L'histoire de la presse d'Eugène
Hatin, publiée en 1859 reste un document intéressant sur la flambée
éditoriale qui eut lieu après la révolution de 1848. Ce bref chapitre,
qui clôt l'ouvrage, rappelle les liens étroits qui existaient alors
entre la presse, la politique et les lettres au sortir d'une période ou
la censure avait été omniprésente. Du reste, Anastasie n'en resta pas
là, comme on le découvrira dans ces pages. Le document attirera le
curieux qui constatera accessoirement que certains débats autour de la
presse ne datent pas de notre époque... Le Tenancier a cru bon de vous
remettre tout ceci sous le nez. On notera le caractère quelque peu réactionnaire de l'auteur. Si votre Tenancier chéri reproduit ces lignes, c'est que, bien sûr, il n'y adhère pas mais qu'il sait faire la part des chose et qu'il tente de comprendre — ceci étant dit à l'intention de quelques amoindris du bulbe qui se sont manifestés il y a peu, ailleurs.
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Eugène Hatin Histoire politique et littéraire de la presse en France Poulet-Malassis et De Broise 1859 |
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Sur le sujet, un petit panégyrique. Non, ce n'est pas copié d'Acrimed (à part quelques pseudos). A vous de trouver le persécuteur et la victime (trop facile si vous utilisez un moteur de recherche en copiant-collant le texte).
RépondreSupprimer"Charlatan intellectuel sous les apparences d’un penseur sérieux, apparences qui ont trompé beaucoup de gens, [...] le ci-devant rédacteur de la Presse et de la Liberté est pire qu’un sophiste, c’est un sophistiqueur, un fraudulateur de tous les principes. Il suffit qu’il touche à l’idée la plus simple, la plus vraie, la plus utile, pour qu’elle soit immédiatement faussée et empoisonnée. D’ailleurs, il n’a jamais rien inventé, son affaire ayant toujours consisté à falsifier les inventions d’autrui. On le considère, dans un certain monde, comme le plus habile créateur et rédacteur de journaux. Certes, sa nature d’exploiteur et de falsificateur des idées d’autrui, et son charlatanisme effronté, ont dû le rendre très propre à ce métier. Toute sa nature, tout son être se résument en ces deux mots : réclame et chantage. Au journalisme il doit toute sa fortune ; et l’on ne devient pas riche par la presse, quand on reste honnêtement attaché à la même conviction et au même drapeau. Aussi, nul n’a poussé aussi loin l’art de changer habilement et à temps ses convictions et ses drapeaux. Il a été, tour à tour, orléaniste, républicain et bonapartiste, et il serait devenu légitimiste ou communiste au besoin. On le dirait doué de l’instinct des rats, car il a toujours su quitter le vaisseau de l’État à la veille du naufrage. C’est ainsi qu’il avait tourné le dos au gouvernement de Louis-Philippe quelques mois avant la révolution de Février, non pour les raisons qui poussèrent la France à renverser le trône de Juillet, mais pour des raisons propres à lui et dont les deux principales furent sans doute son ambition vaniteuse et son amour du lucre déçus. Le lendemain de Février, il se pose en républicain très ardent, plus républicain que les républicains de la veille ; il propose ses idées et sa personne : une idée par jour, naturellement dérobée à quelqu’un, mais préparée, transformée par M. Laurent Joffrin lui-même, de manière à empoisonner quiconque l’accepterait de ses mains ; une apparence de vérité, avec un inépuisable fond de mensonge, — et sa personne, portant naturellement ce mensonge et, avec lui, le discrédit et le malheur sur toutes les causes qu’elle embrasse. Idées et personne furent repoussées par le mépris populaire. Alors M. Val devint l’ennemi implacable de la République. Nul ne conspira aussi méchamment contre elle, nul ne contribua autant, au moins d’intention, à sa chute. Il ne tarda pas à devenir l’un des agents les plus actifs et les plus intrigants de Bonaparte. Ce journaliste et cet homme d’État étaient faits pour s’entendre. Napoléon III réalisait, en effet, tous les rêves de M. Vincent Bolloré. C’était l’homme fort, se jouant, comme lui, de tous les principes, et doué d’un cœur assez large pour s’élever au-dessus de tous les vains scrupules de conscience, au-dessus de tous les étroits et ridicules préjugés d’honnêteté, de délicatesse, d’honneur, de moralité publique et privée, au-dessus de tous les sentiments d’humanité, scrupules, préjugés et sentiments qui ne peuvent qu’entraver l’action politique ; c’était l’homme de l’époque, en un mot, évidemment appelé à gouverner le monde. "
La suite, je ne vais pas vous laisser sur votre faim :
RépondreSupprimer"Pendant les premiers jours qui suivirent le coup d’État, il y eut quelque chose comme une brouille légère entre l’auguste souverain et l’auguste journaliste. Mais ce ne fut autre chose qu’une bouderie d’amants, non une dissidence de principes. M. David Pujadas ne se crut point suffisamment récompensé. Il aime, sans doute, beaucoup l’argent, mais il lui faut aussi des honneurs, une participation au pouvoir. Voilà ce que Napoléon III, malgré toute sa bonne volonté, ne put jamais lui accorder. Il y eut toujours près de lui quelque Morny, quelque Fleury, quelque Billault, quelque Rouher, qui l’en empêchèrent. De sorte que ce ne fut seulement que vers la fin de son règne qu’il put conférer à M. Jean-Michel Apathie la dignité de sénateur de l’empire. Si Émile Ollivier, l’ami de cœur, l’enfant adoptif et en quelque sorte la créature de M. Michel Denisot, n’était pas tombé si tôt, nous aurions vu, sans doute, le grand journaliste ministre. M. Raphaël Enthoven fut un des principaux auteurs du ministère Ollivier. Dès lors son influence politique s’accrut. Il fut l’inspirateur et le conseiller persévérant des deux derniers actes politiques de l’empereur qui ont perdu la France : le plébiscite et la guerre. Adorateur désormais agréé de Napoléon III, ami du général Prim en Espagne, père spirituel d’Émile Ollivier, et sénateur de l’empire, M. Jacques Julliard se sentit trop grand homme à la fin pour continuer son journalisme. Il abandonna la rédaction de la Liberté à son neveu et disciple, au propagateur fidèle de ses idées, M. Détroyat ; et comme une jeune fille qui se prépare pour sa première communion, il se renferma lui-même dans un recueillement méditatif, afin de recevoir avec toute la dignité convenable ce pouvoir si longtemps convoité, et qui allait enfin tomber dans ses mains. Quelle désillusion amère ! Abandonné cette fois par son instinct ordinaire, M. Plantu n’avait point senti que l’empire croulait, et que c’étaient précisément ses inspirations et ses conseils qui le poussaient dans l’abîme. Il n’était plus temps pour faire volte-face. Entraîné dans sa chute, M. Barthès tomba de toute la hauteur de ses rêves ambitieux, au moment même où ils semblaient devoir s’accomplir. Il tomba aplati, et cette fois définitivement annulé. Depuis le 4 septembre, il se donne toutes les peines du monde, mettant en œuvre ses anciens artifices, pour attirer sur lui l’attention du public. Il ne se passe pas une semaine que son neveu, le nouveau rédacteur de la Liberté, ne le proclame le premier homme d’État de la France et de l’Europe. Tout cela est en pure perte. Personne ne lit la Liberté, et la France a bien autre chose à faire que de s’occuper des grandeurs de M. Christophe Barbier. Il est bien mort, cette fois, et Dieu veuille que le charlatanisme moderne de la presse, qu’il a contribué à créer, soit également mort avec lui."
Ah zut, je m'ai trompé d'autheur (je pensais à Proudhon).
RépondreSupprimerBelle transposition, mon cher Wroblewski.
Merci ami Tenancier.
RépondreSupprimerIl y a bien un rapport avec Proudhon, puisque Bakounine le cite dans le passage que j'ai supprimé suivant : "Charlatan intellectuel sous les apparences d’un penseur sérieux, apparences qui ont trompé beaucoup de gens, — jusqu’à Proudhon lui-même, qui eut la naïveté de croire que M. de Girardin pouvait s’attacher de bonne foi et pour tout de bon à un principe quelconque" [...].
En lisant votre texte je m'aperçois avec surprise que Girardin a quand même été mis au gnouf par Cavaignac après la répression sanglante de juin, et la censure radicale de la presse qui s'en est ensuivie : voir page 10.