mercredi 14 février 2018

« Bon à donner aux cochons »

LA SATIRE est une sorte de miroir où, d’ordinaire, chacun reconnaît le visage de tous hormis le sien ; ce qui est la principale raison de la réception qu’elle a dans le monde, où elle n’offense que fort peu de gens. Cependant, s’il en advenait autrement, le danger n’est pas grand ; et j’ai appris par une longue expérience à ne jamais craindre des méfaits, de la part des intelligences que j’ai su provoquer ; car si la colère et la furie ajoutent de la force aux nerfs et du corps, on a pu voir qu’elles relâchent ceux de l’esprit, rendant ses efforts faibles et impuissants.
IL EST  un cerveau qu’on ne saurait faire mousser plus d’une fois : son possesseur fera bien de le rassembler à bon escient et d’user  de sa faible réserve avec parcimonie ; mais avant toute chose, qu’il évite de l’exposer au fouet de ceux qui valent mieux que lui, car cela le fera monter, tout écumant, jusqu’à l’impertinence, et il épuisera rapidement sa réserve ; l’esprit dépourvu de savoir est une sorte de crème, qui en une nuit se rassemble à la surface, et par une main habile sera rapidement fouettée en mousse ; mais, une fois cette mousse écumée et jetée, ce qui apparaît en dessous ne sera bon à rien, qu’à donner aux cochons.

Préface de l’auteur au
RÉCIT
Complet et Véridique
de la
BATAILLE
qui se fit V E N D R E D I dernier
entre les
LIVRES
A N C I E N S et M O D E R N E S
en la
BIBLIOTHÈQUE
Saint-James
par
Jonathan Swift
(Traduction de Jeannie Carlier)
Paris
Les Belles Lettres
1993

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