mardi 2 avril 2019

Le secret du vélo

Moi que le mois passé, distançait la tortue
Aujourd'hui je détiens les plus âpres records
Et ferme sur ma selle, ainsi qu'une statue —
De Mayeux — ma bécane et moi n'avons qu'un
Par quelle miracle ou par quelle sévère études corps.
Poursuivie ardemment — même en rêve — ai-je pu.
Domptant à tout jamais ma coquette habitude
De me flanquer par terre, être à la fin repu
De gloire triomphale à vélo ? C'est la chose,
Mesdames et Messieurs, que je viens vous crier.
Vous allez tout savoir comment, sans ecchymose
Je chevauche à présent garni de pneus, l'acier !
Un jour je vis un chien — l'épargne de la fourrière —
Qui grattait follement l'asphalte d'un trottoir,
Avec des mouvements de pattes en arrière !
« Ciel, me dis-je, Euréka ! » Soyons ça dès ce soir
Et le soir, oubliant que plus que la vaisselle,
L'homme est fragile, hélas. Avec un gai fredon,
J'enfourchai hardiment l'as de cœur de ma selle,
L'orteil à la pédale et la paume au guidon.
Admirable départ ! J'entrai dans la carrière
Bien avant nos ainés.
                                 ... Courbé sur mon vélo,
Sans jamais rien voir et de mes pieds de derrière,
Grattant, grattant, grattant ! Quel ravissant tableau !
Je filai d'un train à déconcerter la brise
Et tels des voyageurs mordus par un cobra,
Les passants s'arrêtaient figés dans leur surprise,
Ma bécane, étonnée, un instant se cabra :
Mais son maître était né ! Volcan rempli de lave !
Et sous mes durs mollets — charmants dans leurs tricots —
Elle plia, vaincue en silence, l'esclave,
Et le bravo public enroua les échos.
C'est ainsi que, parti de mon illustre rue
Arsène-Houssaye six, je suis allé jusqu'à
Belfort, Saint-Petersbourg, bornant toujours ma vue
Aux boudins de mes pneus... et jusqu'à Kamstchatka.
J'eusse atterri sans voir une fois, une seule,
Le Zénith !! À quoi bon, chevalier du jarret !
Ne rien voir et tourner, tourner toujours la meule,
Le voilà le fin mot de notre beau secret.
Je vous livre le truc. Ah ! de toute mon âme,
Mesdames et Messieurs ! Usez-en dès ce soir.
Mais il faut le Rayon ! et le Muscle ! et la Flamme !!!
Avec mon coup du chien qui gratte le trottoir.

Récité et mimé par Coquelin Cadet, de la Comédie Française
Poésie de M. Ernest d'Hervilly
Photographhies de M. da Cunha
La Vie au Grand Air
n° 42 — 2 juillet 1899

dimanche 31 mars 2019

Se laisser faire

Le Tenancier aime, malgré ses dénégations vigoureuses, ces petits coups du destin qui le font mentir. Ainsi, déclarant il y a quelque temps qu’il ne se livrerait pas à la réparation d’une nostalgie, voulant rester sur une saveur d’enfance, voici qu’il se trouve confronté à un artefact l’y renvoyant. Sans faire d’effort particulier, une histoire liée à la jeunesse du Tenancier resurgit. Il a cédé et l'a pris.
On conclura de notre côté que, dans ce temps imparti qui passe, nous presse et nous pousse, nous l’occupons à nous leurrer. La leçon vaut parfois le coup.

samedi 30 mars 2019

Où le Tenancier s'apitoie (et il sent qu'il va le regretter...)

Le Tenancier sait que certains de ses lecteurs s’engluent dans une navrante nostalgie. Il suffit de voir quels articles sont consultés couramment ici. Si on les écoutait, on se verrait contraint de rouvrir les anciens dossiers — et pourquoi pas les anciens blogues. Ces pouacres s’imaginent donc que l’âge contribue à la vertu. Tant d’apitoiement sur soi écœure. Tant pis pour eux, nous ne perdurerons plus à nous porter garant de leur sauvegarde. Donnons leur cette pitoyable pitance, regrets, soupirs et chagrins.
Nous rouvrons l’accès à notre ancien blogue.

https://feuillesd-automne.blogspot.com/

vendredi 29 mars 2019

Tourne, tourne le petit astronaute et ne redescend plus...

Le Tenancier n’a pas toujours été Tenancier, savez-vous ?
Il a eu la chance de faire un peu de microédition. Tout vous sera exposé ici (après une tentative incomplète sur le présent blogue il y a pas mal de temps).

Lectures prérévolutionnaires

L’autre jour, votre Tenancier remarquait la parution du livre de Robert Darnton, Un tour de France littéraire qui selon son sous-titre évoque « Le monde du livre à la veille de la Révolution ». À la vérité, on le renvoyait à une lacune importante dans sa culture personnelle, car cette période lui est à peu près inconnue, faute d’autant moins explicable qu’il détenait par ailleurs un ouvrage largement antérieur du même auteur, publié la première fois en 1983 qui s’intitulait Bohème littéraire et Révolution, doté d’un sous-titre plus général, mais qui aurait pu être échangé avec la publication plus récente puisqu’ici il était question du « monde des livres au xviiie siècle ». On l’avait certes un peu picoré, et notamment toute la première partie qui décrivait la population des écrivassiers de soupentes, auteurs de libelles et de pamphlets, « philosophes ratés », mais vrais pornographes, où certains allaient réapparaître à la Révolution sous d’autres habits : Desmoulins, Hébert ou Marat, par exemple. Certains, à l’époque incertaine des publications sous le manteau ne craignaient pas d’émarger à la police en mouchardant et Darnton de donner des exemples tirés des archives de cette police. Ce chapitre délectable et étonnant ne se retrouve pas dans Le tour de France littéraire, qui s’attache plus à ce qui fait aussi la plus grande matière de la Bohème littéraire, c’est-à-dire le commerce clandestin du livre. Celui-ci atteint des proportions ahurissantes, qui nous poussent à réévaluer l’image que nous possédons de la vie intellectuelle de l’époque et sur la présence de certains ouvrages dans les bibliothèques, certainement surévaluées. Le constat peut sans doute s’effectuer sans peine à notre époque contemporaine : combien de livres inutiles gisent dans les bibliothèques, destinés à l’oubli et combien passeront le cap d’une certaine postérité. Le phénomène reste vérifiable dans les bibliothèques du xxe et du xixe siècle, d’autant plus commodément que nous possédons des traces de la circulation des livres grâce aux catalogues d’éditeurs et de bien d’autres sources documentaires. Il se trouve que dans la période prérévolutionnaire, nombre d’ouvrages de contrebande provenaient de philosophes des lumières et que les ballots des contrebandiers contenaient aussi bien ces titres-là que des pamphlets ou des œuvres philosophiques, au point que le terme devint l’appellation pudique pour des ouvrages quelque peu enlevés. De là, difficile de quantifier et d’évaluer la teneur exacte de la contrebande. Darnton dans le premier essai avance avec prudence sur le sujet, puisqu’il reste difficile de retrouver des traces abondantes des commandes de clientèles (en revanche on en découvre de la part des libraires aux imprimeurs situés hors de France, comme à Genève). Un autre aspect de La Bohème littéraire — somme de plusieurs conférences qui ont pour certaines quarante-cinq ans — revient au constat que le mécontentement politique et social s’alimente des libelles qui font état de la vie dissolue à la cour, les scandales qui mettent en scène clergé et noblesse, alimentés par des faits divers et des exactions… Bien évidemment, ce phénomène renvoie à toutes les situations où une société vacille sur ses bases, lorsqu’elle s’alimente à d’autres sources que les organes autorisés. L’évocation possède quelques résonnances à notre époque, même si les informations ne passent plus par une contrebande organisée (mais que l’on aimerait bien réprimer tout de même). La production subversive, variée, clandestine recèle quelques pépites. L’an 2440 de Louis-Sébastien Mercier en fait partie. En cela, il faut sans doute recommander de lire Bohème littéraire et Révolution avant Un tour de France littéraire, qui explore la structure du commerce clandestin, le premier opus servant d’ouverture. Cette ouverture vaut certainement pour au moins deux autres titres de l’auteur : Édition et sédition — L’univers de la littérature clandestine au xviiie siècle et L’affaire des quatorze — Poésie, police et réseaux de communication à paris au xviiie siècle. Il semble bien que l’effort de transposition ne soit pas si ardu à une époque où l’écrit ou la lecture redeviennent des fonctions subversives et où la police inspecte de nouveau les bibliothèques personnelles pour identifier le délinquant politique.
Pour conclure provisoirement, mettons sous les yeux de nos lecteurs un bout de la transcription de Darnton d’archives policières :

MERCIER : « Avocat, homme bizarre, farouche ; il ne plaide ni ne consulte. Il n’est pas sur le tableau, mais il prend le titre d’avocat. Il a fait le Tableau de Paris en quatre volumes et d’autres ouvrages. Ayant peur de la Bastille, il s’en est allé, puis il est revenu et il voudrait s’attacher à la police. »
MARAT : Hardi charlatan. M. Vicq d’Azir demande au nom de la Société Royale de Médecine qu’il soit chassé de Paris. Il est de Neuchâtel en Suisse. Beaucoup de malades sont morts dans ses mains. Mais il a un brevet de médecin qu’on lui a acheté. »

samedi 16 mars 2019

Révisons nos classiques


Georgius  

Le Cid 

Ah, si Corneille entendait ça !

Ah, la drôle d'histoire que je vais chanter là !
Au petit village de Santa Madonna
Habitait Rodrigue
Un brave et beau zigue
Qui avait du poil sur l'estomac

Son père qui était un roublard, et comment !
Qu'aimait pas s' biler, qu'était un peu fainéant
Avait la manière
De tout lui faire faire
En le prenant par les sentiments

— Rodrigue, as-tu du cœur ?
— Tout autre que mon père l'éprouverait sur l'heure !
— Ah bon ? Alors va me chercher un paquet d' cigarettes
Balaye le garage, gonfle ma bicyclette
Rodrigue, as-tu du cœur ?
— Je t'en supplie, papa, ne doute pas d' mon honneur !
— Bravo, mon cher enfant, j'aime ta dignité
Alors, cire mes chaussures et fais-les bien briller
Olé !

À la grande ville, tous les dimanches matin
Ils s'en vont tous deux pour se distraire un brin
C'est le beau Rodrigue
Qui est l' fils prodigue
Le père avare n'a pas un rotin
Pour se taper la cloche ils entrent bientôt
À l'Hostellerie du Canard aux Pruneaux
Le papa commande
Une grosse limande
Et s'écrie devant le plat bien chaud

— Rodrigue, as-tu du cœur ?
— Tout autre que mon père l'éprouverait sur l'heure !
— Très bien. Alors coupe le poisson qui est dans mon assiette
Donne-moi les filets et mange les arêtes
Rodrigue, as-tu du cœur ?
— Papa, je t'en supplie, ne doute pas d' mon honneur !
— Bravo, mon cher enfant, t'es noble comme un lion
Alors, appelle la bonne et règle l'addition
C'est bon !

Le père adorait les courses de taureaux
Il entre aux arènes avec son grand Roro
Le combat fait rage
C'est un vrai carnage
Jamais on n' vit plus méchant taureau
Il a déjà tué quatorze picadors
Six banderillos et le toréador
Une panique immense
Secoue l'assistance
Le papa s' lève et remet ça encore

— Rodrigue, as-tu du cœur ?
— Tout autre que mon père l'éprouverait sur l'heure !
— Parfait ! Alors, cours au taureau qui prend cet air bravache
Et dis-lui de ma part que c'est une vieille vache
Rodrigue, as-tu du cœur ?
— Oh oui, papa, j'en ai, j' vais te l' prouver sur l'heure
Car je viens de comprendre que tu étais cinglé
Je vais t' faire interner
À l'asile d'aliénés

Allez, à la douche !

mercredi 13 mars 2019

Sur l'imparfait du Subjonctif

On raconte que dans un grand hebdomadaire parisien un seul auteur avait un libre accès à l’imparfait du subjonctif. Se voyant concurrencé par un nouveau venu, qui prétendait aussi en faire jouir ses lecteurs, il fit tant et si bien que l’arrogant fut renvoyé dans sa province.
Le propre de l’imparfait du subjonctif est d’être à la fois un cadavre et un survivant.
Cadavre : « L’exemple le plus célèbre de cette évolution du français est la disparition de l’imparfait du subjonctif tué par le ridicule et l’almanach Vermot. Les que je susse, que je visse, n’ont pas résisté aux plaisanteries les plus élémentaires et l’enseignement officiel a même éliminé ce malheureux temps. » C’est Raymond Queneau qui l’affirme (Bâtons, chiffres et lettres)
Survivant : « Il s’impose encore, non seulement pour les livres, mais pour les journaux. Comme le passé simple, il n’a plus qu’une existence littéraire. Mais il ne faudrait pas en conclure que sa disparition est prochaine […] Les formes de l’imparfait du subjonctif sont précieuses pour l’écrivain […]. » C’est Brunot et Bruneau qui le disent (Précis de, grammaire historique de la langue française).
Cadavre dans la langue parlée, survivant dans la langue écrite.

Jacques Drillon : Propos sur l’imparfait (1999)

mardi 5 mars 2019

Bibliographie

Les plus curieux d’entre vous ont certainement noté la présence d’une bibliographie de votre serviteur dans une des pages de ce blog. Celle-ci se trouve à l’étroit et manque de clarté, c’est la raison pour laquelle une nouvelle est en cours d’élaboration sur un mini site que l’on vous invite à découvrir en cliquant sur l’image ci-dessous. Accessoirement, vous serez informés de quelques ouvrages à paraître…
https://sites.google.com/view/biblio-letort/accueil

On procédera sous peu à l'élimination de la page du blog.

dimanche 3 mars 2019

Évocation de John T. Sladek



John T. Sladek
Rapport sur la migration du matériel éducatif 
In Un garçon à vapeur (1977)


jeudi 28 février 2019

Raconter le processus

Certes, l’auteur ne doit pas interpréter. Mais il peut raconter pourquoi et comment il a écrit. Les essais de poétique ne servent pas toujours à comprendre l’œuvre qui les a inspirés, mais ils servent à comprendre comment on résout ce problème technique qu’est la production d’une œuvre.
Poe, dans sa Genèse d’un poème raconte comment il écrit Le Corbeau. Il ne nous dit pas comment nous devons le lire, mais quels problèmes il s’est posé pour réaliser un effet poétique. Et je définirais l’effet poétique comme la capacité, exhibée par un texte, de générer des lectures toujours différentes, sans que jamais on en épuise les possibilités.
L’écrivain (ou le peintre ou le sculpteur ou le compositeur) sait toujours ce qu’il fait et ce que cela lui coûte. Il sait qu’il doit résoudre un problème. Les données de départ sont peut-être obscures, pulsionnelles, obsédantes, ce n’est souvent rien de plus qu’une envie ou un souvenir. Mais ensuite, le problème se résout sur le papier, en interrogeant la matière sur laquelle on travaille — matière qui exhibe ses propres lois naturelles mais qui en même temps amène avec elle le souvenir de la culture dont elle est chargée (l’écho de l’intertextualité).
Quand l’auteur nous dit qu’il a travaillé sous le coup de l’inspiration, il ment. Genius is twenty per cent inspiration and eighty per cent perspiration.
Lamartine écrivit à propos d’un de ses célèbres poèmes dont j’ai oublié le titre qu’il était né en lui d’un seul jet, par une nuit de tempête, dans un bois. À sa mort, on retrouva les manuscrits avec les corrections et les variantes : c’étaient le poème le plus « travaillé » de toute la littérature française !
Quand l’écrivain (ou l’artiste en général) dit qu’il a travaillé sans penser aux règles du processus il veut seulement dire qu’il travaillait sans savoir qu’il connaissait la règle.  Un enfant parle très bien sa langue maternelle et pourtant il ne saurait en écrire la grammaire. Mais le grammairien n’est pas le seul à connaître les règles de la langue parce que l’enfant, sans le savoir, les connaît très bien lui aussi : le grammairien sait pourquoi et comment l’enfant connaît la langue.
Raconter comment on écrit ne signifie pas prouver que l’on a « bien » écrit. Poe disait que « l’effet de l’œuvre est une chose et la connaissance du processus en une autre ». Quand Kandinsky ou Klee nous racontent comment ils peignent, ils ne nous disent pas si l’un des deux est meilleur que l’autre. Quand Michel-Ange nous dit que sculpter signifie libérer de son oppression la figure déjà inscrite dans la pierre, il ne nous dit pas si la Pietà du Vatican est plus belle que la Pietà Rondanini. Il arrive que les pages les plus lumineuses sur les processus artistiques aient été écrites par des artistes mineurs qui réalisaient des effets modestes mais savaient bien réfléchir sur leur propre processus : Vasari, Horatio Greenough, Aaron Copland…

Umberto Eco : Apostille au Nom de la rose

lundi 25 février 2019

Au fait...

















... il y a un ministre de la culture, en ce moment, en France ? (*)

























(*) Une réponse ici