mercredi 13 mai 2020

L'Imprimerie nationale en 1900


Rue Vieille-du-Temple, l’Imprimerie nationale continue d’occuper, d’encrasser, le noble hôtel de Rohan. Les chevaux du Soleil, sculptés à la façade, s’ébrouent dans une décor de ballots, de vieux papiers, dans une atmosphère d’encre et de poussière. En 1925 seulement, elle émigrera rue de la Convention.
Elle imprime de tout, en dehors des paperasses officielles. Et, de ces locaux sordides, naissent de merveilleuses harmonies en noir et blanc, des modèles de clarté et d’équilibre. Le même soin est apporté à une affiche de ministère qu’à une impression de luxe. Cette année, précisément, pour d’éclectiques bibliophiles, L’imprimerie nationale a tiré l’Imitation de Jésus-Christ en même temps que deux ouvrages dont le moins qu’on puisse dire est qu’ils n’ont aucun caractère mystique : Le Jardin des Supplices, de Mirbeau, et Parallèlement, de Verlaine. Trio assez singulier pour que s’en émeuve l’administration. Pudiquement, le ministère de la Justice, dont dépend l’Imprimerie, refusa son visa. Du coup, Arthur Christian, le directeur, sentit, bien que vieux routier de la politique, le sol céder sous ses pieds. Tout, d’ailleurs, finit par s’arranger. Les trois volumes parurent, sans la signature de l’Imprimerie nationale. Mais pourra-t-on empêcher que la marque en soit perceptible aux connaisseurs, ce mince trait, à peine visible, accolant la hampe des l minuscules, et qui est l’indicatif de la maison.

Robert Burnand : Paris 1900 (1951)

mardi 12 mai 2020

Pensée entre deux rayonnages

Contrairement à une idée reçue, Croc-blanc ne fait pas partie de la littérature de niche.

10/18 — Robert Jaulin : La mort sara




Robert Jaulin

La mort sara


n° 542

Paris, Union Générale d'Édition
Coll. 10/18
Série « 7 », dirigée par Robert Jaulin
Volume triple

445 pages (448 pages)
Dépôt légal : 1er trimestre 1971
Achevé d'imprimer 14 avril 1975


(Contribution du Tenancier)
Index

Lecture du Tenancier

Rien de récent (ou si peu), et comme ça lui chante.



« Je me souviens de votre visage si désolé quelques heures avant votre mort. Vingt-cinq ans après, vos larmes me révoltent encore. Vous étiez épuisé d’avoir espéré trop longtemps quelque chose qui ne vous sera jamais arrivé. Une vraie reconnaissance. Il se trouve que vous me l’avez dit dans ce bistrot de la place Desnouettes. Vous répétiez “Je suis foutu, je suis foutu…” J’avais en face de moi un homme éperdu de solitude et d’angoisse. Je suis la dernière personne à qui vous avez parlé. Puis ce fut le moment de se séparer. J’avais des enfants à coucher, un travail d’ouvreuse à prendre vers huit heures du soir. Vous aviez du mal à me quitter »

lundi 11 mai 2020

Une historiette de Béatrice

La précieuse entre pour prendre les livres religieux qu'elle avait réservés lors de sa précédente visite. La délicatesse et la courtoisie incarnées. Garée, très mal, sur le trottoir en face de la boutique. Tout en rédigeant son chèque, elle lève parfois la tête pour voir si chaque moteur qui passe — et tempête fort contre cette voiture si mal garée — n'emporte son pare-brise. Et soudain s’énerve :
« Connard ! Tu passes largement ! Ah encore un chômeur ivre ! Va donc faire des enfants à bobonne et fous-nous la paix ! Tous des animaux ! »
Elle range son chéquier griffé, puis remet son masque de précieuse pour prendre congé.

dimanche 10 mai 2020

10/18 — Jacques Sternberg : Le cœur froid




Jacques Sternberg

Le cœur froid


n° 758

Paris, Union Générale d'Édition
Coll. 10/18
Volume double

191 pages (192 pages)
Dépôt légal : 1er trimestre 1973


(Contribution du Tenancier)
Index

vendredi 8 mai 2020

Une historiette de Béatrice

— Bibliothèque verte.
— Bonjour madame, je vous montre, c'est par ici.
— Oui, combien ?
Nous avons la joie d'inaugurer ce jour le langage télégraphique dans notre pratique.

mercredi 6 mai 2020

Revoir, corriger et recuire



[Courteline] était, quant à lui, d’une parfaite modestie. Lorsque parurent ses Œuvres complètes, il écrivit à un ami suisse :
« Depuis trois semaines, je n’ai pas une minute à moi, ayant à revoir, corriger et recuire tous mes bouquins, près de 400 000 lignes à éplucher une à une, à émonder de “qui”, de “que” et autres beautés de ce genre. Je me suis fait une pinte de mauvais sang ! Le pis est que, n’ayant jamais relu mes ouvrages depuis leur publication, j’ai eu avec eux l’impression de la nouveauté, et elle est propre, l’impression ! Je suis consterné. C’est effrayant ce que tout cela est misérable. Je ne me croyais pas si dépourvu de talent. Au surplus, cela m’est bien égal. L’important, c’est d’avoir bon estomac. »

Léon Treich : L'esprit français (1943)