Times Square était un monde que j’étais certain d’avoir
recherché de mon propre gré — je n’avais pas cédé à l’appel de ce monde. Et à
cause de cette certitude, sa séduction, pour moi, était beaucoup plus forte.
Je m’y jetais à corps perdu.
La hargne de l’été s’était abattue sur New York avec la
violence d’une bête pantelante. L’implacable chaleur des nuits succède aux
après-midi torrides. Les trains grinçant dans le purgatoire des tunnels du
métro (comprimant férocement la chaleur, tandis que parfois, dans les voitures
cahotantes, un groupe de gosses noirs, pleins d’à-propos, dansent au rythme
tropical des bongoes) vomissent les foules — venues de partout — à la station
de Times Square… Des visages en sueur encombrent les rues.
Le racolage transi d’hiver devient maintenant le racolage
facile d’été.
Dès les premiers beaux jours, la police new-yorkaise
pressent l’imminent regain d’activité de la rue, et pendant quelque temps, les
journaux sont pleins de comptes rendus de rafles : ARRESTATIONS
D’INDÉSIRABLES. Les flics nettoient Times Square. Mais à mesure que l’été
avance et que la chaleur se fait plus étouffante, les flics se calment, comme
si eux aussi s’enlisaient dans la chaleur. Alors ils se contentaient d’arpenter
les rues en vous répétant de circuler, circuler.
On finit toujours par se retrouver au même endroit.
En ce qui me concerne, le schéma qui devait guider ma vie
dans les rues se dessinait déjà avec netteté.
Ce n’était jamais moi qui parlais le premier. Je me postais
aux endroits de retape et attendais d’être accosté — tandis qu’autour de moi,
je voyais des escouades d’autres jeunes types aborder avec agressivité ceux qui
manifestement attendaient.
Pourquoi cet excellent bouquin n'a-t-il jamais été reconnu à sa juste valeur par le public ?
RépondreSupprimerMême malédiction qui a toujours frappé La Gana, de Fred Deux (Jean Douassot).
Mais il en est un autre qui le surpasse encore : Ringolevio, d'Emmett Grogan.
Et tout Selby, évidemment.
Oui, George ! tout à fait d'accord avec vous. Le peu de succès de l'ouvrage est peut être imputable à Gallimard dont le tirage a été relativement confidentiel pour l'époque. Jugez-en :
RépondreSupprimer— Vingt-six pur fil
— Quatre mille Bouffant dont cinquante hors commerce
(tous numérotés, d'ailleurs)
La nature de l'ouvrage, ouvertement homosexuel, et publié en 1965 n'a pas dû favoriser sa diffusion chez les libraires ; mais d'un autre point de vue, ce tirage numéroté légèrement plus cher, sans doute, a préservé la marge de l'éditeur. Donc, il est vraisemblable que, fort de son succès aux États Unis (car je crois que ce fut le cas), Gallimard a tenté le pari de ce tirage en songeant à une éventuelle réédition presque immédiate, ce qui n'a pas été le cas. Ça n'a visiblement pas mordu, tant et si bien qu'on pouvait encore se le procurer récemment en in-8°, comme je le possède. Depuis, tout de même, il a été réédité en simili poche, mais a été rattrapé par l'évolution des mœurs.
Enfin, tout ceci, au-dessus, ne sont que conjectures...
Un « ouvrage […] homosexuel », voilà qui laisse rêveur…
RépondreSupprimerConcernant les rééditions, il semblerait, selon cette page, qu'avant celle de 1993 dans la collection "L'étrangère" il y en ait eu une en 1966 et une autre en 1972.
En effet, il semble qu'il ait existé une réédition l'année suivante. Je n'avais pas vérifié la chose, mais ce n'est pas le propos de ce feuilleton, d'ailleurs. Pour ce qui est de la qualification de ce superbe roman, je ne vois pas comment faire autrement, parce que c'est son sujet. Ce n'est pas une vision réductrice de ma part, c'est plutôt un état de fait décrit par l'auteur...
RépondreSupprimerQu'est-ce qui vous choque donc, George ?
Oh, rien ne me choque, c'est juste la formulation qui m'amuse, car si le thème du livre est effectivement l'homosexualité on ne peut cependant qualifier l'ouvrage lui-même d'homosexuel…
RépondreSupprimerS'il y avait des "livres hétérosexuels", par exemple, sans doute se reproduiraient-ils eux-mêmes et l'éditeur n'aurait alors pas besoin de procéder à des réimpressions !
Certes, je pinaille mais le verbe n'est peut-être pas mal venu vu le sujet…
Ah pardon : il existe au moins un livre que l'on peut qualifier d'hétérosexuel dans l'histoire de la littérarure : Le Dictionnaire Khazar…
RépondreSupprimerJe ne cherchais pas à "genrer" l'ouvrage, George. Je me mettais plutôt du côté de la plausible réception de l'ouvrage dans la première moitié des années soixante en France. Il se trouve que, récemment encore, j'ai entendu la même réflexion au sujet d'un livre qui n'en demandait pas tant. Pardon de ne pas avoir surbalisé.
RépondreSupprimerJe vois que vous avez aujourd'hui l'esprit à la chicane, mon cher. Comme c'est la journée de la gentillesse, mes sbires ne vous casseront que les jambes. Ils épargneront les rotules et les genoux. Ainsi, après une légère convalescence, vous pourrez remarcher.
Merci pour votre mansuétude, Tenancier : je chicane toujours, vous le savez.
RépondreSupprimerLes jambisés sont peut-être des mal-bisés mais ça ne les empêche pas d'écouter Carmen…