Il y en a un au fond de la classe qui n’a pas l’air d’avoir suivi :
- « Pourquoi parlez-vous "d’originales" et non d’originaux quand vous parlez de certains livres ? »
Pfff…
- Parce que je parle d’éditions originales et que c’est au féminin, tiens ! Y’en a, j’vous jure !
Les
originaux, ce sont souvent les amateurs d’originales. Il y aurait des
portraits à faire, chaque librairie possédant sa propre collection.
Cette originalité, qui plus est, ne se transmet pas de la même façon
d’une librairie à l’autre alors que c’est la même personne qui la
véhicule. Nous avons affaire ici à une idiosyncrasie symbiotique
interactive entre l’amateur d’originale et le libraire… une sorte
d’araignée au plafond portable, quoi.
Il y a les originales, les vraies.
Et puis, il y a également celles que l’on aimerait nous faire passer pour telles.
Je
ne parle pas du tout venant en provenance d’Ebay, où il m’a été donné
de voir des rééditions récentes passer pour originales (Le Voleur, de Darien, en édition Pauvert, par exemple). On ne tire pas sur les ambulances. Enfin, surtout lorsqu’elles sont vides.
Je
veux parler plutôt d’une manie développée il y a déjà pas mal de temps
dans les catalogues et qui s’est perpétuée jusque dans les descriptifs
sur Internet. Cela consiste à prendre un ouvrage quelconque et lui
accoler un Mention fictive d’édition ou Année de l’originale,
etc. Et alors, me diriez-vous, nous voici avertis, pas besoin de
s’agiter pour autant ? J’agréerais volontiers cette remarque si ces
livres ne subissaient également une montée appréciable de leur prix par
rapport aux mêmes ouvrages n’ayant pas reçu l’honneur de ces mentions.
Sans doute est-ce la proximité mythique de l’originale qui déclenche
cette subite inflation, mais, à mes yeux, rien ne la justifie.
Une
édition originale est le premier tirage de la première édition. On
comprend dans celle-ci, la déclinaison de tous les papiers : tirage de
tête, second papier, tirage d’édition, service de presse, tirages hors
commerces, réservés, pourvu que ceux-ci comportent les mêmes
spécifications de tirages et les mêmes dates.
Or, ce n’est certes pas
le cas d’un ouvrage publié la même année que l'originale et qui, par le
fait, ne fait pas partie du même tirage. Ainsi,l’achevé d’imprimer fait
souvent foi, la justification du tirage également, parfois le papier
utilisé ou même la couverture, et une infime différence est bien souvent
déterminante. Tout autre mention impliquant une différence avec
l'originale, même une correction typographique dans le texte témoigne du
fait que nous ne sommes pas en présence du premier tirage de la
première édition. Ainsi, si vous avez un ouvrage en main, avec un bon
achevé d'imprimer, correspondant à la première édition, la même
apparence qu'une édition originale mais avec la mention de "deuxième
édition" ou "quatrième édition" sur la couverture, il nous faudra une
preuve objective que cette mention a été ajoutée par l'éditeur sur le
premier tirage. Cette preuve n'existe généralement pas, car la plupart
des libraires n'ont pas accès aux archives des éditeurs si tant est
qu'elles existent. Les seules sources sont encore les bibliographies
spécialisées qui demeurent souvent muettes sur la question.
Quant à
la « mention fictive » si chère à quelques confrères, je conçois mal
qu’elle soit si souvent sur la page de titre, ce qui signifie que l’on
aurait refait un tirage à part d’un cahier, retiré l’ancien pour le
remplacer par le nouveau, tout ceci après avoir débroché les quelques
milliers d’exemplaires.
C’est, cela, oui…
Cela aurait été
prémédité dès le début par l‘éditeur ? En bibliographie, ce genre de
chose doit être vérifié et j’aimerais beaucoup en connaître les sources,
dans ces cas précis.
J’arrête d’ironiser.
Je veux seulement ici
évoquer une dérive courante du catalogage qui peut, dans les mains les
plus indélicates, être un moyen d’écouler des ouvrages en un état
médiocre avec le prestige d’une « presqu’originale ». Si le libraire
peut – et doit – alimenter le fétichisme de ses clients, il est des
perversions qu’il serait souhaitable d’éviter. Ainsi, créer une sorte de
classe intermédiaire et indéterminée d’ouvrages ne sert qu’à rendre anodin
le concept d’édition originale et détourner l’attention de l’amateur de
bien d’éditions courantes dans un meilleur état.
Il ne me vient
certes pas à l’idée de vouloir réglementer d’une quelconque manière ce
genre de pratique. Je souhaite seulement que les quelques lecteurs de ce
blog aient conscience de cette petite manie et que, en s’y prêtant, ils
risquent simplement de prendre des vessies pour des lanternes.
Comme je l'écrivais à l'un des mes camarades de jeux, chez Henri Lheritier (son blog ne semble plus exister),
ce n’est pas l’année qui compte mais le plaisir qu’on en tire. Et si
vous tenez réellement à une édition originale, ne confondez pas
bibliophile et bibliomane, les deux sont compulsionnels, subissent des
bouffées délirantes, mais l’un des deux, au moins, est un maniaque de
l’exactitude.
Alors, originale ou pas ? C'est à vous de choisir, les
motivations des bibliophiles, et des amateurs de livres en général, sont
infinies. En achetant ces ouvrages on achète une part de fantasme : "Le
premier, rare, avec la faute à la page 165 et sans la couverture de
relais !!! Celui-là et rien d'autre, même pas le tirage sur beau papier
fait une semaine après, ça compte pas !" Pour ceux-là, la "mention
fictive" de tirage, d'édition ou autre faribole ne sert qu'à discréditer
le libraire.
Personnellement, bien qu’un peu bibliophile, je préfère
souvent ranger dans ma bibliothèque un volume en bon état et agréable
plutôt qu'une ruine glorieuse...
Enfin, ce codicille : il est vrai
que certains ouvrages ont fait l’objet d’une mention fictive d’édition
ou de mille. Le fait est avéré dans quelques rares cas. Mais comment le
savoir ? Dans ces cas là, il n’y a qu’une seule réponse : faire preuve
de prudence, de modestie, et se taire.
Ce billet est paru en juillet 2008 sur le blog Feuilles d'automne.