mercredi 13 mars 2019

Sur l'imparfait du Subjonctif

On raconte que dans un grand hebdomadaire parisien un seul auteur avait un libre accès à l’imparfait du subjonctif. Se voyant concurrencé par un nouveau venu, qui prétendait aussi en faire jouir ses lecteurs, il fit tant et si bien que l’arrogant fut renvoyé dans sa province.
Le propre de l’imparfait du subjonctif est d’être à la fois un cadavre et un survivant.
Cadavre : « L’exemple le plus célèbre de cette évolution du français est la disparition de l’imparfait du subjonctif tué par le ridicule et l’almanach Vermot. Les que je susse, que je visse, n’ont pas résisté aux plaisanteries les plus élémentaires et l’enseignement officiel a même éliminé ce malheureux temps. » C’est Raymond Queneau qui l’affirme (Bâtons, chiffres et lettres)
Survivant : « Il s’impose encore, non seulement pour les livres, mais pour les journaux. Comme le passé simple, il n’a plus qu’une existence littéraire. Mais il ne faudrait pas en conclure que sa disparition est prochaine […] Les formes de l’imparfait du subjonctif sont précieuses pour l’écrivain […]. » C’est Brunot et Bruneau qui le disent (Précis de, grammaire historique de la langue française).
Cadavre dans la langue parlée, survivant dans la langue écrite.

Jacques Drillon : Propos sur l’imparfait (1999)

mardi 5 mars 2019

Bibliographie

Les plus curieux d’entre vous ont certainement noté la présence d’une bibliographie de votre serviteur dans une des pages de ce blog. Celle-ci se trouve à l’étroit et manque de clarté, c’est la raison pour laquelle une nouvelle est en cours d’élaboration sur un mini site que l’on vous invite à découvrir en cliquant sur l’image ci-dessous. Accessoirement, vous serez informés de quelques ouvrages à paraître…
https://sites.google.com/view/biblio-letort/accueil

On procédera sous peu à l'élimination de la page du blog.

dimanche 3 mars 2019

Évocation de John T. Sladek



John T. Sladek
Rapport sur la migration du matériel éducatif 
In Un garçon à vapeur (1977)


jeudi 28 février 2019

Raconter le processus

Certes, l’auteur ne doit pas interpréter. Mais il peut raconter pourquoi et comment il a écrit. Les essais de poétique ne servent pas toujours à comprendre l’œuvre qui les a inspirés, mais ils servent à comprendre comment on résout ce problème technique qu’est la production d’une œuvre.
Poe, dans sa Genèse d’un poème raconte comment il écrit Le Corbeau. Il ne nous dit pas comment nous devons le lire, mais quels problèmes il s’est posé pour réaliser un effet poétique. Et je définirais l’effet poétique comme la capacité, exhibée par un texte, de générer des lectures toujours différentes, sans que jamais on en épuise les possibilités.
L’écrivain (ou le peintre ou le sculpteur ou le compositeur) sait toujours ce qu’il fait et ce que cela lui coûte. Il sait qu’il doit résoudre un problème. Les données de départ sont peut-être obscures, pulsionnelles, obsédantes, ce n’est souvent rien de plus qu’une envie ou un souvenir. Mais ensuite, le problème se résout sur le papier, en interrogeant la matière sur laquelle on travaille — matière qui exhibe ses propres lois naturelles mais qui en même temps amène avec elle le souvenir de la culture dont elle est chargée (l’écho de l’intertextualité).
Quand l’auteur nous dit qu’il a travaillé sous le coup de l’inspiration, il ment. Genius is twenty per cent inspiration and eighty per cent perspiration.
Lamartine écrivit à propos d’un de ses célèbres poèmes dont j’ai oublié le titre qu’il était né en lui d’un seul jet, par une nuit de tempête, dans un bois. À sa mort, on retrouva les manuscrits avec les corrections et les variantes : c’étaient le poème le plus « travaillé » de toute la littérature française !
Quand l’écrivain (ou l’artiste en général) dit qu’il a travaillé sans penser aux règles du processus il veut seulement dire qu’il travaillait sans savoir qu’il connaissait la règle.  Un enfant parle très bien sa langue maternelle et pourtant il ne saurait en écrire la grammaire. Mais le grammairien n’est pas le seul à connaître les règles de la langue parce que l’enfant, sans le savoir, les connaît très bien lui aussi : le grammairien sait pourquoi et comment l’enfant connaît la langue.
Raconter comment on écrit ne signifie pas prouver que l’on a « bien » écrit. Poe disait que « l’effet de l’œuvre est une chose et la connaissance du processus en une autre ». Quand Kandinsky ou Klee nous racontent comment ils peignent, ils ne nous disent pas si l’un des deux est meilleur que l’autre. Quand Michel-Ange nous dit que sculpter signifie libérer de son oppression la figure déjà inscrite dans la pierre, il ne nous dit pas si la Pietà du Vatican est plus belle que la Pietà Rondanini. Il arrive que les pages les plus lumineuses sur les processus artistiques aient été écrites par des artistes mineurs qui réalisaient des effets modestes mais savaient bien réfléchir sur leur propre processus : Vasari, Horatio Greenough, Aaron Copland…

Umberto Eco : Apostille au Nom de la rose

lundi 25 février 2019

Au fait...

















... il y a un ministre de la culture, en ce moment, en France ? (*)

























(*) Une réponse ici

lundi 11 février 2019

10/18 — André Pieyre de Mandiargues : Le musée noir




André Pieyre de Mandiargues

Le musée noir

Suivi de : Mandiargues ou les droits de l'imagination par Guy Dumur

n° 136

Paris, Union Générale d'Édition
Coll. 10/18

187 pages (192 pages)
Dépôt légal : 3e trimestre 1963
Achevé d'imprimer le 25 septembre 1963


(Contribution du Tenancier)
Index

samedi 9 février 2019

10/18 — Geoffroy Chaucer : Les Contes de Cantorbéry




Geoffroy Chaucer

Les Contes de Cantorbéry
Introduction et traduction par Juliette Dor

n° 2153
Paris, Union Générale d'Édition
Coll. 10/18
Série « Bibliothèque médiévale »

254 pages (258 pages)
Dépôt légal : janvier 1991

Couverture : Tacuinum Sanitatis MS 1041 (XIVesiècle)
Bibliothèque de l'université de Liège
ISBN 2.264-01251-X
Volume quintuple


(Contribution du Tenancier)
Index

vendredi 8 février 2019

État de la misère, prémonition du « Mooc »...

Plus sérieux, et donc plus dangereux, sont les modernistes de la gauche […] qui revendiquent  une « réforme de structure de l’université », une « réinsertion de l’Université dans la vie sociale et économique », c'est-à-dire son adaptation aux besoins du capitalisme moderne. De dispensatrices de la « culture générale » à l’usage des classes dirigeantes, les diverses facultés et écoles, encore parées de prestiges anachroniques, sont transformées en usine d’élevage hâtif de petits cadres et de cadres moyens. Loin de contester ce processus historique qui subordonne directement un des derniers secteurs relativement autonome de la vie sociale aux exigences du système marchand, nos progressistes protestent contre les retards et défaillances que subit sa réalisation. Ils sont les tenants de la future Université cybernétisée qui s’annonce déjà ça et là. Le système marchand et ses serviteurs modernes, voilà l’ennemi.


(1966, pour le texte d'origine)

jeudi 7 février 2019

Prométhée

Dans nos existences quelconques, nous cherchons à fuir notre image, double terrifiant qui colle à notre squelette, nous faisant disparaître des miroirs, comme un vampire ou autre créature inquiétante. Imaginons le paroxysme : un esprit désolé que la lèpre de la solitude dévore. Imaginons Prométhée en créature désolée, au visage rongé de l’intérieur. Imaginons cette pauvre créature qui lit Emerson, sans doute Poe, peut être Shelley. Imaginons-le, mordu par les acides du fantastique, désertant les souterrains mais fuyant toujours la lumière. Imaginons-le en fantôme d’un opéra en plein air, à errer, errer encore et toujours jusqu’au cœur du monde, à chercher le cœur du monde dans le cœur des récits et devenir la matière d’une histoire sombre, celle d’une pauvre, pauvre créature devenue la substance de ce récit : un fantôme, un monstre perdu dans une bibliothèque de dix mille livres mais dont aucun ne lui conte la nature de son pacte, son déroulement, sa finalité. C’est l’histoire d’un monstre qui meurt et qui cachait une passion, celle du livre. C’est l’histoire d’une créature qui disparaît sur la banquise, dans les feux, ou d’un pieu. C’est la fin du récit. Et nous sommes ses démiurges.
Réflexion après coup auprès d'une lectrice du blog : Cet être me touche d'une certaine manière, comme dans un film de Franju, "Les yeux sans visage", ou comme le pathétique d'Éléphant man. Les monstres les plus mémorables provoquent une sorte d'empathie. Celui-ci vérifie l'étymologie du mot : la "monstration", le dévoilement, la nudité décharnée sous le masque, l'effroi, la fragilité, le vide, la peur. Nous sommes rentré depuis un certain temps dans le futur. Depuis quand des créatures sillonnent le monde autour de nous avec cet étrange parfum morbide ?
L'invasion a-t-elle commencée ?
Photos : Lon Chaney, M.J.
Billet paru en juillet 2009 sur le blog Feuilles d'automne

mardi 5 février 2019

La nostalgie n'est plus ce qu'elle était

Le cocktail éditorial ne figure pas dans les fréquentations de votre serviteur. Outre que son ancienne activité de libraire le rendait inutile voire tricard dans ce genre de manifestation, les prétextes pour s’y rendre restaient somme toute assez minces. Toutefois, le hasard aidant, le vice travaillant également au complot, il m’est arrivé de me trouver dans un coin à contempler la prise d’assaut du buffet, occasion d’ailleurs, où votre serviteur mit en pratique au moins une fois sa théorie tirée de la technique du môle et de l’enroulement pratiquée au rugby. Il n’existe pas de connaissance sotte, sauf si elle se révèle inutile. Mes compagnons (ce jour-là, salariés d’une start-up de vente de livre, rare fierté de ce passage) se gobergèrent, moi itou, revanche des obscurs et des sans-grade à ces banquets qui n’avaient rien de platonicien par ailleurs.
Le bénéfice dérisoire de picoler un champagne de médiocre qualité par-dessus des denrées trop sucrées et trop salées montre vite ses limites, on le concevra. Restait l’observation de la faune habituelle des attachées de presse et d’autres personnages plus ou moins liés à la maison d’édition et plus sûrement au contenu de la bouffe servie à table. Pas besoin d’être un habitué pour deviner à quel point cette compagnie ne s’élève pas au-dessus du comice agricole. On aurait dû le savoir : si le Salon du Livre de Paris sent l’écurie, ce n’est sans doute pas entièrement redevable au Salon de l’agriculture qui le précède. Alors quoi, n’y avait-il rien à tirer de ces rassemblements. Eh bien, presque. Parfois, avec un peu de chance, on voyait une catégorie de types se faufiler dans ces cocktails et il faut avouer qu’ils avaient plus l’air de s’y sentir à l’aise que ma pomme. À la personne bien informée qui avait réussi à me faire rentrer, je me risquais à demander, « Qui c’est ce type-là ? »
Et l’autre qui répond : « Qui ça ? 
— Eh bien, le gars avec l’imperméable mastic…
— Où ?
— Là… tu vois, avec les cheveux plaqués en arrière, bien dégagés sur les oreilles, les petites lunettes façon écaille. Bon, il a quitté son pardingue ou son imper, maintenant, il a le petit costard bien ajusté, carrossé par Perrier, tu vois ?
— Avec le nœud pap’ ?
— Yes, monsieur.
— Connais pas personnellement, il fréquente Untel, il paraît qu’il a écrit des articles. Pas lu, pas le temps de tout lire. C’est un ancien khâgneux. Il a pas trente ans.
— Tu ne me l’aurais pas dit, hein…
— Ah non, mais attend, ce n’est pas le pote de Untel. C’est celui de Duchmol…
—…
— Mais siii, tu sais, Duchmol de la Revue de la Nouvelle Nation. Cela dit avec l’ami d’Untel, c’est un peu du kif.
— Qu’est ce qu’il fait là ?
— Ben comme toi, il profite de l’événement, sauf que toi, c’est pour picoler un coup. Lui — à moins que ce soit le pote d’Untel — fait le siège de mon directeur de collection pour placer sa biographie.
— Drieu, Brasillach ?
— Ouais, un truc dans ce goût-là, mais tu sais, c’est en perte de vitesse, ces conneries, le lecteur potentiel se raréfie, ça bavoche, ça sucre les fraises... Dans le style réac qui peut nous faire de la distance, ce serait plutôt Houellebecq. Avec les vieux fachos, tu peux pas nous la refaire revival façon Claude François, hop, un p’tit coup de lustre sur la pierre tombale et c’est reparti pour un tirage. Vu que le client est occupé à passer le polish sur la sienne, ça déchaîne pas des fièvres.
— Houellebecq, il lui faudrait une bonne guerre.
— Ah, m’en parle pas, quel tirage ça ferait ! Mais l’autre, là, avec les fringues qu’il a dû piquer à grand-papa, je ne lui donne pas une chance. Pourtant il s’est soigné ! Ça marchait dans les années quatre-vingt, ce genre ‘petit-crevé’ enfin plutôt petite crevure, si tu vois le genre…
— Genre ‘Européen’, c’est ça ? Du nostalgique.
— Exactement : à faire le voyage aller, en quarante-quatre, au milieu des valoches et en camion Mercedes vers les bords du Danube, et à revenir en truck Ford débâché avec la biroute au cirage, direction Fresnes, si t’es malchanceux.
— Bah ! il aurait vu du pays, en tout cas. Tiens, je me rappelle un type qui a eu son petit succès dans les années quatre-vingt, justement, avec son Journal. Je l’avais servi brièvement dans une librairie où j’ai fait un passage éclair, et pour cause… La taulière, une vieille catho versaillaise — et c’est pas une image, crois-moi — se pâmait littéralement ! Tu parles, le clone sous-alimenté de Brasillach !
— C’est marrant, tout de même, ces garçons qui s’adonnent à cette marotte. Tu noteras qu’avec son allure de collabo, il fait un peu le vide autour de lui.
— Il a l’air d’aimer ça.
— On le remarque. C’est fait pour. Il s’imagine qu’il emmerde tous les juifs qui sont forcément dans l’édition. Ça ne lasse même plus. Tu sais, je parie même que sa biographie n’est même pas écrite et qu’il serait un peu emmerdé sur les bords si on la lui demandait.
— Pourquoi tu ne lui fais pas le coup.
— Déconne-pas, veux-tu ? Si je me trompe…
— Ouais, c’est un risque. Curieux, quand même, j’aurais pensé que l’espèce s’était éteinte.
— Mais qu’est-ce que tu veux mon vieux, il reste des jeunes Français patriotes point oublieux de nos aînés, hein ! »
Le type se rapprocha de nous. Je m’esquivais tandis que j’entendais mon pote dire que non, en fin de compte, le directeur de collection avait eu un empêchement et que c’était bien dommage…