Il est parfois des moments de grâce
dans la vie d'un libraire. Celui on l'on rencontre un client qui vous
énumérera les merveilles de sa bibliothèque et dont vous ne ressentirez
nulle jalousie ou nul dépit. Simplement parce que cette personne
passionnée vous parlera avec sincérité du plaisir de vivre en compagnie
de cette reliure ou de cette exemplaire un peu rare. Il y a aussi les
fois où l'on ouvre une caisse, ou lorsque l'on fait l'acquisition d'un
livre qui charme tout de suite, parce qu'on l'attendait depuis
longtemps sans le savoir, ou parce qu'il manquait dans votre
bibliothèque, un manque de nature presque stupéfiante. Du reste, les
deux hypothèses se valent puisque c'est là l'assouvissement d'un désir,
de toute façon. D'autres ouvrages se laissent désirer. Telle vilaine
reliure, tel méchant livre en apparence devient tout à coup un trésor
parce que vous n'aviez pas réalisé qui se cachait derrière le nom du
poète, ou derrière ce texte. Sans doute aussi parce que vous
l'ignoriez, car le métier de libraire est fait d'ignorance. Le livre a
pu demeurer dix ans à côté de vous, jusqu’à ce jour.
Je crois me souvenir que dans L'Île mystérieuse, de Verne,
Harbert s'exclame : « Quel grand livre ferait-on avec tout ce que l'on
sait ! » et Cyrus Smith de répondre : « Et quel plus grand livre encore
ferait-on avec ce que l'on ne sait pas ! ». La citation est
approximative et l'on m'en excusera. Mais le métier de libraire c'est
cela, c'est remplir encore et encore le grand livre de l'ignorance et
essayer de tenir à jour tant bien que mal, au jour le jour le calepin
de ce que l'on sait. Chaque personne qui lit un peu connaît cela :
chaque livre découvert en amène d'autres qui, eux-mêmes, en apportent
encore comme un champ de possibles qu'il ne sera humainement pas
accessible dans sa totalité. Et puis, il y a soudainement le moment où,
tout libraire ignare que vous êtes, vous atteignez une sorte de
plénitude : on vous demande ce que vous savez, votre intuition vous
fait conseiller le bon livre, votre patron – lorsque vous êtes salarié
– arrête de parler tout seul pendant une petite heure, vous rencontrez
une femme dans la librairie que vous allez aimer et avec laquelle vous
aurez des enfants, vous vous y faites des amis et ceux-ci vous
emportent plus loin que vous n'osiez l'espérer. Et puis il fait beau
dehors et ce que vous faites au quotidien vous paraît à ce moment moins
terne, moins banal. Et alors on se dit que l'on a bien fait, un jour de
laisser tomber ce pourquoi on avait été programmé, c'est à dire à rien.
On se dit également que ce métier-là fait accéder à une certaine
dignité, pour peu que l'on se respecte et que l'on respecte les autres.
On se dit encore que ce métier est un perpétuel apprentissage et que la
somme de ce que l'on sait pèse peu dans la balance face au savoir des
autres. Mais, tant qu'à faire, autant demeurer un livre ouvert pour
espérer la réciproque. Tout se conjugue pour cette sorte de félicité
tranquille, ce point vernal de la quiétude qui vous rend assuré de vos
amis et de vos proches, vous tranquillise sur vos doutes quant à ce que
vous croyez savoir.
Sans doute parce que vous voulez savoir, toujours, encore et que seule la fosse saura vous déprendre de cette passion. Sans doute encore vous avez décidé de remiser vos certitudes et de ne point vous gonfler de votre expérience. Sans doute parce que l'humilité est une sorte d'orgueil. Sans doute enfin que vous êtes en paix avec vous-même.
Et on espère alors que ce savoir ne sera pas perdu, et que le gage de sa survie est de perpétuellement le remettre en question.
En attendant, cette sorte de grâce est parfois accordée : vous êtes vivant et c'est grâce à vous seul.
Nos jours sont hélas comptés. Il faut alors en profiter.
Le Tenancier en a profité... il a également cédé à la curiosité et à la volonté de dépasser le quotidien. Il fait autre chose, il continue d'apprendre. Ce billet publié sur le blog Feuilles d'automne en juin 2009, ne reste donc pas lettre morte.
Sans doute parce que vous voulez savoir, toujours, encore et que seule la fosse saura vous déprendre de cette passion. Sans doute encore vous avez décidé de remiser vos certitudes et de ne point vous gonfler de votre expérience. Sans doute parce que l'humilité est une sorte d'orgueil. Sans doute enfin que vous êtes en paix avec vous-même.
Et on espère alors que ce savoir ne sera pas perdu, et que le gage de sa survie est de perpétuellement le remettre en question.
En attendant, cette sorte de grâce est parfois accordée : vous êtes vivant et c'est grâce à vous seul.
Nos jours sont hélas comptés. Il faut alors en profiter.
Le Tenancier en a profité... il a également cédé à la curiosité et à la volonté de dépasser le quotidien. Il fait autre chose, il continue d'apprendre. Ce billet publié sur le blog Feuilles d'automne en juin 2009, ne reste donc pas lettre morte.
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