jeudi 9 septembre 2021

Une historiette de Béatrice

Bon voilà, je reviens dans votre boutique, je suis très long vous savez. J'ai besoin de voir, de revoir, de lire, de relire, éplucher, sentir, réfléchir. Chacun a son rapport au livre, c'est le mien. Je suis très long avant de me décider. Ca ne vous dérange pas que je passe un moment dans votre librairie ? Bla bla bla et cette poétesse bla bla bla et ce romancier bla bla bla et ce pseudo-philosophe mais il est vivant lui et la vie si vous saviez et ce livre trouvé chez votre confrère bla bla bla et je m'intéresse à la philo bla bla bla.
Mais vous n'êtes pas très loquace madame.

mercredi 8 septembre 2021

Jeu

Allons allons, nous n'avons jamais prétendu de ce côté-ci de l'écran que les jeux que nous proposons devaient se déclarer difficiles ou même s'abstenir de se répéter. Ainsi l'on vous demande de quel film provient cette image de librairie. On peut même se contenter d'une réponse évasive, comme la dernière fois, ce qui avait amusé votre Tenancier.


lundi 6 septembre 2021

dimanche 5 septembre 2021

Vonnegut x 11 + 1

S’il existe un écrivain singulier qui mérite quelque attention dans l’élaboration des couvertures de ses ouvrages, c’est bien Kurt Vonnegut. La maison Bantam Doubleday avait confié à Carin Goldberg le soin de travailler sur le design de la série d’ouvrages (ca : 1990/2000) du romancier américain, avec une unité assez intéressante et plutôt sobre, malgré tout.


On peut cliquer sur chaque image pour l'agrandir

L’idée la plus élégante revient toutefois au designer Alex Camlin qui, travaillant pour un autre éditeur (Da Capo Press) au sujet de souvenirs autour de Kurt Vonnegut par Loree Rackstraw (2009), opère un discret rappel de la maison concurrente et des oeuvres de l'auteur par trois bandes en travers de la couverture.
(Sources : Book Cover Archive)


samedi 4 septembre 2021

Une bibliothèque populaire

  M. Torndike, qui tenait une bibliothèque populaire dans Staple Inn, regardait pour la mille et unième fois les étranges maisons à façade de bois qui faisaient face à son officine.
  Il n’y avait personne, autour des tables de bois noir surchargées de livres, à qui il eût pu, pour la énième fois, répéter qu’il prisait le style Tudor de ces bâtisses et qu’elles étaient les seules ayant survécu aux incendies et aux tourments de la City, depuis le XVe siècle.
  Personne…
  Ce n’était pas une vérité absolue, mais l’unique client qui feuilletait d’un doigt nonchalant les tomes gras et luisants ne comptait guère pour le bouquiniste.
  Le docteur Baxter Brown était un simple médecin de quartier habitant Churchstreet, où il occupait deux chambres dans une des hautes et blêmes maisons bordant Clissold Park, ne disposant ni de bibliothèque ni de laboratoire et recevant sa maigre clientèle dans un misérable salon aux fauteuils de crin noir. Deux fois par semaine, il entreprenait, à travers la métropole, un long et triste voyage qui l’amenait à Holborn, dans l’établissement poussiéreux de M. Torndike où il passait une ou deux heures avant d’emporter un livre de location à six pence.
  Il bruinait, ce jour-là, et à sa table de lecture se trouvait dans le coin le plus sombre de la bibliothèque populaire. Mais M. Torndike ne songeait pas à allumer les une des lampes à abat-jour vert pour un aussi pauvre client.
  Baxter-Brown faisait bruisser les épaisses feuilles d’une Histoire d’Angleterre qu’il ne lisait pas mais, d’une main prudente, il glissait sous le volume un mince opuscule, tavelé de rouille et mordu par le taret des livres.
  À ce moment, Miss Bowes entra et M. Torndike s’inclina fort bas. Non seulement elle prenait en location des livres coûteux et rares, mais encore, elle aimait faire un bout de causette qui permettait toujours au bibliothécaire de faire valoir ses connaissances historiques.
  — Nous parlions de Wren, la dernière fois que j’eus l’honneur et le plaisir de vous voir dans ma modeste maison, Miss Bowes, et, à propos de Guildhall, qu’il rebâtit après l’incendie de 1666…
  Baxter-Brown se leva ; il avait fait glisser le mince cahier dans la poche de son pardessus et tenait à la main un quelconque roman de récente édition.
  — Merci, Monsieur, au revoir, Monsieur, dit sèchement le bouquiniste en prenant du bout des doigts la pièce de monnaie que lui tendait le médecin.
  La silhouette trapue du docteur se fondait dans la bruine d’Holborn.
  — On ne mangerait pas du mouton tous les jours avec une pratique du genre, grommela M. Torndike en le voyant disparaître.
  Puis, retrouvant son sourire, il reprit sa conférence au profit de sa bonne cliente.
  — Il faut pourtant reconnaître que les tours ajoutées par Wren à l’Abbaye de Westminster ne sont gère en harmonie avec la majesté…
[…]

Jean Ray : Le miroir noir (1943)

10/18 — Boris Vian : L'écume des jours




Boris Vian

L'écume des jours

suivi de
Un langage-univers
par
Jacques Bens

n° 115

Paris, Union Générale d'Édition
Coll. 10/18
Volume simple

184 pages (192 pages)
Dépôt légal : 2e trimestre 1963
Achevé d'imprimer : 25 mars 1971


(Contribution du Tenancier)
Index

jeudi 2 septembre 2021

Une historiette de Béatrice

Avant de commander un livre dont l'annonce figure en ligne, les personnes intéressées me contactent souvent, par téléphone ou mail, pour avoir plus de précisions sur la date exacte d'impression, ou autre détail bien familier aux collectionneurs. Ce matin je trouve le mail suivant à propos d'une annonce : « Avec ou sans jaquette? Dans quel état ? ». J'ai hésité à répondre « Sans. Bon. », mais quelques restes de politesse me sont revenus, ce truc désuet qui nous rend la vie plus douce.

mercredi 1 septembre 2021

Le livre de l'entre-deux-guerres — III (et fin)

Voici le mécanisme de la hausses des « premières » éditions : un livre nouveau, épuisé en originale chez l’éditeur, n’est pas forcément épuisé chez tous les libraires. Une maison qui a souscrit cent grands papiers les écoule moins vite qu’une maison qui s’en est fait réserver cinq ou six. D’où résultent, presque à la sortie, pour les livres à succès, des différences de prix entre les détaillants. Si vous vous adressez à un libraire qui a souscrit un gros paquet, il a encore de nombreux exemplaires sur ses rayons et vous vend le volume au prix de l’édition. Si vous commandez à son voisin, qui n’a pas eu confiance et a passé ses commandes sur vente assurée, celui-ci est obligé de rechercher votre volume, c'est-à-dire de le racheter à un confrère ou à un amateur. Le confrère qui, lui, a couru le risque de souscrire en quantité, vendra l’ouvrage au prix fort, et l’amateur entendra réaliser lui aussi un bénéfice. D’où l’inévitable majoration et hausse instantanée du libre demandé. La Musique intérieure de Maurras, en « cahier vert » fut vendue, à la sortie, 80 francs au lieu de 10.
Certains s’imaginent assez naïvement que le métier de libraire de luxe est facile : « Le commerçant, se disent-ils, achète à l’éditeur de beaux livres avec une remise ; il les revend au prix fort et empoche la différence ; ou bien il met “en cave” les auteurs qui doivent “monter” et, les ressortant (après un délai normal) au double ou au triple du prix marqué, réalise à coup sûr des bénéfices considérables. »
La réalité est un peu différente. En effet, tout libre numéroté est vendu à « compte ferme », c'est-à-dire sans possibilité de retour des invendus. Or aucun libraire ne peut savoir d’avance le nombre d’exemplaires qu’il écoulera. Les nouveautés d’auteurs cotés étant — au dire des éditeurs — entièrement souscrites le jour même où elles sont annoncées, le détaillant doit obligatoirement passer sa commande ferme avant d’avoir pris connaissance de l’œuvre nouvelle, de connaître la critique et d’avoir reçu aucun ordre de ses clients. Qu’arrive-t-il ? Ou le libraire est prudent et il s’engage au minimum, c'est-à-dire qu’il souscrit approximativement le nombre de volume correspondants à la demande habituelle. En ce cas, sitôt servis ses principaux clients, il manquera la vente pour tous les retardataires. Ou le libraire, audacieux, souscrit une quantité supérieure à son débit assuré, et si le livre n’est pas un succès, il lui restera une quantité d’invendus qui mettront des mois à s’écouler ou qui resteront pour compte alors qu’ils ont été payés cash à l’éditeur. Un des principaux libraires de luxe de Paris disait : « Nous réalisons un chiffre d’affaires très important, mais le bénéfice n’existe jamais en espèces, notre bénéfices, ce sont les livres qui nous restent. » Et il ajoutait : « Habituellement invendables ».
Aux amateurs qui, d’autre part, sont persuadés que tous les libraires de luxe spéculent en mettant « en cave » des milliers de volumes, je révélerai que le cas est peu fréquent, parce que cette méthode exige un coup d’œil presque infaillible, un goût du risque peu répandu et qu’elle nécessite des investissements considérables.
L’attribution des prix littéraires n’a qu’une influence temporaire sur la cote des livres. Il y a d’ailleurs dans ces opérations une cuisine assez bizarre : académies et jurys s’efforcent de faire le plus d’heureux possibles. Il y a donc ce qu’on appelle « les coups de chapeau » : les jurés, après s’être mis d’accord sur un nom, organisent en toute tranquillité des tours prétendus « précédents » pour distribuer aux divers postulants mentions honorables et accessits.
L’influence du Goncourt varie suivant les titres et les auteurs. Il a imposé au grand public Proust, qui ne pouvait espérer qu’une audience restreinte, donné des beaux tirages à Béraud et à Constantin-Weyer, mais on n’a jamais révélé les tirages de Lucien Fabre, de Maurice Bedel ou de Thierry Sandre. Et, en général, le prix ne fait vendre qu’un titre, pas un auteur.
Le plus curieux c’est que, sans aucun prix, certains livres d’inconnus sont lancés en quelques jours par la publicité orale : ce fut le cas du fameux Hôtel du Nord d’Eugène Dabit.
Une catégorie de spéculateurs disparut assez rapidement : tous les profanes qui, vers 1926, achetaient par tonnes des beaux papiers sans s’inquiéter des valeurs littéraires, les fervents de « poésie pure » et les gros malins qui entassaient Bazin sur japon ou Valéry sur héliotrope. Lorsqu’ils désirèrent « réaliser » ces amateurs s’adressèrent aux libraires, leur offrant leurs pannes au double de la valeur d’achat. En vain. Les amateurs baissèrent leurs prétentions, mais, même à moitié de la valeur d’achat, les libraires ne se laissèrent pas tenter. Alors, les stockeurs imprudents s’avouèrent vaincus et disparurent du marché, à la satisfaction générale, se retirant dans leur « Cimetière marin » ou à l’ombre de leur « Garçonne » sur papier hygiénique.
La librairie de luxe retrouva alors sa véritable clientèle, celle des amateurs de belles œuvres bien présentées, qu’ils retiennent à l’avance ou recherchent patiemment, sans fébrilité ni surenchère inutile. Les bibliophiles authentiques se retrouvèrent entre eux, enfin débarrassés des spéculateurs à la petite semaine. Tout se tassa. On fit la révision des valeurs et l’on se félicita de ne pas s’être laissé entraîner par contagion dans tel ou tel passager coup de bourse.
[…]

Jean Galtier-Boissière : Mémoires d'un Parisien, tome II (1961)
Chapitre XVII : Souvenirs de mon commerce