Dans son ouvrage L'écrit au cinéma, Michel Chion écrit : « les écritures dactylographiées – peu importe si l'on écrit avec dix doigts, deux pouces, ou un index – effacent les traces des gestes qui les ont créées » (p.107). La première image du roman Misery met en scène la machine à écrire de manière frontale. Toute la part d'humanité à disparu. On ne voit plus l'homme derrière la machine, seulement les lettres noires s'incruster sur le papier blanc. La saga des Misery sont des livres de commande de l'éditeur, c'est une écriture sous la contrainte. Cette retenue de la créativité est le fil directeur de toute la relation d'Annie et de Paul. Misery ne doit pas mourir, c'est une loi à ne pas transgresser sous peine de mort dans d'affreuses souffrances. L'écriture devient un chantage, une torture. Dans la maison de sa ravisseuse, le nouveau bureau de Paul est placé à côté de la fenêtre de sa chambre. Enfermé à clé toute la journée dans ce nouvel espace, la solitude, l'angoisse et l'obligation de création côtoient le sentiment de liberté, d'évasion provenant de la montagne enneigée où se situe le chalet.
Sur l'affiche officielle du film on peut
lire : « Paul Sheldon écrivait pour gagner sa vie.
Maintenant, il écrit pour rester en vie ». L'épisode de Misery
arrive dans la vie de Paul Sheldon au moment où il décide de plus
gagner sa vie en écrivant sa fameuse saga, mais en s'orientant vers un
autre type d'écrit, plus personnel. C'est donc au moment où il décide
de ne plus, d'une certaine manière, gagner sa vie mais plutôt de vivre
sa vie, que ses romans deviennent le début de sa fin. L'un des premiers
plans met en scène ce mot « fin ». À la dernière page de son
roman dactylographié, la main de l'écrivain tenant un crayon à papier
entre dans le cadre, et écrit sur la feuille. On constate l'évolution
du rapport à l'écriture. De notre perception d'une machine autonome, on
a l'introduction d'une part humaine. Cette cohabitation sera le mot
d'ordre du processus de création chez Annie. La machine à écrire du
chalet n'a plus la lettre « n ». Il faudra les rajouter par
la suite. À l'écriture standard s'ajoute l'écriture manuscrite, c'est à
dire la variation, le hasard. Même avec des écritures personnelles,
toutes nos lettres ne sont pas toujours formées de la même manière.
L'écriture formatée semble désigner un destin tout tracé, une mort
certaine, tandis que l'apport manuscrit est un pas, une chance de
survivre. Et c'est justement sur cette oscillation entre espoir et
fatalité que Rob Reiner va jouer dans sa mise en scène globale. Le
spectateur est également associé au déroulement de la rédaction du
roman. Sur son écran, il peut voir défiler les chapitres
(« chapitre 5 », « chapitre 12 »...), et peut
attraper au vol quelques mots.
D'autres indices annoncent l'écriture comme une destruction. En
revenant du magasin, Annie rapporte du papier à son écrivain. La fibre
fait baver l'encre. C'est une représentation explicite de la perte de
sens et d'une histoire qui sera vouée à l'échec avant même d'avoir
démarré. À nouveau le doigt de l'écrivain se glisse dans le cadre.
Anticipation sur le fait que l'homme sera à l'origine de
l'anéantissement : Annie séquestre et torture physiquement Paul,
il la tuera psychologiquement dans un premier temps en brûlant son
roman sous ses yeux, puis dans un deuxième temps physiquement en
utilisant sa machine à écrire pour lui fracasser le crâne à deux
reprises.
Enfin, l'image cinématographique tisse un lien avec l'adaptation de Shining de 1980 par Kubrick. Cette fois le sujet est l'écrivain qui n'écrit plus. Dans un huis clos, un univers qui en somme n'est pas humain dans le sens où il ne respecte pas les droits de l'homme, l'homme se retrouve seul face à lui-même. Paradoxalement, cette rencontre n'est pas fructueuse. L'enfermement laisse place à la folie. Dans Shining, Jack Torrance se laisse embarquer dans une folie meurtrière, tandis que dans Misery, Annie est la réincarnation d'un démon. Cette (dé)possession de l'esprit, influe sur l'acte de création et rend le langage écrit vide et répétitif.
Enfin, l'image cinématographique tisse un lien avec l'adaptation de Shining de 1980 par Kubrick. Cette fois le sujet est l'écrivain qui n'écrit plus. Dans un huis clos, un univers qui en somme n'est pas humain dans le sens où il ne respecte pas les droits de l'homme, l'homme se retrouve seul face à lui-même. Paradoxalement, cette rencontre n'est pas fructueuse. L'enfermement laisse place à la folie. Dans Shining, Jack Torrance se laisse embarquer dans une folie meurtrière, tandis que dans Misery, Annie est la réincarnation d'un démon. Cette (dé)possession de l'esprit, influe sur l'acte de création et rend le langage écrit vide et répétitif.
Chaque histoire de Stephen King, est marquée par une présence impalpable et omniprésente. Dans Christine, elle rend un adolescent amoureux de sa voiture. Les animaux de Simetierre, reviennent à la vie. Et c'est cette présence qui conduit les gardiens de l'hôtel de Shining à commettre des meurtres. Annie Wilkes est l'incarnation de ce phénomène mystique et maléfique. Elle est d'autant plus effrayante qu'elle semble réelle. Sa relation avec le personnage de fiction Misery la rend humaine et participe à un procédé d'identification avec le spectateur. En effet on a tous été fan d'un personnage de fiction. Cependant cette relation s'évapore dès qu'Annie s'intéresse de plus près au travail de Paul. Le côté psychotique du personnage apparaît. L'écriture sera affectée par cette pathologie et la représentation sera tiraillée entre des plans sur la machine à écrire avec une police formatée, et un côté plus humain avec l'introduction dans le cadre des mains de l'auteur.
Annie, Paul et Misery forment un trio inséparable. Si le personnage de la fiction littéraire meurt, ceux de la fiction cinématographique meurent également. Paul est brûlé et Annie est anéantie. Rob Reiner réussit à l'écran à recréer ce lien étroit que Stephen King imaginait en 1987. Une autre connexion naît trente ans plus tard et rapproche Annie de N. Tous les deux psychotiques ont des troubles obsessionnels du comportement. Cette démence semble être véhiculée par la lettre « n ». Comme un poison, une maladie héréditaire, il ne serait pas étonnant de la retrouver dans la descendance littéraire de ces deux personnages.
Fiche technique
Titre : Misery
Réalisation : Rob Reiner
Scénario : William Goldman d'adapté un roman de Stephen King
Acteurs : James Caan (Paul Sheldon, Kathy Bates (Annie Wilkes), Lauren Bacall (Marcia Sindell), Richard Farnsworth (Buster), Frances Sternhagen (Virginia)...
Pays : États-Unis
Durée : 1h47 min
Musique : Marc Shaiman
Directeur de la photographie : Barry Sonnefeld
Montage : Robert Leighton
Budget 20 millions de dollars
Genre : Thriller, Horreur, Drame
Sources
http://sitecoles.formiris.org/?WebZoneID=590&ArticleID=1807
Dictionnaire des symboles, J. Chevalier et A. Gheerbrant — Robert Laffont, coll. Bouquins, 1997
La Bible de Jérusalem — Les éditions du Cerf, 1998
L'écrit au cinéma, Michel Chion — Armand colin, 2013
DVD Shining, Stanley Kubrick, 1980
DVD Misery, Robb Reiner, 1990
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