jeudi 19 novembre 2015

Un traitement du texte

[…] Précisons, avant de commencer, que nous sommes pleinement autorisés à interroger Restif sur l’enjeu de la pratique de l’italique : venu en effet à la littérature par la typographie (ce fut un ouvrier imprimeur qui ne devint écrivain que sur le tard), Restif imprima lui-même plusieurs de ses œuvres. La typographie ne pouvait donc être pour lui transparente. Elle entretenait même dans son esprit d’étranges rapports avec l’écriture : Restif allait jusqu’à ne pas préparer de manuscrit pour se lancer parfois directement, sans copie, dans d’étonnantes improvisations typographiques. Nous seulement il pense en termes d’imprimerie mais il « écrit typographie » comme on parle anglais *.
 
* « Les endroits faits à la casse sont toujours les mieux écrits » dit-il dans la Revue des ouvrages de l’Auteur. S’il semble presque confondre écriture et impression, Restif sais aussi se montrer attentif à leur différence : « on sent que, dans l’impression, les lettres accentuées ne coûtent pas plus à mettre que les autres ; au lieu que dans l’écriture, tout ce qui retarde la course rapide est très gênant » (Les Nuits de Paris). Claire conscience donc des lois corrélatives de rapidité et d’économie qui régissent la pratique scripturale. Mais ces lois propres à l’écriture, Restif les reverse sur sa typographie, reconfusion, par un mouvement de retour, du manuscrit et de l’impression : quand il composait à la casse, il était tellement « pressé » qu’il économisait des signes en éliminant les doubles lettres et en utilisant de constantes abréviations. Écriture, typographie : circularité d’où Restif ne sort pas.
 
Philippe Dubois : L’italique et la ruse de l’oblique — Le tour et le détour
in : Cahiers Jussieu / 3 (1977)

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