Le fond de cette rubrique se résume
en somme à quelques
expectations autour de l’acquisition d’un livre, qu’il fut acheté ou
bien sauvé
plus ou moins provisoirement du trottoir. Ici, l’on ne critique pas, faute de temps. En
effet,
l’exploration d’un ouvrage ne suit pas forcément la prise. Je relis
également,
passion qui survient à un certain âge (que je commence à avoir) et qui
se
figure qu’il possède du temps devant lui. L’inconscient se conduit
comme la citoyenne Bécu avec son bourreau en lui réclamant encore cinq minutes, à moins
que la
perception lénifiante des années qui passent nous prépare au grand
saut. Cette
dilation reste néfaste à l’apprentissage de la nouveauté. L’on revient
aux
vieilles ornières, souvent encouragé par le contenu des boîtes à livres
où je
trouve quelquefois des ouvrages que je vendais lors de mes débuts
en
librairie à la toute fin des années 1970. Pour être honnête,
quelques bouquins
récents y échouent également et, toute révérence gardée, qu’est-ce que
vous
voulez que je foute des conneries « mainstream » et des
livres pratiques ?
À mon passage, le jour
où je vous écris ceci (c'est-à-dire pour vous il y a quinze jours),
j’ai failli prendre un Denis Lehane en Rivages
noir et
puis j’ai renoncé en raison de la tonne de polars qui m’attendent et
qui ne
sont même pas des relectures !
En revanche le premier des deux ouvrages capturés m’a
vivement amusé. Même si le sujet de la marijuana a, de façon certaine,
été
abordé depuis avec une exhaustivité augmentée par les années qui
passent. En
effet, l’édition originale américaine date de 1971, la Française de
1973. Il
devient alors récréatif de considérer qu’un ouvrage identique, traité à
l’heure
actuelle, sur une pagination similaire, s’exprimerait plus brièvement
sur ce
qui se déroula 50 ans plus tôt. Reste donc l’intérêt
sociologique :
comment un toubib appréhendait le phénomène à l’époque alors que,
désormais, la
marijuana est légalisée dans plusieurs états étatsuniens ? Ce livre
aura une existence écourtée dans
ma bibliothèque, le temps de le feuilleter en diagonale, de combler ma
curiosité non sur le fond, mais sur la forme et la sensibilité de
l’époque,
autre que le point de vue de la littérature. Tel le pêcheur sportif, je
rejetterai
le spécimen à la baille. On me demandera peut-être : « Et vous,
Tenancier,
fumez-vous ces choses-là ? » Mettez cela
au passé
lointain, voulez-vous ?
Je puis vous avouer que ce genre de consommation me rend désormais
parano assez
rapidement et me renvoie à une situation inconfortable, sans compter
que
j’embarrasse les personnes autour de moi. Proposez-moi donc à la place
un bon
verre de Bourgogne, s’il vous plaît.
Merci.
L’autre livre fait partie de cette production qui a
longtemps habité les rayons des librairies universitaires. Nous avons
déjà
croisé les Que sais-je ? Ici, les Classiques du XX
e
siècle se consacre à la littérature, tout comme la plus célèbre
collection du
Seuil : Écrivains de toujours, par exemple. Bien entendu, je
possède
quelques Bloy sur mes étagères, honneur douteux, je l’admets, que je ne
concède
pas à des types comme Céline. Allez donc savoir ce qui détermine cette
différence de traitement… sans doute la qualité des auteurs ou bien ce
qui nous
fait préférer l’original aux suiveurs sinon aux plagiaires. Ce livre-là
fait
partie de ce que l’on peut appeler de la
documentation,
le genre de chose que l’on aime bien avoir sous la main, même si
internet en a
scellé le sort. Il va donc être rangé en appendice des quelques
ouvrages de
Bloy sur l’étagère.
Solomon H.
Snyder : La marijuana — Seuil, Point Actuels, 1981
Georges Cattaui :
Léon Bloy, Éditions universitaires, Classique du XXe siècle, 1954
Post
scriptum : l'état du livre sur Bloy, avec sa mouillure sur le
premier plat ne paraît pas très alléchant. On rétorquera "qu'à cheval
donné, etc.", que l'intérieur reste très correct, que c'est un
ouvrage très secondaire et qu'enfin, rien ne m'empêche d'en rechercher
un plus beau. Mais, justement, en ai-je envie ?