jeudi 15 février 2024

Bibliographie commentée des Minilivres aux éditions Deleatur — 26


Patrick Boman

Crawford
l'Incorrigible

Angers — Éditions Deleatur, 1997
Plaquette 7,5 X 10,5 cm, 16 pages, dos agrafé, couverture à rabats, pas de mention de tirage
Achevé d'imprimer en octobre 1995 sur les presses de Deleatur pour le compte de quelques voyageurs intépides



Le Tenancier : Reproduisons l’exergue de la nouvelle de Patrick Boman, traduit de manière fort peu synthétique par Albert Savine dans l’exemplaire que nous possédons :
« Or l’Inde est, par-dessus tout, le pays où il ne faut pas prendre les choses trop au sérieux, sauf quand il s’agit du soleil de midi.
Un travail exagéré, une énergie trop grande tuent un homme aussi sûrement que les excès du vice ou ceux de la boisson. » (Rudyard Kipling : Lancé à l’aventure, in : Simples contes des collines).
Dès le début de ce conte anglo-indien, l’on s’attend à se retrouver à Simla et à croiser madame Hauksbee dans le témoignage d’un correcteur de presse du Daily Peigham, au sujet d’un certain Crawford. Patrick Boman se livre à un bel exercice de style et à un pastiche tout à fait maîtrisé (avec un poème « à la manière de » dedans). Ici, chez le Tenancier, on adore Patrick Boman…
 
Pierre Laurendeau : J’ai déjà narré (voir A Naïve Romance, numéro 19) comment j’ai rencontré Patrick Boman, qui deviendra un des piliers de Deleatur, puis de Sous la Cape.
Crawford l’Incorrigible fut d’abord publié, en 1985, dans la Petite Bibliothèque de littérature portative qui était animée par Agnès Jehier, mon épouse. Collection qui accueillit Un Cas de lucidité de Jacques Abeille – repris également dans les Minilivres (voir le numéro 23) –, puis deux nouvelles de Bettencourt…
Patrick est un fin connaisseur de l’Inde – il maîtrise le sanscrit, si j’en crois une rare confidence sur son passage aux Langues-O. Son récit Retour en Inde, paru en 2011 chez Arlea, témoigne de sa nostalgie à retrouver un pays qu’il ne comprend plus guère, vingt ans (ou plus) après ses premiers séjours. Je le vis peu de temps après son « retour » ; il me confia : « Pour une fois que je prenais une chambre avec balcon à Bénarès, ça donnait sur un bûcher funéraire ! »
En 2000, je venais de créer chez Ginkgo la collection Biloba – un temps coanimée par Christian Laucou. J’avais demandé à Patrick, alors sous contrat avec Le Serpent à plumes, un roman très particulier, lié à mon aventure universitaire : j’assurais alors un TD en fac d’histoire à Angers (les universitaires n’ont jamais compris le contenu de mon enseignement) lié à un cours sur l’histoire du livre – que j’assurais également. Pour le TD, je proposais aux étudiants – dont certains sont devenus des amis, avec lesquels je continue d’être en relation – de se mettre en petits groupes autour d’un projet éditorial. Je me souviens de la panique en début d’année : « Mais qu’est-ce qu’on doit faire ? » « Ce que vous voulez… En revanche, j’exige que le résultat soit professionnel. » « Argggg… » Puis, au fil du temps, les groupes se prenaient au jeu, parfois au point de négliger leurs cours ex cathedra, ce que l’on me reprocha, ainsi que mes notations trop élevées selon les critères en cours (sans jeu de mots), notations qui correspondaient à la réelle implication des étudiants dans les projets. L’un de ces groupes avait inventé un personnage trouble, Piotr Terikchenaltev (je me demande bien où ils étaient allés pêcher le nom de ce personnage !) dont ils avaient reconstitué la biographie d’une manière assez amusante. Pour rendre crédible le personnage, et épaissir leur « devoir », j’avais proposé de demander à des amis écrivains de témoigner de leur rencontre avec ce Piotr. Patrick fut un des premiers à répondre – il avait croisé fugacement ce demi-escroc un peu raté, ce qu’il raconta avec son humour en demi-teinte, pour le plus grand plaisir des étudiants. Un ou deux ans plus tard, il m’annonça que mes étudiants s’étaient trompés sur toute la ligne et qu’il avait écrit la véritable histoire de ce Piotr sous le titre La Méthode Piotr. Ce fut donc le premier livre de Biloba, fort joliment illustré par Pascal Jousselin. Le problème : Tania Capron, du Serpent, avait flashé sur Piotr ; mais elle accepta de se défausser à mon profit, par amitié, et sous condition que Patrick lui écrive un « vrai » polar pour le Serpent noir. Ce fut le début de la série des Peabody, dont le personnage central, un inspecteur de la police des Indes, très mal noté par ses supérieurs pour préférer se mêler au bas peuple plutôt que de fréquenter l’élite coloniale, résout des enquêtes aussi tordues que jubilatoires. Il y aura sept livres, plus un recueil de nouvelles (les deux derniers publiés Sous la Cape), qui connurent un beau succès, notamment par la description pleine de saveurs (et d’odeurs !) de l’Inde au tournant du xxe siècle, travaillée par les soubresauts d’un empire sur le déclin et les velléités d’indépendance du pays sous son joug.
Crawford se situe, bien sûr, dans ce registre de l’arrogance des colonisateurs – qu’il paiera chèrement !

mercredi 14 février 2024

Une historiette de Béatrice

— Dix-huit euros, s'il vous plaît monsieur.
— Vous me le faites à 15 ? Vous avez vu la pliure ici ? Et bon, l'état général…
— Le prix de dix-huit euros tient compte de ces défauts, monsieur.
 …
— Et voici 2 euros qui font vingt, merci monsieur.
— Vous êtes sûre que c'est une vraie pièce ? Elle est bizarre, je préfèrerais une autre pièce.

mercredi 7 février 2024

Abba les cadences infernales

Puisque des commentateurs du présent blogue font de la pub pour Joe Dassin et que, entre nous, c’est pas très standing, parce que d’autre part le Tenancier se voit obliger d’observer une courte pause et enfin reconnaissant le caractère dérisoire de toute activité humaine, surtout pour ce qui concerne le titrage des billets ici et même chez les confrères, le même a décidé de vous infliger un titre tartignole, gâchant ainsi une précieuse carte d’immunité, mais carpe diem, après tout, bordeyl, et puis il faut reconnaître que les thuriféraires de JD ont commencé — on est donc en légitime défense, quoi..

mardi 6 février 2024

Une historiette de Béatrice

Le minet qui me demande « où est le coin érotisme », et à la vue des livres, me dit « Ah mais non, je cherche des magazines ». Alors tu t'es trompé d'adresse, ducon.

vendredi 2 février 2024

Rien ! Rien ! Rien !

C’est une sottise que d’écrire des romans pour gagner sa vie. Je vous assure. C’est étrange. L’irréalité de la chose donne l’impression de pénétrer dans votre vie réelle, de vous entrer dans les os, de faire battre l’illusion dans les artères à chaque pulsation du cœur. La volonté se fait esclave des hallucinations, ne réagit qu’ à des élans fantomatiques, est au service de la seule imagination. État étrange, aventure éprouvante, cette sorte de brûlante ordalie par l’insincérité. Et on la traverse avec une exaltation aussi fausse que tout le reste. On la traverse et on n’a rien à montrer au bout du compte. Rien ! Rien ! Rien !
Joseph Conrad : Lettre à E.L. Sanders, 12 octobre 1899
Citée par Sylvère Monod dans la préface de Œuvres, dans la Pléiade.

jeudi 1 février 2024

Graines de Chouïa

Allons bon, me voici en panne provisoire de mes échanges avec Pierre Laurendeau au sujet de sa collection des Minilivres. « Qu’à cela ne tienne, mon p’tit Tenancier, nous avons de la ressource », clame mon alter ego ! Ainsi, signalons à votre sagacité bibliomane la continuation de la collection Samizdat par le même éditeur avec une quarantaine de titres publiés. Le petit dernier par Patrick Boutin joue sur les mots ou quelques à-peu-près devraient réjouir les commentateurs du présent blogue.
On se tient prêt par ici à commencer une série de commentaires autour de la collection Samizdat dès que s’achèvera celle sur les Minilivres… 

 


Patrick Boutin : Graines de Chouïa — Club Samizdat, hébergée par Deleatur (2024)

mercredi 31 janvier 2024

Paf, dans ma bibliothèque !

Pour 1 € on peut se procurer quatre exemplaires de la Série noire à la recyclerie de ma ville. On trouve toujours des choses intéressantes dans le lot. Ainsi, tout une quantité de Westlake m’est passée sous le nez, au profit d’un ami. Tant mieux pour lui. Comme je l’indiquais il y a peu, j’éprouve une légère lassitude à l’égard de celui-là (de Westlake, hein) et j’en possède de toute façon assez pour me contenter d’une exhumation…
Les trois ouvrages acquis dernièrement (pas réussi à trouver un quatrième qui m’intéresse, désolé) se révèlent assez disparates.

 

D’abord, Elmore Leonard reste l’un des auteurs de polars dont on connaît l’œuvre malgré tout sans pour autant l’avoir lu pour la bonne raison qu’énormément de ses romans ont été tournés au cinéma ou pour la téloche. Valdez est arrivé appartient à la série des westerns, et ne me dites pas que vous ignorez la contribution de Leonard au genre ! Il suffit de citer 3 h 10 pour Yuma (1957, Delmer Daves) pour éclairer votre lanterne. Rentré à la maison, je me suis aperçu que je possédais déjà ce volume. Je vais les comparer, garder le plus « mint », comme disent les disquaires et offrir le retoqué (mais en bon état) à quelqu’un qui aime ces petits romans nerveux.

 

Je demeure dubitatif au sujet de Vautrin, avec cette histoire de colleurs d’affiches voyous. Tout à coup, le style me semble suranné après avoir sondé les premières pages. Nous allons nous y remettre sérieusement sous peu, une fois que l’a priori se sera un peu dissipé.


Votre Tenancier éprouve une jouissance coupable à lire de temps à autre des espionnages du temps de la Guerre froide. Les aventures de Sam Durrell, agent de la CIA d’origine cajun répond à tous les clichés du genre et même plus si affinité puisque, crapahutant dans une république arabe au cours d’un de ces romans, on se croirait transplanté dans un film des années 30. Reste une phrase prémonitoire (je vous la retrouverai un jour), qui préfigurait le 11 septembre. Edward S. Aarons produisait très régulièrement ces espionnages standards qu’on lit avec une nostalgie amusée à cause de l’impérialisme occidental et son machisme. À noter que les titres originaux comportaient « assignment » à chaque volume. Assignment Tokyo et sa traduction, Virus-party, se complètent assez pour annoncer la couleur de l’histoire. Votre Tenancier possède une vingtaine de bouquins d’Aarons. Votre Tenancier assume sa perversion.

 

Ce Hillerman manquait à ma bibliothèque. Moi, j’aime, même si je trouve les enquêtes parfois inconsistantes, voire soporifiques selon mon humeur. En définitive, je pense lire les polars comme si c’était une mauvaise manie et j’ai tort, bien sûr. Se plonger dans Hillerman, c’est comme retrouver des vieux chaussons confortables ou rêver devant un catalogue de voyagiste. Je suis dur ? Dans ma bouche, c’est plutôt un compliment, concernant Jim Chee et consorts…

 

Voici un livre terrible. J’avoue avoir hésité à le prendre. Je sais d’avance ce que je vais y rencontrer et je me doute que ce sera pire que ce à quoi je m’attends. Les photos de l’encart central, habituel dans cette collection, sont malaisantes. Ai-je à en dire plus ? Je vous reproduis ci-dessous le résumé, ce qui vaut mieux que toute considération de ma part.


Elmore Leonard : Valdez est arrivé — Gallimard, Série noire (1979)

Jean Vautrin : À bulletins rouges — Gallimard, Série noire (1973)
Edward S. Aarons : Virus-party — Gallimard, Série noire espionnage (1972)
Tony Hillerman : Un homme est tombé — Rivages/noir (2000)
Patrick Declerck : Les naufragés, Avec les clochards de Paris — Plon, Terre humaine (2002)