mardi 24 février 2015

Un travail en cours...

En 1999 paraissait une nouvelle du Tenancier dans l’anthologie Futurs antérieurs, dirigée par Daniel Riche au Fleuve Noir. Cette histoire intitulée Une curiosité bibliophilique avait la particularité d’avoir été illustrée selon les indications de l’auteur, et non de façon séparée, de la même manière que procédaient Hetzel et Verne avec les illustrateurs des Voyages extraordinaires*. Cela tombait bien : Verne était un des personnage de l’histoire. Rendons grâce à l’infinie patience de l’illustrateur, Fabrice Le Minier, dont l’abnégation n’avait d’égale que les exigences mégalomaniaques du Tenancier. En attendant de republier un jour cette histoire et sa suite d’illustrations, voici quelques essais et brouillons retrouvés dans les archives et qui ne furent pas retenus ou qui furent considérablement remaniés.


On retrouvera la suite de ces illustrations de loin en loin sur le blog.
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* L'autonomie de Fabrice était tout de même un peu plus grande, tant pour le sujet que pour la composition...

Obéliscal

Obéliscal : Merveilleux. — Date du transport de l'obélisque sur la place de la Concorde. — « Admirable ! pyramidal ! obéliscal ! » (Almanach de la Polka, 45.) V. Granitique.

Lorédan Larchey : Dictionnaire historique d'argot, 9e édition, 1881

(Index)

Une historiette de George

Un grand jeune homme fait irruption, l'air un peu inquiet, brandissant un papier :
 
« — Bonjour Monsieur ! Excusez-moi, je cherche le 174 bis boulevard V.
— Eh bien, c'est au 174 bis boulevard V, vous êtes au 198. C'est un peu plus loin, par là.
— Ah merci ! », s'exclame-t-il, soudain radieux, avant de se précipiter dans le mauvais sens.

Une historiette de Béatrice

— « Et si je vous règle en espèces, vous me le laissez à 30 au lieu de 40 ?
— Non, monsieur. Chèque ou espèces, ça ne change rien. »

Cette historiette a été publiée pour la première fois en février 2012 sur le blog Feuilles d'automne

lundi 23 février 2015

Lunettes

Instruction technique sur la protection contre les gaz de combat
Approuvée par le Ministère de la Guerre le 27 mai 1929
Paris, Imprimerie nationale, 1932

Labago

Labago : Là-bas. (Colombey.)

Lorédan Larchey : Dictionnaire historique d'argot, 9e édition, 1881



Labago : Là-bas.

Géo Sandry & Marcel Carrère : Dictionnaire de l’argot moderne (1953)

(Index)

Tembo & Togwa

Les nègres se livrent alors à de furieuses orgies, s'enivrant du « tembo », liqueur ardente tirée du cocotier ou d'une bière extrêmement capiteuse, appelée « togwa ». Leus chants, sans mélodie appréciable, mais dont le rythme est très juste, se poursuivirent fort avant dans la nuit.
 
Jules Verne : Cinq semaines en ballon (1862) — Chapitre XI

Kogxnoff, Koxnoff

Kogxnoff, Koxnoff : Très-bien. — Abréviation de Chocnosoff. V. ce mot.

Lorédan Larchey : Dictionnaire historique d'argot, 9e édition, 1881

(Index)

dimanche 22 février 2015

Arthur Conan Doyle

Jacqueline

Jacqueline : Fille de mauvaise vie. — Dans son Vieux Cordelier, Camille Desmoulins apostrophe ainsi Hébert : « Le banquier Kocke, chez qui toi et ta Jacqueline vous passez les beaux jours de l'été. »

Lorédan Larchey : Dictionnaire historique d'argot, 9e édition, 1881

(Index)

mardi 17 février 2015

Frontispice

Idéaliste

Idéaliste : Artiste ou écrivain plaçant l'idée au-dessus de la réalité dans l'exécution. — « Ces idéalistes-là trouvent toujours qu'il y a trop de couleur ! pourquoi pas trop de toile ! » (J. Richard, 72.)

Lorédan Larchey : Dictionnaire historique d'argot, 9e édition, 1881

(Index)

dimanche 15 février 2015

Au Marquis de La Dèche

Dans la série des bouts de papiers que l'on peut trouver dans les livres, en voici un découvert entre les pages d'un roman de Ponson du Terrail, il y a quelques années :


Cela se passerait de commentaires... mais j'aimerais tout de même que l'on me dise la différence entre une "Chaussète russe" et une "Chaussete française".
J'ai considéré cette rencontre comme un moment particulier de poésie odorante.

Ce billet a été publié en septembre 2008 sur le blog feuilles d'automne. A cette occasion, la réponse fut offerte par un certain Aurélien, que nous remercions encore :
« La chaussette russe est une « chaussette rudimentaire faite de morceaux de tissu ou de papier » (Gaston Esnault, "Dictionnaire historique des argots français"). Le TLF dit aussi : « Chaussettes russes. Bandes de toiles qui enveloppent le pied et le mollet. » On peut en déduire que la chaussette française, plus chère, est une chaussette classique sans doute plus chaude ; les ribouis étant des souliers réparés. Quant aux graphies fantaisistes et aux nombreuses coquilles de ce petit prospectus, elles proviennent sûrement des conditions peu onéreuses de son impression à la va-vite chez un petit imprimeur proche de la rue du Nil. En tout cas, c'est un témoignage émouvant du Paris miséreux et populaire.»

Habin, Habine

Habin, Habine : Chien, chienne. (Halbert.) Pour Happin.

Lorédan Larchey : Dictionnaire historique d'argot, 9e édition, 1881

(Index)

vendredi 13 février 2015

Un travail en cours...

En 1999 paraissait une nouvelle du Tenancier dans l’anthologie Futurs antérieurs, dirigée par Daniel Riche au Fleuve Noir. Cette histoire intitulée Une curiosité bibliophilique avait la particularité d’avoir été illustrée selon les indications de l’auteur, et non de façon séparée, de la même manière que procédaient Hetzel et Verne avec les illustrateurs des Voyages extraordinaires*. Cela tombait bien : Verne était un des personnage de l’histoire. Rendons grâce à l’infinie patience de l’illustrateur, Fabrice Le Minier, dont l’abnégation n’avait d’égale que les exigences mégalomaniaques du Tenancier. En attendant de republier un jour cette histoire et sa suite d’illustrations, voici quelques essais et brouillons retrouvés dans les archives et qui ne furent pas retenus ou qui furent considérablement remaniés.


On retrouvera la suite de ces illustrations de loin en loin sur le blog.
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* L'autonomie de Fabrice était tout de même un peu plus grande, tant pour le sujet que pour la composition...

Gabelou

Gabelou : Employé des contributions indirectes. — Du mot gabloux : officier de gabelle. — « Bras-Rouge est contrebandier... il s'en vante au nez des gabelous.  » (E. Sue.)

Lorédan Larchey : Dictionnaire historique d'argot, 9e édition, 1881

(Index)

La Lanterne

Le XIXè siècle français, en Littérature comme en journalisme, fut sans doute celui des pathologies héroïques, des insurrections subjectives, exacerbées par deux Empires et deux républiques, sans compter les révolutions… C'est pourquoi il nous est toujours indispensable, et nous continuons à le consulter avec ferveur.
Les quelques extraits de La Lanterne, ( rue du Coq Héron, 5 ), dus à la plume d'Henri de Rochefort, et que j'ai pu consulter grâce à l'obligeance de zetenancier, conservent parfois ce chatoiement poudreux d'un feu grégeois allumé dans les mornes plaines du pouvoir. Ce pourquoi, ils subsistent par leur virulence, sans qu'on sache toujours — c'est leur force —, si la maladie dénoncée travaille les tissus du corps social ou le cerveau de leur auteur.
Ainsi:
« J'aurais cru que 1869 promettait d'autres sujets de préoccupation qu'un concile œcuménique. L'inquiétude du gouvernement rappelle de loin la mauvaise humeur de ce condamné à mort qui, au moment de marcher au supplice, ne voulait pas se laisser couper les cheveux, de peur de s'enrhumer ».
Il semble que le politique avait encore besoin d'un supplément d'âme. Mais combien de fois, depuis, avons-nous changé de système nerveux ?

Jean-François Cassat

Faces

Faces : Monnaie. (Grandval.) — Allusion à l'effigie (face) royale. — « Je n'ai plus de faces. La drôlesse me chasse. » (Decourcelle, 32.)

Lorédan Larchey : Dictionnaire historique d'argot, 9e édition, 1881



Faces, (Avoir des), V. Avoir de l'argent sans doute parce que la monnaie, qu'elle soit d'or ou de billon porte le plus souvent l'effigie, la face d'un souverain.

Eugène Boutmy — Dictionnaire de l'argot des typographes, 1883

(Index)

jeudi 12 février 2015

Une historiette de Béatrice

« Tant que j’y suis, je vais prendre un roman pour ma femme, qu’est-ce que vous avez en trucs à l’eau de rose ? »

Cette historiette a été publiée pour la première fois en janvier 2012 sur le blog Feuilles d'automne

Eaux basses

Eaux basses : Manque d'argent. On dit même : être à la côte, etc. — « Cette délicieuse noce dura au moins trois jours jusqu'a ce qu'enfin les eaux soient devenues tellement basses qu'il faille retourner à ce maudit atelier. » (Moisand.)

Lorédan Larchey : Dictionnaire historique d'argot, 9e édition, 1881 
 

lundi 9 février 2015

L'homme du « Ridère »

Morvan Lebesque est un peu oublié sauf, sans doute, du milieu autonomiste breton, ce qui n’est guère la tasse de thé de votre Tenancier, entre parenthèses. Les quelques lecteurs attentifs l’auront lu récemment dans ce blog à propos de Bécassine. Restent également à redécouvrir certaines chroniques vigoureuses délivrées dans les années 50 au Canard enchaînée, recueillies ensuite en volume. Si certains de ces articles ont vieilli, celui qu’il consacra au Reader’s Digest demeure vivace, ne serait-ce qu’à la lueur de la conclusion et qui déborde, bien évidemment, du lectorat qu’il décrit et de son époque.
 
Ce lecteur qui m’envoie une coupure de presse, je l’en remercie mais le gronde de s’y prendre un peu tard. Ladite coupure de presse date en effet de janvier dernier. Elle ne comporte que cinq lignes, d’ailleurs publicitaires : c’est une réclame ou, comme on dit, un « pavé » destiné à nous aguicher et à nous vendre une marchandise bien connue : la Sélection du Reader’s Digest, en français ridère. Demandez le Ridère, organe officiel de l’Américain moyen en France ! Toute l’actualité mondiale une fois par mois dans le Ridère !
Vous connaissez tous le Ridère. Évangile de nos métros et Bible de nos autobus, à quoi se compare-t-il encore ? Il est notre mythologie portative, notre Légende du Siècle. Il est le coca-cola de la Littérature. Cependant, son plus grand mérite n’est point d’occuper nos loisirs. Il est d’avoir créé un climat à la fois grave et euphorique et d’avoir fait se lever, quelque part aux U.S.A., un tiède alizé de conformisme qui a déferlé jusque chez nous. Il est aussi d’avoir mis au monde une sorte de héros de notre temps, un Tarzan en manches de chemise et en pantoufles, dont les aventures exemplaires se lisent en filigrane des « récits vécus » et des « reportages condensés ».
L’homme du Ridère naquit au début du siècle, dans un village du Middle-west, et sa jeunesse s’écoula entre le Collège-des-Belles-Années qui le fait sourire encore et la Petite-Église-de-Notre-Enfance dont il ne se souvient jamais sans écraser une larme furtive. La providence lui avait donné un père dont il nous entretient assez rarement et que nous ne voyons guère apparaître que dans deux ou trois circonstances historiques, par exemple lorsque l’homme du Ridère s’engage à dix-huit ans dans l’armée et qu’il lui annonce sa décision irrévocable. Alors, le père pose son cigare, demeure un temps silencieux, contemple gravement son fils et lui dit : « Bien, garçon ». Par contre, la mère (Mammy), de notre héros occupe littéralement le devant de la scène. Sans doute a-t-elle été jeune en son temps, comme tout le monde ; mais depuis une bonne quarantaine d’années, c’est une douce petite vieille à cheveux blancs et à lunettes de fer qui chante à mi-voix, conseille les filles du village et reçoit devant sa porte le salut déférent de M. Elias-Robinson, notre-nouveau-pasteur. L’amour et la vénération de l’homme du Ridère pour sa Mammy passe tous ses autres sentiments. Il pense à sa Mammy lorsqu’une impulsion irrésistible lui fait fuir un mauvais lieu où il avait commandé de la bière ; il pense çà elle en choisissant sa femme, la rieuse Maggy qui a tant de peine à apprendre à faire les cakes ; il pense à elle lorsque Maggy accouche pour la première fois et que, dans le couloir de la clinique qu’il arpentait fiévreusement, il tombe à genoux pour remercier Dieu de lui avoir donné un fils ; il pense à elle enfin jusque dans la salle enfumée du Club des Anciens où les amis de collège (dont un est devenu clergyman) se réunissent un fois l’an pour se donner d’affectueuses bourrades. C’est mammy qui a fait de l’homme du Ridère ce qu’il est : un gentleman yankee (ou gentleman-ridère) dont la conscience est pure et qui ne craint rien au monde, sauf Dieu et la mauvaise haleine.
L’homme du Ridère loue Dieu dans son temple et se protège de la mauvaise haleine grâce au dentifrice Colgate. (Maggy semblait distante et refusait ses baisers au clair de lune. « O Harry, lui dit-elle, vous devriez aller voir votre dentiste. ») L’homme du Ridère mûrit tôt et sagement. Il prend du ventre, porte des bretelles à fleurs et se livre à ses péchés mignons. Il apprend le nom des plantes, se tient au courant des derniers bombardements atomiques, des progrès de la chirurgie et de l’infinie variété du vocabulaire. (« que signifie BEGONIA ? Est-ce : 1. un tuyau d’arrosage ; 2. un maréchal de France ; 3. une fleur ; 4. un célèbre cabaret parisien ? Réponse page 37 »). Il s’intéresse passionnément à ses frères humains et se sent la gorge serrée en évoquant l’être le plus extraordinaire qu’il a connu. L’un de ces êtres extraordinaires était un sourd-muet de naissance qui, par un miracle de volonté, est devenu ténor de grand opéra. Mais il y eut aussi la petite fille atteinte de paralysie infantile et sœur aînée de cinq enfants qui, un beau jour, se jeta dans la maison en flamme pour sauver son grand-père. Car le monde de l’homme du Ridère est encombré de deuils et de catastrophes et lui-même n’en est pas à l’abri ; il peut perdre son emploi et il lui arriverait, ainsi éprouvé, de sombrer dans une tristesse vague si, à ce moment précis, le bon docteur aux yeux bleus du village ne lui mettait la main sur l’épaule et ne lui disait qu’il est un homme, que diable ! et qu’il ne doit point se laisser aller pour si peu au découragement.
Ce monde rose et bleu où l’on fait des enfants et des dollars et au bout duquel un ascenseur vous attend pour vous conduire à Dieu sans secousse, l’homme du Ridère en demeure le chef-d’œuvre, le roseau pensant en duralumin. A force de le lire et de voir vivre cet homme, je croyais le connaître intimement. Je me trompais. Un lecteur, donc, m’envoie cette coupure de presse :
« J’étais en train de voir réellement griller un être humain. »
Lisez « Sélection » de Janvier, vous saurez ce que les journaux ne disent pas. Vous croirez assister vous-même à une exécution sur la chaise électrique. Achetez dès aujourd’hui notre « Sélection » de janvier.
Grâces lui soient rendues, à présent je sais. Je connais en sa rêverie la plus intime cet enfant béni de Dieu, l’homme du Ridère. J’ai franchi la dernière porte et je suis entré dans le jardin secret. je l’ai vu à l’heure trouble où il s’offrait sans témoins un spectacle de choix. Une belle fille nue ? O honte, non ! Hosanna au plus haut des cieux, l’homme du Ridère, ce saint des Derniers Jours, occupe ses pieux loisirs à regarder un homme griller vif, par le trou de la serrure.
 
Morvan Lebesque : Chroniques du Canard. (1960)

vendredi 6 février 2015

Ça

Ça (c'est). Un peu ça (c'est) : C'est superlatif. — « Il sont laids que c'est ça. » (Pecquet.) — « C'était ça, presque aussi bath qu'au café. » (Monselet.) — « On me cognait, mais c'était ça. » (Zompach.) — « Restez, gendarme, mais ne remuez pas trop, car vous avez l'infirmité des pieds que c'est ça. » (Dernier jour d'un condamné.) — « S'il tournait une phrase de manière à lui donner de l'effet, les tricoteuses applaudissaient et s'écriaient : Là, c'est ça ! » (Lady Morgan, 18.)

Ça (il a de) : Il a de l'originalité, du talent, du génie.

Ça (il a de) : Il est riche. — En disant ce mot, on fait d'ordinairement le geste de compter.

Ça (elle a de) : Elle est riche d'appas.

Lorédan Larchey : Dictionnaire historique d'argot, 9e édition, 1881



Ça : (Elle a de). Elle a de beaux appas.

Géo Sandry & Marcel Carrère : Dictionnaire de l’argot moderne (1953)

(Index)

Maurice Leblanc

jeudi 5 février 2015

Histoire de bonniche — 3

La personnalité infantile de Bécassine dessine en creux le paysage fantasmé de la domesticité au XIXe siècle, celle d’une classe à la limite de la classe dangereuse, une sorte de passerelle, poreuse, facile à traverser pour ceux qui en font partie et une confrontation presque sans risque pour la bourgeoisie. Seul le dévoiement individuel peut opérer une rencontre effective, comme ce qu’il arrive à Georges Randal dans Le Voleur de Georges Darien. Il nous suffit de renverser le moindre caractère de la domestique bretonne pour trouver les craintes et les menaces qui pèsent sur le foyer. L’apparentement de l’état de domestique à la prostitution, même s’il doit beaucoup à une fantasmatique liée à la littérature n’est pas si éloigné que cela. De même l’éventualité d’un débordement ancillaire, allant jusqu’au crime alimente la presse à sensation, comme — certes plus tardivement — le cas des sœurs Papin…
Faut-il alors vouer la lecture de Bécassine à une sorte de bannissement, comme certains ont voulu faire interdire la publication de Tintin au Congo ? Mais pourquoi faire ? Ce serait même l’aveu d’un échec pour ceux qui entreprendraient une telle démarche. La meilleure réponse est très certainement le désintérêt généré par la reconnaissance de ce que recouvrait les histoires de Bécassine, renvoyant tout cela à l’histoire d’un type de narration (la BD) et à une technique (la Ligne claire), parce qu’éliminer un livre, un terme ou une idée de l’espace publique ne les a jamais empêchés d’exister, le désintérêt si.
On ne saurait quitter le sujet sans évoquer de nouveau le destin de nombreuses jeunes femmes atterrissant à Paris et qui se retrouvent rapidement dans les réseaux de prostitution. La pute bretonne est aussi célèbre que la domestique de la même origine, elle ne réside pas qu’à Paris et navigue, comme toutes ses consœurs issues des autres provinces, dans toute la France au fur et à mesure de ses réaffectations dans les bordels. Cette imagerie est véhiculée par Carco, Charles-Louis Philippe et de nombreux autres auteurs, bien éloignée de la description de la prostituée mondaine telle qu’on la retrouve dans Nana de Zola ou Le troupeau de Clarisse de Paul Adam…
Cette prostitution-là revêt des atours tragiques, même si des chansonniers comme Georgius parodient volontiers les goualantes sur les pierreuses (On l’appelait « Fleur des Fortifs »), on la retrouve également dans le même décor — les Fortifs — au cinéma et notamment dans certains passages de Fantômas ou des Vampires, illustrant par ailleurs la perméabilité entre la condition de domestique et de prostituée… A l’image lénifiante de Bécassine, on opposera enfin le destin d’une de ses compatriotes littéraires :
« On l’appelait Marie la Nèfle, parce qu’elle manquait de fraîcheur. Si les surnoms étaient toujours inspirés par la sympathie, on l’aurait nommée Marie la Douce ou Marie Bon-Cœur.
Elle avait le teint plombé, les cernes bistres des noctambules, la bouche très triste, et ses épaules tombaient. Les passants acceptaient volontiers ses offres de bonheurs pervers. A ne réaliser que l’indispensable de ses promesses, elle gagnait de quoi mal se nourrir, payer sa logeuse, renouveler sa jupe brune, son tablier noir et les rubans qui étaient le luxe de sa parure. Elle les choisissait du bleu le plus céleste : celui des bannières de la Vierge au Grand Pardon de Sainte-Anne-la-Palud. Ses yeux d’enfant n’avaient rien contemplé d’égal à leur magnificence. On eût dit que ses yeux de femme en gardaient un reflet dans leur couleur délavée. Malgré les souillures, ils conservaient devant Paris l’expression surprise qu’ont les regards des toutes petites filles en Bretagne.
L’année de sa confirmation, elle avait quitté Douarnenez pour être bonne d’enfant, aux gages de parisiens modestes venus là tremper d’iode et de sel marins les scrofules des jumeaux nés de leur œuvres.
Il y avait peu de joie dans ce ménage. Marie se réveillait en larmes, à l’étroit d’un cabinet sans air où elle étouffait la nuit, rêvant de la baie, des landes, d’espaces dorés par les ajoncs fleuris. Son maître vint la consoler. Il accompagna ses paroles paternelles de gestes qu’elle ne  détourna point, tant elle était ingénue, par effroi du diable dont il avait menacé ses timides résistances. Quand il la laissait, elle priait en breton et elle attendait le sommeil, étonnée un peu qu’il lui fallût contenter les caprices du père après ceux des enfants. Elle remplissait ce devoir étrange avec l’humilité d’une servante naïve encore, comme elle participait aux jeux des petits, lavait le linge ou la vaisselle.
Son incroyable candeur la fit tout avouer à sa maîtresse qu’un doute travaillait. Et elle se trouva sur le pavé de Grenelle, un soir pluvieux de novembre, honteuse pour la première fois d’avoir « obéi à Monsieur », embarrassée du paquet de ses hardes, et riche d’une pièce de cinq francs au lieu du quintuple qu’on lui devait. La tête bourdonnante des invectives, des prophéties, des vœux détestables dont l’épouse trahie l’avait accablée avant de la mettre dehors, — elle restait sous l’averse froide.
Quelqu’un l’emmena. Il en alla de même, le lendemain et ensuite, sauf qu’elle avait loué une chambre d’où elle regardait le puits artésien, les tramways et les gens, du matin au soir. Elle noua des amitiés, parmi les femmes qu’elle rencontrait dans ses promenades. Leurs avis l’armèrent contre la mauvaise foi des hommes et elle acquit de l’assurance. Une « payse » acheva de lui signaler les risques de la profession, et elle lui enseigna la coquetterie agréable aux civils et aux militaires, l’art de les apprivoiser, les parages de bonne chasse, et le goût de boire. Un agent des mœurs, enfin, compléta son éducation ; car la mansuétude d’un État démocratique s’étend aux plus humbles.
Rien ne la rebutait, de cette vie qu’elle n’avait pas désirée ? Elle oubliait la face des inconnus dont les vifs transports ne l’émouvaient guère, et elle semblait toujours les reconnaître, par courtoisie. Pourtant, à voir ses pareilles aimer, toutes, l’élu entre mille, qui les rançonnait et les frappait, un immense besoin de chérir couvait en elle. Il partageait son cœur, avec le regret du port natal et la mémoire des fêtes religieuses. Parfois, dans la puanteur, le tohu-bohu et la désolation d’un cabaret, elle retrouvait des parfums d’encens, l’hymne des cloches et la vision d’un paysage maritime. Elle aspirait à l’amour avec cette passion mystique qui maintenait son âme au-dessus des nécessités malpropres de son existence basse.
Un dimanche, elle marcha tout l’après-midi derrière un quartier-maître de la flotte, fascinée par le béret et le large col bleu, espérant toujours qu’il abandonnerait pour la suivre le vieux couple dont il était flanqué ? Elle manqua défaillir, de demeurer toute seule sur le trottoir, quand ils furent entrés dans une maison qu’elle guetta jusqu’à la nuit close, sans déplacer ses pieds.
Elle se donna à plusieurs, dans l’espoir d’une liaison durable, de violences qui lui permettraient, en les racontant, d’apitoyer ses amies, et augmenteraient la saveur des caresses prochaines. Ils la volaient et ne revenaient plus. La plupart la raillaient durement, si l’occasion d’une rencontre l’amenait à formuler des reproches.
— On t’a assez vue, La Nèfle, disaient-ils.
Ou bien :
— T’es trop moche, la rouquine, pour qu’on y retourne à te faire boum ! C’est bon quand on est sur le sable, fauché de sa largue et dans la mouise, à claquer des dominos à vide !
Néanmoins, elle renouvelait ses tentatives, avec l’obstination de sa race. Le soldat, l’ouvrier, les commis imberbes et des collégiens barbus, luis passaient les taches de rousseur dont elle était masquée, pour l’attrait de sa chevelure fauve où des mèches pâles avivaient les lueurs éclatantes de la masse. Elle connaissait d’ailleurs l’influence de sa peau fine sur la sensibilité des clients et que les moins délicats admiraient la teinte laiteuse de son corps.
[…]
Elle parvint à s’attacher un apprenti, gouailleur et dégingandé, qu’elle détourna facilement de l’atelier où il aidait au raccommodage de bicyclettes. Il l’aima deux longs mois. Ce furent les meilleurs jours de Marie : ses sacrifices à l’ardeur des citoyens avait un but, dans la personne du cher petit homme aux joues roses, pareilles à des pêches. Elle était fière de l’exhiber dans les bals, la kermesse des Invalides et chez les restaurateurs où le cercle de ses relations fréquentaient.
Il la meurtrit de coups, au retour d’une échappée à Clamart, sous prétexte de jalousie, l’accusant de complaisance envers un zouave qu’il avait invité à leur table, par politesse et par amour de la cocarde. Le zouave, après boire, avait galamment assailli la femme et nargué son chevalier dont le rire sonnait faux, parce qu’il se devinait trop faible pour frapper. Il égara l’importun dans le bois et, bousculant Marie, hargneux, muet, il l’avait ramenée jusqu’en leur chambre où des sévices immédiats préludèrent à l’explication qu’elle réclamait depuis des heures :
— Ah ! Rouchie ! te faudrait la carotte d’Afrique et je tourne en poire jaune !... Après le turbin, t’es à moi, mets-toi bien ça dans la citrouille !... Les michetons, faut qu’y gantent... ou tu prendras la pipe !...
Les joues cuisantes, les côtes sensibles, elle l’écoutait en pleurant, et heureuse. Son corset, brisé dans la lutte, lui pinçait les chairs. Elle accueillit cette épreuve nouvelle comme une autre marque du grand amour qu’elle provoquait enfin ! Une tendresse infinie l’alanguissait et jamais elle n’adora autant son maître, que jaloux et brutal. Elle vit avec joie se former des taches violettes ou il l’avait frappée, songeant que leur vue exciterait la pitié de ses amies ; et la certitude d’en être plainte à son tour lui était précieuse et douce.
Mas la fatalité pèse sur quelques êtres avec une invraisemblable persévérance. Une mauvaise toux secoua ce joli amant de cœur et l’emporta en moins de rien, pâle, mince et grave. Ses yeux étincelants de lumière gaie, l’incarnat de ses pommettes plus appétissantes que des cerises, Marie les revoyait sans cesse et elle croyait l’entendre gouailler entre deux quintes ou faire de projets. Retenue par ses sentiments religieux, elle abandonna Grenelle pour Reuilly, au lieu de suivre dans la mort le cher fantôme de ses premiers amours. »
(Charles-Henry Hirsch : Le Tigre et Coquelicot, 1904-1905)


Correspondance amusante, ce roman a également cent dix ans et, pour ma part j’y trouve infiniment plus d’intérêt que le vide installé par Bécassine.  


Pour lire dans l'ordre :

Chapitre 1 | Chapitre 2 | Chapitre 3