John T. Sladek
Rapport sur la migration du matériel éducatif
In Un garçon à vapeur (1977)
Certes, l’auteur ne doit pas interpréter. Mais il peut
raconter pourquoi et comment il a écrit. Les essais de poétique ne servent pas
toujours à comprendre l’œuvre qui les a inspirés, mais ils servent à comprendre
comment on résout ce problème technique qu’est la production d’une œuvre.
Poe, dans sa Genèse d’un poème raconte comment il écrit Le Corbeau. Il ne nous dit pas comment nous devons le lire, mais quels problèmes il s’est posé pour réaliser un effet poétique. Et je définirais l’effet poétique comme la capacité, exhibée par un texte, de générer des lectures toujours différentes, sans que jamais on en épuise les possibilités. L’écrivain (ou le peintre ou le sculpteur ou le compositeur) sait toujours ce qu’il fait et ce que cela lui coûte. Il sait qu’il doit résoudre un problème. Les données de départ sont peut-être obscures, pulsionnelles, obsédantes, ce n’est souvent rien de plus qu’une envie ou un souvenir. Mais ensuite, le problème se résout sur le papier, en interrogeant la matière sur laquelle on travaille — matière qui exhibe ses propres lois naturelles mais qui en même temps amène avec elle le souvenir de la culture dont elle est chargée (l’écho de l’intertextualité). Quand l’auteur nous dit qu’il a travaillé sous le coup de l’inspiration, il ment. Genius is twenty per cent inspiration and eighty per cent perspiration. Lamartine écrivit à propos d’un de ses célèbres poèmes dont j’ai oublié le titre qu’il était né en lui d’un seul jet, par une nuit de tempête, dans un bois. À sa mort, on retrouva les manuscrits avec les corrections et les variantes : c’étaient le poème le plus « travaillé » de toute la littérature française ! Quand l’écrivain (ou l’artiste en général) dit qu’il a travaillé sans penser aux règles du processus il veut seulement dire qu’il travaillait sans savoir qu’il connaissait la règle. Un enfant parle très bien sa langue maternelle et pourtant il ne saurait en écrire la grammaire. Mais le grammairien n’est pas le seul à connaître les règles de la langue parce que l’enfant, sans le savoir, les connaît très bien lui aussi : le grammairien sait pourquoi et comment l’enfant connaît la langue. Raconter comment on écrit ne signifie pas prouver que l’on a « bien » écrit. Poe disait que « l’effet de l’œuvre est une chose et la connaissance du processus en une autre ». Quand Kandinsky ou Klee nous racontent comment ils peignent, ils ne nous disent pas si l’un des deux est meilleur que l’autre. Quand Michel-Ange nous dit que sculpter signifie libérer de son oppression la figure déjà inscrite dans la pierre, il ne nous dit pas si la Pietà du Vatican est plus belle que la Pietà Rondanini. Il arrive que les pages les plus lumineuses sur les processus artistiques aient été écrites par des artistes mineurs qui réalisaient des effets modestes mais savaient bien réfléchir sur leur propre processus : Vasari, Horatio Greenough, Aaron Copland… |
Plus sérieux, et donc plus dangereux, sont les modernistes de la gauche […] qui revendiquent une « réforme de structure de l’université », une « réinsertion de l’Université dans la vie sociale et économique », c'est-à-dire son adaptation aux besoins du capitalisme moderne. De dispensatrices de la « culture générale » à l’usage des classes dirigeantes, les diverses facultés et écoles, encore parées de prestiges anachroniques, sont transformées en usine d’élevage hâtif de petits cadres et de cadres moyens. Loin de contester ce processus historique qui subordonne directement un des derniers secteurs relativement autonome de la vie sociale aux exigences du système marchand, nos progressistes protestent contre les retards et défaillances que subit sa réalisation. Ils sont les tenants de la future Université cybernétisée qui s’annonce déjà ça et là. Le système marchand et ses serviteurs modernes, voilà l’ennemi. |
Le cocktail éditorial ne figure pas dans les fréquentations
de votre serviteur. Outre que son ancienne activité de libraire le rendait
inutile voire tricard dans ce genre de manifestation, les prétextes pour s’y
rendre restaient somme toute assez minces. Toutefois, le hasard aidant, le vice
travaillant également au complot, il m’est arrivé de me trouver dans un coin à
contempler la prise d’assaut du buffet, occasion d’ailleurs, où votre serviteur
mit en pratique au moins une fois sa théorie tirée de la technique du môle et
de l’enroulement pratiquée au rugby. Il n’existe pas de connaissance sotte,
sauf si elle se révèle inutile. Mes compagnons (ce jour-là, salariés d’une
start-up de vente de livre, rare fierté de ce passage) se gobergèrent, moi itou, revanche des obscurs
et des sans-grade à ces banquets qui n’avaient rien de platonicien par
ailleurs.
Le bénéfice dérisoire de picoler un champagne de médiocre qualité par-dessus des denrées trop sucrées et trop salées montre vite ses limites, on le concevra. Restait l’observation de la faune habituelle des attachées de presse et d’autres personnages plus ou moins liés à la maison d’édition et plus sûrement au contenu de la bouffe servie à table. Pas besoin d’être un habitué pour deviner à quel point cette compagnie ne s’élève pas au-dessus du comice agricole. On aurait dû le savoir : si le Salon du Livre de Paris sent l’écurie, ce n’est sans doute pas entièrement redevable au Salon de l’agriculture qui le précède. Alors quoi, n’y avait-il rien à tirer de ces rassemblements. Eh bien, presque. Parfois, avec un peu de chance, on voyait une catégorie de types se faufiler dans ces cocktails et il faut avouer qu’ils avaient plus l’air de s’y sentir à l’aise que ma pomme. À la personne bien informée qui avait réussi à me faire rentrer, je me risquais à demander, « Qui c’est ce type-là ? » Et l’autre qui répond : « Qui ça ? — Eh bien, le gars avec l’imperméable mastic… — Où ? — Là… tu vois, avec les cheveux plaqués en arrière, bien dégagés sur les oreilles, les petites lunettes façon écaille. Bon, il a quitté son pardingue ou son imper, maintenant, il a le petit costard bien ajusté, carrossé par Perrier, tu vois ? — Avec le nœud pap’ ? — Yes, monsieur. — Connais pas personnellement, il fréquente Untel, il paraît qu’il a écrit des articles. Pas lu, pas le temps de tout lire. C’est un ancien khâgneux. Il a pas trente ans. — Tu ne me l’aurais pas dit, hein… — Ah non, mais attend, ce n’est pas le pote de Untel. C’est celui de Duchmol… —… — Mais siii, tu sais, Duchmol de la Revue de la Nouvelle Nation. Cela dit avec l’ami d’Untel, c’est un peu du kif. — Qu’est ce qu’il fait là ? — Ben comme toi, il profite de l’événement, sauf que toi, c’est pour picoler un coup. Lui — à moins que ce soit le pote d’Untel — fait le siège de mon directeur de collection pour placer sa biographie. — Drieu, Brasillach ? — Ouais, un truc dans ce goût-là, mais tu sais, c’est en perte de vitesse, ces conneries, le lecteur potentiel se raréfie, ça bavoche, ça sucre les fraises... Dans le style réac qui peut nous faire de la distance, ce serait plutôt Houellebecq. Avec les vieux fachos, tu peux pas nous la refaire revival façon Claude François, hop, un p’tit coup de lustre sur la pierre tombale et c’est reparti pour un tirage. Vu que le client est occupé à passer le polish sur la sienne, ça déchaîne pas des fièvres. — Houellebecq, il lui faudrait une bonne guerre. — Ah, m’en parle pas, quel tirage ça ferait ! Mais l’autre, là, avec les fringues qu’il a dû piquer à grand-papa, je ne lui donne pas une chance. Pourtant il s’est soigné ! Ça marchait dans les années quatre-vingt, ce genre ‘petit-crevé’ enfin plutôt petite crevure, si tu vois le genre… — Genre ‘Européen’, c’est ça ? Du nostalgique. — Exactement : à faire le voyage aller, en quarante-quatre, au milieu des valoches et en camion Mercedes vers les bords du Danube, et à revenir en truck Ford débâché avec la biroute au cirage, direction Fresnes, si t’es malchanceux. — Bah ! il aurait vu du pays, en tout cas. Tiens, je me rappelle un type qui a eu son petit succès dans les années quatre-vingt, justement, avec son Journal. Je l’avais servi brièvement dans une librairie où j’ai fait un passage éclair, et pour cause… La taulière, une vieille catho versaillaise — et c’est pas une image, crois-moi — se pâmait littéralement ! Tu parles, le clone sous-alimenté de Brasillach ! — C’est marrant, tout de même, ces garçons qui s’adonnent à cette marotte. Tu noteras qu’avec son allure de collabo, il fait un peu le vide autour de lui. — Il a l’air d’aimer ça. — On le remarque. C’est fait pour. Il s’imagine qu’il emmerde tous les juifs qui sont forcément dans l’édition. Ça ne lasse même plus. Tu sais, je parie même que sa biographie n’est même pas écrite et qu’il serait un peu emmerdé sur les bords si on la lui demandait. — Pourquoi tu ne lui fais pas le coup. — Déconne-pas, veux-tu ? Si je me trompe… — Ouais, c’est un risque. Curieux, quand même, j’aurais pensé que l’espèce s’était éteinte. — Mais qu’est-ce que tu veux mon vieux, il reste des jeunes Français patriotes point oublieux de nos aînés, hein ! » Le type se rapprocha de nous. Je m’esquivais tandis que j’entendais mon pote dire que non, en fin de compte, le directeur de collection avait eu un empêchement et que c’était bien dommage… |
Arrêtons un instant le cours paisible (trop peut-être, mais tant pis) de ce blog pour attirer l’attention du lecteur sur une pétition. D’ordinaire, on estime peu ce genre de phénomène sur internet qui consiste principalement aux sites qui les proposent de se faire un fichier de prospects à revendre et qui vous emmerdent à l’infinie avec des spams. Par ailleurs, cette demande de signature ne réclame aucunement une position politique sinon celle qui consiste à infléchir une politique patrimoniale (mais nous ne nous proclamons pas pour autant "apolitique"). On vous convie à soutenir le projet de sauvegarder les ruines du manoir de Saint-Pol-Roux. Vous en trouverez ci-dessous ainsi que l’adresse où apposer votre signature… |