"Si vous voulez que je vous parle de Gian Maria Volonte, ça
va être une autre histoire. Gian Maria Volonte est un acteur d’instinct. Il est
sans doute un grand acteur de théâtre en Italie et, probablement, il est même
un grand acteur shakespearien, mais il est un personnage absolument impossible,
en ce sens qu’il ne m’a donné à aucun moment le sentiment d’avoir affaire à un
professionnel. Il ne savait pas se placer dans la lumière et ne comprenait pas
qu’un centimètre à gauche ou un centimètre à droite, ce n’était pas la même
chose. J’avais beau lui dire : « Regardez Delon, regardez Montand,
voyez comment ils accrochent la lumière impeccablement, etc. » Il
paraissait ne rien comprendre. Je crois que son activité politique (il
est gauchiste et le dit assez) n’a rien fait pour nous rapprocher. J’ai
appliqué tout le temps cette espèce de loi « anti-casseur », dont on
parle beaucoup en ce moment en France, alors que lui, c’est un casseur. Il
était très fier d’avoir campé à l’Odéon pendant les jours
« glorieux » de mai-juin 1968 ; moi, personnellement, je n’ai
pas campé à l’Odéon… Il paraît que quand il avait une week-end de libre il
sautait dans l’avion pour aller le passer en Italie. Ça c’est du
supernationalisme, c’est moi qui vous le dis. Un jour, je lui ai dit :
« Vous ne pouvez pas rêver d’être un acteur international aussi longtemps
que vous mettrez au-dessus de tout, comme vous le faites, votre qualité
d’Italien, chose qui n’a pas plus d’importance que d’être français… » Or,
tout ce qui est italien pour lui est sacré et merveilleux et ce qui est
français est ridicule. Un jour je me souviens de l’avoir vu sourire alors que
nous étions en train de mettre en place une scène de transparence.
« Pourquoi souriez-vous ? » lui ai-je demandé intrigué.
« Parce que… m’a-t-il répondu, vous avez vu Banditi a Milano ! tout a été tourné en direct pendant qu’on
roulait… » « Ah ! Bon ! Mais y avait-il des scènes de nuit
comme ça ? Étiez-vous en voiture pendant qu’on filmait une scène de nuit
qui devait être vue à travers les vitres ? » « Ah !
Non ! » Et il a semblé comprendre que nous ne faisions pas de
transparences dans le but de l’amuser. Un personnage curieux. Très fatigant. Je
vous promets que je ne referai plus de film avec Gian Maria Volonte.
"
Rui Nogueira : Le cinéma selon Melville — Seghers, 1974