vendredi 13 février 2015

La Lanterne

Le XIXè siècle français, en Littérature comme en journalisme, fut sans doute celui des pathologies héroïques, des insurrections subjectives, exacerbées par deux Empires et deux républiques, sans compter les révolutions… C'est pourquoi il nous est toujours indispensable, et nous continuons à le consulter avec ferveur.
Les quelques extraits de La Lanterne, ( rue du Coq Héron, 5 ), dus à la plume d'Henri de Rochefort, et que j'ai pu consulter grâce à l'obligeance de zetenancier, conservent parfois ce chatoiement poudreux d'un feu grégeois allumé dans les mornes plaines du pouvoir. Ce pourquoi, ils subsistent par leur virulence, sans qu'on sache toujours — c'est leur force —, si la maladie dénoncée travaille les tissus du corps social ou le cerveau de leur auteur.
Ainsi:
« J'aurais cru que 1869 promettait d'autres sujets de préoccupation qu'un concile œcuménique. L'inquiétude du gouvernement rappelle de loin la mauvaise humeur de ce condamné à mort qui, au moment de marcher au supplice, ne voulait pas se laisser couper les cheveux, de peur de s'enrhumer ».
Il semble que le politique avait encore besoin d'un supplément d'âme. Mais combien de fois, depuis, avons-nous changé de système nerveux ?

Jean-François Cassat

Faces

Faces : Monnaie. (Grandval.) — Allusion à l'effigie (face) royale. — « Je n'ai plus de faces. La drôlesse me chasse. » (Decourcelle, 32.)

Lorédan Larchey : Dictionnaire historique d'argot, 9e édition, 1881



Faces, (Avoir des), V. Avoir de l'argent sans doute parce que la monnaie, qu'elle soit d'or ou de billon porte le plus souvent l'effigie, la face d'un souverain.

Eugène Boutmy — Dictionnaire de l'argot des typographes, 1883

(Index)

jeudi 12 février 2015

Une historiette de Béatrice

« Tant que j’y suis, je vais prendre un roman pour ma femme, qu’est-ce que vous avez en trucs à l’eau de rose ? »

Cette historiette a été publiée pour la première fois en janvier 2012 sur le blog Feuilles d'automne

Eaux basses

Eaux basses : Manque d'argent. On dit même : être à la côte, etc. — « Cette délicieuse noce dura au moins trois jours jusqu'a ce qu'enfin les eaux soient devenues tellement basses qu'il faille retourner à ce maudit atelier. » (Moisand.)

Lorédan Larchey : Dictionnaire historique d'argot, 9e édition, 1881 
 

lundi 9 février 2015

L'homme du « Ridère »

Morvan Lebesque est un peu oublié sauf, sans doute, du milieu autonomiste breton, ce qui n’est guère la tasse de thé de votre Tenancier, entre parenthèses. Les quelques lecteurs attentifs l’auront lu récemment dans ce blog à propos de Bécassine. Restent également à redécouvrir certaines chroniques vigoureuses délivrées dans les années 50 au Canard enchaînée, recueillies ensuite en volume. Si certains de ces articles ont vieilli, celui qu’il consacra au Reader’s Digest demeure vivace, ne serait-ce qu’à la lueur de la conclusion et qui déborde, bien évidemment, du lectorat qu’il décrit et de son époque.
 
Ce lecteur qui m’envoie une coupure de presse, je l’en remercie mais le gronde de s’y prendre un peu tard. Ladite coupure de presse date en effet de janvier dernier. Elle ne comporte que cinq lignes, d’ailleurs publicitaires : c’est une réclame ou, comme on dit, un « pavé » destiné à nous aguicher et à nous vendre une marchandise bien connue : la Sélection du Reader’s Digest, en français ridère. Demandez le Ridère, organe officiel de l’Américain moyen en France ! Toute l’actualité mondiale une fois par mois dans le Ridère !
Vous connaissez tous le Ridère. Évangile de nos métros et Bible de nos autobus, à quoi se compare-t-il encore ? Il est notre mythologie portative, notre Légende du Siècle. Il est le coca-cola de la Littérature. Cependant, son plus grand mérite n’est point d’occuper nos loisirs. Il est d’avoir créé un climat à la fois grave et euphorique et d’avoir fait se lever, quelque part aux U.S.A., un tiède alizé de conformisme qui a déferlé jusque chez nous. Il est aussi d’avoir mis au monde une sorte de héros de notre temps, un Tarzan en manches de chemise et en pantoufles, dont les aventures exemplaires se lisent en filigrane des « récits vécus » et des « reportages condensés ».
L’homme du Ridère naquit au début du siècle, dans un village du Middle-west, et sa jeunesse s’écoula entre le Collège-des-Belles-Années qui le fait sourire encore et la Petite-Église-de-Notre-Enfance dont il ne se souvient jamais sans écraser une larme furtive. La providence lui avait donné un père dont il nous entretient assez rarement et que nous ne voyons guère apparaître que dans deux ou trois circonstances historiques, par exemple lorsque l’homme du Ridère s’engage à dix-huit ans dans l’armée et qu’il lui annonce sa décision irrévocable. Alors, le père pose son cigare, demeure un temps silencieux, contemple gravement son fils et lui dit : « Bien, garçon ». Par contre, la mère (Mammy), de notre héros occupe littéralement le devant de la scène. Sans doute a-t-elle été jeune en son temps, comme tout le monde ; mais depuis une bonne quarantaine d’années, c’est une douce petite vieille à cheveux blancs et à lunettes de fer qui chante à mi-voix, conseille les filles du village et reçoit devant sa porte le salut déférent de M. Elias-Robinson, notre-nouveau-pasteur. L’amour et la vénération de l’homme du Ridère pour sa Mammy passe tous ses autres sentiments. Il pense à sa Mammy lorsqu’une impulsion irrésistible lui fait fuir un mauvais lieu où il avait commandé de la bière ; il pense çà elle en choisissant sa femme, la rieuse Maggy qui a tant de peine à apprendre à faire les cakes ; il pense à elle lorsque Maggy accouche pour la première fois et que, dans le couloir de la clinique qu’il arpentait fiévreusement, il tombe à genoux pour remercier Dieu de lui avoir donné un fils ; il pense à elle enfin jusque dans la salle enfumée du Club des Anciens où les amis de collège (dont un est devenu clergyman) se réunissent un fois l’an pour se donner d’affectueuses bourrades. C’est mammy qui a fait de l’homme du Ridère ce qu’il est : un gentleman yankee (ou gentleman-ridère) dont la conscience est pure et qui ne craint rien au monde, sauf Dieu et la mauvaise haleine.
L’homme du Ridère loue Dieu dans son temple et se protège de la mauvaise haleine grâce au dentifrice Colgate. (Maggy semblait distante et refusait ses baisers au clair de lune. « O Harry, lui dit-elle, vous devriez aller voir votre dentiste. ») L’homme du Ridère mûrit tôt et sagement. Il prend du ventre, porte des bretelles à fleurs et se livre à ses péchés mignons. Il apprend le nom des plantes, se tient au courant des derniers bombardements atomiques, des progrès de la chirurgie et de l’infinie variété du vocabulaire. (« que signifie BEGONIA ? Est-ce : 1. un tuyau d’arrosage ; 2. un maréchal de France ; 3. une fleur ; 4. un célèbre cabaret parisien ? Réponse page 37 »). Il s’intéresse passionnément à ses frères humains et se sent la gorge serrée en évoquant l’être le plus extraordinaire qu’il a connu. L’un de ces êtres extraordinaires était un sourd-muet de naissance qui, par un miracle de volonté, est devenu ténor de grand opéra. Mais il y eut aussi la petite fille atteinte de paralysie infantile et sœur aînée de cinq enfants qui, un beau jour, se jeta dans la maison en flamme pour sauver son grand-père. Car le monde de l’homme du Ridère est encombré de deuils et de catastrophes et lui-même n’en est pas à l’abri ; il peut perdre son emploi et il lui arriverait, ainsi éprouvé, de sombrer dans une tristesse vague si, à ce moment précis, le bon docteur aux yeux bleus du village ne lui mettait la main sur l’épaule et ne lui disait qu’il est un homme, que diable ! et qu’il ne doit point se laisser aller pour si peu au découragement.
Ce monde rose et bleu où l’on fait des enfants et des dollars et au bout duquel un ascenseur vous attend pour vous conduire à Dieu sans secousse, l’homme du Ridère en demeure le chef-d’œuvre, le roseau pensant en duralumin. A force de le lire et de voir vivre cet homme, je croyais le connaître intimement. Je me trompais. Un lecteur, donc, m’envoie cette coupure de presse :
« J’étais en train de voir réellement griller un être humain. »
Lisez « Sélection » de Janvier, vous saurez ce que les journaux ne disent pas. Vous croirez assister vous-même à une exécution sur la chaise électrique. Achetez dès aujourd’hui notre « Sélection » de janvier.
Grâces lui soient rendues, à présent je sais. Je connais en sa rêverie la plus intime cet enfant béni de Dieu, l’homme du Ridère. J’ai franchi la dernière porte et je suis entré dans le jardin secret. je l’ai vu à l’heure trouble où il s’offrait sans témoins un spectacle de choix. Une belle fille nue ? O honte, non ! Hosanna au plus haut des cieux, l’homme du Ridère, ce saint des Derniers Jours, occupe ses pieux loisirs à regarder un homme griller vif, par le trou de la serrure.
 
Morvan Lebesque : Chroniques du Canard. (1960)

vendredi 6 février 2015

Ça

Ça (c'est). Un peu ça (c'est) : C'est superlatif. — « Il sont laids que c'est ça. » (Pecquet.) — « C'était ça, presque aussi bath qu'au café. » (Monselet.) — « On me cognait, mais c'était ça. » (Zompach.) — « Restez, gendarme, mais ne remuez pas trop, car vous avez l'infirmité des pieds que c'est ça. » (Dernier jour d'un condamné.) — « S'il tournait une phrase de manière à lui donner de l'effet, les tricoteuses applaudissaient et s'écriaient : Là, c'est ça ! » (Lady Morgan, 18.)

Ça (il a de) : Il a de l'originalité, du talent, du génie.

Ça (il a de) : Il est riche. — En disant ce mot, on fait d'ordinairement le geste de compter.

Ça (elle a de) : Elle est riche d'appas.

Lorédan Larchey : Dictionnaire historique d'argot, 9e édition, 1881



Ça : (Elle a de). Elle a de beaux appas.

Géo Sandry & Marcel Carrère : Dictionnaire de l’argot moderne (1953)

(Index)

Maurice Leblanc

jeudi 5 février 2015

Histoire de bonniche — 3

La personnalité infantile de Bécassine dessine en creux le paysage fantasmé de la domesticité au XIXe siècle, celle d’une classe à la limite de la classe dangereuse, une sorte de passerelle, poreuse, facile à traverser pour ceux qui en font partie et une confrontation presque sans risque pour la bourgeoisie. Seul le dévoiement individuel peut opérer une rencontre effective, comme ce qu’il arrive à Georges Randal dans Le Voleur de Georges Darien. Il nous suffit de renverser le moindre caractère de la domestique bretonne pour trouver les craintes et les menaces qui pèsent sur le foyer. L’apparentement de l’état de domestique à la prostitution, même s’il doit beaucoup à une fantasmatique liée à la littérature n’est pas si éloigné que cela. De même l’éventualité d’un débordement ancillaire, allant jusqu’au crime alimente la presse à sensation, comme — certes plus tardivement — le cas des sœurs Papin…
Faut-il alors vouer la lecture de Bécassine à une sorte de bannissement, comme certains ont voulu faire interdire la publication de Tintin au Congo ? Mais pourquoi faire ? Ce serait même l’aveu d’un échec pour ceux qui entreprendraient une telle démarche. La meilleure réponse est très certainement le désintérêt généré par la reconnaissance de ce que recouvrait les histoires de Bécassine, renvoyant tout cela à l’histoire d’un type de narration (la BD) et à une technique (la Ligne claire), parce qu’éliminer un livre, un terme ou une idée de l’espace publique ne les a jamais empêchés d’exister, le désintérêt si.
On ne saurait quitter le sujet sans évoquer de nouveau le destin de nombreuses jeunes femmes atterrissant à Paris et qui se retrouvent rapidement dans les réseaux de prostitution. La pute bretonne est aussi célèbre que la domestique de la même origine, elle ne réside pas qu’à Paris et navigue, comme toutes ses consœurs issues des autres provinces, dans toute la France au fur et à mesure de ses réaffectations dans les bordels. Cette imagerie est véhiculée par Carco, Charles-Louis Philippe et de nombreux autres auteurs, bien éloignée de la description de la prostituée mondaine telle qu’on la retrouve dans Nana de Zola ou Le troupeau de Clarisse de Paul Adam…
Cette prostitution-là revêt des atours tragiques, même si des chansonniers comme Georgius parodient volontiers les goualantes sur les pierreuses (On l’appelait « Fleur des Fortifs »), on la retrouve également dans le même décor — les Fortifs — au cinéma et notamment dans certains passages de Fantômas ou des Vampires, illustrant par ailleurs la perméabilité entre la condition de domestique et de prostituée… A l’image lénifiante de Bécassine, on opposera enfin le destin d’une de ses compatriotes littéraires :
« On l’appelait Marie la Nèfle, parce qu’elle manquait de fraîcheur. Si les surnoms étaient toujours inspirés par la sympathie, on l’aurait nommée Marie la Douce ou Marie Bon-Cœur.
Elle avait le teint plombé, les cernes bistres des noctambules, la bouche très triste, et ses épaules tombaient. Les passants acceptaient volontiers ses offres de bonheurs pervers. A ne réaliser que l’indispensable de ses promesses, elle gagnait de quoi mal se nourrir, payer sa logeuse, renouveler sa jupe brune, son tablier noir et les rubans qui étaient le luxe de sa parure. Elle les choisissait du bleu le plus céleste : celui des bannières de la Vierge au Grand Pardon de Sainte-Anne-la-Palud. Ses yeux d’enfant n’avaient rien contemplé d’égal à leur magnificence. On eût dit que ses yeux de femme en gardaient un reflet dans leur couleur délavée. Malgré les souillures, ils conservaient devant Paris l’expression surprise qu’ont les regards des toutes petites filles en Bretagne.
L’année de sa confirmation, elle avait quitté Douarnenez pour être bonne d’enfant, aux gages de parisiens modestes venus là tremper d’iode et de sel marins les scrofules des jumeaux nés de leur œuvres.
Il y avait peu de joie dans ce ménage. Marie se réveillait en larmes, à l’étroit d’un cabinet sans air où elle étouffait la nuit, rêvant de la baie, des landes, d’espaces dorés par les ajoncs fleuris. Son maître vint la consoler. Il accompagna ses paroles paternelles de gestes qu’elle ne  détourna point, tant elle était ingénue, par effroi du diable dont il avait menacé ses timides résistances. Quand il la laissait, elle priait en breton et elle attendait le sommeil, étonnée un peu qu’il lui fallût contenter les caprices du père après ceux des enfants. Elle remplissait ce devoir étrange avec l’humilité d’une servante naïve encore, comme elle participait aux jeux des petits, lavait le linge ou la vaisselle.
Son incroyable candeur la fit tout avouer à sa maîtresse qu’un doute travaillait. Et elle se trouva sur le pavé de Grenelle, un soir pluvieux de novembre, honteuse pour la première fois d’avoir « obéi à Monsieur », embarrassée du paquet de ses hardes, et riche d’une pièce de cinq francs au lieu du quintuple qu’on lui devait. La tête bourdonnante des invectives, des prophéties, des vœux détestables dont l’épouse trahie l’avait accablée avant de la mettre dehors, — elle restait sous l’averse froide.
Quelqu’un l’emmena. Il en alla de même, le lendemain et ensuite, sauf qu’elle avait loué une chambre d’où elle regardait le puits artésien, les tramways et les gens, du matin au soir. Elle noua des amitiés, parmi les femmes qu’elle rencontrait dans ses promenades. Leurs avis l’armèrent contre la mauvaise foi des hommes et elle acquit de l’assurance. Une « payse » acheva de lui signaler les risques de la profession, et elle lui enseigna la coquetterie agréable aux civils et aux militaires, l’art de les apprivoiser, les parages de bonne chasse, et le goût de boire. Un agent des mœurs, enfin, compléta son éducation ; car la mansuétude d’un État démocratique s’étend aux plus humbles.
Rien ne la rebutait, de cette vie qu’elle n’avait pas désirée ? Elle oubliait la face des inconnus dont les vifs transports ne l’émouvaient guère, et elle semblait toujours les reconnaître, par courtoisie. Pourtant, à voir ses pareilles aimer, toutes, l’élu entre mille, qui les rançonnait et les frappait, un immense besoin de chérir couvait en elle. Il partageait son cœur, avec le regret du port natal et la mémoire des fêtes religieuses. Parfois, dans la puanteur, le tohu-bohu et la désolation d’un cabaret, elle retrouvait des parfums d’encens, l’hymne des cloches et la vision d’un paysage maritime. Elle aspirait à l’amour avec cette passion mystique qui maintenait son âme au-dessus des nécessités malpropres de son existence basse.
Un dimanche, elle marcha tout l’après-midi derrière un quartier-maître de la flotte, fascinée par le béret et le large col bleu, espérant toujours qu’il abandonnerait pour la suivre le vieux couple dont il était flanqué ? Elle manqua défaillir, de demeurer toute seule sur le trottoir, quand ils furent entrés dans une maison qu’elle guetta jusqu’à la nuit close, sans déplacer ses pieds.
Elle se donna à plusieurs, dans l’espoir d’une liaison durable, de violences qui lui permettraient, en les racontant, d’apitoyer ses amies, et augmenteraient la saveur des caresses prochaines. Ils la volaient et ne revenaient plus. La plupart la raillaient durement, si l’occasion d’une rencontre l’amenait à formuler des reproches.
— On t’a assez vue, La Nèfle, disaient-ils.
Ou bien :
— T’es trop moche, la rouquine, pour qu’on y retourne à te faire boum ! C’est bon quand on est sur le sable, fauché de sa largue et dans la mouise, à claquer des dominos à vide !
Néanmoins, elle renouvelait ses tentatives, avec l’obstination de sa race. Le soldat, l’ouvrier, les commis imberbes et des collégiens barbus, luis passaient les taches de rousseur dont elle était masquée, pour l’attrait de sa chevelure fauve où des mèches pâles avivaient les lueurs éclatantes de la masse. Elle connaissait d’ailleurs l’influence de sa peau fine sur la sensibilité des clients et que les moins délicats admiraient la teinte laiteuse de son corps.
[…]
Elle parvint à s’attacher un apprenti, gouailleur et dégingandé, qu’elle détourna facilement de l’atelier où il aidait au raccommodage de bicyclettes. Il l’aima deux longs mois. Ce furent les meilleurs jours de Marie : ses sacrifices à l’ardeur des citoyens avait un but, dans la personne du cher petit homme aux joues roses, pareilles à des pêches. Elle était fière de l’exhiber dans les bals, la kermesse des Invalides et chez les restaurateurs où le cercle de ses relations fréquentaient.
Il la meurtrit de coups, au retour d’une échappée à Clamart, sous prétexte de jalousie, l’accusant de complaisance envers un zouave qu’il avait invité à leur table, par politesse et par amour de la cocarde. Le zouave, après boire, avait galamment assailli la femme et nargué son chevalier dont le rire sonnait faux, parce qu’il se devinait trop faible pour frapper. Il égara l’importun dans le bois et, bousculant Marie, hargneux, muet, il l’avait ramenée jusqu’en leur chambre où des sévices immédiats préludèrent à l’explication qu’elle réclamait depuis des heures :
— Ah ! Rouchie ! te faudrait la carotte d’Afrique et je tourne en poire jaune !... Après le turbin, t’es à moi, mets-toi bien ça dans la citrouille !... Les michetons, faut qu’y gantent... ou tu prendras la pipe !...
Les joues cuisantes, les côtes sensibles, elle l’écoutait en pleurant, et heureuse. Son corset, brisé dans la lutte, lui pinçait les chairs. Elle accueillit cette épreuve nouvelle comme une autre marque du grand amour qu’elle provoquait enfin ! Une tendresse infinie l’alanguissait et jamais elle n’adora autant son maître, que jaloux et brutal. Elle vit avec joie se former des taches violettes ou il l’avait frappée, songeant que leur vue exciterait la pitié de ses amies ; et la certitude d’en être plainte à son tour lui était précieuse et douce.
Mas la fatalité pèse sur quelques êtres avec une invraisemblable persévérance. Une mauvaise toux secoua ce joli amant de cœur et l’emporta en moins de rien, pâle, mince et grave. Ses yeux étincelants de lumière gaie, l’incarnat de ses pommettes plus appétissantes que des cerises, Marie les revoyait sans cesse et elle croyait l’entendre gouailler entre deux quintes ou faire de projets. Retenue par ses sentiments religieux, elle abandonna Grenelle pour Reuilly, au lieu de suivre dans la mort le cher fantôme de ses premiers amours. »
(Charles-Henry Hirsch : Le Tigre et Coquelicot, 1904-1905)


Correspondance amusante, ce roman a également cent dix ans et, pour ma part j’y trouve infiniment plus d’intérêt que le vide installé par Bécassine.  


Pour lire dans l'ordre :

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mercredi 4 février 2015

Histoire de bonniche — 2

Pourquoi cet acharnement sur Bécassine ? Si l’image de la domestique à la fois sotte et roublarde prête à rire, c’est également la représentation de cette domesticité détachée de son contexte qui pose un véritable problème. Comme je le signalais en préambule, la veille de la Grande Guerre est considérablement inégalitaire — et ne laisse pas de ressembler, cent ans après, à la nôtre — et comme on la vu, « l’ascenseur social » n’existe tout bonnement pas… Certes, Bécassine n’est qu’une histoire pour enfant, publié dans la Semaine de Suzette, dont le lectorat n’est pas vraiment populaire. Cela sous-tend alors que cette représentation populaire n’est pas destinée du tout à la population qu’elle est censée représenter. Ce constat est presque une tautologie, il ne se pose même pas à l’époque de ces publications tant la mentalité de la bourgeoisie ne comprend les interactions avec les classes inférieures que par l’intermédiaire de la domesticité et des métiers qui s’y rapportent et également au travers de « l’égout séminal » de la prostitution. Prostitution opportuniste qui peut franchir parfois le seuil de l’office avec les bouquetières, par exemple, mais également dans l’asservissement sexuel de la domesticité, même si, dans ce cas, elle a une large part fantasmatique. Alain Corbin, dans Les Filles de Noce, modère beaucoup cette imagerie. Certes, Bécassine n’est pas un modèle sexuel, elle représente plutôt un idéal de chasteté et de bienséance — aseptisée, également — auprès des petites lectrices de la revue. La réalité est tout de même différente :
« Une autre époque a déjà subi pareille fascination : la fin du siècle dernier. Jamais on n’a tant parlé du service domestique et du ménage qu’au temps de l’Affaire Dreyfus. Omniprésente dans la littérature que Jean Borie qualifiait naguère de célibataire, la bonne entre dans les austères revues de droit civil, devient sujet dramatique ; le discours psychanalytique lui-même est truffé de références aux femmes domestiques.
Cependant, celles qui font tant parler sont alors condamnées au mutisme le plus total : leur identité perdue, elles se fondent dans les familles qui les emploient et auxquelles elles sont attachées par un lien que Pierre Guiral et Guy Thuillier (La Vie quotidienne des domestiques en France au XIXe siècle, 1978) qualifient de quasi féodal. De toute manière, elles n’auraient pas le temps de se raconter ; ce temps désormais de plus en plus strictement contrôlé à l’aube du taylorisme domestique.
Si le discours bourgeois s’y réfère inlassablement, c’est d’abord parce que la servante rassure ; elle symbolise la permanence de l’ordre social. Sentinelles vigilantes qui défendent le foyer contre la menace extérieure, la bonne et le larbin se trouvent ainsi promus gardiens d’un code qu’ils ont parfaitement assimilé et qu’ils sauront, au besoin, rappeler au maître désinvolte. Vestale bougonne, la « servante-pelican » a pour mission de transmettre ; elle assure le lien entre les générations. Celle qui a fermé les yeux du père manifeste par sa seule présence le maintien des valeurs qui ont assuré la grandeur et la prospérité de la famille.
L’existence de la bonne atteste de la hiérarchie sociale ; l’humilier, c’est affirmer et légitimer tout à la fois le pouvoir petit-bourgeois ; se reposer sur elle, user d’un subtil paternalisme, c’est aussi désamorcer la menace prolétarienne. La servante dévouée est le résultat d’une métamorphose ; elle incarne le peuple dressé, domestiqué par le contact quotidien des maîtres. Il est rassurant de lire Bécassine par-dessus l’épaule des enfants.
Là ne se borne pas l’explication de cette fascination insolite. On ne fait qu’entrevoir aujourd’hui le rôle immense dans la formation des jeunes bourgeois. Substitut partiel de la mère lointaine et mystérieuse, la domestique rompt la belle harmonie du triangle œdipien ; elle transmet à l’enfant une confuse culture somatique, référence conflictuelle qui ne cessera de le hanter. C’est une nourrice morvandelle qui lui a prodigué les premiers soins ; c’est une servante qui soignera sa rougeole ou sa coqueluche, guidera ses jeux au jardin public ; « Du trou de serrure de la salle de bain aux amours cachés et illégales de la bonne, une image sexuée de la femme lui est présentée. »
(Alain Corbin : L’archéologie de la ménagère et les fantasmes bourgeois, in Critique, juin-juillet 1980, repris dans Le temps, le désir et l’horreur, 1991)

Si la domesticité est omniprésente dans le roman bourgeois du XIXe, elle se présente parfois sous des jours moins avenants que la représentation courante du dévouement (dont on retrouve maints exemples dans les romans de Verne, par exemple). Ainsi la menace permanente de la « réappropriation individuelle » par la domesticité règne en permanence dans les mentalités. Le vol vient s’ajouter à la cohorte de fléaux qui pèsent sur le foyer, paramètre primordial  pour la gestion de l’économie domestique par la maîtresse de maison. Si, par ailleurs, Bécassine est la version asexuée de la bonniche destinées aux petites filles des milieux aisés, les lecteurs plus mûrs se souviendront plus assurément  du Journal d’une femme de chambre de Mirbeau sur lequel il est inutile de faire un résumé, je pense… Le danger représenté par la domesticité a beau est subreptice, il est néanmoins omniprésent, c’est le marchepied des classes dangereuses, illustré par la soubrette faillie à sa sensualité, ainsi dans la représentation littéraire :
« Tandis que Marthe s’efface, la chair pulpeuse de Marie-Madeleine se fait obsédante. La servante s’incarne ; son corps capte le désir masculin. La jeunesse de ses formes sous son tablier accessible engendre le fétichisme. Reléguée dans une chambre de bonne, elle y a gagné en liberté. Dès lors, le sixième étage devient le lieu géométrique des fantasmes du mâle de la bourgeoisie. Espace de voyeurisme et de séduction mais aussi de promiscuité et de crime où s’élabore une confuse sociabilité prolétarienne, il propose l’image effrayante et délicieuse de l’insécurité du sommeil féminin. La tentation ancillaire est devenue l’un des thèmes majeurs du roman ; elle reflète tout à la fois l’obsession du ménage chez le célibataire petit-bourgeois et le désir d’ »amour vénal à domicile qui tenaille l’époux blasé ou l’adolescent boutonneux.
Dans ce long discours masculin, domesticité et prostitution se mêlent inextricablement ; les enquêtes quantitatives ne montrent-elles pas que le personnel de service est un des plus riches viviers de l’amour vénal et que nombreuses sont alors les servantes qui pratiquent une prostitution intermittente ? Une telle marée discursive a-t-elle pu se faire productrice de comportements ?
Question qui nous renvoie au vécu quotidien de la servante et de la prostituée. A l’évidence, les similitudes sont nombreuses. La conscience de ne pas exercer un véritable métier engendre, chez l’une et l’autre, la honte d’avouer sa condition et le désir de s’en évader. Victimes d’un mépris commun — la plupart des congrégations leurs sont fermées au XIXe siècle —, enkystées dans l’espace bourgeois, domestiques et filles publiques ne peuvent alors se définir, élaborer les formes de protestation sans que celles-ci apparaissent insolites, voire dérisoires. Il est révélateur que les surréalistes se soient tant intéressés aux bonnes. Si le législateur du XIXe siècle s’est toujours refusé à traiter de la prostitution comme de la domesticité, c’est guidé par la conviction que, dans les deux cas, une évolution des attitudes impliquait un bouleversement radical de l’ordre social et moral. »
(Alain Corbin : Ibid.)

Que deviendrait donc Bécassine si son aspect physique et mental n’était proche de la néoténie, c’est-à-dire sans les caractères liés à l’enfance ? Perdant cette innocence « originelle », elle rejoindrait immédiatement l’univers menaçant des classes dangereuses, la moindre sottise devenant une menace pour la progéniture dont elle a la garde. Renvoyée du foyer de Mme de Grand-Air, il est fort probable que l’imaginaire l’enverrait immédiatement à la rue, voir à une maison d’abattage, à essorer le permissionnaire… La réalité est plus nuancée, certes. Mais il faut garder à l’esprit ce caractère juvénile, infantilisant, utilisé par la suite envers les autres représentants de l’immigration, tel le nègre grand enfant, le tirailleur Banania que Bécassine ne peut éviter de rencontrer (« Bécassine — Banania, destins croisés », 2 siècles de stéréotypes. Le Havre, octobre 1996). Cette représentation infantilisante se perpétue au-delà du stéréotype de la bonne bretonne, comme par exemple lors des « Trente Glorieuses » où, le tourisme sortant des frontières, on va chercher sa bonniche espagnole ou portugaise comme on le faisait en Bretagne au siècle précédant. Cet exotisme se retrouve dans l’espèce de nostalgie réactionnaire exprimée par Les femmes du 6e étage de Klapisch, dont on ne peut évidemment pas exiger une réflexion aboutie sur la question de la domesticité…

(A suivre...)




Pour lire dans l'ordre :

Chapitre 1 | Chapitre 2 | Chapitre 3

Histoire de bonniche — 1

Il y a trois jour, je tombe sur la page d’accueil de Google avec une illustration (paraît que ça s’appelle un Doodle) représentant le 110e anniversaire de la première publication de Bécassine. Déjà, on est intrigué par le fait que l’on marque une telle commémoration, 110 n’étant pas tout à fait un chiffre rond pour ce genre de rappel. On se doute que si notre interrogation s’arrêtait à ce genre de constat, on ne prendrait même pas la peine d’écrire un seuil mot à ce sujet. On se dirait simplement qu’une entreprise comme Gautier Languereau — si tant est que cet éditeur s’occupe toujours de sa publication — a simplement besoin de relancer les ventes, histoire de protéger des droits qui vont commencer à entrer en dans le domaine public (Pichon, le dessinateur meurt en 1953) dans une dizaine d’années. Peu nous chaut d’ailleurs. Que cette série appartienne au domaine public ou fasse les choux gras de ce qui est devenue depuis belle lurette une filiale d’Hachette nous importe somme toute assez peu.


Ce qui nous gêne, c’est que la représentation de ce personnage et ce qu’elle recouvre continue de ne pas être perçu à sa juste mesure. Tout au plus y voit-on l’image de la gentille provinciale arrivée à Paris et dont le bon sens, la droiture et les maladresses ont fait les beaux jours de la Semaine de Suzette et l’objet de transmissions familiales jusqu’à nos jours. Mais qui est donc Bécassine ? Elle fait partie de cette cohorte de bonniches bretonnes arrivées à Paris à la Belle Époque gare Montparnasse. Bécassine fait exception, puisqu’il semble qu’on soit allé la chercher dans son plou lors d’une villégiature. Elle échappe en partie aux risques inhérents à l’exil des jeunes femmes vers la capitale à l’ouverture des lignes de chemin de fer de l’Ouest, bouleversement qui allait implanter une communauté bretonne dans le même quartier Montparnasse. Elle échappe également aux rabatteurs qui cueille nombre de jeunes filles au sortir du train — l’imaginaire indique des voyages en wagons à bestiaux, on a connu des immigrations ultérieures en pires conditions — pour les vouer à la prostitution. Ces rabatteurs parlent le breton, parfois, disposition rassurante pour quelqu’un jamais sorti d’un milieu rural débarquant soudainement en pleine vie citadine. Nous y reviendrons. Bécassine donc est le produit d’une société où la répartition des richesses, l’accession à la culture est accaparée par une minorité sociale. Cette fin du XIXe est dure pour une population issue du prolétariat ou de la paysannerie et dans un pays comme la Bretagne, bien souvent asservie à l’ordre de la religion — l’expulsion des congrégation en 1880 et la séparation de l’église et de l’État en 1905 sont certes contemporaine de Bécassine, mais il faut compter sur une grande inertie sociale dans les communautés rurales reculées comme certains coins de Bretagne. Cette soumission à un ordre moral et social très rigide provoque d’une part le maintien d’un niveau culturel si bas qu’il revient à néant, à une reproduction en circuit fermé d’un système oppressif (Je compte pour ma part dans cette génération pas moins de quatre religieuses dans une famille de douze enfants parmi mes aïeux, débouché naturel pour les filles sans dot ou sans perspective de mariage et reproduction du système par « endogamie », si l’on peut dire…) et qui provoque une immigration de l’intérieure très importante tant vers Paris que dans certaines autres régions de France. La Bretagne est à ce moment un pays qui souffre d’une arriération sociale dont on fera énormément de représentations dans la littérature populaire — La description du village de Kergario dans La conspiration des milliardaires (1899-1900) de Gustave Le Rouge est édifiante à ce titre :
« Rares étaient les habitants de ce village qui n’y fussent point nés. Jamais un livre ni un journal n’y pénétraient. les pauvres paysans ignoraient même sous quel gouvernement ils vivaient. Ils ne connaissaient rien du restant de l’univers
Une année, des artistes séduit parla sauvage beauté des paysages environnants, essayèrent de s’y installer. Ils durent bientôt partir.
Dès les premiers jours, les enfant leurs avaient jeté des pierres, les femmes les avait injuriés et les paysans les avaient poursuivis armés de fourches et de bâtons. »
 De même, dans le pays des lettres plus « nobles », Remy de Gourmont se gausse des Bretons qui croient à l’influence de la Lune sur les marées. On pardonne volontiers à Gourmont, comme à Le Rouge, tant le préjugé sur l’arriération de la Bretagne et du Breton est prégnante à l’époque et vérifiable parfois (même si Gourmont rate ici, effectivement, son coup !)
Bécassine véhicule les pires clichés sur les Bretonnes à la fin du XIXe siècle et il serait peut être bon à ce sujet d’ouvrir ici des guillemets :
« On croit à tort que les pouvoirs ont toujours souhaité un Breton assimilé. En fait, il faut distinguer deux périodes : avant la société de consommation — et aujourd’hui.
Au cours de la première période, la bourgeoisie fabrique des inférieurs nommés. Elle en est encore au mercenariat artisanal ou domestique qui réclame une soumission motivée : le prolétaire doit se reconnaître dépendant et pour cela, rien de mieux que l’exotisme. Les Madames françaises exigent de leur bonne bretonne qu’elle serve en coiffe. D’abord pour le spectacle, quand on a des invités ; ensuite et surtout, pour que cette fille n’oublie pas ses origines. Elle est servante puisque Bretonne, renier son pays serait refuser sa condition ; nous l’avons ramenée de nos vacances, sans nous elle pataugerait encore dans ses gadoues avec ses cochons, elle nous doit la gratitude ; et puis, sa coiffe répond de ses vertus, tant qu’elle les portera, elle gardera un pied en Bretagne, ne s’émancipera pas, ne nous jouera pas le tour affreux de cesser de croire en Dieu et en nous. La Bretagne garantit le Breton. Il importe même qu’il soit un peu niais, effaré : ce grand enfant se donnera à son patron comme à un père. Toutefois, sa différence ne doit point excéder le pittoresque car alors, il ferait figure d’étranger, donc d’adulte. Il se récupérerait, ne nous appartiendrait plus.
Observez l’immortelle Bécassine : elle ne prononce guère que trois mots de Breton, Ma doue beniguet ; mais ces trois mots suffisent à composer son personnage, la Bretonne risible mais bien-pensante, solide comme un menhir. Tous les attributs de l’indigène apprivoisé, Bécassine les cumule : le servage (mais supérieur, en maison bourgeoise), la naïveté roublarde (on la croit idiote mais elle trompe son monde), la rondeur ébaubie, le dévouement total à ses maîtres, enfin la religion — ça ne nuit jamais. En 1939 des protestation s’élèveront en Bretagne contre un film qui représente cette ilote, et les producteurs éberlués reprendront point par point ce catalogue : « Pourquoi cette indignation ? Bécassine n’incarne-t-elle pas les vertus bretonnes, la piété, le dévouement sans limite, la simplicité rustique ? » Simple, en effet : Bécassine vit hors du temps et du monde, dans le cocon de sa dévotion à Mme de Grand-Air : ce cocon n’est autre que sa Bretagne qu’elle a transportée avec elle et qui la préserve des « tentations ». L’extérieur est pour elle l’enfer, les trains, les bateaux, la grande ville, ma doue beniguet, l’épouvantent ; toute rencontre lui inspire méfiance, elle ferme l’oreille à tout propos qui ne concerne pas son service domestique : quand la guerre de 14 éclate, elle demande à Firmin et à Zidore la signification du mot boche qu’elle n’a jamais entendu.
Caricature ? Soit. Mais sur fond de vérité : car pareil chef-d’œuvre s’usine en Bretagne même — et s’usine en français. Importée de Paris et répandue dans les cinq départements, toute une littérature, Bonne Presse, bulletins paroissiaux, livres de Prix, éduque dès l’enfance le futur prolétaire. Son but est de fabriquer des Bécassins et des Bécassinnes : le huis clos britto-patronal du « bon ouvrier », de la « servante au grand cœur » — la Bretagne elle-même servante exemplaire, sainte Anne de la buanderie. Chaque Breton susceptible de quitter la glèbe se voit ainsi pourvu d’une sorte de dictionnaire-viatique où les mots qu’il risque d’entendre à la ville lui sont d’avance traduits, accompagnés d’un commentaire péjoratif qui exalte contre eux les vertus du terroir. Feuilletons ce florilège : « Qu’est-ce que le socialisme ? C’est simple, ôte-toi de là que je m’y mette. Cet égoïsme-là n’est pas breton » (Bulletin d’Auray, 1907) « Plutôt la mort que la souillure ! noble devise de ta petite patrie ! Oui, plutôt mourir que de souiller son âme par le péché d’envie et de rébellion ! » (La Flamme des Bretons, 1902.) « Jamais Breton ne fit trahison, voilà ce que tu répondras fièrement à ceux qui te pousseront à faire la grève. » (Yannick mon ami, 1905.) Un saint nouveau s’inscrit au calendrier : « Saint Anne protège les Bretons mais saint Dicat les envoie en enfer. » (Bulletin de Sainte-Luce, Loire-Inférieure.) « Tu devras choisir, Maryvonne : Saint Yves qui t’emmène au paradis ou saint Dicat qui t’emmène au bal. » (Le Pèlerin). D’édifiantes « histoires vécues » illustrent cette doctrine, ramenant toutes à la Bretagne en conclusion. Pierre, le mauvais génie de Yannick, se laisse tenter par les meneurs, les suit au cabaret, sombre avec eux dans l’ivrognerie et l’anarchisme et « sa vieille mère en en coiffe » en meurt de chagrin ; pour avoir une seule fois oublié ses pâques, Fanchette la petite Quimpéroise, vole et meurt repentante en prison, « quelle honte pour son village ! » Vers 1920, les jeunes Bretonnes commencent à se lasser du métier de servante, étudient la dactylographie, la mécanographie ; en hâte, un bon abbé Cadic les en dissuade : à quoi bon traîner dans les rues de Paris en quête de situations qui ne se rencontrent jamais ? » « Déjà quelques unes, parmi les plus sages d’entre vous, ont retrouvé le chemin de la domesticité. Faites comme elles. »
(Morvan Lebesque : Comment peut-on être Breton, 1970)

On me pardonnera cette longue parenthèse mais elle prêche par son éloquence quant à la condition des Bretons, et plus spécialement de la femme en Bretagne à cette époque, mais aussi, bien sûr, dans les autres régions de France. On le voit, Bécassine est l’épiphénomène d’une institution bien établie à la Belle Époque et qui ne se borne pas qu’à l’accroissement spectaculaire de la domesticité dans les maisons bourgeoises mais également qui instaure la sujétion de toute une classe sociale fraîchement immigrée dans la capitale.

(A suivre...)




Pour lire dans l'ordre :

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mardi 3 février 2015

Vague

Vague n.f. Poche ○ EXEMPLE : Rue d'Aubervilliers, en 1900, vous étiez certain, passé dix plombes, de vous faire retourner les vagues par les malfrats riverains, dont c'était le turbin de père en fils.

Albert Simonin : Petit Simonin illustré par l'exemple (1968)

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dimanche 1 février 2015

Les pétochards

Je compte toujours sur la France éternelle parce que je n’en suis jamais déçu, comme lorsque, par l’effet d’une pétoche abjecte, on y devance les désirs du pégreleux en visite. Il y a eu la rédaction de la Liste Otto pendant l’Occup’, dressée par des français soucieux de se montrer bien avec les nouvelles autorités. Il y a désormais ces annulations d’expositions artistiques qui seraient attentatoires à la croyance religieuse, des fois qu’un sourcil se froncerait quelque part dans le fantasme d’une banlieue proche-orientale, des fois que le fantasme soit aussi vrai que dans la littérature des classes moyennes (des fois que Houllebecq se vérifierait). Je note que ce sont en définitive toujours les mêmes, les donneurs de leçons, les pétochards, les tenants de l’ordre qui nous font le coup.
Pour notre bien, n’est-ce pas ?
Le pire est que cette France-là n’en finit pas de nous encombrer avec sa peur pavillonnaire et son envie de nous embrigader. Et pour cause, qu’elle n’en finit pas : c’est la France éternelle…

Tabasser

Tabasser v.a. Frapper longuement et durement (formé sans doute en partant de «passer à tabac ») ○ EXEMPLE : Les mecs d'avant 14 frayaient moins les musettes pour guincher que pour se tabasser à la décarrade.

Albert Simonin : Petit Simonin illustré par l'exemple (1968)

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samedi 31 janvier 2015

Une historiette de Béatrice

— « 15, 16, 17... tu peux me dépanner de 2 euros, je ne vais pas avoir assez ?
— Ah non, débrouille-toi et vite, tu vas nous mettre en retard !
— C’est que nous allons à la messe madame, je garde ma monnaie pour la quête. »

Cette historiette a été publiée pour la première fois en janvier 2012 sur le blog Feuilles d'automne

Sabord (Coup de)

Sabord (Coup de) loc. Regard scrutateur, jeté dans le but de s'assurer de l'identité des personnages présents dans un lieu ○ EXEMPLE : Au premier coup de sabord, je ne gaffais pas de frime inquiétante dans ce tapis, ni malfat, ni poulet.

Albert Simonin : Petit Simonin illustré par l'exemple (1968)

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Barbarella

Piqué dans la revue Fascination n° 30 (1986)

Rabat

Rabat : Manteau. — Allusion au grand collet des manteaux anciens qui se rabattait à volonté sur la tête et les épaules.

Lorédan Larchey : Dictionnaire historique d'argot, 9e édition, 1881



Rabat : Il rabat. Baisser piteusement la tête ou le nez. (En amour, s'entend)..

Géo Sandry & Marcel Carrère : Dictionnaire de l’argot moderne (1953)



Rabat n.m. Rabatteur. Personne généralement polyglotte qui oriente moyennant une commission les étrangers cossus vers les boîtes de nuit, les maisons galantes ou les tripots. ○ EXEMPLE : Maintenant que sa taule était bourrée tous les soirs, Léone virait les rabats. Elle voyait pas la nécessité de se mouiller de bouquets pour des clilles qui rallégeaient d'autor.
Synonyme d'« inter » (voir ce mot).

Albert Simonin : Petit Simonin illustré par l'exemple (1968)

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vendredi 30 janvier 2015

Voltaire, mon cul !...

On connaît tous la citation : « Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai pour que vous ayez le droit de le dire. » attribuée à Voltaire et qui se révèle apocryphe. On se reportera si l’on veut à l’article de Wikipédia qui éclaircit un peu l’affaire de ce côté-là...
Il se trouve que votre Tenancier, par l’effet d’un inexplicable masochisme, s’est retrouvé dans ce qui aurait dû être un débat avec la section locale de la Ligue des Droits de l’Homme — en réalité sept personnes autour d’une table et dont votre serviteur était le seul étranger — consacré à « l’après Charlie » semble-t-il. En fait, ce fut le déroulé d’un quasi-monologue d’un des membres qui avec une voix de stentor couvrait les propos plus intéressants d’un de mes voisins, ou d’autres objections fort raisonnables. Parmi les pires conneries qu’on puisse entendre d’un cuistre infatué de sa suffisance* on releva la citation apocryphe citée plus haut, signalée comme telle par votre Tenancier. Il lui fut répondu « qu’un mensonge était après tout très acceptable si cela pouvait servir la cause ». Le même, quelques temps après, alors que le Tenancier s’opposait sur certains points à ses analyses de bistrot lui fut rétorqué par le même que « dans un débat il y en a toujours un qui a raison et un autre qui a tort » avec un plaisir que nous n’avons pas voulu troubler plus avant. Nous sommes partis presque sur la pointe des pieds en nous demandant toutefois où nous avions bien pu tomber (Il faut dire que, par son passé militant, le Tenancier avait des souvenirs d’échanges d’une autre qualité avec la LDH…) Certes, une hirondelle ne fait pas le printemps et un con ne résume pas forcément une volonté commune. Il se peut que le Tenancier soit tombé sur un îlot, propice aux impasses évolutives ou bien sous l’effet d’une endogamie alpestre. Mais la soirée fut bien longue…
Moralité : La prochaine fois qu’on lui fera le coup de la démocratie en danger, le Tenancier montrera son cul, ce qui vaut mieux que subir les Beria de sous-préfecture.
Du reste, on le sait, le Tenancier n'est pas « démocrate ».
____________________
 
: Justifiant une éventuelle intervention militaire française en Syrie, par exemple ce qui est assez baroque en soi et qui l’est encore plus quand cette assertion n’est même pas modérée par la présidente de la section locale…

Toasts

Le 20, un grand dîner d’adieu fut donné au docteur Fergusson et à Kennedy par la Société Royale de Géographie. Le commandant Pennet et ses officiers assistaient à ce repas, qui fut très animé et très fourni en libations flatteuses ; les santés y  furent portées en assez grand nombre pour assurer à tous les convives une existence de centenaires. Sir Francis M… présidait avec une émotion contenue, mais pleine de dignité.
A sa grande confusion, Dick Kennedy eut une large part dans les félicitations bachiques. Après avoir bu « à l’intrépide Fergusson, la gloire de l’Angleterre », on dut boire « au non moins courageux Kennedy, son audacieux compagnon ».
Dick rougit beaucoup, ce qui passa pour de la modestie : les applaudissements redoublèrent. Dick rougit encore davantage.
Un message de la reine arriva au dessert ; elle présentait ses compliments aux deux voyageurs et faisait des vœux pour la réussite de l’entreprise.
Ce qui nécessita de nouveaux toasts « à sa Très Gracieuse Majesté ».
A minuit, après des adieux émouvants et de chaleureuses poignées de main, les convives se séparèrent.

Jules Verne : Cinq semaines en ballon (1862) — Chapitre VIII
(Sommaire) 

Quart

Quart n.m. Commissariat de police (voir « lardu »). Découle de « quart d'œil », dont on donne deux étymologies possibles. Selon Lorédan-Larchey (1872), ce mot composé serait un rappel, dans une orthographe en forme de rébus, de l'ancienne robe des commissaires de police, appelée « cardeuil ». Un autre auteur soutient que « quart d'œil » aurait été formé à l'époque où chaque arrondissement de Paris, venant d'être doté de quatre commissariats, chaque commissaire assurait le « quart » de la surveillance (?) ○ EXEMPLE : Depuis la liaison radio entre le quart et les tires de patrouille, les braquage est devenu très glandilleux.

Albert Simonin : Petit Simonin illustré par l'exemple (1968)

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jeudi 29 janvier 2015

Quand le Tenancier emballait comme une bête...

Du temps où votre serviteur était encore en pleine activité pour sa librairie, il faisait des paquets quotidiennement, ou presque. Voici un billet exhumé du feu blog Feuilles d'automne qui date du mois d'août 2008. Une occasion pour chacun de faire des travaux pratiques. On voudra bien noter que le chat est encore là et qu'il est toujours aussi collant !

Ah la la ! Si vous imaginez que gagner sa croûte de libraire en chambre, c’est facile tous les jours… Moi aussi, je fais ma comptabilité et toutes ces menues choses qui font le délice du petit commerçant. Rassurez-vous, tout de même, je ne vais pas vous faire le couplet « Ah mon bon Monsieur, c’est ben difficile de nos jours, allez ! ».
Non, aujourd’hui, je vais vous montrer des travaux pratiques : l’art de faire les paquets à la librairie Feuilles d’automne (bonsoir, quelle librairie !).
L’emballage des livres est le passage obligatoire pour mon activité. Quelques envois sont expédiés sous « enveloppe-bulle », mais les trois-quarts le sont selon la méthode que je vais vous décrire ci dessous, pour ma plus grande délectation…


Tout d'abord, il faut bien vérifier que l'ouvrage que vous allez emballer est bien celui que vous destiniez à votre client. Au bout d'une dizaine de paquets, il arrive que l'on s'emmêle quelque peu. La facture et les documents doivent être insérés à cheval sur la couverture pour que la personne qui les reçoit ne les rate pas. (Argol, pousse-toi, le chat !)


Ensuite, vous découpez un morceau de papier kraft aux dimensions de l'ouvrage, ici un in-12° assez facile à emballer, ma foi. (Bon, le chat, t'es gentil, mais tu vas ailleurs, hein ?)


Emballage du livre... (Pff...)


Ne pleurons pas sur le ruban adhésif. Ce n'est pas qu'une question d'esthétique. (La vache, y'a des morceaux de poils de chats coincés dans le scotch, maintenant, purée !)


On passe ensuite à la deuxième couche. Le kraft sert essentiellement à protéger le livre de l'encre du papier journal. Le journal, lui, va servir à rembourrer et rigidifier le paquet. (Un quart de table pour ma pomme et le reste pour le greffier, oh !)


Suite de l'opération...


Découpage d'un morceau de carton aux dimensions du livre emballé. Pour plus de précision, on le fera avec une solide paire de ciseaux et non un cutter dont la coupe est assez erratique et peut toujours taillader vos belles mains d'artistes. (Moi, c'est pas le cutter, c'est les griffes de chats)


Toujours faire en sorte que le crénelage du carton soit dans le sens du pli. Cela permet de plier plus facilement le bout de carton et de l'ajuster au livre. (Pousse-toi, Argol !)


On maintient le carton par de l'adhésif brun. Choisissez une marque assez solide et, si possible, équipez vous d'un dévidoir comme le modèle ci-dessus, qui permet quelques économies, notamment en énervements. (C'est le chat qui a repris le flambeau...)


Consolidation des extrémités. A noter que pour les paquets importants, on peut glisser un bout de carton plié dans cet espace et ensuite le consolider avec de l'adhésif. Les paquets doivent résister aux chocs. La taille du livre implique ipso facto une plus grande proportion de carton et de bourrage. Ainsi, un dictionnaire sera emballé avec du carton à double crénelage et le journal sera remplacé par des feuilles plastiques à bulles. En fait, la quantité de matériel utilisé pour un fort in-4° n'est pas proportionnelle à ce que vous utiliseriez pour un in-12°.


Avant-dernière opération : on recouvre (si le chat veut bien...) le tout d'une autre feuille de kraft, elle aussi découpée sur mesure.


Suite de l'opération...


Un coup d'adhésif pour fermer la feuille. (C'est une impression, ou il prend de plus en plus de place ?)


Idem pour fermer les extrémités...


Il n'y a plus qu'a coller l'étiquette. (Bon, maintenant, c'est le bâton de colle blanche qui est plein de poils de chat. C'est plus un bâton, c'est un bonnet à poils !)


Le paquet est terminé. Il n'y a plus qu'à remplir le bordereau d'expédition qui sera collé par le vaillant guichetier de la Poste à la réception de mes colis.
L'opération peut sembler longue et elle est à déconseiller lorsque l'on expédie des livres de poche ou de peu de valeur. Mais la plupart des livres que je vends ont besoin de cette protection. Il est parfois dommage que, sous prétexte d'économie - cela se joue parfois sur 2,00 € - on renonce à ce type d'emballage et que l'on fasse courir des risques aux livres que l'on a commandé. Il me faut en moyenne un quart d'heure pour traiter une commande, entre la sortie du bordereau et le collage de l'étiquette d'expédition. Il va de soi que mes confrères qui s'occupent de livres de poche ou d'ouvrages courants aient recours aux enveloppes-bulles ou bien aux emballages tout-prêts... La vitesse d'exécution et d'expédition est importante.
Mais, par ailleurs, j'ai la faiblesse de tenir encore à ce type d'emballage qui est un lien entre vous et moi, une manière de vous passer un message, puisque je ne suis qu'un "libraire virtuel" : "merci", et "continuez d'aimer les livres comme je les aime". J'ai remarqué que l'on appréciait.

Euh...

Ah oui ! Si vous trouvez un jour un chartreux dans votre paquet, soyez gentils, renvoyez le. C'est que j'aurais été à la bourre, ce jour là.

Pacqsif

Pacqsif n. m. 1. Paquet. ○ EXEMPLE : La noire était là. Dix pacqsifs d'un kilo, bien alignés. On attendait le potard qu'allait la chanstiquer en morphine-base, puis en héroïne.
2. « Mettre le pacqsif » : déployer toutes sa force, employer tous les moyens.○ EXEMPLE : Pour contraindre la tierce de la Popinque à cesser son contrecarre, y allait falloir mettre le pacqsif.

Albert Simonin : Petit Simonin illustré par l'exemple (1968)

(Voir aussi Pacson)

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mercredi 28 janvier 2015

Anglicisme

Tysbers s’estut une grande pose.
Si vous dit que ce fu la cose
Qui plus le mat et plus le donte.
Li cuers li dist qu’il avra honte
Et grant anui et grant vergoigne.
Tant doute Renart et resoigne
Qu’il n’ose entrer en sa maison.
Par defors contre sa raison,
Mais il n’iavra ja gaing :
« Renars, fait-il, biaus dous conpains,
Di moi, es tu donc la dedens ? »
Ce dist Renars entre ses dens
Tout coiement que nuls ne l’oie :
« Tysbers, par vostre male joie
Et par vostre male aventure
Soiés entrés en ma pasture !
Si serés vous, s’engiens n’i faut. »
Et puis a respondu en haut :
« Tysbert, fait Renars, Villecome,
Comme se vous veniés de Roùme
Ou de Saint Gile novelement,
Bien soié venus hautement,
Et s’il fust jours de Pentecouste ! »
Que bials parlers rien ne li couste,
Ains le salue humelement.

Tibert s’arrêta un bon moment. Je vous assure que c’est là ce qui l’abat et le mate le plus. Son cœur lui dit qu’il va connaître la honte, de grands tourments et un terrible déshonneur. Il redoute et craint tellement Renart qu’il n’ose pénétrer dans sa demeure. Il lui tient son discours de l’extérieur, mais il n’y gagnera rien : « Renart, dit-il, très cher compagnon, dis-moi es-tu donc là ? » Renart marmonna entre ses dents, à voix basse pour n’être entendu de personne : «  Tibert, puissiez-vous être entré sur mon territoire pour votre tristesse et pour votre malheur ! C’est ce qui vous arrivera si j’ai assez d’habileté. » Puis il répond à haute voix : « Tibert, welcome ! comme si vous reveniez tout juste de Rome ou de Saint-Gilles, ou comme si c’était le jour de la Pentecôte, soyez le très bienvenu ! » car il ne lui coûtait rien de faire le beau parleur, et il le salue avec humilité.

Le Jugement de Renart
 
in : Le Roman de Renart
ed. publiée sous la direction d’Armand Strubel

Obligado

Obligado adv. Obligatoire. Impératif. ○ EXEMPLE : Chez Bébé d'Amiens, les julots qui venaient le samedi relever les comptées de leurs dames mettaient, obligado, une roteuse sur la carante. C'était le bon genre.

Albert Simonin : Petit Simonin illustré par l'exemple (1968)

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