jeudi 26 octobre 2017

Une bibliothèque


« Il se résolut, en fin de compte, à faire relier ses murs comme des livres, avec du maroquin, à gros grains écrasés, avec de la peau du Cap, glacée par de fortes plaques d'acier, sous une puissante presse.
Les lambris une fois parés, il fit peindre les baguettes et les hautes plinthes en un indigo foncé, en un indigo laqué, semblable à celui que les carrossiers emploient pour les panneaux des voitures, et le plafond, un peu arrondi, également tendu de maroquin, ouvrit tel qu'un immense oeil-de-boeuf, enchâssé dans sa peau d'orange, un cercle de firmament en soie bleu de roi, au milieu duquel montaient, à tire-d'ailes, des séraphins d'argent, naguère brodés par la confrérie des tisserands de Cologne, pour une ancienne chape.
Après que la mise en place fut effectuée, le soir, tout cela se concilia, se tempéra, s'assit: les boiseries immobilisèrent leur bleu soutenu et comme échauffé par les oranges qui se maintinrent, à leur tour, sans s'adultérer, appuyés et, en quelque sorte, attisés qu'ils furent par le souffle pressant des bleus.
En fait de meubles, des Esseintes n'eut pas de longues recherches à opérer, le seul luxe de cette pièce devant consister en des livres et des fleurs rares; il se borna, se réservant d'orner plus tard, de quelques dessins ou de quelques tableaux, les cloisons demeurées nues, à établir sur la majeure partie de ses murs des rayons et des casiers de bibliothèque en bois d'ébène, à joncher le parquet de peaux de bêtes fauves et de fourrures de renards bleus, à installer près d'une massive table de changeur du XVe siècle, de profonds fauteuils à oreillettes et un vieux pupitre de chapelle, en fer forgé, un de ces antiques lutrins sur lesquels le diacre plaçait jadis l'antiphonaire et qui supportait maintenant l'un des pesants in-folios du Glossarium mediae et infimae latinitatis de du Cange.
Les croisées dont les vitres, craquelées, bleuâtres, parsemées de culs de bouteille aux bosses piquetées d'or, interceptaient la vue de la campagne et ne laissaient pénétrer qu'une lumière feinte, se vêtirent, à leur tour, de rideaux taillés dans de vieilles étoles, dont l'or assombri et quasi sauré, s'éteignait dans la trame d'un roux presque mort.
Enfin, sur la cheminée dont la robe fut, elle aussi, découpée dans la somptueuse étoffe d'une dalmatique florentine, entre deux ostensoirs, en cuivre doré, de style byzantin, provenant de l'ancienne Abbaye-au-Bois de Bièvre, un merveilleux canon d'église, aux trois compartiments séparés, ouvragés comme une dentelle, contint, sous le verre de son cadre, copiées sur un authentique vélin, avec d'admirables lettres de missel et de splendides enluminures: trois pièces de Baudelaire: à droite et à gauche, les sonnets portant ces titres « la Mort des Amants » - « l'Ennemi »; - au milieu, le poème en prose intitulé: « Anywhere out of the world. - N'importe où, hors du monde ».

J.-K. Huysmans : A Rebours
Frontispice d'Odilon Redon

Merci à Phil, lecteur de l'ancien blog Feuilles d'automne et qui avait fourni la piste vers ce texte, publié là en mai 2009. A ce billet, suivait un bref dialogue, dans les commentaires entre icelui et votre Tenancier. On s'autorise ici à le reproduire, même si nous avons perdu la trace de Phil depuis longtemps, hélas...

Phil : Oh...ô tenancier..voir ce dimanche mes quatre lettres imparfaites voisiner avec les puissances de Huysmans, quel doux venin vous m'infligez là !
De l'or qui saure aux oranges qui s'adultèrent, la première rencontre avec Huysmans ("hoïssmannss" dit-on dans les pays d'en-deçà à digues fracturées..où je recherche encore quel paysage flamando-hollandais corrompu a bien pu lui inoculer ce goût de la corruption des chair(e)s... mais il est né en France, à Paris !) donc la première décharge de ce Karl-Joris de Paris oblige à faire péter le dictionnaire de la charogne parfumée... édité par Montesquiou, bien sûr.
Ensuite, avaler plusieurs siècles de littérature. Désordre indispensable et passer de Céline à Huysamns aide à saisir Chateaubriand. A rebours, donc. La préface de Fumaroli chez folio m'a aidé aussi... et ce n'est pas fini. Mais aucun critique ne nous explique ce qu'est une reliure en "peau du Cap"... rassurez-nous, Tenancier, et dites-nous qu'il ne s'agit point de citoyens d'Afrique du Sud tannés par ces gros colons de bataves, aussi en avance sur leurs temps tragiques à venir que l'auteur le fut sur ses contemporains en littérature...

Le Tenancier : Il semble, cher Phil (quel plaisir de vous relire ici !) que la peau du Cap soit un maroquin à grain long. Le maroquin est fait d'après la peau de chèvre. J'espère que celle-ci était bien préparée, car la bibliothèque de Des Esseintes risquait d'avoir une saveur odorante prononcée ! Mais après tout, n'est-ce pas un rappel encore une fois de la corruption ? [...]

Fragment trouvé dans un volume du Mercure de France de 1789

Temps futurs


Lecture renseignée

Une historiette de Béatrice

— « Bonjour, vous avez des Magasin Universel ?
Non, monsieur, désolée.
— Vous connaissez au moins ? Vous savez ce que c'est ? »

mercredi 25 octobre 2017

Apprendre à lire

10/18 — Leonard Cohen : Les perdants magnifiques




Leonard Cohen

Les perdants magnifiques

Traduit de l'anglais
par
Michel Doury

n° 775

Paris, Union Générale d'Édition
Coll. 10/18
Volume quintuple

317 pages (320 pages)
Dépôt légal : 1er trimestre 1980


(Contribution du Tenancier)
Index

jeudi 12 octobre 2017

mercredi 11 octobre 2017

Le pistolero bibliomane

Eh non, le Tenancier n'est pas ressemblant, dans ce billet paru en mai 2009 sur le blog Feuilles d'automne...




Précisons que ces dessins sont détournés d'une BD intitulée Rakar, publiée en supplément dans les fascicules Zembla aux éditions Lug. Les talents de dessinateur du Tenancier ne sont pas aussi professionnels.

mardi 10 octobre 2017

Une bibliothèque

Trantor avait été une cité de taille planétaire, une cité caparaçonnée de métal. Pelorat en avait lu la description dans les œuvres de Gaal Dornick qui l’avait visitée du temps d’Hari Seldon lui-même. L’ouvrage de Dornick était épuisé et l’exemplaire que détenait Pelorat aurait pu être revendu la moitié du salaire annuel de l’historien. Lequel aurait été horrifié à l’idée qu’il pût s’en dessaisir.
Ce qui sur Trantor intéressait Pelorat, c’était bien évidemment la bibliothèque galactique qui, du temps de l’Empire (c’était alors la bibliothèque impériale), avait été la plus grande de toute la Galaxie. Trantor était la capitale de l’empire le plus vaste et le plus peuplé que l’humanité ait connu. Ville unique recouvrant une planète entière et peuplée de plus de quarante milliards d’habitants, sa bibliothèque avait réuni l’ensemble des œuvres (plus ou moins) créatives de l’humanité, recueilli la somme intégrale de ses connaissance. Le tout numérisé de manière si complexe qu’il fallait des experts en informatique pour en manipuler les ordinateurs.
Qui plus est, cette bibliothèque avait survécu. Pour Pelorat, c’était bien là le plus surprenant de la chose. Lors de la chute et du sac de Trantor, près de deux siècles et demi plus tôt, la planète avait subi d’épouvantables ravages et sa population  souffert au-delà de toute description — et pourtant la bibliothèque avait survécu, protégée (racontait-on) par les étudiants de l’université, équipés d’armes ingénieusement conçues. (D’aucuns pensaient toutefois que la relation de cette défense par les étudiants pouvait bien avoir été entièrement romancée.)
Quoi qu’il en soit, la bibliothèque avait travers » la période de dévastation. C’est dans une bibliothèque intacte, au milieu d’un monde en ruine, qu’avait travaillé Ebling Mis lorsqu’il avait failli localiser la Seconde Fondation (selon la légende à laquelle les fondateurs croyaient encore bien que les historiens l’eussent toujours considérée avec réserve). Les trois génération de Darell — Bayta, Toran et Arkady — étaient chacune, à un moment ou à un autre, allées sur Trantor. Arkady toutefois n’avait pas visité la bibliothèque et, depuis cette époque, ce lieu ne s’était plus immiscé dans l’histoire galactique.
Aucun membre de la Fondation n’était retourné sur Trantor en cent vingt ans mais rien ne permettait de croire que la bibliothèque ne fût pas toujours là. Quelque ne se fût pas fait remarquer était la plus sûre preuve de sa pérennité : sa destruction aurait très certainement fait du bruit.
La bibliothèque de Trantor était archaïque et démodée — elle l’était déjà du temps d’Ebling Mis  — mais ce n’en était que mieux pour Pelorat qui se frottait toujours les mains d’excitation à l’idée d’une bibliothèque à la fois vieille et démodée. Plus elle l’était, vieille et démodée, et plus il aurait de chances d’y trouver ce qu’il cherchait. Dans ses rêves, il se voyait entrer dans l’édifice et demander, haletant d’inquiétude : « La bibliothèque a-t-elle été modernisée ? Avez-vous jeté les vieilles bandes et les anciennes mémoires ? » Et toujours il s’imaginait la réponse d’antiques et poussiéreux bibliothécaires : « Telle qu’elle fut, Professeur, telle vous la trouvez. »
 
Isaac Asimov : Fondation foudroyée (1982)
Traduit de l’américain par Jean Bonnefoy