mardi 26 janvier 2021

Une historiette de Béatrice

« Vous n'auriez pas un autre exemplaire de ce livre en meilleur état, mais au même prix ? »
La valse des soldés à un euro reprend.

samedi 23 janvier 2021

Magie de la retouche


Le lecteur du blog n’aura pu éviter le billet édité dernièrement où l’on découvrait l’un de nos auteurs préférés dans les colonnes d’un journal de téloche, une institution même.  Comme dit Jules dans son commentaire « Julien Gracq dans Télé 7 jours ! Et vous voudriez qu'on ne soit pas nostalgique. » On peu évidemment analyser ce papier ainsi que la diffusion afférente d’Un beau ténébreux à l’ORTF comme une incongruité à l’aune de l’indigence de la production télévisuelle actuelle. Mais il ne rentre pas dans notre propos de vitupérer la connerie contemporaine. On réserve cela pour nos vieux jours, si nous avons la possibilité d’en jouir et de ne point faire trop souvent chabrot dans notre potage.
Un élément de la double page du journal a cependant attiré notre regard et a suscité une réminiscence : celle du visage du conférencier occidental représenté dans le chapitre Le visage écrit, dans L’Empire de signes de Roland Barthes. Si l’on ne détient pas le livre sous les yeux, on se souviendra toutefois des traits subtilement anamorphosés par le jeu de la typographie nippone qui laissait accroire à un une mutation du sujet… Par ailleurs, l’auteur s’exprime sur le visage et principalement sur le gommage des traits :
La face est seulement la chose à écrire, mais ce futur est déjà lui-même écrit part la main qui a passé le blanc des sourcils, la protubérance du nez, les méplats des joues, et donné à la page de chair la limite noire d’une chevelure compacte comme de la pierre. La blancheur du visage, nullement candide, mais lourde, dense jusqu’à l’écœurement, comme le sucre, signifie en même temps deux mouvements contradictoires : l’immobilité (que nous appellerions « moralement » impassibilité) et la fragilité (que nous appellerions de la même manière mais sans plus de succès : émotivité).

Photo Télé 7 jours
 
Photo de presse

Contemplons maintenant le visage de Julien Gracq dans les colonnes de Télé 7 jours et comparons-là avec un cliché prit le même jour, c'est-à-dire au moment où il refuse le prix Goncourt, le 3 décembre 1951. On constate immédiatement la retouche excessive pratiquée par le journal, au point de rendre l’auteur méconnaissable, jusqu’à provoquer la réminiscence dont on vous parlait plus haut. À ce stade de notre digression, nous nous trouvons en droit de poser une question essentielle : Télé 7 jours ne serait-il pas un organe prochinois en pleine révolution culturelle (1973, date du papier) qui aurait, par aveuglement idéologique, malice militante, où conformisme culturel du retoucheur infiltré, transformé un auteur français en créature sinisée ? L’opération fut-elle avalisée par l’auteur lui-même, déçu de sa fréquentation des cénacles pompidoliens et en quête de nouveaux horizons ? Nous n’osons le croire.
Mais cela suscite quelques interrogations. Il nous faudra attendre 2027 pour connaître la vérité, date à laquelle certains carnets de Julien Gracq seront enfin libres de consultation…
 
(L'auteur de ce billet ne confond évidemment pas Japon et Chine et le rapprochement de ces deux cultures reste le pur produit des déductions de votre Tenancier dans ce cas précis.)

lundi 18 janvier 2021

Une historiette de Béatrice

Elle, toute heureuse d'avoir trouvé des livres, un pour elle et un pour son amoureux, mais sans sous, alors me les réserve pour le lendemain. Je repasse les prendre, promis.
Lui, le lendemain, vient voir quel est le livre-surprise dont elle a dû lui parler. Ca ne m'intéresse pas, vous pouvez le ranger. Il veut par contre régler l'autre livre, celui qu'elle a choisi pour elle.
Et il me demande une facture.

samedi 16 janvier 2021

Un mécénat à 1000 %


« Une circonstance tout à fait inattendue vint augmenter les revenus de Conrad. John Quinn, le collectionneur américain, souhaitait acheter des manuscrits de Conrad et d’Arthur Symons. Par l’intermédiaire d’Agnes Tobin, poète américain très proche de Symons, Quinn prit contact avec Conrad et lui proposa de lui acheter des manuscrits, puis, par la suite, des dactylogrammes et divers brouillons. Quinn offrait des prix assez substantiels pour un auteur vivant : quarante livres pour une nouvelle, cent à cent cinquante livres pour les œuvres plus longues. Ces transactions profitèrent aux deux hommes ; à Quinn qui admirait beaucoup l’œuvre de Conrad, et à celui-ci qui gagna plusieurs centaines de livres à une époque où il était loin de rouler sur l’or. La première transaction eut lieu le 24 août [1911], Conrad envoyant à Quinn le manuscrit d’Un Paria [des îles] (516 pages) et celui de « Freya », encore inédit (226 pages). Conrad aurait voulu envoyer également La Folie Almayer, mais il s’aperçut que tout le chapitre 9 manquait. Comme compensation, il envoya le manuscrit de la préface supprimée du Nègre du Narcisse. C’est ainsi que la collection Conrad de John Quinn débuta, et la correspondance entre les deux hommes deviendra assez volumineuse. Ils ne se rencontreront cependant jamais, Conrad évitant par la suite Quinn d’une manière assez visible, et lorsque Conrad abandonnera Quinn pour vendre ses manuscrits à Thomas Wise, leurs rapports tourneront à l’aigre. Mais la vraie rupture aura lieu lorsque Quinn fera un bénéfice de 1000 % sur la vente de la collection Conrad en 1923. La vente de ce matériau, dont la plus grande partie alla à A.S.W. Rosenbach, rapporta à Quinn cent dix mille dollars environ, pour dix mille dollars d’achat. Lorsqu’on lui demanda de verser à Conrad une partie de ses gains, Quinn refusa catégoriquement. À vrai dire, Quinn aussi bien que Conrad étaient à ce moment-là au seuil du trépas. »

Frederick R. Karl
 : Joseph Conrad — Trois vies (1979) Traduction de Philippe Mikriammos

mercredi 13 janvier 2021

Vieilles lunes et jeunes cons

Une tendance naturelle voudrait que nous attribuions aux effets de la nouveauté certains travers bien plus anciens. C’est le cas des « Fake News » dont la forme anglomaniaque semble garantir la novation, alors que nous nous trouvons confrontés à une vieille lune de la connerie humaine. En effet, dès l’apparition du papier et de celle de l’imprimerie, une production abondante de littérature de colportage et de canards va se diffuser dans les villages d’Europe. À ce titre d’ailleurs, une historienne comme Elizabeth L. Eiseinstein nous rappelle dans son ouvrage La révolution de l’imprimé, que nous ne devons pas sous-évaluer l’alphabétisation de la population aux xive et xve siècles, au moment de la révolution de l’imprimerie. Canards et almanachs (qui contiennent souvent des nouvelles très exagérées) nous content des événements extraordinaires : apparitions de comètes, prodiges, monstres et contes moraux sont reproduits sur des brochures, voire des placards, dont les illustrations sont souvent des réemplois d’autres documents (Il en va de même avec la production de livres à la même époque, comme le souligne encore Eiseinstein…) La pratique du canard perdure jusqu’au xixe siècle. L’éditeur Pierre Horay a publié en 1969 un recueil in-folio (Canards du siècle passé) pour cette époque. Bien entendu de tels documents originaux sont d’une rareté insigne, car leur fragilité et leur nature éphémère ne garantit pas leur pérennité. 


Feuille imprimée en 1712
(Tiré du livre chez Pierre Horay)

Nous faisions allusion à la terrible connerie humaine au début de ce billet. Atténuons notre jugement au sujet du lectorat ancien, pas encore intégré à notre vision du monde, inspirée de Descartes (*). La pensée magique y règne et ne se révèle pas choquante. De même la pénétration d’idées nouvelles poursuit toujours un cheminement lent, d’autant que le livre reste également un média lent…
La pensée magique perdure dans notre société, ce qui nous pousse de ce côté de l’écran à songer que la faute ne provient pas d’un média trop prompt à fasciner mais bel et bien de l’inculture crasse et de la sottise de nos contemporains. Et de cela, aucune raison et aucun média ne peut y remédier. Le Tenancier est misanthrope aujourd’hui. Il fatigue. On reviendra un jour sur ces publications.
Pour le plaisir de la documentation et par perversité aussi, on se reportera à la page de Gallica pour approfondir ses connaissances sur le sujet.
 
(*) Lisons Descartes et soyons surpris par la « banalité » du raisonnement, pour une simple raison : nous l’avons intégré dans notre système de pensée, ce qui n’est pas le cas de la plupart de ses contemporains.