Le Tenancier dans sa folle jeunesse a milité pour les Amis de la Terre, très brièvement, on vous rassure, le temps de s’apercevoir
que le type qui dirigeait le bouzin en faisait un piège à gonzesses, chose en
somme peu répréhensible, mais quand on a dix-huit ans on se sent un peu
intégriste. La scène à laquelle il assista rue de La Bucherie prit la valeur
d’une scène fondamentale quant à sa propre philosophie politique. Le type, lui,
a continué vers d’autres râteliers plus conformes à sa situation sociale et
aussi sans doute parce que les grandes écharpes à la Bruant, le patchouli et
les robes de chez Anastasie commençaient à passer de mode. Votre Tenancier —
qui ne l’était pas encore, mais un exalté un peu béjaune — était déjà loin. Il
se rapprocha de mouvances où l’on coure très vite car il considérait que la
discussion, ça va cinq minutes et que les écolos, en somme, l’emmerdaient bien
plus que l’écologie, mais il faut dire qu’il fût salement éduqué politiquement
dans le refus de l’autorité, même « amicale ». Ah ! La
suggestion amicale, justement, le potlatch, la main dans le dos… Pendant que
des organismes à trois lettres (C.R.S., C.G.T., etc.) nous marquaient à la
culotte, au début des années 80, dans une improbable course vers des jours pas vraiment radieux, d’autres faisaient le compte mesquin de leur rapacité en investissant — et le mot est choisi —
dans une rente de sympathies et de copinages.
Le Tenancier a mauvais caractère, c’est là son moindre
défaut. Il ne se fit pas trop de potes et son réseau amical n’avait que faire
de la comptabilité des services rendus ou à rendre. Il préférait l'amitié. Le Tenancier est un sentimental. Preuve qu’il était un vieux
con avant la lettre, il ne bougea pas trop dans ses convictions. Il fut
toutefois forcé de convenir qu’il courait moins vite, moins loin et qu’il commençait
à confondre l’odeur des merguez du Premier Mai avec l’odeur des lacrymos
insurrectionnels. Il ne se rangea point trop, mais se calma par la force des
choses et aussi par les accidents de l’existence. On sait que votre Tenancier
fréquentait Radio Libertaire et que cette fréquentation n’était ni par intérêt
ni par accident mais parce que c’était des membres
de la famille. Il y fit la technique, des émissions, s’engueula, claqua la
porte, revint, fit autant de « euh » (on appelle ça des
« omelettes ») au micro que tous les autres… Pas de nostalgie,
pourtant. C’était bien, mais après presque quinze ou seize ans à faire de la
radio, il était temps pour votre Tenancier chéri de faire autre chose, comme
faire de la petite édition, et toutes ces sortes de choses. Du reste, passer
autant de temps à la radio revenait à devenir une sorte de fonctionnaire. Vous
voyez d’ici l’exaltation… d’autant que si la permanence est justifiable au
nom du militantisme, elle l’est moins dès lors qu’il s’agit de pérorer sur la
culture et le reste. Le retrait est souvent nécessaire pour se renouveler. Je
n’avais donc que trop duré.
Pourquoi je vous raconte tout ça, soudainement ? Oh,
pas grand-chose, simplement par l’effet d’un amusement passager à propos d’un
type qui vient de perdre son boulot. C’est cruel de perdre un travail n’est-ce
pas ? C’est que j’eus à côtoyer ce pauvre type — j’aurais pu écrire
« pauvre garçon » mais la charité n’est pas une vertu reconnue par la
Première Internationale — à la radio pendant un bref moment.
Le lecteur de ce blog s’en souvient, le Tenancier avait
animé une suite d’émissions autour de la SF avec des titres un peu bêtes mais
au contenu un peu travaillé. Il fallait savoir également qu’il n’était nullement
question de revendiquer une quelconque exclusivité sur l’antenne. Tout le monde
avait bien le droit de parler de temps en temps du sujet d’un autre et je ne
m’en suis pas privé non plus. Seulement l’arrivée à l’antenne d’une émission
animée par ce triste personnage avait suscité quelques inquiétudes dans notre équipe.
Le type avait de l’entregent, des manières cauteleuses et un carnet d’adresse
fourni dans le milieu de la SF. On me rassura, en premier chef l’intéressé.
Ainsi, ce ne serait qu’une émission littéraire, voyons, certes, on parlera de
SF, mais également d’autre sujets sans exclusive ! On est cool, tu vois, on est du même monde. Du
même monde, vraiment ? Dans mon imaginaire obtus, le fait d’être cool n’était pas vraiment un blanc-seing
pour que ce type qui était en train de me passer la main dans le dos devienne
un pote, tu vois. On sentait dans le propos pseudo amical poindre la
condescendance vis-à-vis des « bricoleurs » que nous semblions à ses
yeux. Malgré notre défiance, tout se passa bien les premiers temps. Certes, des
auteurs comme Emmanuel Jouanne et d’autres furent invités à cette émission mais
le contrat nous semblait observé car d’autres littératures étaient abordées
souvent avec talent, ce talent qui allait lui servir pour son propos et, plus
tard, ses ambitions… ou presque.
On se doute bien de ce qui arriva ensuite. Des invités qui
ne se pointèrent pas au studio à plusieurs reprises, des rumeurs… Je finis par
enregistrer au téléphone les propos d’un des invités qui nous avait posé un lapin et le
faire entendre au secrétariat de la radio. Le procédé n’était certes pas
élégant car je n’en avais pas averti la personne, mais je n’avais guère le
choix pour démontrer ce qui s’était passé, à savoir que notre « pote »
si cool faisait courir des propos négatifs sur notre émission et sur ses
animateurs. Le type a arrêté la sienne après que nous avions fait état de cette duplicité.
Je ne remercierai jamais assez le secrétariat de la radio d’avoir réagi comme
son éthique le demandait et non d’avoir répondu à la flatterie que ce nom
pouvait lui rapporter.
Le type a continué sa carrière de folliculaire ici et là et principalement dans une revue, depuis les années 70. Il vient d’en être viré, sans doute par manque de renouvellement — je sais que ce n’en n’est pas forcément la raison, mais l’idée est irrésistible, voyez-vous. Il pleure. C’est drôle, cet écoulement lacrymal, c’est pittoresque. Le type a l’âge de la retraite, est ancien député (cool, tu vois, mais assez vigilant sur la progression de carrière, c’est ça l’écologie, hein !) et vient me dire qu’il va avoir du mal à payer son loyer ? Comme si c'était le seul, comme si ça ne pouvait tomber sur lui ? Pas réélu, au chômage (Et, soi-disant, à refuser des indemnités pour ne pas couler un revue… reprise par un grand groupe d’édition — quel jobard peut gober ça ? Ne parlons pas du délire sur ces indemnités auxquelles il prétend.), ce garçon va pouvoir écrire ses mémoires. Ou mieux, je lui recommande de changer de bord comme son glorieux prédécesseur à la tête des Amis de la Terre, songeant que son arrivisme peut encore faire des étincelles. Encourageons les initiatives et faisons du neuf avec du vieux, du très vieux, du blet, ça ne nous changera guère, cela dit.
Le type a continué sa carrière de folliculaire ici et là et principalement dans une revue, depuis les années 70. Il vient d’en être viré, sans doute par manque de renouvellement — je sais que ce n’en n’est pas forcément la raison, mais l’idée est irrésistible, voyez-vous. Il pleure. C’est drôle, cet écoulement lacrymal, c’est pittoresque. Le type a l’âge de la retraite, est ancien député (cool, tu vois, mais assez vigilant sur la progression de carrière, c’est ça l’écologie, hein !) et vient me dire qu’il va avoir du mal à payer son loyer ? Comme si c'était le seul, comme si ça ne pouvait tomber sur lui ? Pas réélu, au chômage (Et, soi-disant, à refuser des indemnités pour ne pas couler un revue… reprise par un grand groupe d’édition — quel jobard peut gober ça ? Ne parlons pas du délire sur ces indemnités auxquelles il prétend.), ce garçon va pouvoir écrire ses mémoires. Ou mieux, je lui recommande de changer de bord comme son glorieux prédécesseur à la tête des Amis de la Terre, songeant que son arrivisme peut encore faire des étincelles. Encourageons les initiatives et faisons du neuf avec du vieux, du très vieux, du blet, ça ne nous changera guère, cela dit.
Pourquoi je ne compatis pas à ça, avec un mec qui a voulu me
marcher sur la gueule ? Et pourquoi donc je me dis qu’on est vraiment pas
du même monde ?
A part ça, je reprendrais bien une coupette, tiens…
___________
p.s. : Quelques temps après cet épisode, je croisai ce type dans un un mini-raout. Franc comme un âne qui recule, il vint vers moi et me dit :
« — Ah, salut, comment tu vas ?
Je marquai un temps, et puis :
— Nettement moins bien, tout à coup ».
C'est drôle, mais — était-ce le ton de ma phrase — il n'arrivait plus tellement à me reconnaître, par la suite...
Crédit d'illustrations : Justin Gerard (trouvées sur ce blog)
Mmmm.... Est-ce bien le personnage auquel je pense que vous évoquez ici, cher Tenancier ?
RépondreSupprimerSi c'est bien lui, je confirme le portrait. Et pleure tout autant que vous sa "déchéance"...
Otto Naumme
Oh, je pense que nos pensées sont proches, mon cher Otto.
RépondreSupprimerP'têt' qu'y f'rait mion d'se reconvertir dans… je sais pas, moi : le manaidgemante, non ?
RépondreSupprimerP'têt ben.
RépondreSupprimerNe pas nommer tout en critiquant est faiblard (on voit là que cette affaire n'est pas dépassée).
RépondreSupprimerFoncez donc ad hominem sans ménager le qu'en-dira-t-on et sans tomber dans la critique pour initiés !
Bolo, je me suis posé la question, vous vous en doutez.
RépondreSupprimerJ'ai commencé le billet par des évocations qui pouvaient être détachées de ces allusions et être lisibles (enfin, je fais ce que je peux) pour la plupart. Le reste est au fond anecdotique pour les autres. A part vous ci-dessus, je crois bien que s'est manifesté le seul lectorat concerné un peu par ce récit. Au vrai, je me sentais le besoin de le raconter par écrit car je ne l'avais jamais fait, pour me soulager. Pas besoin d'ailleurs de faire beaucoup de recherches pour découvrir de qui il s'agit, j'ai laissé suffisamment d'indices comme cela (si si, cherchez bien). Et puis, j'ai croisé assez de personnes qui ont voulu instrumentaliser Radio Libertaire, à l'époque, pour savoir que ce n'était pas un cas isolé et même pas une stratégie d'investissement originale. Il n'est même pas le seul à briguer des mandats électifs et qui soit passé par la radio, comme cette "Ingénieure, Journaliste, Internet, sophrologue, écologie politique. Persévérance, pertinence, pugnacité" (sic) et qui, de plus, ne craint personne pour ce qui concerne la modestie.
Je ne mets pas le nom de ces gens car le blog n'a pas besoin de rameuter leurs thuriféraires ou leurs détracteurs. Je préfère taper sur Duras, c'est plus marrant. J'ai fait ma petite thérapie, en somme. Je regrette que cette lecture ait pu vous incommoder à cause de mon refus de nommer ce connard. Promis, je ne recommencerai pas de si tôt dans l'allusif, je n'en suis d'ailleurs pas coutumier, ce qui m'a d'ailleurs valu parfois des inimitiés (Bertrand Redonnet me fait la gueule en ce moment, à propos...)
Ahem... je précise que Bertrand Redonnet n'est pas un connard, comme ma phrase pourrait le faire croire par transitivité à un type expatrié de ma connaissance et qui a la tête près du bonnet.
RépondreSupprimerVotre répartie en P.S., à la fin de votre billet, à la question : "- Ah, salut ! comment tu vas ?" est très bien envoyée !
RépondreSupprimerDommage que le cinéma français ne soigne plus ses dialogues comme à une certaine époque... il pourrait embaucher.
Pourquoi cette dédicace à Yann Lindingre ? Cette sympathie est-elle réelle ou de crocodile, comme l'image du dessous pourrait le faire accroire à un esprit inquiet ? Je demande ça parce que j'aime bien ses dessins, dans Siné mensuel, notamment, mais je ne connais pas ses desseins.
RépondreSupprimerA vrai dire, Wroblewski, je ne connaissais pas Yan Lindingre jusqu'à maintenant et je suis bien content de le connaître. C'est donc une sympathie réelle et motivée. Suivez donc ses initiales, vous en trouverez la clef. Pour vous résumer, sinon, Lindingre a fait l'objet de la même médisance intéressée de la part de ce type, comme quoi les dispositions ne se réforment pas lorsqu'elles sont bien ancrées.
RépondreSupprimerDominique, enchanté de vous revoir dans les parages.
Euh… Tenancier, c'est pas très correct de taper sur Duras.
RépondreSupprimerC'est durassisme, à tout le moins.
Le Tenancier tape sur Duras parce qu'il est en pointe, cher George...
SupprimerOtto Naumme
J'ai bien reconnu le bonhomme, rencontré une fois à une foire à la tape dans le dos et à la condescendance : c'était le meilleur.
RépondreSupprimerLe monde est petit !
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