dimanche 5 octobre 2014

Où il y aurait comme du tirage...

LA CHEMINÉE A.
C’en est fait, ma chère voisine, tout est perdu ; les dieux Lares se glacent à mon foyer, et je me sens le même froid me saisir depuis les pieds jusqu’à la tête.
 
LA CHEMINÉE B.
Vous m’alarmez ; d’où vient cette affreuse maladie ? Comment pouvez-vous passer subitement du chaud au froid ? Je vous ai toujours vue toute en feu.
 
LA CHEMINÉE A.
Hélas ! il faut bien que je suive la bonne et la mauvaise fortune de mon savant, et le pauvre homme…
 
LA CHEMINÉE B.
Que lui est-il donc arrivé ?
 
LA CHEMINÉE A.
Le plus grand des malheurs. Ses revenus, c’est-à-dire ceux de sa plume (car il n’en a pas d’autres), sont arrêtés.
 
LA CHEMINÉE B.
Je ne vous entend point encore.
 
LA CHEMINÉE A.
Hé bien, écoutez-moi donc ; je vous parle d’un auteur, son revenu était établi sur le produit certain des brochures amusantes qu’il composait, et l’on a proscrit ce genre.
 
LA CHEMINÉE B.
Comment ! ses brochures le faisaient vivre ?
 
LA CHEMINÉE A.
Et même fort à son aise ; il ne perdait pas son temps à limer un volume, il en donnait sept ou huit au moins par an.
 
LA CHEMINÉE B.
C’est grand dommage de lier les mains à un si bon ouvrier : et comment peut-on défendre l’amusement, qui est la meilleure chose du monde ? Le public aime être amusé, et il doit avoir la liberté d’acheter ce qui l’amuse.
 
LA CHEMINÉE A.
Vous avez raison, et ce goût du public fait les intérêts des auteurs et le profit des libraires ; mais voilà ce qui excite l’envie : on crie qu’on ne s’occupe aujourd’hui qu’à écrire des folies, des riens, et qu’on appellera notre siècle le siècle des romans et de la futilité. On dit que le bon goût se corrompt, que les brochures à parties sont une vraie exaction ; qu’on allonge un roman à l’infini ; enfin, qu’actuellement un homme projette d’en composer un à trois cent soixante-cinq parties pour tous les jours de l’année.
 
LA CHEMINÉE B.
Après les Mille et une nuits, les Mille et un jours, les Mille et un quart d’heure, et tant de mille et une autres choses, un roman à trois cent soixante-cinq parties ne devrait pas révolter les esprits.
 
LA CHEMINÉE A.
Jugez donc si on devrait chicaner mon auteur, qui n’est jamais allé, dans ses ouvrages, au-delà de la huitième partie.
 
LA CHEMINÉE B.
Je vous plains, ma chère amie, et toutes les cheminées des auteurs et des libraires qui vont se glacer comme vous.
 
LA CHEMINÉE A.
C’est une faible consolation pour les malheureux, que d’avoir des compagnons de misère.
 
LA CHEMINÉE B.
Vous êtes à plaindre, je vous plains. Que puis-je faire d’autre chose ? D’ailleurs, je vous parle franchement : j’ai ouï dire, il y a longtemps, qu’on devrait réformer le goût du siècle pour la bagatelle, et arrêter le progrès du genre romancier.
 
LA CHEMINÉE A.
Que me dites-vous ?
 
LA CHEMINÉE B.
Oui : des gens d’esprit, et sans partialité, disent à présent que cette réforme est un grand bien pour la littérature. Qu’on écrive utilement, ou qu’on n’écrive point : voilà la décision ; tout le monde l’approuve.
 
LA CHEMINÉE A.
Mais ce qui plaît n’est-il pas utile ?
 
LA CHEMINÉE B.
Oui, ce qui plaît et nécessairement utile ; mais outre cette utilité de plaisir, on veut quelque solidité, de l’instruction des mœurs, du vrai. Par exemple, le Diable boiteux est un roman agréable et utile ; c’est-à-dire, utile par l’agréable et le solide. Que votre savant en fasse autant, et on lui donnera la permission de le faire imprimer, pourvu cependant qu’il ne le donne pas en huit parties ; car vous sentez bien que ce serait voler le public pour enrichir l’imprimeur.
 
LA CHEMINÉE A.
Finissons notre conversation ; on voit bien que vous êtes la cheminée d’un homme de finances ; vous êtes ignorante et ignorantissime sur les choses de littérature, et votre petit génie ne passe pas le calcul. Je suis au désespoir de vous avoir confié mes douleurs.
 
LA CHEMINÉE B.
Vous m’insultez, tandis que je compatis sincèrement à vos malheurs.
 
LA CHEMINÉE A.
Est-ce y compatir que de louer ceux qui sont en cause ? Allez, encore une fois, vous êtes aussi insolente que celui à qui vous appartenez.
 
LA CHEMINÉE B.
Pour être glacée, la fumée vous monte bien vivement à la tête. Laissez là, je vous prie, mon financier : un billet de sa main vaut mieux que tous les volumes du Parnasse ; tout ce qu’il écrit est solide, admirable et d’un goût universel. Tant que ses livres seront en règle, je ne crains pas le froid ; mon feu sera mieux entretenu que celui des vestales, et votre pauvre auteur sera fort heureux de s’y venir chauffer. Pour vous, malgré vos injures, je vous souhaite, pour vous réchauffer, un financier comme le mien.
 
 
Alain-René Le Sage : Entretiens sérieux et comiques des cheminées de Madrid – Entretien I (1737 ?)

Con

C (Être un) : Être un imbécile. (Grandval) Abréviation de c-o-n. — Au moyen âge, on disait connard dans le même sens. V. Lacombe, Dictionnaire du vieux langage. — Connerie (stupidité), et comtois (niais), sont de la même famille

Lorédan Larchey : Dictionnaire historique d'argot, 9e édition, 1881

jeudi 2 octobre 2014

Du nez des nains...

Les années 30 furent une période de frénésie sexuelle dans le cinéma américain. Jouant avec la censure, on vit nombre d’extases suspectes et de conduites déviantes. Que l’on songe à Fay Wray dans King Kong — on reviendra sur le sujet un jour — ou au sadisme du Comte Zaroff, parmi les innombrables exemples qui ne se cantonnaient d’ailleurs pas au fantastique mais débordaient également sur les screwball comedies et autres types de films. Une création de 1937, universellement reconnue comme un chef-d’œuvre de l’animation n’échappe particulièrement pas à des essais de contournements de censure. Il s’agit de Blanche Neige et les sept nains. Nous avons certes en mémoire l’image de la reine qui prend les traits de Joan Crawford déambulant dans des catacombes dont l’aspect méphitique fut inauguré plusieurs années auparavant par les images mortifères de la première vamp du cinéma, Theda Bara : cadavres enchaînés, barreaux, cellules, accessoires de torture… on ne s’ennuyait nullement dans les caves de Buena Vista et d'ailleurs. On passera sur la symbolique de l’assassinat au couteau par le chasseur qui se trouve dans le conte originel et qui ne nous apporte pas une jouissance particulière — sur le plan cinématographique, voulons-nous dire… Quant à la symbolique de la pomme, nous renvoyons tout le monde au visionnage du film.
Il est cependant une autre symbolique largement exploitée dans le film à plusieurs reprises et dont la scène inaugurale est si éloquente qu’elle se passe de commentaire. Il s’agit de l’utilisation du nez comme attribut sexuel. Expliquons-nous par l’image en signalant en préambule que Blanche neige arrive à la demeure des sept nains et croyant arrivant chez des enfants. Après une séance de ménage, fatiguée, elle s’endort en travers de trois des petits lits. Les nains arrivent dans le dortoir, pensant y trouver un monstre…

 
 
L’identification de la maturité des nains par le jaillissement — dirions nous : « la turgescence » — des appendices nasaux a fait la joie secrète de votre Tenancier alors qu’il visionnait cela en compagnie de ses filles en bas âge. Depuis, elles ont grandi et elles savent, le Tenancier n’a donc plus à se cacher ! Un autre passage du film utilise encore le nez de façon fort éloquente, celui où Blanche Neige embrasse le front de Grincheux. La conclusion de ce baiser et la direction finale du nez nous informe éloquemment sur la sexualité qui règne là-bas.
Note qui n’a presque rien à voir : les images utilisées proviennent d’une version remastérisée. Nous soupçonnons que la maison Disney ne s’est pas arrêtée à cela et qu’elle a fait redessiner les personnages, leur prêtant de fâcheux caractères néoténiques. Sans doute un lecteur cinéphile saura nous confirmer la chose…

mardi 30 septembre 2014

Changer d'ère

Ne croyez pas que le Tenancier abandonne totalement le livre en ayant changé de blog. Il s’avère tout de même que considérer sans cesse le contenant en se privant de parler du contenu est devenu assez lassant. Nombre de spécialistes se chargent d’ailleurs de disserter brillamment sur le sujet, tant en matière de typographie, de bibliophilie que d’autres aspects encore. Bien sûr, il n’a jamais été question de concurrencer les spécialistes sur leur terrain au risque de devenir barbant. Quelques uns, d’ailleurs, s’arrangent très bien pour l’être sans avoir recours à une aide quelconque. En retour, la perspective d’animer un nième blog de « critique littéraire » (avec un lien rémunéré vers Amazon) ou de diffuser des états d’âme littéraires ne lui agite pas particulièrement la nouille (excusons le relâchement du style, le Tenancier s’est récemment découvert une verve de pornographe…) Bref, le Tenancier prend ses distances avec ce qui a été son métier pendant des années. Cela provient également d’un arrêt forcé de son activité de libraire qui survient au seuil d’une spirale négative. Mais, arrêtant de jouer au marchand, le Tenancier n’abandonne pas pour autant son amour du livre. Seulement cette passion revient à la sphère privée, au plaisir singulier et solitaire de parcourir sa propre bibliothèque, enrichie de quelques exemplaires de sa librairie avant liquidation.
Mais que va faire ensuite le Tenancier ? Professionnellement, on verra bien. Pour le blog, eh bien on a envie de parler d’autre chose et, après quelques coups d’essai et un peu de réflexion, d’aborder d’autres rivages comme le cinéma ou bien d‘autres moyens d’expression, pourquoi pas ? Du reste, c’est ce que nous avons commencé à faire. Alors quoi, ce ne sera plus comme avant ? Eh bien non. Il faut savoir lâcher certaines activités qui finissent par ressembler à de mauvaises habitudes. C’est ainsi que, par le passé votre Tenancier abandonna une émission de radio qu’il animait depuis presque deux décennies (avec des intermittences, certes) et que son activité d’éditeur tourna court pour des raisons similaires, entre autres. C’est ainsi qu’il ne sera bientôt plus libraire et que l’ancien blog qui reflétait son activité se mue en autre chose.
Et puis, n’oubliez pas un fait d’importance pour le rédacteur de ces lignes : quelques textes ont été publiés ça et là sous le nom d’Yves Letort. Cela réveille des envies de se surpasser et de continuer dans cette voie. Et puis, l’envie de transformer les sujets de ses conversations participe de cette Grande Évasion.
Tout ça pour vous dire que le Tenancier continue et qu’il ne veux surtout pas se priver du plaisir de voir ses amis intervenir dans les colonnes du blog et dans les commentaires, mais qu’il est temps de changer d’ère…

Des langues éphémères

« […] Pour beaucoup, et non des moindres, la guerre a donné le goût chez autrui du pardon des jeunesses ma vécues. Les Villon, le talent en moins, se mêlèrent aux environs de l’année 1900 au bas peuple des petits cabarets de Montmartre où l’on parlait familièrement un jargon d’argot extraordinaire fragile et fugitif. Il vaut mieux apprendre l’anglais ou l’allemand que le jargon des filles et de leurs hommes : ces langues vieillissent moins vite, gardent tout au moins une fraîcheur que l’on ne retrouve pas dans ces mots fanés jusqu’à la décomposition qui parurent représenter la forme la plus secrète, la plus pure et la plus sentimentale de certaines erreurs de la misère, vers 1903, par exemple. »
 
Pierre Mac Orlan : La rue, miroir d’une certaine jeunesse , in : Aux lumières de Paris — Georges Crès, 1925 

lundi 29 septembre 2014

Zanzi ou Zanzibar

Zanzi ou Zanzibar  : Jeu de dés qui se joue sur le « zinc » du « troquet ».

Géo Sandry & Marcel Carrère : Dictionnaire de l’argot moderne (1953)

mercredi 24 septembre 2014

Florence, l'amusée des offices

L'image ci-dessous explique en partie la désertion du Tenancier. Encore un peu de patience et le blog va redémarrer. En attendant on vous recommande chaleureusement de vous procurer cette nouvelle qui vous fera découvrir les arcanes de la restauration, mais pas que. 


Yves Letort 
Florence, l'amusée des offices
  Édition numérique à commander sur le site de
 Sous la Cape.

Pour les autres textes du Tenancier, allez donc voir .

jeudi 11 septembre 2014

De retour, justement

Le Tenancier revient de vacances et vous prie de croire qu'il n'a vraiment pas envie de s'y remettre. Alors ce sera selon son bon vouloir et si vous n'êtes pas contents, c'est pareil en couleurs.