votre qualité d’Italien, chose qui n’a pas plus d’importance que d’être français… » Or, tout ce qui est italien pour lui est sacré et merveilleux et ce qui est français est ridicule. Un jour je me souviens de l’avoir vu sourire alors que nous étions en train de mettre en place une scène de transparence. « Pourquoi souriez-vous ? » lui ai-je demandé intrigué. « Parce que… m’a-t-il répondu, vous avez vu Banditi a Milano ! tout a été tourné en direct pendant qu’on roulait… » « Ah ! Bon ! Mais y avait-il des scènes de nuit comme ça ? Étiez-vous en voiture pendant qu’on filmait une scène de nuit qui devait être vue à travers les vitres ? » « Ah ! Non ! » Et il a semblé comprendre que nous ne faisions pas de transparences dans le but de l’amuser. Un personnage curieux. Très fatigant. Je vous promets que je ne referai plus de film avec Gian Maria Volonte. "
 
Rui Nogueira : Le cinéma selon Melville — Seghers, 1974

3 commentaires:

  1. Oh mais George vous lit, cher Tenancier, et il ne préfère pas forcément les bons : comme le disait Hitchcock, le film est mauvais si le méchant n'est pas réussi : regardez Frenzy, et bien plus tard la série des Terminator, par exemple…
    Il faut soigner le méchant, c'est l'essentiel de l'art du dramaturge !

    Et si vous voulez d'autres histoires, allez donc écouter ce que je déballe laborieusement sur mon blogue…

    (sinon, je vous suggère de relire ce que Marcel Carné raconte de Gabin dans ses mémoires : c'est pas très flatteur non plus…)

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  2. Je sais ce que René Lefèbvre en dit et qui n'est pas plus flatteur, mon cher George !

    Quant au méchant, il est indispensable. Lorsque d'aventure je fantasme sur un rôle cinématographique, je me vois systématiquement dans celui du méchant : son rôle est plus intéressant, il a tout plein de gonzesses (voyez Blofeld dans Au service secret de sa Majesté, par exemple) est souvent cultivé, épicurien (ah ! les caves des méchants !), misanthrope et cultive une fin tragique flatteuse pour l'acteur qui l'incarne. Tandis que le bellâtre d'en face, pardon, mais quel ennui. De plus il tient presque jusqu'à la fin du film tout en évitant le sirop de la conclusion.

    Dites-moi, George, ça vous dirait une Ligue des Méchants Impavides ?

    Nous réservons la capiteuse évocation de vos souvenirs à la nuit tombée, à l'heure ou les papillons se brûlent au réverbères et pas avant.

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  3. Mieux vaut vaut sans doute cette ligue qui m'intrigue qu'un pas dans le vide !

    Mais soit dit entre nous, j'adore Volonte (et cela n'a rien de kantien, croyez-m'en bien !)

    Bonne écoute mortellement chiante, cher Tenancier !

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